Prologue
Encore ! Je me réveille pour une millionième fois dans des draps qui me sont totalement étrangers. Comme si je venais à peine d'apparaitre là, comme si je n'y connaissais absolument rien. Non, pas comme si, c'est réellement le cas. Je viens à peine d'atterrir en ces lieux qui me sont tout simplement inconnus. C'est toujours la même histoire, je disparais d'un endroit pour me retrouver à un autre quelques heures, jours, ou semaines plus tard, ne laissant aucun souvenir de mon passage. Entre ces lapses de temps, je mijote dans un espace intemporel avec d'autres comparses qui sont de ma trempe dans une attente latente. Là où je n'ai ni âge, ni nom, ni visage. Je me lève en me tenant la tête. J'ai l'impression d'avoir une gueule de bois tellement je la sens sur le point d'exploser. Les murs de ma chambre sont d'une blancheur immaculée, écœurante même. Ça n'arrange absolument rien à mon mal de bloc. Je pose un pied à terre, puis l'autre. Le plancher de bois franc est frais et agréable au moins. Je passe un camisole d'un mauve tendre sur mes frêles épaules dénudées en baillant à m'en décrocher la mâchoire. Un peignoir m'attend sur un crochet de la porte de la chambre. Je l'enfile en supposant qu'il doit être à moi et franchis cette même porte pour voir ce qui m'attend de l'autre côté. Encore un nouveau monde, de nouvelles personnes, une nouvelle vie qui se présente à moi, jusqu'à ce que j'aie accompli la mission pour laquelle on m'envoie ici. Jusqu'à ce que je disparaisse encore comme si je n'avais jamais existé.
Partie 01
Il semble que je sois tombée sur une colocation cette fois. La fille qui est assise à la table, juste en face de moi, semble être de mon âge, pas assez vieille, ni assez jeune pour être ma sœur. On ne se ressemble pas du tout, de ce que je peux en voir en tout cas. Mon visage m'est toujours inconnu, mais ma taille est de beaucoup plus fine que la sienne et je suis aussi plus petite de hauteur. Sa peau est très foncée, ce qui me fait penser qu'elle doit être mulâtre alors que j'ai toutes la platitude d'être simplement blanche. J'ai une faible poitrine alors que son décolleté déborde presque. Je ne crois pas que nous soyons de la même famille quoi que l'apparence est très rarement une donnée fiable en ce cas. - Hey, bien dormi ?, me dit-elle joyeusement en levant le regard sur moi. - Oui, répondis-je sans plus. J'attends toujours que ce soit la première personne que je rencontre qui parle. Je n'ai aucune information sur ce que devrait être ma vie à laquelle je dois m'habituer très rapidement si je ne veux pas avoir l'air bizarre. C'est souvent cette même personne qui va me donner mon nom et mon titre. Qui va aussi m'apprendre ce que je dois savoir afin d'affronter la journée dans ce nouveau corps qui sera le mien pour un temps indéterminé. - T'es un peu blême, t'es sûre que ça va Sandy ? - Heu... j'ai fait des rêves un peu étranges. Je crois que ça m'a troublé, mais rien de grave, je t'assure. C'est tout ce que je pus répondre. Je sais que je devrais être un as dans l'art de raconter des histoires et mentir après tout ce temps à pratiquer mon métier, mais c'est tout le contraire, j'ai beaucoup de difficultés avec ce genre de choses. Et pourtant, c'est mon travail, en quelque sorte. - Bon tu m'excuseras... toilettes, dis-je simplement avant de m'engouffrer dans la minuscule pièce adjacente à la cuisine, c'est-à-dire la salle de bain dont disposait cet appartement. Je passe devant le miroir et y reste collée. Comme ça, mon nom serait Sandy. Pas mal du tout ! J'aime bien même. Nom de famille ? Pour l'instant, ce n'est pas très important. Je contemple mon reflet dans la glace en passant une main sur la douce peau de mon nouveau visage. Il change à chaque fois et je prends toujours un certain plaisir à me détailler. Jamais le même minois, jamais la même nationalité, jamais la même personnalité non plus. Je ne suis tout simplement jamais la même personne. J'ai mille visages tout en n'en ayant pas vraiment un à moi. Un peu ironique non ?
