Hey, bonjour à toutes et à tous !
Pour cette fois, je suis dans les temps ! Je vous présente donc mon troisième chapitre. Ici, les choses se précisent, mais je ne vous en dis pas plus ! Encore une fois, n'hésitez surtout pas à me dire ce que vous avez pensé de l'histoire, des personnages, du déroulement du truc et tout, et tout !
Bonne lecture ;)
_________________________________
°J’ai raison. Tu es jalouse.°
- Non ! Je ne suis pas jalouse !!!
Le lendemain, à peine j’ouvre les yeux que la vérité de la veille me saute au visage. L’Inconnue a raison : je suis jalouse. C’est horrible. Vraiment et réellement horrible. Je ne veux pas être comme ça, à ne pas vouloir que ma copine aille voir telle ou telle personne. Je n’ai pas le droit de l’emprisonner comme je me suis rendue compte que j’aimerais le faire. Je ne veux pas devenir une garce qui lui envoie un message toutes les cinq minutes pour savoir ce qu’elle fait, avec qui et où. Je ne veux pas l’étouffer en lui imposant ça...
Cette idée bien en tête, je me décide à me lever de mon lit. Il ne faut surtout pas que j’oublie cette résolution alors je me la répète tout le long du chemin qui mène à la salle de bain.
- Pas jalouse chiante, pas jalouse chiante, pas jalouse chiante...
Arrivée devant mon miroir, je ne peux m’empêcher de soupirer. Mes yeux sont tellement gonflés qu’ils ne ressemblent plus qu’à deux fentes à peine assez larges pour qu’on aperçoive mes pupilles. L’extrémité extérieure de l’œil est rouge d’avoir été trop essuyée et mes joues portent encore les traces de mes larmes.
- Pathétique...
°Oui. Je trouve aussi.°
- Oh toi, recommence pas hein ! Casse-toi d’là !
Je m’énerve, mais ça n’y fait rien. L’Inconnue ne bouge pas de là où elle est, c’est-à-dire, adossée nonchalamment à l’encadrement de la porte. Si la nuit porte conseil, la mienne m’a donné celui de limiter l’impact de cette femme sur mon mental. Ça va faire cinq jours qu’elle est avec moi et malgré tout mon bon vouloir, elle ne part pas. Si je ne veux pas devenir folle à m’arracher les cheveux dans un coin de ma chambre, il vaut mieux que je relativise. Si ça se trouve, elle repartira comme elle est venue, sans prévenir.
J’en rêve encore alors que je me dirige vers la cuisine. En ouvrant le réfrigérateur, je me souviens que je n’ai pas mangé la veille, alors même si je n’ai toujours envie de rien, je me force à avaler quelque chose. Sauter un repas du soir, c’est une chose, mais sauter aussi le petit-déjeuner du lendemain, c’en est une autre.
°Ca inquiéterait Léna et elle ferait bien plus attention à toi.°
Je l’ignore cordialement et attrape un yaourt.
°Si elle sait que tu ne manges que ça, elle viendra te réprimander et restera avec toi pour tous les repas, histoire d’être sûre que tu te nourris correctement.°
Aussitôt, je me relève de la chaise sur laquelle je venais de m’asseoir et vais chercher des céréales et un bol. Je vide mon yaourt et un quart du paquet dedans puis je mélange le tout. J’apporte ensuite une cuillère à ma bouche, mon regard plein de défi posé sur l’Inconnue.
- Quelque chose à ajouter ?
Elle hausse les épaules et ne répond pas. Un sourire aux lèvres, je finis de déjeuner et retourne à la salle de bain. Il faut que j’arrange le chantier qu’est devenu mon visage. J’allume l’eau froide et m’asperge la figure, espérant faire dégonfler mes yeux et dérougir ma peau. Si cette manœuvre a le mérite de diminuer mes dégâts oculaires, en ce qui concerne la couleur de mes joues, ce n’est pas encore ça. Je suppose que ça passera dans la matinée et vais dans ma chambre pour m’habiller. On est dimanche, donc je fais encore moins attention que d’habitude et enfile un vieux sarouel ainsi qu’un débardeur tout simple. Parfois, je me dis que j’ai de la chance d’avoir quelqu’un comme Léna. Même si je m’habille comme un sac, elle ne me fait aucune remarque.
