Harry expira de soulagement tout comme il eut pitié du mage dont les vieilles mains faisaient massacre de l’eau qu’il n’arrivait pas à absorber assez vite pour étouffer sa soif sous le ressenti de sa culpabilité. Les effets dramatiques avec lesquels le protecteur de Poudlard s’était confessé avaient inspiré au Gryffondor un sentiment croissant de tournis et d’appréhension. Et s’il admettait ce qui constituait la pire crainte d’Harry, celle qui étreignait le Survivant durant les heures sombres où il s’abîmait dans le désespoir : que l’Ordre, faute de savoir qui des Potter ou des Londubat était concerné par la Prophétie, avait laissé le Seigneur Noir frapper son grand coup, sacrifiant une famille et le bonheur d’un enfant à l’espoir qu’incarnerait ce dernier ? Harry en était venu à contempler sérieusement cette possibilité, après la quantité de mensonges, de demi vérités et d’habiles faux semblants distillés par Dumbledore au long de son apprentissage. Le soliloque dûment terminé, le caractère des fautes que se reprochait le directeur parut véniel, voire grotesque. Ce qu’on devait lui reprocher relevait d’une déformation quasi professionnelle chez ce pédagogue né : la propension à penser à la place d’autrui, avec l’inclination à se croire mieux au fait que les personnes mêmes de ce qu’elles devaient savoir. Le reste était chimères d’homme sur le tard de sa vie ayant vu trop d’atrocités et confondant une vieille angoisse avec son anxiété de n’en avoir pas assez fait.

Les yeux secs et la mine distante de ses condisciples, les Gryffondors choqués, Malefoy éberlué, montraient que la réaction de Harry ne serait pas partagée par grand monde. Les amis, ou présumés tels, de Dumbledore ne songeaient même pas à occulter leur désarroi. Quant aux professeurs dont il n’avait pas vraiment été proche, un Rogue, un Fol-Œil, ils étaient figés.

Deux personnes, toutefois, se situaient sur une autre longueur d’ondes. Aladin était parti d’un petit rire de gorge qui reflua vite en un hoquet gêné. Son visage honnête exprimait de l’embarras à se sentir tellement en décalage par rapport à la perception majoritaire des paroles de l’ancêtre — ‘je n’ai pas tout compris, et alors ?’, proclamaient ses yeux rieurs et ses gentilles fossettes ; ‘rien là-dedans ne justifie ces têtes d’enterrement’. L’autre présent qui ne participait ni de la compréhension relative d’Harry ni de la bénévolence de son camarade Moldu n’était rien moins que Mozenrath. Le sorcier sombre se grattait la lèvre supérieure de l’extrémité de l’index, ses joues creuses tendues par les masséters dans une expression qui ne se laissait point interpréter. De son langage corporel, comme à son habitude quand il se contenait, ne filtrait pas grand chose sur ses dispositions.

— “ Oh, et puis zut ! ” Aladin quitta la proximité d’Hermione pour se rendre à distance de bras de Dumbledore. Il lui présenta sa main à serrer. “ Si aucun ne vous ne comprend ce par quoi il est passé, vous ne valez pas mieux que l’autre tyran ! ” Sans attendre que le haut mage sût que faire de cette main tendue, le brun décrivit le tour du bureau et envoya une claque retentissante sur le sous-main. Fumseck glapit, de la rangée de boiseries en haut desquelles il s’était réfugié suite à ce tintamarre. “ Ouvrez les yeux, nom de nom ! Sérieusement, pensez-vous une seconde qu’à la place de Messire Dumbledore, un seul d’entre vous, vous m’entendez ?, un seul, même exempt d’attirance envers ce Voldemort jeune, aurait mieux géré la situation ?! On condamne aisément, surtout a posteriori ; mais que l’on se replonge dans la situation de l’époque, avec ce qui était acquis en ces moments-là, ce dont on pouvait se douter et le reste ! ” Aladin désignait Dumbledore de ses doigts déployés. “ Il est coupable de n’avoir pas souhaité exposer au vu et au su de tous ses secrets les plus intimes ; d’avoir tenté de corriger le fil de destins dont, n’étant pas un dieu, rien ne disait qu’il en portait la responsabilité. Alors, oui, il a craqué ! oui, il s’est montré maladroit, dernièrement, et autoritaire ! Si cela fait de lui un coupable, j’aime autant le clamer : mon monde en manque des quantités comme lui ! ”

