Soiz et Dine, merci infiniment pour ces commentaires. J'espère sincèrement que cette suite et fin (fin toute relative mais considérons pour l'instant qu'il en est ainsi) vous plaira tout autant. <3
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De DONE à JIMMY. 1H34.
Ça fait trois jours, et le sang a séché. Mes larmes aussi. Croyais-tu que j'allais te pleurer éternellement ? Si je te l'ai fait penser, c'était pour te garder. Mais à quoi bon supplier une place déjà vide ? J'ai toujours été seul, je sais ce que c'est et tu ne me manques déjà plus. Si je t'écris, ce n'est que pas ennui. Es-tu heureux, maintenant ? Es-tu plus heureux qu'avec moi, Jimmy ?
De DONE à JIMMY. 6H12.
J'ai jeté toutes tes affaires. Ces badges ridicules que tu avais acheté adolescent. Pourquoi ne les as-tu pas emmenés avec toi ? Tu veux me faire croire que tu vas revenir, c'est ça ? Je ne te crois pas. De toute façon, si tu penses que je prendrais encore, tu te trompes. Tu ne m'intéresses plus. J'ai vécu avant toi et je survivrai à ton départ. Cet appartement m'appartient et j'appartiens à cette ville. Elle m'a vu naître, elle me connait, me protège et me rassure. Paris est mon berceau, je n'ai plus besoin de tes bras. Alors que toi, toi, tu n'es à rien ni personne. Tu penses que Lino t'aime mais bientôt, elle trouvera quelqu'un auprès de qui sa place sera une évidence. Tu n'es rien d'autre qu'un mobile à sa quête d'identité. Elle brouille les pistes grâce à toi. Tu révolutionnes ses idéaux, tu lui fais offrande de ton homosexualité, elle croit toucher à quelque chose d'autre, quelque chose d'authentique, de jamais vu, de jamais exploré. Elle se sent supérieure. Tu as pourri cette fille. Et lorsqu'elle réalisera tes mensonges, elle te quittera pour un autre plus raisonnable, plus véritable, moins détruit que toi.
De DONE à JIMMY. Minuit.
Et tu n'es pas là. Réussirai-je un jour à ne pas scruter la porte lorsque minuit sonne ? C'est comme si mon cerveau était réglé sur l'heure de tes retours.
De DONE à JIMMY. Tard.
Je ne dors plus. Alors je fume. Quand mon paquet est terminé, et que tous les commerces sont fermés, j'allume l'ordinateur, et je t'écris. Je ne sais déjà plus ce que je t'ai dis dans le mail précédent. Je pense que j'oublierai celui-ci aussi rapidement. Je ne me souviens plus de ce que je fais, la journée, je ne me souviens pas des gens que je vois, de ce que je leur dis, des vêtements que je porte, des plats que je mange, des boissons que je bois, des papiers que je lis et de ceux que j'écris. Ton visage hante mon esprit, forme un voile sur mes pupilles, et m'empêche de vivre ma vie. Je suis un robot. Je suis un robot aveugle. J'aimerais que tu me libères. Tu vois, tu t'es échappé, tu as pris ton envolée, et tu m'as enchaîné là, et mes liens me brûlent, et ma captivité m'étouffe, et je sens une corde autour de mon cou qui se ressert, se ressert, jusqu'à m'empêcher de respirer. Les draps sont blancs, je ne dors plus dedans. Je ne dors plus.
De DONE à JIMMY. Don't think twice, it's alright.