°Elle va se lasser, c’est sûr. Quand on voit comment Amélie s’habille... !°
La tête haute, je récupère mes affaires et sors de chez moi, bien décidée à aller faire un tour au parc d’à côté. Je suis sûre que prendre l’air me fera du bien et m’aérera la tête. C’est en arrivant à l’entrée de l’espace vert que je me souviens de mon téléphone portable. Aussitôt, je le récupère dans ma poche et regarde s’il y a quoique ce soit de nouveau. Même si j’en ai un tous les jours, je ne peux m’empêcher de sourire en voyant que Léna m’a envoyé un bonjour. Mais cette fois-ci, il n’est pas seul. Elle me demande si j’ai bien dormi et si tout s’est bien passé quand je me suis retrouvée seule. Je sais que j’ai promis de lui dire si jamais ça n’allait pas, mais je ne peux pas. Je n’ai pas le cœur à lui imposer une fois de plus mes caprices et mes états d’âme. Alors je lui cache un peu la vérité et lui explique que tout allait bien et que je me suis endormie rapidement parce que j’étais fatiguée.
Mes pas me font traverser le parc tandis que mon esprit dérive. Malgré moi, j’en reviens au sujet qui me préoccupe depuis le milieu de la semaine : ma toute nouvelle jalousie. Je ne comprends toujours pas pourquoi elle est apparue comme ça, du jour au lendemain. Je ne me souviens pas d’avoir eu aussi mal que ces derniers jours. En tout cas, pas depuis que Léna et moi, c’est officiel. Avant, quand on n’était pas encore ensemble et que quelqu’un s’approchait d’un peu trop près, j’avais mal au cœur, mais c’était normal. Je n’avais pas conscience des sentiments qu’elle avait pour moi.
°Elle n’était pas encore à toi.°
- Elle est pas à moi. C’est pas un objet.
Je lève les yeux au ciel, exaspérée par ce qu’Elle vient de dire. Léna n’est pas ma propriété. J’en suis consciente, même si comme pour l’histoire du « je suis grande, je sais me défendre », ça me fait mal au cœur. Mais je ne veux pas penser comme ça. C’est malsain de vouloir que les gens nous appartiennent.
°Pourtant, tu veux qu’elle ne soit qu’à toi. Ne me dis pas non, je le sais.°
- Et comment tu peux être aussi sûre de ce que tu avances ? T’es pas dans ma tête à ce que je sa... Ouais, non... J’ai rien dit. J’avais oublié que tu lisais dans mes pensées.
Les gens que je croise me regardent de travers, mais ça m’est complètement égal. Je sais que ce n’est pas comme d’habitude et qu’ils ne m’agressent pas de leurs yeux à cause de mon style vestimentaire, mais tant pis. Je ne suis pas folle. Il y a juste une femme pour le moins surréaliste qui me dit des horreurs sur ce que je ne veux surtout pas penser. Le problème, c’est que toutes ces idées me traversent vraiment l’esprit. C’est horrible, juste horrible. Je me répète peut-être, mais je donnerai beaucoup pour que ce sentiment me quitte, que je puisse enfin redevenir comme avant toute cette histoire. Je sais qu’un jour, je n’arriverai plus à garder en moi tous ces affreux sentiments et qu’ils se déverseront sur Léna. Elle se rendra alors compte que je suis affreuse et égoïste. Que je suis jalouse...
Mais je me pose quand même des questions. A chaque fois que j’ai entendu quelqu’un se plaindre de sa copine jalouse, la fille en question passait son temps à le harceler. Sauf que ce n’est pas l’envie que j’ai. Je ne sais pas comment expliquer clairement les choses mais c’est à peu près ça. Je ne ressens pas le besoin de savoir à tout instant ce que Léna fait. Et puis ce n’est pas en elle que je n’ai pas confiance. Je sais qu’elle ne me trompera pas. C’est plutôt en les autres que je ne crois pas. Je sais que jamais je n’irai vers quelqu’un qui est déjà en couple. Je ne suis pas de ce genre de personnes qui s’amusent à briser les relations, par pur égoïsme. Mais pas tout le monde n’est comme moi. Et si la personne en face de Léna est une de ces garces sans scrupule ? Je ne ferai jamais le poids.