— “ Que d’éloquence chez ce Moldu ”, marmonna Rogue d’un ton cauteleux. Mais le discours avait porté, ne fût-ce que parce que le maître des potions ne laissa pas, ainsi qu’on aurait pu le craindre, la bride sur le cou à sa verve mordante. Il eut un hochement de tête pour Dumbledore et regagna son fauteuil. “ Il a néanmoins raison. Après tout ce que vous avez fait à notre profit, Albus, le moins que nous puissions vous témoigner est de l’indulgence envers votre égoïsme... bien pardonnable d’ailleurs, à mon avis. Je change ma position : Voldemort ne doit pas être neutralisé de façon définitive. ”

— “ Pincez-moi, je dois rêver ”, intervint Harry mi plaisant mi sérieux ; “ là encore je n’ai pas un mot à reprendre dans les paroles de mon cher Maître... Tom à dix-sept ans était une crapule, ce que vous voudrez, mais personne n’aurait pu être assez extralucide pour pressentir à quoi il en arriverait dans l’avenir. Eu égard au sacrifice de mes parents et à l’enfer que vous vous êtes infligé, Professeur, au nom d’une imaginaire faute de discernement de votre part, je m’incline. Dans l’éventualité où nous ne trouverions pas de compromis, il faudra appeler les Aurors et le leur remettre. Je le dis sans gaieté de cœur... ” Ses pas l’avaient conduit devant une vitrine où il fit main basse sur un cahier à la reliure marquée d’une profonde entaille. “ Puisse le voile de malheurs qu’il étendait sur l’Angleterre être aussi révolu que le souvenir de sa jeunesse, enfermé dans ce journal et à jamais inerte ! ”

Approbation de McGonagall, Lupin et Fol-Œil. Pomfresh, contrariée, s’abattit dans le siège le plus proche où elle fit voler jusqu’au creux de ses genoux la clé de l’infirmerie, laissée gisante dans un replis de tapis détrempé par la fonte d’une escarbille de glace. Drago ouvrit la bouche pour s’exprimer, mais Ron le coiffa sur le fil.

— “ Pour ce que vaut mon avis, et même si ça constitue à peine une surprise, je m’en remets à Harry. Après ce qu’on a traversé ensemble, ces six dernières années, cela me ferait vraiment mal que cette nuit voie la fin de l’Armée de Dumbledore ! ”

— “ Mon garçon, je te félicite ! Je n’aurais pas mieux dit. ” Sur la langue de Maugrey, on ne pouvait imaginer compliment plus distingué.

La tension retomba tout à fait, malgré un essai de rosserie de la part de Malefoy. Harry avait les yeux brillants et deux taches écarlates sur les joues quand il réussit à décrocher les paires de bras qui s’étaient enroulées autour de sa taille et de son cou. A l’exception de Rogue, Dumbledore et les deux étrangers, l’ensemble des présents avait défilé dans ses bras. Cela en était embarrassant ; il n’avait rien accompli de spécial, le mérite revenait au sorcier taciturne affairé à nettoyer les jointures de son gant sur le coin du bureau où il s’était juché. Du moins était-ce ce à quoi se consacrait Mozenrath la dernière fois qu’il l’avait aperçu, à la faveur d’une trouée dans le mur des sorciers pressés autour de lui... L’expression satisfaite sur le visage de Pomfresh lui signala que quelque chose ne collait pas. Le Garçon qui avait Survécu cherchait ce que cela pouvait être, au milieu des questions que son changement d’attitude ne manqua pas de soulever chez Ron, Hermione et l’incontournable Aladin, quand l’illumination se produisit. Le journal de Jédusor ! Il l’avait machinalement posé sur le sous-main de Dumbledore avant la séance d’embrassades ; or il ne s’y trouvait plus !

