J'ai écris ce texte après avoir créé ces personnages, après les avoir pensés, après les avoir cernés. Du moins, j'avais cru les connaître jusqu'à mettre les premiers mots sur cette histoire. Normalement, Confessions à faire partie d'un autre texte, plus vaste, qui dépend d'une trilogie sur laquelle je travaille depuis longtemps. Je crois cependant qu'elle peut exister indépendamment d'eux. C'est pourquoi je la poste ici. J'espère sincèrement que vous aimerez et que, peut-être, vous commenterez (:
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CONFESSIONS A.
Gamin, je pensais que le plus grand drame de ma vie resterait à jamais cette boule de glace écrasée sur le sol, et ce cornet vide dégoulinant de crème fondue coincé entre mes doigts. Et puis j'ai grandi, et j'ai compris que la vie est un peu plus dure que ces choses là. J'ai compris qu'on me priverait encore de pas mal des foutus bonheurs que je tentais soigneusement de construire autour de moi. Tu m'as toujours dis que j'étais le plus fort de nous deux. Tu avais tort, évidemment. Quand je te regarde dormir sur le côté, le bras serré autour de sa taille, je me dis que tout n'est pas perdu. Tu sais pourquoi ? Je me dis qu'il te reste un peu de tendresse. Que je ne t'en ai pas encore totalement dégoûté. Et j'espère toujours que tu me sauveras. Mon Dieu, oui, tu t'es vraiment trompé, Jimmy. Je n'ai jamais été fort. Mes costumes sont couverts de ton sang et c'est toi qui porte mes blessures. Tu n'aurais jamais pensé m'entendre parler ainsi, n'est-ce-pas ? Comment peux-tu comprendre, comprendre mes yeux, comprendre mes poings, comprendre mes folies ? Je n'ai jamais aimé l'amour. Quand je voyais les enfants dans la cour se tenir la main, je sentais une colère monter en moi. Une colère sourde, ça me faisait presque mal. Non, pas presque. Ça me faisait mal. La nausée, tu sais, cette nausée d'avoir trop bu, de s'être mis la tête à l'envers, d'avoir baisé trop salement, dans un coin... Non, tu ne sais pas ça, toi. Toi, ta vie a commencé avec moi, et avec un peu de chance, elle se terminera sous mes coups. Après tout, à quinze ans, on ne peut pas prétendre avoir vécu quoi que ce soit. Gosse de riche, révolté, colérique, avide. Tu es parti et, manque de chance, c'est moi que tu as trouvé. Tu voulais de l'aventure, elle t'a été servie sur un plateau. Si tu avais su, serais-tu resté ? Je parie que oui. A l'époque, tu avais déjà cette pâleur maladive, qui te rendait transparent aux yeux des autres, flamboyant aux miens. Ce n'est pas pour ça que je t'ai voulu, non, pas vraiment. Je voulais m'amuser, tu étais beau, c'est tout. Ta silhouette fragile enfermée dans tes vêtements Diesel m'a donné envie de te mettre dans mon lit. Ton dos avait l'air de savoir se cambrer, et tes doigts semblaient tout prêts à s'accrocher à mes épaules. Ton corps était fait pour haleter contre le mien, juste le temps d'une nuit. J'étais comme ça, à dix-huit ans, et tu vois, d'une certaine façon tu m'as changé. Tes premiers regards étaient des provocations, est-ce que tu t'en souviens ? Tu les as désiré, ces violences. Tu appelais mes griffures. Ta peau se marquait avant même que je ne la touche. J'ai été le premier, n'est-ce-pas, Jimmy ? Le premier à te toucher, le premier à te frapper. Le premier à te salir, le premier à t'embrasser. Le premier à te transpercer, de tous côtés, esprit et corps, corps et âme. Je l'ai déjà dis, je n'ai jamais aimé l'amour. Tu es fautif. Tu es une personne qu'il faut aimer. Et moi aussi, je me suis fait avoir. Ne regrette pas, tu le savais. Dès la première caresse, tu as senti que j'étais prêt à exploser.
Elle s'est éveillée, sa tête a émergé parmi les draps froissés et j'ai vu qu'elle tentait de bouger. Elle voulait partir, mais c'est toi, Jimmy, qui la retenait. Tu dormais et ton bras n'a pas bougé.
- Alors c'est comme ça.
Je me suis assis sur le lit, ce lit sur lequel tu venais de jouir, et dont les draps portaient encore la veille les traces de ton sang. Ton sperme devait s'étaler ici et là, à présent, et malgré ça, il était plus propre que tout ce qui ressortait de nos ébats. Elle n'a rien dit, elle ne respirait même plus. Mes doigts se sont perdus dans tes cheveux. J'aimais tes cheveux. J'aimais tout de toi. Tes doigts fins coincés sous l'oreiller, les veines qui se dessinaient sous la peau de tes bras, tes cils trop longs pour un homme, le grain de beauté sur tes fesses, l'ongle cassé de ton pouce, tes sourcils irréguliers. Tes yeux fermés. J'ai respiré ton odeur, tout ici en était imprégné. Tu n'avais jamais porté mon odeur sur toi, c'est toi qui collait la tienne à mon corps. Et c'était bien la seule chose que tu m'imposais encore.