°C’est vrai. Elle t’aime mais si la personne en face est entreprenante, qui sait ce qui peut arriver.°
- Exactement... Je ne suis pas belle, ni particulièrement intelligente...
°Il y a des tas de personnes mieux que toi.°
- Ca aussi c’est vrai. C’est sûr qu’il y a toujours mieux que soi, mais imaginons que Léna tombe sur une de ces personnes et qu’elle en tombe follement amoureuse ?
°Alors elle te laissera.°
- Oui... Je me moque de ce qu’elle fait, tu sais... Je ne veux juste pas qu’elle me laisse... Je ne veux pas la perdre parce que j’ai un défaut que la personne mieux que moi n’aura pas.
Je sais que personne n’est parfait et que cette fameuse personne aura surement des défauts que je n’ai pas, mais bien sûr, en bonne pessimiste que je suis, je n’y pense pas. De toute façon, si j’y avais pensé, je me serai dit qu’ils auraient été moins graves que les miens.
Et dire qu’en début de matinée, j’étais à peu près joyeuse. J’ai même réussi à faire fermer son caquet à l’Inconnue. Comment ai-je pu passer d’une humeur normale à un état d’abattement pareil ? Alors c’est ça aussi être jalouse ? Prendre un ascenseur émotionnel et y rester toute la journée pour ne le quitter que la nuit, quand le sommeil se fait profond ? Si seulement je savais comment faire pour que la situation se stabilise à nouveau. Peut-être que je devrais lui en parler ?
- Non. Elle va me détester et me quitter.
°Tu m’enlèves les mots de la bouche.°
Voilà plusieurs semaines maintenant que mes premières crises ont eues lieu. Depuis j’en ai fait d’autres, plus ou moins violentes, plus ou moins gérables, mais plus jamais devant Léna. Je ne veux plus qu’elle me voit dans des états pareils. A chaque fois, j’en hurle tellement j’ai mal. J’ai l’incroyable sensation qu’une main entre dans ma poitrine pour m’y serrer le cœur jusqu’à ce qu’il soit au bord de l’explosion.
Pour le moment, je n’ai pas trouvé le moyen de m’apaiser quand l’Autre se pointe pour me dire toutes ces choses. Mais je me dis que ça n’a pas d’importance, tant que ça ne se voit pas en public. Quand Amélie est avec nous, que je sens la colère et la douleur monter en moi, je serre les dents, je me secoue mentalement en essayant de me convaincre que ce n’est rien. Sur le moment, ça fonctionne plutôt bien. J’arrive à ne plus y penser et même à apprécier la blonde. Ce n’est qu’une fois chez moi que l’Autre rapplique.
Une fois, ça s’est tellement mal passé que j’en ai jeté des objets à travers l’appartement. Mes mains avaient cette envie, ce besoin d’extérioriser ce mal-être. Mes bras aussi. Les voisins ont dû me prendre pour une folle, mais je ne gérais plus rien du tout. Mon corps ne faisait que suivre mon cœur, comme si la partie raisonnable de moi avait abandonné le navire. Parfois, je me dis qu’heureusement, Léna ne pense pas à me suivre dans ces cas-là. Je me plais à penser qu’elle ne voit pas quand ça va mal comme ça. Quelque part, ça me rassure parce qu’au moins, je ne l’accapare pas avec mes problèmes, mais ça donne aussi de quoi critiquer à l’Autre. Quand j’arrive chez moi et que je ferme la porte, au bout de deux minutes, elle me lance des « Elle n’est encore pas venue » et j’ai beau lui répondre que je n’attends pas qu’elle voit en moi et qu’elle reste pour me consoler, elle me répète inlassablement cette phrase, si bien que je finis par y croire. Croire que je n’attends que ça d’elle, qu’elle ne s’occupe que de moi, qu’elle ne vive que pour moi, qu’elle ne pense qu’à moi. Je me souviens de cette fois où j’avais discuté relativement calmement avec Elle.
°Qu’est-ce que tu voudrais d’elle ?° m’avait-elle demandé.
- Je... Je ne sais pas vraiment...
°Bien sûr que tu le sais.°
Mon esprit tournait à toute vitesse. J’avais des images de moi, recroquevillée autour d’une toute petite Léna ou la photo d’une petite boite dans laquelle il y aurait eu la même Léna et que j’aurais placée au fond de moi, au fond de mon cœur. C’était cette image-là qui m’avait le plus interpelée.