— “ Oh non ! ”, gémit-il. “ Tout le monde, votre attention s’il vous plaît. Je n'en suis pas certain, c'est juste une forte intuition, mais je vous fiche mon billet que Mozenrath, qui nous a faussé compagnie avec l’actif soutien de certaine médicomage, est allé jeter un sort à Vous savez qui. ”

Dumbledore qui avait pris dans les siennes les mains de Minerva émit un gémissement. Cinq minutes en tout avaient dû s’écouler depuis la réconciliation générale, et il n’avait guère prêté attention aux allers et venues de quiconque, dans sa hâte à présenter ses excuses éperdues à la patronne des Gryffondors et à ses connaissances de vieille date Rémus et Maugrey. Non seulement le brouhaha avait représenté une occasion idéale pour s'absenter, mais, dans le désordre ambiant, avec des fauteuils partout, les tables aux instruments repoussées en désordre, l'attention de chacun mobilisée vers Harry, et le panache enfumé des langues de feu que projetait Fumseck enchanté du retour de la concorde et qui faisait le pitre pour qu'on le caressât, l'absence d'une personne qui se tenait tranquile n'aurait pu passer plus complètement inaperçue.

— “ Ça lui ressemblerait bien ”, confirma Aladin en sautant sur ses jambes, Hermione, Drago et Ron à sa suite. “ Les autres, ce n’est pas la peine de lui courir après en masse ; comme je le connais, il va péter un câble et vous ne souhaiteriez pas le voir contrarié — pas après la nuit qu’on a eue, moi et lui. Tu viens avec nous, Harry, et peut-être un professeur, si l'un de vous se désigne... ”

— “ Tu parles sagement ”, acquiesça McGonagall ; “ Severus et moi allons préparer une tour un peu à l’écart des quatre Maisons, pour quand pour aurez tiré cette affaire au clair. J’enverrai Nick Quasi Sans Tête vous prévenir et nommerai des Préfets provisoires... Professeur Lupin, soyez un ange, veillez sur ces enfants ! ”

— “ Une chose est sûre de mon point de vue ”, laissa tomber Pomfresh coupant Lupin, lequel ne put marquer son agrément qu’en courant après le groupe d’élèves. “ Renvoyez-moi avec perte et fracas, dès l’instant que cette charogne avale son bulletin de naissance je m’estimerais la plus heureuse sorcière sous la face du soleil ! ”

— “ Poppy Pomfresh ! ”, fit durement McGonagall. “ Dès que les choses se seront tant soit peu tassées, nous aurons, vous et moi, une conversation privée. ”

Ce furent les dernières paroles que les quatre jeunes gens et le loup-garou entendirent. L’escalier en colimaçon n’était pas assez large pour y descendre de front à plus d’un sorcier, et ils mirent un temps à leurs yeux excessif à dépasser la gargouille. Leurs pas volaient le long des corridors ; une sourde crainte leur remuait les sangs, non envers Voldemort, qui avait bien mérité son sort, mais pour Mozenrath — sans le connaître, l’étranger valait mieux que ce qu’il s’apprêtait à perpétrer, compte non tenu des ennuis que les autorités seraient peut-être amenées à lui faire si les choses transpiraient. Ron s’arrêta soudain net au détour d’un porche ; “ est-ce que l’un de vous a vu Bill ? ”, lança-t-il en reprenant son sprint. Aucune réponse, et pour cause. Ses amis, non moins que Drago et Rémus, se souvenaient du sécurimage adossé contre l’ogive d’une fenêtre pendant le discours décisif de Harry. Ensuite, leurs souvenirs étaient confus. Cela donnait une raison supplémentaire à l’escouade d’atteindre l’infirmerie dans le meilleur délai... Ron n’avait pas élaboré ses révélations, il n’avait pas non plus tu le vif intérêt de son frère pour les charmants représentants de la gent sorcière. Et Hermione, observatrice en diable, de relever que Bill lui avait paru fasciné par Mozenrath — tout au moins jusqu’à ce que le rouquin ne se fût avisé de la curiosité de la jeune Gryffondor et composé un visage impassible. Les ricanements émanés de Malefoy les accompagnèrent sur quelques centaines de mètres, avant que le blond consentît à user de sa bouche pour respirer, lui qui peinait à soutenir le train d’enfer des autres. Le temps durait assez inexplicablement ; les couloirs succédaient aux escaliers, les corridors aux halls, mais de porche annonçant l’infirmerie, point.