- Tu sais que tu peux coucher avec Jimmy. Mais tu ne l'aimeras jamais comme je l'aime.
Elle avait des yeux immenses, et étrangement, je l'ai trouvée attendrissante. Pas jolie, non. Cette petite était bien trop ravagée pour ça.
Après ça, je t'ai attendu, longtemps. Chaque soir je rentrais du travail, je posais ma chemise sur le fauteuil que tu occupais d'ordinaire, et je m'installais sur le sol. Je ne bougeais pas jusqu'à ce que tu rentres. Et tu rentrais toujours. A minuit, sans faute. Tu ouvrais la porte, la première chose que je voyais de toi c'était ces Dr Martens jaunes, qui remplaçaient les noires que tu avais toujours porté. Je relevais alors la tête, tu me lançais un regard, presque étonné de me voir là, tu me souriais, et tu me demandais si j'avais mangé. Je n'avais jamais mangé. Je t'attendais. Mais toi, tu avais déjà le ventre plein, et tout ce qu'il te manquait, c'était une bonne nuit de sommeil. Tu n'avais plus envie de moi. Tu avais déjà purgé ton désir ailleurs. Probablement juste à côté, dans l'appartement collé au nôtre. Peut-être même ici, dans ces draps où tu allais te vautrer bientôt, nu, sans pudeur, sans crainte de montrer ton corps repu, couvert de cicatrices, aux blessures à présent refermées. Je ne te touchais plus. C'est toi, paradoxalement, qui venais. Tu voulais te faire pardonner, je crois. Je n'ai jamais vraiment compris comment marchaient ces choses là. Je te laissais venir, prendre place sur moi, lécher mon oreille, serrer mon sexe, je te laissais faire quand tu tentais de me faire pousser un semblant de gémissement, et parfois même je jouais le jeu. Quand tu parvenais à m'exciter assez, j'échangeais les rôles, j'entrais en toi, pas par envie, plutôt par nécessité. Cet amour crispé, ces corps raides et rêches, ces mouvements techniques, efficaces, qui nous menaient à l'orgasme à coup sûr m'éloignaient de toi chaque fois un peu plus.
Tu es rentré plus tôt aujourd'hui. Et je sais que ce n'est pas bon signe. Depuis le début de tes échappées, tu ne rentres jamais avant minuit. Tu as les cheveux ébouriffés et dans le regard des ambitions plus grandes qu'auparavant. Je me sens obligé de te parler, de savoir ce qu'il t'arrive. Ce qu'il nous arrive.
- Où étais-tu ? - A Notre Dame. - Pour qui peux-tu encore prier ? Tu ne nous sauveras plus. - C'est pour Lino que je prie. Je sais que toi, tu as déjà tout perdu.
Oh, mon amour, si seulement c'était vrai. Mais il me reste encore quelque chose à perdre. Si tu veux me quitter, Jimmy, je te tuerai. Et si je te tue, je gagne. Ma victoire était écrite à l'avance. La cage que j'ai construite autour de nous ne te laissera pas t'échapper.
- Reste ce soir. Dînons ensemble. - Oui, je reste. Mais demain, je pars. - Demain, fais ce que tu veux. Ne me dis même pas où tu vas. Mais ce soir, reste ici. - Oui. - J'ai eu une longue journée. J'ai besoin de te voir. - Je ne pars pas ce soir. Je pars demain. - J'ai besoin de t'embrasser. - Je reste, Done. - J'ai besoin que tu sois contre moi. - Je suis là, je ne m'en vais que demain. - J'ai besoin de te faire l'amour. - Je reste ici, Done. Je t'ai entendu. Arrête.
Une tristesse étouffante s'empare de moi. Et si tu ne revenais pas, Jimmy ? Si, finalement, c'était toi qui t'apprêtais à me vaincre ? Je n'ai jamais aimé que toi. Si tu me quittes, que vais-je devenir ? Tu avances vers moi, caresses ma joue, embrasses mes lèvres. Tes paupières sont fermées mais je sais ce qu'elles cachent. La peur, toujours la peur. L'amour, aussi, bien sûr. Ta langue est douce, sucrée, elle m'écœure, je recule, tu serres ma main pour me retenir. Tu tires sur ma manche. Tu murmures.
- Approche.
Qui es-tu ? Je ne reconnais plus ton odeur, je ne reconnais pas cette supplication. Rejette-moi, repousse-moi. Je t'attaquerai, et tout redeviendra comme avant. Tu nous as détruit, à trop espérer. L'espoir nous rendra fou, il t'a déjà aliéné. Un jour tu descends l'escalier, le lendemain tu t'envoles pour un autre monde. Appartiens-moi encore, comme au début. Reviens-moi.