À quoi je ressemble réellement, je n'en ai aucune idée. Dans le monde intemporel, il n'y a aucun miroir dans lequel je peux me regarder. Je me contente de voir les autres autour de moi sans poser de question. Là-bas, toute interrogation est inutile et considérée comme une perte superflue d'énergie.
Pour le moment, je suis une brunette. J'ai les cheveux qui me vont jusqu'au milieu du dos avec un mélange de rose et de mauve sur un fond brun très foncé. C'est un peu étrange comme mixte sans toutefois être vulgaire. J'ai de petits yeux marrons encadrés de lunettes à la monture simple et un visage ni trop long, ni trop rond. Mes lèvres sont minces et des fossettes se creusent dans mes joues roses quand je souris. Ma peau est assez pâle et semble en cruel manque de soleil. Je suis de grandeur moyenne et de taille fine. Je ne suis certainement pas un modèle de beauté, mais pas non plus la plus affreuse. C'est là l'essentiel de mon apparence physique.
Il est temps d'en apprendre plus sur le personnage que je devrai incarner, ici, le temps de ma visite. Je fais donc ce que j'ai à faire aux toilettes puis ressors de meilleur humeur. Je dois maintenant cuisiner cette nouvelle connaissance afin d'en savoir plus sur moi et sur elle aussi. Si elle est la personne qui m'est apparue en premier, ce doit être parce qu'elle est aussi la plus importante. Ça toujours été comme ça jusqu'à maintenant. - Alors, commençai-je en cherchant les bons mots, qu'est-ce que nous faisons aujourd'hui ? - Tu le sais bien, faut aller travailler, comme on le fait 5 à 6 jours semaines depuis déjà 5 ans, argua-t-elle de manière à ce que je sente l'amertume dans ses paroles. - Ouais, je sais, j'essayais juste de me montrer enthousiaste. - La boutique nous attends ! Je travaille dans une boutique ? C'est la première fois que je vais me voir dans la peau d'une caissière. Je devrais avoir le temps d'en apprendre un peu plus sur ma coloc au courant de la journée puisqu'il semble que nous travaillons ensemble. Je me demande dans quel genre de boutique je suis tombée. Tout mais pas de vêtements. Il me semble que je serais de forts mauvais conseils pour les clients.
C'est elle qui me conduit jusqu'au travail puis c'est elle qui possède une auto de nous deux. Je fouille discrètement dans mon sac à main pour y trouver mon permis. Au moins, j'en ai un aussi, ce qui va me permettre de voyager seule si la situation le demande. La jeune demoiselle, dont j'ignore toujours le nom, arrête son auto dans un immense stationnement d'un centre d'achat et je la suis à la trace pour être certaine de ne pas avoir l'air louche en prenant la mauvaise direction. - T'as pas oublié ton épinglette j'espère ? Quelle épinglette ? Je prend mon sac à dos et me met à fouiller frénétiquement dedans à la recherche du dit objet sur lequel je tombe après une bonne minute. Il s'agit simplement de mon nom et du nom de la boutique ainsi que le logo de gravé sur un petit rectangle de plastique épais. J'imagine que je dois porter ça durant mon quart de travail. - Non, je l'ai ! - Très bien, ça va t'éviter de te faire sermonner par Diane, la directrice, encore une fois. Donc, je ne serais pas une personne très à l'ordre et n'aurais pas beaucoup de mémoire. Voilà quelque chose d'utile s'il m'arrive de ne pas savoir quelque chose. Je pourrai toujours faire passer ça sur le dos d'un oubli. - Ne jamais lui donner la moindre raison de se mettre en mode sermon, sinon, elle n'arrête plus et on y passe la journée. - Voilà notre règle d'or, ajoutai-je en espérant avoir raison. - Tout à fait !