— “ Le bâtard nous a jeté un sort de confusion ! Impossible autrement... ”

— “ Surveillez votre langage, Monsieur Weasley ! Je dirais plutôt : un sortilège de recul, et sur le chemin même, non sur nos petites personnes. Les lieux s’étirent devant nous ; c’est subtil, mais lorsqu’on sait quoi chercher, cela se remarque... Voyez ! ”

Rémus avait vu juste. Des bandes prismatiques soulignaient en discrètes verticales les zones où la lumière des torches sur les murs et des bougies dans leur prison de bronze, en haut des lustres, ménageait des recoins obscurs ; il suffisait que les sorciers passent devant eux pour qu’elles se dilatent et inondent les ombres, allongeant d’insensible manière parois et plancher des corridors. Cinq baguettes jaillirent du même geste. La conjuration d’effacement magique s’en prenait à la tessiture des planchers foulés par les sorciers, des panneaux de lambris, des encadrements de porte, des statues et des stucs qu’ils désiraient laisser dans leur sillage ; ses flots de lumière transparente butaient contre l’aura des matériaux changés par Mozenrath, ils arc-boutaient celle-ci, magie et corps solides réticents à reprendre leur taille initiale. Harry et Lupin, les plus puissants de la bande, ressentaient avec acuité la résistance du couloir ; c’était pénible et difficile. L’horloge égrenait les secondes dans le lointain, le temps s’inscrivait à leur désavantage. Aladin, tout Moldu qu’il était, poussait comme les autres.

Le sortilège s’effondra à contrecœur, un son de verre brisé l’unique avertissement que la force du gant avait trouvé son maître. Les panneaux d’une porte familière à tous les étudiants étaient visibles au bas d’une longue passerelle. Les rejoindre ne prit pas vingt secondes. De la magie sourdait sous les battants et par les interstices du chambranle. Pour un peu, le bois et le granite eussent palpité comme des corps vivants.

Verrouillée, comme de juste. Les sorts d’ouverture s’ajustaient en vain à la poignée. Drago prit du recul, brandit sa baguette telle une épée et projeta un Destructo sans égard pour Harry et Aladin qui donnaient de l’épaule contre le milieu des grands battants de chêne. L’onde de choc sema des fissures au contact de la porte, dans le chambranle aussi bien que les mallons de pierre qui disparaissaient rapidement sous les tapisseries. Les panneaux, eux, n’avaient pas bronché. Les forces à l’œuvre sur l’autre versant s’intensifièrent. Ron et Rémus moulinaient de leur baguette alourdie de puissants sortilèges lorsque Hermione entreprit de tambouriner près du loquet. “ William ! William ! ”, appelait-elle ; “ faites-nous entrer, je vous en conjure. On se fiche de Voldemort ; c’est Mozenrath et vous qui nous causez du souci ! ” Ses appels devinrent plaintes, ses plaintes des sanglots ; les deux Gryffondors, jusqu’à Drago qui affichait une drôle d’expression, étaient gagnés par l’impact de ses supplications pathétiques. Aladin l'enlaça par le rachis, conscient, mais comme d'une guigne, des regards meurtriers du rouquin, se recula, décontenancé, et reprit contenance avant d’éclater de rire. “ Petite coquine ”, arriva-t-il à articuler, hilare entre deux hoquets ; “ elle joue la comédie et nous avons marché ! Ahaha... ” Les autres se déridèrent, vexés d’être si faciles à duper davantage qu’admiratifs devant la performance de la forte en thème.

Contre toute attente, du mouvement eut lieu de l’autre côté. Un des panneaux se décala vers l’intérieur, une tête ébouriffée et rousse y parut. “ Entrez vite ”, leur dit Bill.