I look out my window and you'll be gone. Ma tête est si lourde. Dylan joue si bien, que je réussirais presque à m'endormir. Si seulement. Mes insomnies sont parsemées de cauchemars, où ton nom revient sans cesse. Quand j'étais gosse, je ne rêvais jamais. Et je ne dormais pas non plus. Je me souviens que mon père me faisait courir autour de la maison, je faisais parfois dix tours, il disait « ça va t'aider à dormir ». Alors, je me couchais, sans même prendre de douche, j'étais trempé, tremblant, et je prenais froid. Je ne m'endormais jamais avant deux heures du matin. Je détestais l'école, parce qu'on me punissait à cause de ma distraction. Je trouvais ça injuste. C'était injuste. I'm the reason you're trav'lin' on. C'est toi qui m'a appris à dormir. Quand on se couchait, et que tu mettais tes bras autour de mon cou, que tu déposais des dizaines de baisers sur mon front, quand tu chatouillais mes tempes de tes petites mèches de cheveux noirs, ça me rassurait. Tu attirais mon attention, tu l'empêchais de s'échapper vers des pensées soucieuses, et alors je pouvais me perdre dans tes yeux, et finalement fermer les miens, sans même m'en rendre compte, bercé par je ne sais quoi, peut-être ton souffle, ou tes caresses discrètes, ou le battement de mon cœur. I just kinda wasted your precious time. Je sais que j'ai menti. Je ne suis pas encore guéri de toi. Est-ce que je le serai un jour ? Je pense tellement à toi que j'en perds la tête. Dis-moi, Jimmy, dis-moi ce que je dois faire pour m'en sortir ? Tu ne reviendras pas, et je dois continuer à vivre sans toi. Comment suis-je supposé faire ça, dis-moi ?
De DONE à LINO. Geste désespéré, 1H34. Encore.
Lino, laisse-le partir. S'il te plait, laisse-le reprendre ses droits, rends-lui sa liberté, il n'est pas à toi, il n'est pas à un autre que moi, et surtout pas à une femme. Il ne sait pas faire l'amour, il ne sait que le recevoir. Tu gâches sa vraie nature, tu le trompes en l'éloignant de moi, en l'emmenant loin d'ici, dans des endroits qu'il n'aimera jamais autant que Paris et notre lit. Tu me crois coupable, tu te comportes en justicière en le prenant avec toi. Tu as tort. Jimmy a toujours su qui j'étais, dès le premier regard. Je sais qu'il te l'a dit lui-même : il sait qui je suis. Et il m'aime pour ce que je suis. Je ne lui cache rien, moi. Alors que toi, Lino, tu lui mens chaque jour. Tu sais que tu n'es pas amoureuse de lui, tu sais que ses mains ne t'évoquent qu'un idéal, pas une réalité. Tu te fourvoies, et tu le salis. Aide-moi à le faire rentrer, ouvre-lui les yeux, facilite-lui la tâche. Tu finiras par le quitter, pourquoi ne pas le faire maintenant ? Ne fais plus toutes ces choses à son corps. Ne pose plus tes mains sur lui. Chaque parcelle m'appartient. Quand tu le caresses, je sens tes griffures. Et c'est insupportable. Si tu n'arrête pas maintenant, tu nous tueras tous les deux. Tu n'es pas un assassin. Tu es encore innocente, encore un peu. Je l'ai vu dans tes yeux, quand tu étais avec lui. J'ai vu ta panique. Un coupable ne panique pas comme ça.
De DONE à LINO. 2H21.
Et après tout, fais ce que tu veux. Je suis bien mieux, sans lui.
De DONE à DONE. Cigarettes. 10H.
Un mois. Trente deux jours exactement. Le garçon vient de partir. Il a accroché sa cravate à la poignée de la chambre, et il est parti. « Souvenir », il a dit, avec un accent anglais un peu vacillant.- J'ai souri, et j'ai allumé une cigarette. Elle était un peu cassée, vers le milieu, et sa fumée disparaissait vite. J'ai gratté ma peau blanche, rayée par endroit par la trace des draps. La nuit a été longue. Le garçon a dormi longtemps ce matin. Mais moi, je ne dors plus qu'avec Jimmy. Alors je l'ai regardé dormir. Ça n'avait rien de fascinant. C'était juste... distrayant. C'est un joli garçon, il a de beau trait et de belles lèvres. Il embrasse comme il faut, il n'est ni trop passionné ni trop timide. Il sait comment faire, il a appris il n'y a pas très longtemps. Il a appris vite. Je l'ai pris comme on prend une jeune épouse. Avec respect. Je l'ai serré contre moi, j'ai bougé doucement, je ne lui ai arraché aucun cri, pas même celui de la jouissance. Je lui ai fait du bien, en toute mesure. Je crois qu'il était à peine majeur, à peine conscient de sa nature. Il était à deux pas de l'enfance, et je l'ai pris par la main pour l'en éloigner encore un peu. Il m'a remercié. J'ai souri, et je lui ai dit qu'on ne remercie pas après l'amour. Il m'a dit « C'est ce que tu dis, toi. Mais, thank you. Tu étais doux. » J'ai embrassé ses paupières de Londonien égaré, et j'ai ouvert les rideaux. Oui, depuis Jimmy, je suis capable de douceur. J'ai cru que ça allait, sans lui. Ça faisait plusieurs jours que je n'y pensais plus. J'avais même réussi à sortir, et à ramener quelqu'un avec moi. J'ai cru, mais je me suis trompé. Au bruit de la porte qui se refermait, tout m'est revenu. Et ça m'a fait mal, partout. Je me suis levé, j'ai fermé les rideaux, j'ai fermé ma porte, j'ai décroché la cravate. « Souvenir », j'ai murmuré, avant de la jeter dans la corbeille sous le bureau.