- Je t'aime, Done.
Et si ce soir tu te refuses, ma ceinture ne s'arrêtera de frapper que lorsque ton dernier souffle aura quitté ta carcasse indigne.
*
Je me glisse derrière toi, et ton corps si chaud, si confiant me renvoie une image répugnante de moi-même. Mes muscles fondent sous ta sensualité. Pour la première fois depuis des jours, j'ai envie de toi. J'aimerais que tu me résistes. Un feu a pris dans ma poitrine, cherchant à consumer tout sur son passage. Ne te donne pas à moi, Jimmy, ne sois pas si beau, si doux, si dévoué. Provoque ma violence.
- C'est avec Lino que tu pars, demain ? - Ne parle pas d'elle.
Nous y voilà.
- Vous l'avez fait, ici, n'est-ce-pas ? - Done, oublie ça, profitons de cette nuit. - Vous l'avez fait plusieurs fois ? - ... - Tu aimes la dominer, c'est ça ? Tu es violent, parfois, Jimmy ? - Tais-toi.
Tu te recroquevilles. Tu veux que j'arrête, ou que je parte. Mais rester ainsi contre moi, alors que je murmure ces choses à ton oreille te répugne.
- Est-ce que tu lui fais ce que je te fais ? Non, je parie que tu es tendre. Que tu l'embrasses doucement.
Ces paroles me rongent, autant qu'elles te rongent. J'approche ma main et tu recules.
- Ne me touche pas. Je n'ai plus envie, tu es content ? Je n'ai plus envie. - Peu importe.
Quelque chose de nouveau traverse tes pupilles. De nouveau, ou que tu avais oublié. Te souviendrais-tu que tu n'as pas le choix ? Je te plaque contre le mur, tes poignets emprisonnés entre mes doigts. Ma force revient, comme par miracle. Que c'est bon.
- Ca fait mal, Done ! - Je sais.
Lino croit pouvoir te prendre sans que je ne fasse rien, pas vrai ? Ne t'inquiètes pas, demain tout ira bien, je te donne ma voiture, je te donne mon amour, ma haine et mes vengeances, prends tout. Mais avant ça, je prends ta dignité. Ton visage sera si marqué qu'elle ne te reconnaîtra pas. Ton haleine aura un goût de sang, tes vêtements cacheront ton corps de honte, et dans ses yeux c'est la pitié que tu liras. Elle te regardera et elle verra un homme détruit par l'amour, le vrai, et elle saura que tout est de sa faute, elle saura qu'elle n'aurait pas dû toucher à l'intouchable. J'aurai laissé ma marque et tout le monde lira sur ton front que je suis ton possesseur. Tu auras envie de leur crier de ne pas t'approcher, par égoïsme. Eux voudront te connaître, et toi tu deviendras odieux, pour te protéger. Mes poings te reviendront en mémoire, frapperont tes souvenirs, à coup de flashs, ils t'anéantiront et alors plus personne ne voudra de toi, on te traitera de fou et bientôt tu le deviendras, fou. Fou. Moi je suis fou de toi, regarde ce que tu as fait de moi, Jimmy, regarde mes phalanges dégoulinent, regarde ce flot, c'est ton nez, les draps sont de nouveau rouges, j'ai failli désespérer de les revoir ainsi un jour. Mes morsures sur tes épaules, tu me supplies d'arrêter, à quoi peut elle bien penser, l'oreille collée au mur, hum, Jimmy, dis-le moi, dis-moi ce qu'elle pense de nous, ce qu'elle pense de toi, toi qui ne sais plus comment étouffer tes cris, allez, Jimmy, dis-moi si tu penses à elle, mes muscles sont si tendus que j'en ai mal moi-même, voir à quel point je t'aime, ça me tue, voir à quel point je souffre, Jimmy, à quel point, à quel point... Ne pleure pas, Jimmy, regarde, demain tu me quittes et je ne pleure pas, moi. Ne pleure pas, bientôt les marques seront parties et tu pourras m'oublier. Ne pleure pas, Jimmy, la douleur n'est qu'éphémère, tu n'y penseras bientôt plus, ses baisers l'apaiseront, tu te sentiras vivant, libéré de tout, et moi je serai seul ici, je n'irai plus au travail, je dormirai entre l'entrée et le frigo, en attendant ton retour, je ne mangerai plus et j'écouterai les allées et venues de Julie, cette fille qui aura été laissée de côté, tout comme moi, je l'écouterai entrer dans cet appartement vide de la seule âme qui espère encore et j'aurai envie de la suivre, j'aurai envie d'entrer dans la chambre de Lino, dans ses draps, dans son odeur, dans ses rêves, tout ce qui t'a un jour aidé à m'abandonner sur le bord de la route. |