- Je voudrais... La garder tout au fond de mon cœur, dans une petite boite, qu’elle ne soit qu’à moi, que personne ne la voit... Pour que personne ne sache à quel point elle est extraordinaire...
J’avais mis quelques secondes à continuer.
- Pour que personne n’ait l’envie de me la prendre...
Jusqu’à présent, je m’étais sentie minable de penser à ce genre de choses, mais cette nouvelle façon de voir ma jalousie, ma possessivité -nouveau mot de mon vocabulaire- me paraissait moins lamentable et critiquable. Ca restait de l’exclusivité, mais c’était plus acceptable pour moi. Je ne savais pas pourquoi, tout à coup, je détestais moins ce sentiment. Peut-être que l’imaginer comme ça le rendait plus humain, moins invivable pour l’autre personne -Léna en l’occurrence-.
Quelques jours après cette révélation, je m’étais mis en tête de poser une définition exacte sur ce que je ressentais. J’avais cherché dans un dictionnaire au mot « Jalousie » et trouvé deux sens : « dépit envieux ressenti à la vue des avantages d’autrui » et « sentiment fondé sur le désir de posséder la personne aimée et sur la crainte de la perdre au profit d’un rival ». Je me souviens avoir eu cette impression fabuleuse que quelqu’un comprenait ce que je ressentais, surtout quand mes yeux avaient lu la petite phrase d’exemple « Etre torturé par la jalousie ». Ce n’était qu’un dictionnaire, mais je l’aurais embrassé tant j’étais contente. Cette seconde définition avait su expliquer en une vingtaine de mots ce que je ressentais depuis des semaines. Certes, ça restait de la jalousie, mais pas au sens où la plupart des gens l’entendaient.
Aujourd’hui, je me sens un peu mieux. Jalousie -puisque je sais, autant appeler un chat « un chat »- est toujours là, à me lacérer les entrailles quand Léna et Amélie sont proches, mais au moins, je ne suis plus dans le flou. De plus en plus, j’essaie de vivre avec. Cette après-midi, on a rendez-vous au lac d’à côté. Il y aura Léna, Amélie et moi, puisque nous sommes devenues le trio infernal. Je sens déjà les problèmes arriver. Je n’y suis même pas que j’enrage. Et pourtant, comme à mon habitude, pour préserver mon couple, je ne dis et ne dirai rien. Même si imaginer Léna et Amélie se chamailler ensemble dans l’eau, en maillot de bain, me donne envie de vomir. Même si les imaginer discuter en se dorant la pilule au soleil me donne envie de hurler.
Alors qu’il est l’heure pour moi d’y aller, je me rends compte que j’ai passé la matinée à tourner et retourner des scenarii dans ma tête. Je suis donc déjà passablement énervée. Je n’essaie de me calmer que quand j’aperçois le lac qui se dessine au bout de la route. Les filles doivent être arrivées avant moi et si je commence la sortie en faisant la gueule, je pense que ce n’est même pas la peine que je reste avec elles. Je respire donc avec le ventre pendant les quelques secondes qui me sépare des filles. Finalement, je descends de ma voiture, un rictus à demi forcé sur le visage. Léna s’approche de moi avec un grand sourire alors je la serre fort dans mes bras, le cœur un peu plus léger. Je fais ensuite la bise à Amélie et c’est ensemble que nous cherchons un coin pour nous installer.
A peine nos serviettes posées au sol, on se déshabille pour nous mettre à l’aise. C’est à ce moment-là que mon enfer commence. Le corps de la blonde est parfait : petites jambes fines, pas de culotte de cheval, ventre plat et j’en passe. Certes, elle n’a pas beaucoup de poitrine, mais avec un corps pareil, ce n’est qu’un détail. Le plus discrètement possible, je baisse le regard sur mes cuisses qui ne sont pas énormes mais qui comparées à celles d’Amélie paraissent obèses et sur mon ventre qui, sans être gros, est loin d’être aussi plat que le sien.
°Elle est bien foutue.°
Je secoue la tête pour l’ignorer. Ça n’a jamais été dans mes habitudes de complexer physiquement par rapport aux autres filles de mon entourage et j’ai décidé que ça ne commencerait pas maintenant. D’un coup d’œil, j’aperçois Léna, toujours aussi belle. Il y a des gens qui, habillés ou non, sont beaux : Léna en est.
