Il y avait des gens partout. Tous sous forme d'ombre cachée par les panaches de fumée lâchés par l’immense locomotive rouge: le Poudlard express. Les plus anciens élèves faisaient tranquillement les aux revoirs à leur famille tandis que les nouveaux regardaient de tous les côtés, semblant ne pas en croire leurs yeux. Un brouhaha incessant, mélange de bruits de pas, de discussion et de cris d’animaux divers, s’ajoutait au tableau. Tout ceci rappela à Aleksa sa première fois sur le quai 9 et trois quarts. Elle se souvenait de combien elle avait pu être intimidée, voire impressionnée par ce spectacle si singulier. Plusieurs d’entre eux devaient être comme elle, fils et fille de moldus. De pauvres adolescents de onze ans qui n’avaient jamais cru à ce genre de monde avant de recevoir leur lettre.
— Chérie, promets-nous d’être très prudente cette année.
— Pourquoi je devrais l’être plus que les autres années? demanda la jeune femme un peu surprise de la requête.
— Non, pas plus, mais disons…
Voyant que Gisèle, sa mère, ne savait plus quoi dire, Aleksa enchaina à sa place pour mettre fin à la conversation qui s'annonçait pénible :
— Tu sais, ce n’est pas après moi qu'en ont les ennuis. C’est ce Potter et ses amis qui les attirent.
— On sait ma cocotte, ajouta son père, mais tu n’es pas sans savoir que nous sommes toujours très inquiets quand tu es si loin de nous.
— Vous devriez essayer de vous habituer à mon absence, ajouta-t-elle en grimaçant sous l'appellation ridicule qui la suivait depuis sa tendre enfance. Après tout, ça fait déjà quatre ans que je passe plus de la moitié de l’année à l’école.
— Oui. Bien sûr, mais c’est toujours dur de te regarder partir ma chérie, continua-t-il.
Elle soupira avec force. Toujours la même rengaine. Chaque année, il fallait que son père se montre prétendument compréhensif et tente de lui expliquer ce qu'il ressentait sur un ton calme exaspérant pendant que sa mère laissait couler quelques larmes, la voix tremblante d’émotions.
— Aller tous les deux! Vous savez très bien que rien n’a changé durant les vacances d'été. L’école est toujours la même et, avec un peu de chance, vous-savez-qui devrait encore essayer de mettre la main sur Harry. Ce qui va mettre un peu d’action dans mon quotidien morne et faire courir les vieux professeurs de côté à l’autre comme des poules sans tête. C’est une très bonne distraction en soi, croyez-moi.
Ces paroles, qu'elle voulait rassurantes, semblèrent terroriser ses parents. Les yeux de sa mère s'agrandirent considérablement et son père dû la retenir par un bras pour l’empêcher de s’effondrer sous le coup de l’émotion.
— Ce n’était qu’une blague, ne le prenez pas comme ça. Tout va bien aller. Rien n’arrivera. Je vous l’ai dit, rien n'a changé, tenta-t-elle de rattraper le coup.
Gisèle se dégagea de la prise de Régis, son mari, et vint appuyer ses mains sur les épaules de sa fille. Elle planta alors son regard dans le sien et lui dit d’une voix grave et sérieuse :
— Ma grande, si jamais tu entends quoi que ce soit à propos de ce sorcier, d’un de ses acolytes ou encore de ce Sirius Black…
— Chérie! aboya sévèrement Régis comme s’il avait peur qu’elle en dise trop.
Sa femme lui envoya un regard attristé et continua en abrégeant.
— Peu importe! Tiens-toi loin de ce fils de malheur.
— Maman, tu sais très bien qu’il n’a pas demandé à être « l’élu », corrigea Aleksa qui n'aimait pas du tout prendre le parti d'Harry Potter. Tu connais aussi bien son histoire que moi. Arrête de t’en faire avec lui et avec toutes ces histoires de mage noir et mangemorts.
Et même si Harry Potter ressemblait réellement à un malheur ambulant, ce n’était pas son problème à elle. La jeune femme n’avait pas l’habitude de trainer avec lui. Déjà plus de deux ans son aînée, elle le rencontrait simplement à la table pour les repas et dans la salle commune. Ce n’était pas de sa faute s’ils étaient dans la même maison et cela n’allait pas empêcher Aleksa de vivre sa vie tranquillement. Les agissements du garçon étaient loin de faire partie de ses préoccupations.
— Oui, je sais… ajouta la matriarche un peu honteuse de s’être ainsi emportée.
— Mais si ça peut te rassurer, je vais faire bien attention à moi durant ce séjour, finit sa fille en jetant un bref coup d'oeil à sa montre. Bon, c’est bien beau tout ça, mais il ne reste que deux minutes avant le départ du train. Je ne peux tout de même pas le manquer parce que vous angoissez à l'idée de me voir partir. Il me reste encore trois années à faire si je veux mon diplôme.
