Christian, au volant de sa Laguna, appuya sur le bouton éject de son autoradio :

 “ … Nous n'en savons pas plus pour l'instant. Le montant de leur butin s'élèverait, selon le bijoutier, à plus de 10 000 euros. Pour le moment nous continuons à suivre l'enquête et nous vous promettons de vous tenir au courant dès que nous en serons... ”

Il tourna la cassette et la réenclencha. Jeanne, à côté de lui, roulait un joint. Il la regarda et se souvint de l'époque où, pendant les manifs, ils avaient sniffé leurs premiers grammes de coke. Ils étaient alors jeunes et insouciants, croyant bêtement qu'on ne pouvait pas supporter la vie sans ce genre d'artifice. Heureusement, depuis, ils avaient grandi et mûri et ne se contentaient plus que de quelques joints. Il était résolu le temps de l'insouciance et des conneries qui l'accompagnaient. Certes, ils leur arrivaient encore de faire des orgies de temps en temps, des orgies bien arrosées et où circulaient pas mal de drogues, mais cela était si rare, qu'il n'y avait pas de quoi s'en inquiéter. Maintenant, elle, elle se préparait à être mère et lui avait un job. Un job dans une usine de recyclage. Un job qui n'était pas très passionnant, il était responsable du bon fonctionnement des machines, mais un job plutôt bien payé et pas trop fatigant. La preuve, il y avait huit mois, il s'était offert une voiture neuve et puis ils pouvaient même se permettre de partir en vacances. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pu leur en offrir, son ancien boulot, un mi-temps, ne le lui permettant pas.

  À quelques mètres devant eux, sur le bas-côté, plantée dans un arbre, il vit la Fuégo qui les avait doublés quelques minutes auparavant. Cela le fit revenir au présent, cela le fit même sourire, se disant qu'il l'avait bien cherché, à rouler aussi vite on finissait bien souvent ainsi. Mais en voyant les deux survivants lui faire des signes, son côté brave type reprit le dessus, il s'arrêta donc. Sa femme, prise d'une de ces intuitions comme seules les femmes peuvent en avoir, lui dit qu'elle n'était pas sûre que ce soit une bonne idée, mais devant les arguments de son mari elle se résigna. Il lui avait fait comprendre que s'ils ne s'arrêtaient pas, on pourrait les accuser de non-assistance à personne en danger. En plus, qui sait peut-être qu'il y avait un ou plusieurs blessés ! Rajouta-t-il. Et que les deux gars ne possédaient pas de téléphone portable pour joindre les secours. Donc c'était leur devoir que de les aider, conclut-il, ce qui finit de convaincre son épouse de l'importance qu'il y avait de s'arrêter. Les deux types s'approchèrent et, en voyant leur mine patibulaire, il se demanda si ce n'était pas Jeanne qui avait raison, mais à présent il était trop tard pour changer d'avis. Les deux hommes s'étaient déjà engouffrés à l'arrière de la Laguna. Il redémarra, faisant patiner les pneus, et ils s'éloignèrent de la tombe où refroidissait le corps du troisième larron. À l'horloge, il était huit heures, la cassette se termina, et la voix du journaliste inonda une fois de plus les haut-parleurs :

 “ … Qu'un deuxième témoin aurait vu la Fuégo noire partir vers le sud, il y aurait environs… ”