- Vous voulez aller vous baigner tout de suite ou pas ? Demande Amélie, me tirant de ma contemplation.
- Je sais pas trop, il est encore tôt non ? Répond Léna.
- Pour ma part, je vais attendre de digérer un peu. J’aime pas me baigner tout de suite après manger, surtout quand l’eau est froide.
Je suis une petite nature, oui, et alors ? En riant, Léna me tapote le ventre.
- C’est vrai qu’il ne faut pas trop le brusquer lui hein !
- Oh ça va hein ! Au pire, c’est toi qui me tiendras les cheveux si je suis malade !
Son rire est contagieux, alors je le partage, jusqu’à ce que je L’entende encore.
°Elle s’occuperait de toi au moins, ce serait un mal pour un bien.°
*Elle s’occupe déjà très bien de moi. Je n’ai pas besoin de plus.*
°C’est faux. Tu l’as dit toi-même. La boite, la boite...°
Un long silence se fait dans ma tête. Je déteste quand elle a raison. Je déteste me rendre compte que les mots qui sortent de sa bouche sont ceux que j’ai, un jour, consciemment ou non, formulés.
*... Mais ce n’est pas comme si j’étais capable de mettre cette idée en application...*
°Un point pour toi. De toute façon, elle te quitterait si tu te laissais aller, à lui parler comme à tes envies d’ailleurs.°
Dans un soupir, je baisse la tête. Et dire qu’au début, au tout début, j’arrivais à L’ignorer. Maintenant, je fais carrément la conversation avec cette femme qui a décidé de ne plus me lâcher. Je ne sursaute même plus quand j’entends sa voix dans ma tête. C’est un regard interrogateur qui me sort de mes pensées. Léna m’observe un sourire mi-inquiet, mi-amusé sur le visage.
- Ça va Petite Marie ?
- Ah ! Oui, pardon. J’étais partie loin.
- Loin comment ? me demande-t-elle, rassurée.
- Loin genre... Loiiiiin !
Je lève une main vers l’horizon et plisse les yeux pour donner à mon visage une expression tragique, théâtrale. J’ai remarqué que l’humour était une bonne manière de détourner l’attention de Léna. J’ai bien conscience de noyer le poisson, mais ça fonctionne alors je continue. J’essaie de me convaincre qu’elle ne voit pas mes absences -mes conversations de folle à lier-, qu’elle croit à mes sketchs, mais plus le temps passe, plus je remarque cette lueur dans ses yeux. On n’en a pas parlé, mais même si elle agit toujours de la même manière avec moi, j’ai l’impression que quelque chose a changé. C’est certainement moi qui ai changé d’ailleurs. Je culpabilise. Et pourtant, ce n’est pas faute d’essayer de cacher tout ça. Je passe, pour ainsi dire, toutes mes journées à serrer les dents, à sourire pour ne rien montrer, mais il faut croire que ce n’est pas assez.
Alors que Léna rit de ma bêtise, je me joints à elle, du mieux que je peux. Amélie sourit aussi et on se lance dans une de ces discussions dont nous avons l’habitude. On parle des quelques soirées qu’elles organisent et auxquelles je ne vais pas. J’explique toujours que je suis trop fatiguée. Ce n’est pas totalement faux puisque ma jalousie vient même me faire souffrir en rêve, mais c’est surtout que je ne veux pas l’alimenter plus que nécessaire. Si je les accompagne, elles et leur groupe d’amis, pour rester dans un coin à ruminer, ce n’est pas la peine. De plus, je ne suis pas du genre à me déhancher sur la piste de dance et si je le faisais, j’aurais l’impression de me forcer pour garder un œil sur toutes ces personnes qui entourent la fille que j’aime. Autant rester chez moi, à tourner et retourner les choses certes, mais seule et sans que personne n’ait à subir ma mauvaise humeur.
Le sujet arrive rapidement sur les derniers films sortis au cinéma. Il y en a des bons pendant l’été. Il faut croire que les réalisateurs prévoient leur planning en fonction de ça, pour que tous les films intéressants ou attendus sortent au même moment. C’est d’ailleurs la remarque que fait Amélie.
- Cela dit, c’est logique. Plus grand monde ne travaille, le gens ont donc le temps d’aller au ciné. Explique Léna.