— Viens là, lui dit son père en lui faisant un long câlin.
— Aller maman! Arrête de t’en faire avec tout ça. Je serai en sécurité là où je m'en vais. Je n’ai pas à craindre tu-sais-qui, ni qui que ce soit d'autre. Tout tourne toujours autour de Harry et pas de moi, ne l’oublie pas.
Gisèle soupira, comme si elle avait voulu argumenter plus longtemps, mais s’en abstenait. La sorcière prit sa mère dans ses bras, lui fit une brève accolade puis, sauta dans le compartiment le plus près alors que le train se mettait en branle.
— Fais attention ma chérie, lui répéta sa matriarche, le visage inondé de larmes.
La jeune femme se contenta de lui envoyer la main pendant que sa silhouette devenait de plus en plus petite, jusqu’à disparaitre complètement dans un détour. Elle soupira de soulagement avant d’entreprendre la recherche d’un compartiment libre.
Trainant son furet dont elle avait toujours la cage de transport accrochée à une main et sa lourde valise, elle longea le couloir en regardant chaque fenêtre de porte. À son grand désarroi, les premiers compartiments étaient tous pleins. Comme elle n’avait pas envie de se mêler aux autres, encore moins aux jeunes nouveaux, elle continua vers la prochaine voiture.
Avant de changer, elle passa devant une fenêtre où elle pouvait voir le garçon que sa mère se plaisait à appeler le « fils de malheur ». Saint Potter en personne. Le héros de Quidditch de la maison, le jeune homme l’ayant emporté sur celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom plus d’une fois, le chouchou de Dumbledore, la légende vivante, etc. Assez de jolis surnoms pour en faire de lui l’une des personnes qu’elle n’aimait pas du tout. Elle détestait tout ce qui touchait à la célébrité autant dans le monde moldu que celui des sorciers. En même temps, elle savait qu’il n’y était pour rien dans tout cela, mais d'un autre côté… C’était plus fort qu’elle. Elle était tout simplement incapable de faire autrement; elle les tenait en horreur, lui et sa bande de suivants : le grand rouquin maladroit sans tact et la mademoiselle-je-sais-tout. Elle aurait peut-être dû se sentir un peu plus près de cette dernière : elles étaient toutes les deux issues de famille moldue après tout. Mais non, le fait de l’entendre continuellement parler à voix haute de matière, de révision et de tout ce genre de trucs dans la salle commune, avait suffit à la rendre malade de cette petite vantarde incapable de se la fermer plus de deux minutes.
Et son ressentiment s’était accru le jour où Hermione était venue lui dire d’arrêter de discuter avec Angélina parce que cela la dérangeait dans son étude de fin d’année. La salle commune était pleine de gens et Aleksa n’étais pas la seule à jacasser à ce moment, le vacarme était général. Elle n’avait pas non plus été la seule à se faire imposer le silence par la petite prétentieuse de deuxième année. Et comme les autres, elle lui avait décroché l’un de ses regards disant : viens me dire ça juste une autre fois et tu es morte. À partir de ce jour, Aleksa n’avait plus beaucoup de considération pour la brunette à grandes dents. Se contentant tout juste de la tolérer, car elle n’avait pas d’autre choix.
Cette fois, les trois n’étaient pas seuls dans leur cabine. Une autre personne leur tenait compagnie, ou du moins, se trouvait dans le même compartiment puisqu’il ne semblait pas bouger et encore moins participer à leur conversation qui semblait sérieuse. Ne voulant pas attirer l’attention sur elle, Aleksa passa son chemin et continua en direction de la tête du train. Alors qu’elle s’apprêtait à changer de wagon une seconde fois lorsqu’un jeune homme lui coupa le chemin et lui fit l’accolade sans lui laisser la chance de dire quoi que ce soit, manquant faire tomber la cage de Mikko qui protesta à petits cris féroces.
— Eh Aleksa! Tu as passé de belles vacances?
— Oui, c’était plutôt bien. Tu peux me lâcher George. J’aimerais respirer si ça ne te dérange pas.
Le rouquin relâcha son étreinte et la regarda de haut en bas de manière très peu subtile, mais flatteuse.
— Eh puis, le verdict? Je suis toujours la même en apparence? T’es certain que je suis vraiment moi?
— Je dirais plutôt : toujours aussi jolie!
— Et toi, toujours aussi baratineur, Weasley, lui rétorqua-t-elle en roulant des yeux bien que plus amusée qu'exaspérée.
— Oh eh, les deux tourtereaux! Vous venez vous asseoir ou vous comptez passer la journée dans le couloir? Si vous trainez trop, les préfets vont se faire un plaisir de venir vous embêter.