Je suis toujours ma colocataire qui me traine jusqu'à la dite boutique qui n'a finalement rien à voir avec les vêtements auxquels je m'attendais. C'est un tout petit endroit spécialisé en pâtisseries en tous genres, coincé entre un magasin grande surface et un boutique de sport tous genres. De la nourriture ! Je vais devoir préparer de la nourriture à longueur de journée !! Il me semble bien que, peu importe quelle personne j'ai dû incarner jusqu'à maintenant, je n'ai jamais été douée pour quelconque plat que ce soit. Si ça avait été possible, je pense bien que j'aurais fait coller de l'eau au fond d'une casserole. - Tu t'occupe des brioches comme toujours ?, me lance ma compagne avec un clin d'œil complice. - Ah heu... oui... - Tu sais que les clients en raffolent. Ne tarde pas à te mettre au fourneau, c'est le matin qu'on fait le plus de vente ! Je vais commencer à préparer du café tout de suite, les gens commencent déjà à faire la file à la porte du café, me lance-t-elle en accrochant son épinglette à sa chemise blanche. Elle a bien raison, trois ou quatre personnes sont déjà près de l'entrée et ne semblent attendre que son apparition pour venir se rassasier. En me retournant, je vois son épinglette et jette un regard attentif à ce dernier. Elle s'appelle donc Léticia, voilà qui va mettre utile et me permettre de l'appeler par son nom si jamais quelque chose tourne mal au fond de ma cuisine. J'ai toujours beaucoup de difficulté à demander discrètement le nom des personnes autour de moi sans éveiller de soupçons. Il faut avouer qu'interroger sa meilleure amie ou tout autre être proche sur son prénom peut toujours avoir l'air un peu louche.
Et bien, il semblerait que je sois obligée de m'y rendre. Je fais quoi, moi qui n'ais jamais eut de talent culinaire ? Je dois laisser aller mon instinct, je dois me fier à mes sens, ce sont mes meilleurs guides. Mais je dirais bien que ce n'est pas toujours facile à faire. Farine, lait, œufs, beurre, cannelle, le tout se suit dans un ordre que je ne connais absolument pas. Tout se chichi ne me dit rien, mais l'aromate délicieux qui s'en dégage, est encourageant. Je laisse mes mains me guider, elles ont l'air d'en savoir plus que moi sur le sujet. Elles s'occupent elles-mêmes du mélange et tout. J'espère que ça va être correct. L'angoisse me tenaille l'estomac. Et si j'échouais ? Ma couverture pourrait en être défaite ! Je roule la pâte de manière presque experte, ce qui me surprend et met le tout dans le four.
- Wow ! Réussies comme toujours ! Bon, une étape de plus. Je suis capable de faire des brioches. Soupir de soulagement. C'est ce qui me surprendra toujours de mon métier : je peux faire n'importe quelle activité. Tout semble s'inscrire tout seul dans ma mémoire. Reste que j'ai toujours une crainte de manquer mon coup en quelque part. Même si ça ne m'est encore jamais arrivé. - Oui, c'est tout de même ma spécialité, ajoutais-je pour un peu plus de crédibilité. - Je ne te le fais pas dire Léti. Justement, je peux en avoir une s'il-te-plait ? Un jeune homme vient tout juste d'apparaitre au comptoir. Il a les cheveux blonds et courts et de magnifiques yeux bleus. Il est un peu maigre, mais son sourire aimable l'embellit passablement. Je me sens rougir jusqu'à la racine des cheveux. Pourquoi je me sens si bizarre soudainement. - Bien sur !, répond Léti à ma place. - 1.50 $ comme d'habitude ? - À moins que t'ajoute un petit café avec ça, tout frais ! - Pourquoi pas ! Alors ce doit faire un gros total de 3 $ - Oui, dis-je sans même savoir de quoi il parlait. Il aurait bien pu donner n'importe quel montant que j'aurais répondu la même chose sans y voir quoi que ce soit. - Ce sera deux sucres, deux crèmes dedans, s'il-te-plait ! - Pas de problème, dit-elle en lui préparant sa commande. Il me donne l'argent et je me contente de lui faire un sourire niais en le regardant prendre un journal sur le comptoir puis s'asseoir à l'une des petite tables au fond de la boutique. - Toujours sous le charme du beau Hayden ? Et wow, t'as vu le pourboire ! Je crois que c'est réciproque ton affaire. Je revins sur terre en un rien de temps. Me secoue la tête en signe de négation et retourne à l'arrière près de mon four pour y faire une nouvelle fournée de brioches. C'était quoi ce sentiment étrange ? Me semble que j'ai déjà ressenti quelque chose de semblable auparavant, mais je n'arrive pas à mettre le doigt dessus. J'ouvre ma main sentant quelque chose de dur au creux de ma paume : j'ai toujours le trois dollars ainsi que le généreux pourboire qu'il m'a donné au même moment.