D’un mouvement de tête, j’approuve ses dires. Se faisant, je remarque qu’on est presqu’entièrement au soleil. Alors que mes yeux parcourent notre trio, la peau de plus en plus rouge d’Amélie m’interpelle.
- Vous ne voulez pas qu’on migre à l’ombre ? Amélie est en train de rôtir.
Aussitôt, celle-ci pose ses mains sur ses épaules et se rend compte qu’en effet, elle est brulante. On en rit toutes les trois mais pour ma part, je m’arrête bien vite quand Léna propose de lui tartiner le dos de crème solaire. Ça n’a strictement rien d’amoureux, ce n’est qu’un coup de main qu’elle lui donne. Physiquement, il n’est franchement pas aisé de s’appliquer une protection sur cette partie du corps mais c’est plus fort que moi : mon ventre et mon cœur se serrent à m’en faire mal.
Aussitôt, je me lève et me dirige vers l’eau du lac.
- Je vais me rafraichir.
Mon ton est plus sec que je l’aurais voulu. Certainement que si je m’étais retournée, j’aurais vu le regard coupable d’Amélie et celui blessé de Léna. Mais quelque part, il vaut mieux que je n’assiste pas à ça. Je m’en serais faite vomir toute seule, me dégoutant de moi-même. Cependant, ni l’une ni l’autre ne montre quoique ce soit et toutes les deux me répondent qu’elles me rejoindront quand la blonde sera protégée correctement.
Ce n’est que quand mes pieds touchent l’eau froide que je m’autorise un peu de laissé-allé. Mes yeux se ferment douloureusement et des larmes perlent au coin de mes paupières. Plus je m’enfonce dans le lac, plus elles montent mais je ne dois surtout pas pleurer, juste lâcher un peu de lest à cette douleur innommable. Si je ne le fais pas, je vais exploser et on le regrettera toutes les trois.
Quand l’eau m’arrive à mi-genoux, j’inspire profondément pour retrouver mon calme et fais mine de me mouiller la nuque. J’en profite pour me rincer le visage. Deux secondes après, je sens une main sur mon épaule et je remercie toutes les divinités du ciel pour m’avoir laissé le temps de me reprendre. D’un mouvement que je veux souple, je me retourne et souris à Léna. Son regard est habité par l’inquiétude, mais je la balaye d’un baiser sur ses lèvres. Alors qu’Amélie finit de se mettre de la crème sur les jambes, Léna profite de ce petit moment pour m’enlacer tendrement et moi, je fonds. Pas en larmes, non. Je fonds juste d’amour, pour elle. Mes bras l’enserrent aussi fort que ce que je peux l’aimer et mon visage vient se nicher dans le creux de son cou. Je ne le vois pas, mais j’entends son sourire. C’est vrai qu’elle aime bien quand je fais ça, elle m’a souvent dit qu’elle trouvait ça adorable. Ça me fait sourire à mon tour. J’entends Amélie entrer dans l’eau alors j’embrasse la peau à ma portée et me détache de Léna.
- Elle est plus froide que ce que je pensais ! Lance la blonde.
Je ris en lui répondant que j’ai eu raison d’attendre un peu.
- Imaginez deux secondes qu’on se soit baigné avec une telle température, tout de suite après avoir mangé ?
- C’est vrai que ça aurait pu poser problème... Concède Léna.
- Non, ça n’aurait pas « pu » poser problème, ça « aurait » posé problème. C’est une certitude !
Les deux amies se moquent gentiment de moi et ça me fait un peu oublier ce qu’il vient de se passer. Pour autant, la douleur est toujours présente. Même la main de Léna dans la mienne ne suffit pas à la faire disparaitre totalement. C’est comme une blessure physique. Ça fait mal quand elle se crée mais la souffrance reste encore longtemps après, même avec un pansement.
Un silence s’installe pendant qu’on profite du soleil contre notre peau et de la fraicheur de l’eau à nos pieds. Tout est tellement calme que je sursaute quand, d’un coup, Amélie s’écrie.
- Oh, et si on allait au cinéma après ?
- C’est la discussion de toute à l’heure qui t’a inspirée ? Lui demande Léna en riant.
- Tu voudrais aller voir quoi ? Dis-je.
Elle toussote avant de baisser les yeux, rougissante.