Les trois quarts pour le moins de la longueur sur laquelle s’étendait l’infirmerie étaient invisibles derrière les paravents et les grands voilages blancs qui assuraient une intimité relative aux blessés dans leur couche. Passer devant ces linges dans les pas du frère de Ron provoquait une impression surréaliste chez les nouveaux venus. Le fond de la galerie était occupé par la silhouette, violemment soulignée par son nimbe de sorcellerie obscure, violet oscillant entre le noir et l’indigo, de Mozenrath. Le Vainqueur se tenait de dos, bras en croix, à deux mètres de la forme prostrée de celui qui ne ressemblait plus guère à Voldemort, nu ainsi qu’il était, en position foetale et recouvert d’affreuses cloques. Des masses en mouvement, ténues et vives, parcouraient son corps avant de revenir grouiller dans la paume crispée de Mozenrath. On eût cru du sable, mais ces grains de la nuance du jais ou du bitume étaient incommensurablement plus agressifs. Aladin reconnut les Sables Noirs, le plus occulte et non le moins effrayant des pouvoirs de son ci-devant rival. En cette minute, il plaignait Voldemort de tout son coeur... Ils avaient l’air de dévorer sur place l’ex altesse maléfique, et si tel n’était pas le cas, les tentacules sablonneux décollaient petit à petit celle-ci des lattes du sol, comme une pieuvre sans consistance mais qui n’en serait pas moins réelle. Des éclairs de puissance concentrée, mauves et incandescents, se répandaient du gant magique en direction de la masse fumante et grésillante du journal de Tom Jésudor. Le sort, qui n’évoquait à peu rien à aucun des présents hormis un niveau dont ils doutaient qu’ils l’approcheraient un jour, Harry au premier chef, mobilisait une incroyable quantité d’énergie et la transférait en une balance complexe, du carnet au corps contrefait de Voldemort par l’intermédiaire de Mozenrath.

— “ Il semble souffrir atrocement ”, commenta Bill en désignant la forme à présent suspendue dans les airs entre les bras grouillants du sable, “ mais c’est une illusion. Vous constaterez qu’aucun mal ne lui est fait. Si je n’ai pas mal saisi ce que m'a confié Voldemort quand je l'ai suivi, le but de la manoeuvre est de restaurer le Jédusor du journal. Il n’en reste pas grand-chose, alors il faut extraire une part de son être de ce corps-ci. ”

— “ Voyez-vous ça, Monsieur Je Sais tout : un nouveau Dumbledore ! J’espère que tu n’es pas aussi gay que l’ancien... ” Drago, jamais en veine de hargne à l’endroit de ceux qu’il sentait lui être supérieurs en quoi que ce fût.

— “ Lâche-nous, Malefoy ”, gronda Harry. “ Regardez, ça s’accélère ! ”

Les spectateurs furent dans l’obligation de protéger leur vue. Les gerbes de puissance mauve s’étaient muées en un réseau aveuglant entre les pinceaux duquel le funeste carnet avait pris feu. Mozenrath incantait non stop dans une langue monotone. Les mouvements tentaculaires des sables noirs drossaient la forme atrocement brûlée de Voldemort de ci de là au contact du dôme du plafond. Tout s’emballait. La cape du haut sorcier claqua telle un oriflamme comme il abaissait brusquement ses bras. Deux piliers de lumière d’une noirceur veloutée dansaient là où s’étaient trouvés le Seigneur des Ténèbres et son Horcruxe. De la fumée grise, pestilentielle, envahit ces dégagements lumineux, les éteignant d’un souffle, tandis que l’énorme dégagement de forces refluait dans le corps de Mozenrath et s’y confondait.

Devant le regard incrédule du Moldu et des cinq sorciers présents, le cadavre carbonisé de certain mage noir roula sur le parquet, non loin de la forme, bien vivante, d’un jeune homme nu. Une couverture aux couleurs de Serpendard atterrit sur ses épaules.

— “ Tom Elvis Jédusor ? Mes félicitations ; vous avez été jugé digne d’une seconde vie... ”