Elle jeta un regard au frère jumeau de George, Fred, qui se tenait dans l’entrée du dernier compartiment du wagon. Elle n’avait pas tellement envie d’aller s’asseoir avec eux pour tout dire. Bien entendu, il était difficile de s’ennuyer en leur compagnie, mais elle préfèrerait être seule. Elle allait d’ailleurs décliner l’invitation poliment quand l’un des nouveaux préfets fit son apparition. C’était à croire qu’il avait entendu ce que Fred venait de dire.
— Il y a un problème? leur demanda cet élève de Serpentard avec un sourire faux et suffisant.
— Non, dit-elle sans plus d’explication.
Elle tenait aussi en horreur les préfets, préfets en chef et tout ce qui représentait une figure d’autorité autre que les professeurs et le directeur de l'école. Pour elle, ils n’étaient qu’une bande d’enquiquineurs de première avec leur air fier et supérieur. La jeune femme n’avait jamais réussi à comprendre comment on pouvait être aussi content d’être détesté de presque tous les élèves de l’école réunis.
— Est-ce que vous voulez que je vous aide à trouver une place? Par en avant, il devrait rester encore quelques endroits où vous pourriez…
— Non, on en a déjà une, coupa George en prenant le bras d’Aleksa pour l’entrainer à sa suite.
Ne voulant pas commencer à se promener devant cet élève de cinquième année un peu imbu de lui-même, elle accepta finalement de joindre les jumeaux ainsi que Lee Jordan, dans leur cabine. Pas question de lui donner raison à son égo démesuré en s’avouant perdue dans le train.
— Fais gaffe à toi. Cette année, Percy a été nommé préfet en chef. Il ne tient plus tellement il est pompeux, lui annonça George en s’assoyant sur la banquette.
— Tu aurais dû le voir, là, à se promener avec son insigne tout l’été. Il n’a pas arrêté d’en parler de toutes les vacances, compléta son frère en prenant une pose pour imiter ledit Percy.
— Je n’en doute même pas, argua-t-elle en se rappelant le visage à l’air gorgé de fierté de l’aîné des Weasley.
En fait, l’aîné de ceux toujours aux études.
Prétextant être un peu fatiguée, elle s’isola dans son coin près de la vitre et ferma les yeux écoutant les garçons discuter des mille et un coups qu’ils prévoyaient faire cette année. Le sommeil finit par l’emporter plusieurs minutes plus tard au milieu des éclats de voix et de rire des autres gryffondors. Les heures s’écoulèrent doucement au rythme de ses rêves sans but, tous plus insignifiants les uns que les autres.
Elle se réveilla en sursaut, alors que le train venait subitement de s’arrêter. Les lumières étaient éteintes et elle entendait ses camarades chuchoter avec nervosité.
— Qu’est-ce qui se passe, leur demanda-t-elle en se redressant.
— On n’en sait rien.
— C’est ça le problème, renchérit son frangin.
— Pourquoi on est arrêté? insista-t-elle plus pour sa propre personne que pour eux.
— Ce n’est pas normal, bégaya Lee.
— Pas avec les lumières qui…
Ils ne surent jamais ce que George allait dire à propos des fameuses lumières puisqu’il fut interrompu par des bruits étranges venant du couloir. Des cris de terreur se firent alors entendre d’un peu partout dans le wagon. Rien de rassurant.
Une haute silhouette se dessina de l’autre côté de la porte dont la fenêtre se givra instantanément. Une main squelettique s’accrocha à la poignée dans un bruit étrange et dans un geste si lent qu’il en paraissait surnaturel. Le compartiment baignait dans une froideur déconcertante. Le souffle de la jeune femme faisait de la buée et elle se sentait grelotter alors que cinq minutes plus tôt, il régnait une température confortable. La porte s’entrouvrit, juste assez pour laisser passer une tête dissimulée sous une cagoule et une longue cape noire. Aleksa n’arrivait pas à voir le visage de l’inconnu et quelque chose lui disait qu’elle n’avait pas non plus envie de le zyeuter de plus près. Un râle à faire peur s’éleva de l’intrus et elle sentit la froideur se répandre jusqu’à l’intérieur de son corps. Mikko lançait des cris angoissés en se cachant sous une couverture au fond de sa cage.
De vieux souvenirs douloureux se mirent à tournoyer dans sa tête comme une ribambelle de tristesse. Ses yeux s’embuèrent de larmes alors qu’il lui semblait que toute joie l’avait quittée définitivement. La créature entra complètement dans le compartiment, passa devant ses compères avec lenteur et vint se placer devant elle. Comme si elle avait quelque chose qui valait un coup d’œil de plus près. Un nouveau râle, encore plus puissant que le premier, se fit entendre et les pires images lui vinrent à l’esprit.