De DONE à JIMMY. 2H. Vodka ?
Je ne sais plus.
De DONE à JIMMY. 4H.
Je bois à ton retour. Je bois à notre santé. Je bois à tes amours ratés. Je bois à moi, heureux époux d'une jeune fille en quête d'aventure. Je t'ai laissé prendre l'air, goûter à autre chose. Maintenant, femme, j'exige ton retour. Ton caprice a assez duré.
De DONOVAN MARSH à JUSTIN BARON. 7H02.
Monsieur,
Étant souffrant, je ne serai pas en mesure de me rendre au travail aujourd'hui. Je me procurerai les dossiers en cours par mail, et travaillerai depuis chez moi. Je serai de retour dès demain, sans faute. Veuillez accepter mes excuses,
Cordialement, Donovan Marsh.
De DONE à DONOVAN. DONE. JE. ANYONE. 13H17.
J'ai toujours eu peur de décevoir. Ce travail, c'est tout ce qui me reste. J'y cultive mes derniers lambeaux de dignité.
De DONE à JIMMY. Zéro.
Zéro toi. Zéro moi. Zéro nous. Ni mieux, ni pire. Mon état est constant. Patient. Je t'attends, tu comprends, je t'attends. Zéro espoir. Quel mot laid, zéro. Quelle abomination de la langue française. De la langue. Dans ma langue maternelle, Zéro se dit zero. C'est peut-être moins laid sans l'accent. Mettre un accent sur du rien, de toute façon, à quoi ça rime ? Zero. Nothing. Rien. Que veux-tu que je te dise de plus ? Combien de questions sans réponses ? Combien d'heures d'attente, combien de déceptions ? Je ne sais même plus. Toi et moi. Et les phrases que. Tu. Je ne t'ai pas assez frappé. Jamais. Jamais voulu te perdre et. Tu vois. Plus je parle plus les mots se confondent. J'ai trop. Pas assez, peut-être. Quand je me réveillerai, tu seras là, et je pourrais enfin te. Tu as raison, attendons ton retour avant de le dire. Enfin te. Enfin te. Enfin te. Poings. Ouvrir mes. Ouvrir. Pour enfin te retenir. T'aime beaucoup trop.
De JIMMY à DONE. DONE. DONE.