- Je n’en ai pas la moindre idée...
Elle a l’air tellement gêné qu’on ne peut qu’en rire. Elle triture ses doigts et se dandine, tentant de faire taire nos moqueries, mais c’est peine perdue. Vaincue, elle finit par proposer qu’on s’y rende et qu’on choisisse sur place. Léna et mois approuvons.
La suite de l’après-midi se passe plus ou moins sans encombre. On a discuté et beaucoup rit. J’ai dû serrer les dents quelques fois, mais rien de comparable à cette histoire de crème solaire. La preuve : Elle n’est pas revenue. Le moment de quitter les lieux arrive plus rapidement que prévu et c’est en rejoignant nos serviettes qu’on se rend compte de l’heure.
- Heureusement qu’ils lancent des films jusque tard ! S’exclame Léna alors qu’on range nos affaires.
- Quelqu’un a pensé qu’il fallait aussi qu’on mange quelque chose ? Dis-je en entendant mon ventre gargouiller.
Se baigner, c’est bien joli, mais ça donne sacrément faim. A l’unanimité, on décide de prendre quelque chose sur la route et de le manger dans la voiture. Les filles sont arrivées en bus, on peut donc toutes repartir avec mon véhicule sans rien laisser derrière nous. En chemin, on discute encore, de tout et de rien mais surtout du film qu’on va voir. Les deux amies essayent de se souvenir de ceux qui sortent ces derniers temps tandis que je me concentre sur la route.
Ce n’est qu’une demi-heure plus tard qu’on arrive devant le cinéma. Nos ventres sont pleins puisqu’à peine sorties du parking du lac, on a trouvé une boulangerie. C’est donc de bonne humeur qu’on entre dans le bâtiment. La queue devant les guichets n’est pas bien longue, ça nous rassure vu l’heure à laquelle on est arrivé.
Finalement, on opte pour un film d’action basique mais qui a le mérite d’avoir une bonne bande annonce. De toute façon, Léna comme Amélie ou moi savons qu’on n’est pas là pour voir le film du siècle mais plus pour terminer correctement notre après-midi. Nos billets en main, Léna et moi on se dirige vers la salle pour réserver les places alors que la petite blonde s’arrête deux minutes pour acheter du pop-corn. Je profite de cette petite intimité pour câliner Léna. On est en train de s’embrasser quand Amélie revient.
- He les amoureuses, c’est pas un film romantique qu’on va voir !
Son rire se fait léger dans la salle tandis que j’essaie de sourire. Elle a raison, mais ce n’est pas pour autant qu’on n’a pas le droit à un petit moment de tendresse. La colère pointe le bout de son nez, mais je décide de l’ignorer. Elle n’a rien à faire là, surtout pour un détail pareil. Je sais qu’Amélie ne pensait pas à mal, qu’elle a juste voulu nous charrier sur notre couple.
°Mais peut-être qu’elle est jalouse, elle aussi. De votre relation.°
D’un mouvement de la main, je chasse cette voix qui m’insupporte et je me concentre sur les bandes annonces qui se lancent. Je sens la main de Léna se glisser jusqu’à la mienne et enserrer mes doigts. Je ne peux m’empêcher de sourire niaisement et de lui rendre son étreinte. D’une oreille, j’entends que les deux amies prévoient de revenir voir tel ou tel film qui leur parait intéressant.
°Ces deux-là dans une salle sombre... Un accident est si vite arrivé...°
Je me courbe un peu en avant, mes yeux se ferment fort et, malheureusement, mes doigts en font de même sur la main de Léna. Je sens son regard sur moi, interrogateur.
- Je suis un peu fatiguée. Je reposais mes yeux ! Dis-je à voix basse, un sourire forcé, mais que j’espère naturel, sur le visage.
Ses lèvres viennent se poser sur ma joue pour toute réponse et le film commence. Les minutes s’écoulent, silencieuses si l’on omet les images qui passent sur l’écran. Je ne saurais pas expliquer pourquoi, ni quand exactement, mais j’ai une drôle d’angoisse qui se faufile jusqu’à mon cœur. Sans même que je ne puisse le contrôler, mon cerveau m’envoie les images de cette après-midi, au lac, de cette crème solaire. Je ré-entends encore et encore cette phrase : « Je peux t’en mettre sur le dos si tu veux. ». Cette fois, c’est en arrière que ma tête bascule. J’essaie de garder mes yeux sur le film, mais ils finissent par se fermer, pour ne pas laisser couler ces larmes qui perlent en leur bord. Comme quelques minutes plus tôt, mes mains se serrent mais cette fois, je me force à ne faire bouger que celle qui ne tient pas Léna.