L'inconvénient de vivre la vie de dizaines d'humains différents et de revenir à l'intemporel entre chaque nouvelle mission, c'est que je ne suis jamais capable de me remémorer tout ce que j'ai pu vivre et ressentir auparavant. Presque tout s'efface à chaque fois, me laissant un vague souvenir et une impression de déjà vu pour les vies suivantes. Est-ce que j'aime vraiment cette vie que je mène depuis tant d'années ? Pour certains aspects oui et pour tous les autres non. J'aurais aimé avoir une existence comme tout le monde, une vie normale, des amis stables, des parents, une famille. Peut-être que j'ai déjà connu ça un jour, mais depuis le temps, j'ai du oublier. Comme tout le reste...
On ne choisit pas de devenir ange protecteur, aussi appelé chasseur, on est choisi, point à la ligne. On subit les lois divines et doit protéger les gens de la terre en dehors de notre espace intemporel. Telle est notre destiné. On est, moi et les quelques autres anges de mon rang, obligés d'accepter notre sort sans poser de questions. On nous dit que nous devrions même nous réjouir de notre condition : nous sommes des élus !
La journée se termine comme elle a commencée, dans un calme respectif. Le mal de tête m'a lâché depuis longtemps et je sens que tout s'est passé comme ça se devait. J'ai même eu droit d'emporter les quelques croissants et brioches en trop. Tout semblait parfait, jusqu'à ce qu'une bande de jeunes viennent à ma rencontre. - Hey Sandy !! - Salut ! Celui qui m'a adressé la parole doit à peine dépasser les cinq pieds et est plutôt grassouillet. Il a bonne mine et semble déjà bien me connaitre. Deux autres hommes le suivent de près. Deux grands et maigres, l'un roux aux dents proéminentes et l'autre noir d'ébène avec plusieurs piercings au visage. À leur voir l'allure, j'espère qu'ils sont mes amis et non pas le contraire. - Qu'est-ce que tu fais ? - Pour le moment, pas grand-chose. Je sors à peine du travail. Je devrais me préparer quelque chose à manger et puis, une petite soirée tranquille à la maison. - Qu'est-ce que tu dirais d'un bon restaurant à la place ? - Oui, pourquoi pas ! Je dois laisser les choses aller comme elles viennent, pour que tout se fasse dans le plus naturel des cas. Et puis, je dois apprendre à connaitre ceux qui m'entourent et le plus rapidement possible. Un souper entre amis ne peux que m'aider sur cette voie. Je me demande si ma colocataire vient venir avec nous, elle aussi. - T'as vu Léti ? - Oui, elle devrait s'en venir bientôt. - La voilà ! dit alors le noiraud. Eh oui, elle est bel et bien là en train de fermer boutique derrière nous. Elle s'en vint à notre rencontre, prête à nous suivre comme si rien de leur apparition ne l'a surprenait.
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