Étoile.
C’était la première fois qu’on la voyait ici. Tu venais de finir, non pas ton tour de chant, parce que tu ne chantais pas, mais ton tour de guitare, appelons ça ainsi. Tu étais au bar, et elle s’était approchée, et t’avait dit, comme ça « tu aimes les garçons. » Tu avais souri, simplement, et tu t’étais présenté « je m’appelle Jude. » « Nora. » Et c’était fini.
Elle était revenue, le lendemain, le surlendemain, et tous les jours d’après. Elle attendait que tu aies terminé ton premier verre, avant de venir te rejoindre, et un soir, tu étais parti avec elle. Vous étiez revenus, le lendemain, ensemble, et tu avais dit « Je suis amoureux. De Nora ». Et depuis, elle est toujours là.
Elle est recroquevillée dans un coin sombre du bar, les bras entourant ses genoux. Elle t’observe toi, seul sur l’estrade, qui fait office de scène. Ce n’est pas un grand bar, il suffit de tendre le bras pour te toucher, mais Nora ne s’approche jamais quand tu joues. Devant elle, son diabolo-grenadine attend, elle tourne distraitement la paille à l’intérieur de son verre.
Nora attend, que tu aies fini de jouer, et que tu la rejoignes. Tu poses tes lèvres sur son front, fort, et elle se serre contre toi. C’est un peu surprenant, de vous voir tous les deux. Tout le monde a eu du mal à s’y habituer, et parfois, encore, c’est comme si ce n’était pas normal.
Ici, tout le monde sait que tu préfères les garçons. Nora aussi. Mais Nora et toi, vous êtes amoureux, et c’est peut-être la seule fille que tu aimeras jamais. Ce n’est un secret pour personne, dans ce bar, que tu as poussé ton petit ami à partir loin de toi. Et après, il n’y a eu que Nora. Avec elle, tu l’oublies un peu, n’est-ce pas ? Elle ne lui ressemble en rien, avec ses grands yeux bruns et ses longs cheveux décolorés. Elle t’arrive tout juste au niveau du torse, et quand tu la serres contre toi, elle disparait entre tes bras. Elle t’avait demandé, au début « si un jour tu me quittes, jure moi que ce sera pour un garçon. » Et tu avais promis. Mais tu ne la quitteras pas, même pour un garçon, sauf s’il revient.
C’est pour ça que tu t’es mis à jouer de la guitare. Parce qu’il en jouait. Et que toi, tu ne sais pas parler. C’était un conteur, lui, il figeait le monde de ses mots. Mais pour toi, il jouait de la musique, toi tu ne savais ni parler, ni jouer, mais tu as appris, parce qu’écrire, ce n’était pas assez, pour se souvenir de lui. Alors maintenant, tu joues, à t’en déchirer les doigts, mais Nora les embrasse, du bout des lèvres, d’un baiser papillon et tout va bien.
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