°Regarde, elles se donnent du pop-corn.°
Je sais que je ne devrais pas, mais j’entends ces crépitement. J’ouvre les yeux et je me rends compte qu’Elle a raison. Amélie est en train de tendre son pot à Léna et celle-ci se sert dedans. Ça n’a rien de grave, en soi, mais la seconde suivante, la blonde récupère la main de ma copine et y glisse une bonne poignée de friandises, en riant qu’elle ne devrait pas se gêner avec elle. Cette fois, je ne peux retenir la goutte qui coule le long de ma joue. Cette scène paraitrait anodine à n’importe qui. Le premier qui passerait par-là verrait deux amies partager des confiseries au cinéma, mais moi, c’est différent. C’est une accumulation de tout un tas de choses, de cette apres-midi, des jours d’avant, de la fatigue, de mes journées à me torturer l’esprit, d’Elle qui, dans ces moments-là, m’enfonce encore plus loin. Je n’en peux plus : je craque. Rien ne doit transparaitre mais je ne me gère plus. Alors que je lutte pour ne pas faire bouger mes doigts, c’est mon corps tout entier qui se met à trembler. Au début, ce ne sont que des soubresauts, mais plus je les retiens, plus ils s’amplifient, si bien que Léna finit par le remarquer.
- Marie, qu’est-ce que... Hey, qu’est-ce que tu as ?!
Sa voix est basse mais je sens son inquiétude.
°Tu as réussi, regarde ! Elle ne s’occupe plus de l’autre !°
Mes pleurs redoublent alors même que j’essaie de lui dire que tout va bien. Je n’y arrive pas, à peine j’ouvre la bouche pour inspirer que ma gorge se serre dans un couinement ridicule. Finalement, je parviens à dire ces quelques mots.
- Je peux pas, je peux pas, je peux pas... Je reviens...
Aussitôt, je me lève et le plus rapidement possible, je sors de la salle. Je prie intérieurement pour ne pas entendre de pas qui me suivent mais à mon plus grand désarroi, ils se rapprochent.
- Marie, attends ! Qu’est-ce que tu as ?
°Ha, ha ! Elle te suit ! Regarde !!°
Sa voix est hystérique dans ma tête et je tuerai pour qu’elle se taise. Oui, elle me suit, mais ça ne me fait pas plaisir : j’ai échoué. Pourtant, j’avais réussi à me cacher jusqu’à présent, à lui cacher cette partie de moi, mais il faut croire que je suis arrivée au bout de mes capacités.
- Laisse-moi Léna, ça va...
Mes pas m’ont guidée jusqu’aux toilettes et même si je ne me suis pas enfermée dans une cabine, je lui tourne désespérément le dos.
- Ne te fous pas de ma gueule Marie ! Tu pleures !
Mes épaules trahissent mon sursaut. Je n’aime pas quand elle parle comme ça, je sais ce que ça signifie. Elle ne sait plus quoi faire, ni quoi dire : elle panique.
- C’est... J-je suis juste fatiguée... Je ne dors pas très bien ces derniers temps...
- Marie... Petite Marie... Ne me mens pas... La fatigue, ça ne fait pas éclater les gens en sanglots devant un film d’action...
Je sens son sourire dans sa voix. Je me sens tellement lamentable que non pas me calmer, mes sanglots redoublent et les mots sortent tout seul.
- Je suis désolée Léna, tellement désolée... J’y arrive plus, j’en peux plus, ça me fait tellement mal...
- Mais... De quoi tu parles... ?
Sa main se pose sur mon épaule et me force à me retourner. Je ne veux pas, je ne veux pas qu’elle me voit comme ça, les yeux rouges et la goutte au nez, mais elle ne me laisse plus le choix. Ses yeux cherchent les miens alors que je fuis son regard. La honte d’avoir cédé me submerge et la panique s’empare de moi quand j’entends ces quelques mots.
- Il faut qu’on parle, Marie.
A suivre... |