Cher Done,
Me voilà en train de t'écrire. Aurais-je pensé faire ça un jour ? Certainement pas. Comment trouver des choses à t'écrire, alors qu'on ne parle jamais lorsqu'on se trouve l'un en face de l'autre ? Mais tu as peut-être raison, ce n'est probablement que comme ça qu'on réussira à tout se dire. Pardonne-moi, je ne sais pas comment on fait. Pour parler, pour se confier, pour donner des raisons, des excuses, pour demander des explications, pour supplier, pour justifier. Et tout le reste. J'ai peur de tout ça, Done, j'ai peur que tu ne comprennes pas. Parce qu'après tout, je ne t'en ai jamais voulu. Parce que tu étais à moi, à moi seul, et que j'étais bien trop fier pour t'en vouloir. Non, Done, je ne te l'ai jamais dit. Non, et pourtant tu as dû le lire tant de fois dans mon regard, à quel point j'aimais t'appartenir. Ma voix est rouillée, Done. Lorsque j'ai dû répondre à Lino, les premières fois, je l'ai sentie s'échouer sur mes lèvres, à bout de souffle. C'est étonnant comme le corps oublie vite ses habitudes. Essaie de te souvenir de ma voix, Done, et dis-moi ce que tu entends. Dans ta tête. Ça te transperce, n'est-ce-pas ? C'est douloureux, hein ? Allez, dis-moi ce que tu entends. Mais non, ce soir, c'est moi qui parle, Done, c'est moi qui dis. Ce sont mes cris que tu entends. Ton crâne en est empli. C'est bruyant, si bruyant que tu n'en dors plus la nuit. Je parie que tu ne les remarques que maintenant. Je les entends aussi, la nuit, tu sais. Mais Lino est là, elle se redresse doucement, pour ne pas me secouer, elle pose ses mains sur mes oreilles, elle souffle dans mon cou, je m'endors. Je m'endors sans toi, Done. Je n'aurais jamais cru ça possible, et pourtant. Ici, les jours sont longs. La mer est agitée, elle semble l'être chaque jour un peu plus. C'est bon, de la voir se débattre ainsi, se fracasser contre les rochers, se retirer, blessée, et recommencer, encore, se jeter encore une fois, puis une autre, et une autre. Ce combat sans fin, cette haine maladive, cette attirance immuable. Savais-tu que j'aimais la mer, Done ? Moi, je ne le savais pas. Ce paysage est un mystère. Il y a beaucoup de gris, beaucoup de couleur dissimulées. Et puis du vent. Quand je lève la tête et que mes cheveux dansent sur ma nuque, c'est agréable. Amadeus et Lino se tiennent la main, ils sont comme deux enfants. Je souris, et c'est agréable. Même si quelque chose manque. Non, ce n'est pas toi, Done. Tu ne me manques pas. Tes mains ne me manquent pas. Tes sourcils ne me manquent pas. Tes colères ne me manquent pas. Ton alcoolémie ne me manque pas. Ta douleur ne me manque pas. Tes doses ne me manquent pas. Tes respirations ne me manquent pas. Ton sexe ne me manque pas. Tes costumes, notre lit, ton sommeil, tes cigarettes. Ne me manquent pas. Toi. Tu ne me manques pas. Done. Ce qui me manque, c'est mon cœur. Le vide est trop grand, et rien ne peut le combler. Lino s'épuise à l'emplir de baisers, d'histoires et de sourires. Mais ma poitrine ressemble à un puits sans fond. Que vais-je devenir, Done ? Je me noie. Tu dois rire en lisant ça, tu dois te sentir puissant, la main serrée autour de la corde qui me lie à toi, prêt à tirer encore. Ou peut-être que non. Peut-être que tu pleures, parce que cette fois, oui, cette fois tu le sais, je ne peux pas vivre sans toi. Et ça fait peur, n'est-ce-pas, ce genre de vérité ? Oui, je l'ai bien dit. Je ne peux pas vivre sans toi, j'avais raison, ce jour, couché sur la moquette, mon sang coulant sur ma tempe. J'avais raison, Done, il y a des milliers de poings serrés dans ce monde, et j'en reviendrai toujours à eux. Mais je ne veux pas d'autres poings que les tiens. Je ne veux pas crier pour un autre que toi. Comment expliquer que mon corps souffre, loin du tien, encore plus fort que sous tes violences. Je me fais peur à moi-même, Done, je m'effraie à parler ainsi. Je ne me suis pas libéré de toi. Tout est pire, maintenant. Parce que je sais à présent ce qu'est un rêve avorté. Cette corde autour de ton cou, je la sens aussi. La marque pourrait bien être devenue indélébile, à présent. Peut-être est-il temps que je rentre, Done. Tant qu'il en est encore temps. Tant que je respire encore. Tant que l'abysse de ma poitrine n'a pas encore tout emporté avec lui.
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