Plus rien n’existait autour d’elle à part l’intrus et tous ses mauvais souvenirs. Comme s’il n’y avait plus rien de plus à espérer de mieux, elle se laissait emporter par tous ces clichés qui l’avaient tant fait souffrir à un moment ou un autre de sa vie. Toujours en remontant plus loin. Des choses qu'elle-même ne se souvenait pas d’habituel. Ressortant des évènements qui semblaient appartenir un passé très lointain. Des voix se mélangeaient alors que les images devenaient de plus en plus floues.
— Mon enfant! Rendez-moi mon bébé! Ma fille! Maïra! criait une voix d’homme quelque part dans ce fond de couleurs indistinctes.
Elle n’arrivait pas à voir clairement la personne qui lançait ses appels douloureux, mais sa silhouette indistincte semblait se battre contre deux autres qui le tenaient fermement, chacun par un bras.
— Rendez-moi mon enfant! Vous n’avez pas le droit.
Les pleurs d’un bébé se mélangèrent au reste de la scène dans un brouhaha incompréhensible.
— Spero patronum! scanda avec force une voix tout près qu'elle eut peine à entendre.
La créature arrêta sa tyrannie et sortit vivement du compartiment dans un doux bruissement d’étoffe. Les lumières revinrent à elles tout comme Aleksa. Elle eut l'impression de ne pas avoir respiré durant tout ce temps, frôlant l’inconscience. De grosses perles de sueurs étaient apparues sur son front. Gouttelettes qu’elle s’empressa d’essuyer du revers de sa manche avant que les autres s’en rendent compte.
Haletant comme un chien, les yeux exorbités, elle leva le regard vers son sauveur. Il s’agissait d’un homme à la peau usée, aux cheveux grisonnants, mais aux traits qui gardaient encore de leur jeunesse.
— Merci, finit-elle par dire en se cramponnant au siège afin de reprendre ses esprits.
— Vous vous sentez bien?
— Pour être franche, pas vraiment non.
Elle serra les poings sur ses genoux pour les empêcher de trembler.
— C’est normal, dit l’homme en passant devant George qui était blanc comme un drap. Vous devriez manger ceci. C’est un remède efficace contre les effets d’un détraqueur.
— Merci, répéta-t-elle en prenant le morceau le chocolat qu’il lui tendait.
L’inconnu la dévisagea un moment avant de lui demander son nom.
— Aleksa Anderson, fit-elle dans un souffle court.
Son regard sembla s’illuminer un court instant. Mais si son nom lui rappelait quelque chose, il n’en dit rien. Elle en déduisit que ce devait être un effet de son imagination, elle ne raisonnait pas très bien dans le moment.
— Bon, veuillez m’excuser, on m’attend ailleurs.
Et il disparut en refermant doucement la porte derrière lui. Elle regarda longuement le bout de chocolat qu’il lui avait donné en réfléchissant à cette hideuse créature.
— Tu devrais peut-être faire ce qu’il t’a dit, l’encouragea George qui semblait inquiet. Tu es très pâle, veux-tu t’allonger?
— Non, ça va, le château n’est plus très loin de toute façon, répliqua la jeune femme en regardant sa montre.
— Elle n’a pas tort, confirma Fred en sortant sa robe de sorcier de Poudlard pour l’enfiler à la place de ses vêtements de moldus.
Quelques instants plus tard, le train reprit son chemin en bringuebalant. Elle se leva pour sortir l'une de ses robes à son tour, sous le regard attentif de George qui n’avait pas l’air d’aller beaucoup mieux qu’elle. L'adolescente fit de son mieux pour cacher les frissons d’effroi qui continuaient de lui traverser le dos.
Aleksa fut silencieuse tout au long du voyage restant : elle continuait sa réflexion sur ce qu’elle avait vu sous l’effet de la créature. Fouillant dans sa mémoire afin d’éclaircir ces souvenirs qui ne lui disaient absolument rien. Cette voix d’homme qui criait qu’on lui rende son enfant. Une voix totalement inconnue. Une voix tout aussi totalement désespérée. Elle caressait machinalement Mikko qui n’avait jamais paru aussi nerveux de toute sa vie et tremblait de tous ses membres.
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Note de l'auteur : Voilà le premier de plusieurs chapitres. J'espère que ce chapitre vous semble déjà moins chargé en information de toutes sortes. Le début sera plutôt lent, je vous le concède, car je veux installer la situation de départ et aussi mon personnage dont le passé vous est complètement inconnu. Du moins, j'espère que ça vous plait. Je ne passerai pas plusieurs fois ce commentaire, mais n'oublier pas que les reviews font chaud au cœur de celui qui écrit, l'encourage, lui permettent de grandir en tant qu'auteur et de s'améliorer un peu plus à chaque chapitre.
- Aleksa
- Dernière M-à-J : 12-01-12 |