                                                       oooOOOooo

Harry hésita avant de toquer à la porte. Cinq heures du matin. Ron et Drago dormaient du sommeil du juste dans leurs lits accolés. Ils tombaient à ce point de fatigue qu’ils n’avaient pas eu la force de protester au sujet de leur couchage. Cela, et le visage fermé de McGonagall. Hermione s’était installée peu auparavant dans l’une des deux chambres individuelles en bout de dortoir ; elle avait embrassé son ami, filé entre les bras d’Aladin viré tout aussitôt au rouge pivoine, et refermé la porte derrière elle. Des quatre autres lits, le Survivant avait fixé son choix à celui aligné contre la fenêtre, de manière à être en capacité, à son réveil, de noyer son regard sur les serres de Mme Chourave et les étendues impeccables de gazon. La décoration mêlait en une harmonie déconcertante les couleurs de chaque Maison ; les blasons dont s’ornaient draps, couvre-lits, tentures et jetés de tables exhibaient les armes de Poudlard, marque de distinction insigne à laquelle Dumbledore lui-même n’avait pas droit, se rappelait Harry. Aladin qui avait manifesté le souhait de partager les lieux cette nuit et qu'une des couchettes avait attiré suffisamment pour qu'il y transférât certaines des affaires à lui prêtées par Seamus, Dean et Colin, devenus en un rien de temps ses bons copains, s’était assez vite senti oppressé par cette débauche de teintes vives ; il s’était esquivé non sans un ultime passage par la chambrette d’Hermione alors que le Survivant achevait d’enfiler son pyjama. Un caleçon vert d’eau posé sur le lit qui faisait face au sien patientait, solitaire. Le dernier couchage, disposé dans la diagonale de la cheminée, attendait Blaise Zabini ; un agressif traversin dans des tons émeraude et argent, apporté par Drago en personne, ne permettait pas qu'on y installât un quelconque postérieur avant l'arrivée du mulâtre.

La porte s’ouvrit devant Harry avec un son de charnières grippées. Les rideaux étaient à moitié tirés, obscurcissant le lit à colonnes et le fauteuil sur lequel, minutieusement arrangés, des habits noirs formaient une tâche floue. La blancheur de l’oreiller éclaircissait une masse de cheveux couleur d’automne qui cascadaient autour d’un visage délicat mais volontaire. Un bras cuivré semé de rares poils blonds agrippait fermement le drap et la contrepointe.

— “ Où comptes-tu dormir, si Bill a pris ta place ? ”, demanda Harry à la silhouette caressée par les ultimes rayons lunaires qui pénétraient par la moitié non occultée de la meurtrière. Merlin, il était si paisible, dans cette clarté spectrale, le jais de ses cheveux couronné de blancheur...

Quand son interlocuteur lui répondit enfin, c'était d'une voix qui vibrait doucement, embarrassée de devoir se maintenir aux dimensions d'un chuchotis, et belle néanmoins dans ses sonorités rugueuses. Celui qui avait Vaincu progressait vite dans la prononciation de l'anglais ; il était envoûtant de l'entendre marier les sonorités de son pays au débit rapide et mouillé du British English.

— “ Parmi vous, j’imagine. Il y a si longtemps que je n’ai eu de compagnie... J'ignorais que cela me manquait avant d'arriver dans ce château et d'éprouver la chaleur humaine. Pour dire la vérité, ce n’est pas l’envie qui me manque de le rejoindre. Par chez moi, cela serait considéré comme des avances — une offense. Donc... ”

Mozenrath acheva de tirer les rideaux et avança d’un pas. Le Survivant découvrit que, quoique dépouillé de ses riches vêtements, presque rien de son corps ne se montrait à nu. Des bandes de tissu qui paraissaient étroites, bandelettes crèmes et immaculées où était forte la magie, le drapaient depuis l’envers de ses mollets jusqu’à la pomme d’Adam. Cela ne pouvait manquer d'être inconfortable...

— Je voulais te remercier pour tout ”, Harry embraya. “ D’avoir accompli un destin qui m’a hantait depuis que j’ai onze ans. Ramené la joie au cœur de ceux d’entre nous qui n’ont pas eu la chance de naître de deux parents sorciers. Dissipé les nuages noirs au dessus de la tête des élèves de parents Mangemorts et qui n’avaient pas encore basculé dans leur camp. Et restauré le sourire de Dumbledore. ”

— “ Qu’il ne se flatte pas trop. C’était moins un cadeau, ou un gage de ma bonne foi, que la mise en accord de mes pensées et de mes actes. N’importe qui mérite qu’on l’aide à changer de vie, j’en parle en connaissance de cause, pour avoir trop longtemps refusé de voir l’évidence. Maintenant, Harry... si tu as un moment de libre — ”

— “ Oui, pourquoi ? ”

— “ Ne ris pas ; j’aimerais savoir comment on tire de cette baguette autre chose que de la magie guerrière. Je n’arrive pas à conjurer des affaires de toilette ! ”