Le Phoenix, 19h30, chemin de Traverse:
Cela faisait une demi heure que Draco attendait fiévreusement Harry devant la porte du restaurant. Trépignant d'impatience, il enchainait cigarette sur cigarette, se demandant à haute voix ce qu'il pouvait bien faire. Au moment où il se remit à faire les cent pas autour du lampadaire, il le vit courir vers lui, le regard affolé, les joues rosies. Ce qu'il peut être craquant, pensa-t-il, avant de se ressaisir.
-Où étais-tu bon sang !
-Je… Désolé, le travail… ministère… pardon, murmura l'intéressé visiblement désolé.
-Bien… Entre, je suis frigorifié.
Repoussant, gentiment mais fermement les bras du brun qui s'étaient enroulés autour de lui pour tenter de le réchauffer, il entra le premier. Cette attitude étrange mit la puce à l'oreille de Harry. Décidément, quelque chose clochait dans cette histoire de diner en tête à tête. Déjà le petit mot qu'il avait trouvé sur l'oreiller, l'invitant à se rendre dans le plus fameux restaurant du chemin de Traverse, puis l'absence de Draco de la nuit dernière et de la journée qui avait suivi, et enfin son comportement distant et froid. Oui, il n'avait pu se débarrasser de cette boule qui lui tordait l'estomac depuis son réveil. Cependant, étant déjà en retard, il suivit son mari sans broncher.
Ils s'assirent et commandèrent. Désormais il voyait que le blond fuyait ostensiblement son regard. Il ne lui avait plus adressé la parole. Même s'il était habitué au peu de conversation de Draco -Il n'en avait jamais beaucoup eu, préférant le silence qui avait la faculté de pouvoir dire beaucoup plus- une petite voix au fond de lui, lui intimait de prendre ses jambes à son cou. Le repas passa lentement, aucun des deux ne parla. Finalement, après avoir payé, Draco prit enfin la parole.
-Je veux divorcer, dit-il en évitant toujours le regard de son amant, sachant pertinemment qu'il ne devait surtout pas se plonger dans la contemplation de la forêt émeraude
Ces trois mots apparurent tout d'abord dépourvu de sens pour Harry. Il avait parfaitement entendu les sons s'échapper de la bouche aux lèvres minces, mais son cerveau ne les comprenait pas, comme si Draco lui avait parlé dans une autre langue.
-Quoi, qu'est ce que… ?
-Tu m'as bien entendu, ne m'oblige pas à répéter.
Soudainement, se répétant comme l'écho d'une pierre que l'on lance au fond d'un puit, Harry comprit, et désira désespérément s'enfermer dans le silence réconfortant du brouillard.
-Comment ça ? Mais pourquoi ? Explique moi ! Je veux comprendre ! Sa voix perdait peu à peu de son volume, et ses derniers mots ne furent qu'un léger murmure.
-Oh, il n'y a rien à comprendre. Je n'ai rien à t'expliquer. Je te quitte, c'est tout. Rien de plus, rien de moins.
-Mais bien sûr que si ! cria Harry. L'incompréhension cédait à présent la place à une fureur intense, qui enflait en lui. Elle rongeait chaque parcelle de son corps, évoluant doucement mais sûrement.
-Les papiers du divorce sont chez toi, je te laisse l'appartement, j'ai déjà récupéré toutes mes affaires.
-Mais tu ne peux pas lancer ça comme une bombe et partir !
Et pourtant… Draco se leva, puis se dirigea de plus en plus vite vers la sortie. Il entendit Harry l'appeler d'une voix cassée et voulu se retourner, le regarder une dernière fois mais il savait pertinemment qu'il ne devait pas. Si il se retournait, si il croisait son regard alors tout cela n'aurait servi à rien. Il courrait vers lui, le suppliant de le pardonner, d'oublier ce qu'il venait de dire. Mais il résista, une amère tristesse le submergeant. Le cœur gonflé d'un cruel désespoir, des larmes silencieuses brouillant sa vue, il franchit la porte. C'est à se moment que quelqu'un tira sur sa manche. Il n'avait pas besoin de le voir, le sentir suffisait. Si seulement il savait tout le mal qu'il lui faisait. Il aurait voulu le repousser mais ne pu résister lorsque l'odeur enivrante du brun l'enveloppa en même temps que ses bras musculeux.
-Lâche moi… Sa voix, qu'il avait voulu froide, chevrotait, à mesure que sa gorge se contractait sous l'effet des flots de senteur suave s'échappant de la tignasse corbeau.
-Retourne toi, s'il te plait ! Regarde moi !
-Je ne peux pas, ne rends pas cela plus compliqué…
-Ne m'abandonne pas ! Jamais !
-Je suis désolé, il le faut, ne m'en veux pas, je t'en prie (Oh oui, ne m'en veux pas mon amour car mon corps se meurt et mon coeur ne t'aime que plus. Je ne sais que faire. Je suis comme un petit garçon perdu. J'essaye juste de t'éloigner de moi avant qu'il ne soit trop tard. Car chaque battement de mon cœur est un interminable frisson avant la fin. Le passé n'existe plus. Le futur n'existera pas. Le temps n'est qu'illusion. L'éternité commence maintenant.)
Il sentit la main se détacher et avant que son amour perdu à jamais ne tente de le retenir une fois de plus, il transplana, les oreilles remplies des cris de douleur de Harry qui s'écroulait sur le sol. Il s'en voulait déjà de s'être excusé, d'avoir ainsi montré sa faiblesse. Il aurait voulu être fort, courageux et déterminé. Mais il n'avait pas réussi. Il s'en voulait tellement de lui avoir offert une once d'espoir. Il ne fallait pas qu'il espère. Qu'il se mette à le chercher. Il fallait qu'il l'oublie. Il aurait du être cruel, afin d'anéantir la moindre parcelle d'amour dans le cœur du jeune brun. Et au lieu de cela il lui avait offert un cadeau empoisonné. Se molestant intérieurement, il ouvrit les portes de l'ancien manoir familial et après avoir sèchement congédié un elfe de maison il se rendit dans la salle de bain où il resta des heures dans un bain qui devenait de plus en plus froid. Il s'en voulait, oh oui, il s'en voulait.
Appartement du 14 Brilliant Drive, 21h43:
Ramené par Ron et Hermione, qui étaient arrivés peu de temps après le départ de son éternel amant qui ne lui appartenait déjà plus, Harry gisait sur le canapé de son salon, les yeux grands ouverts, pleurant tout son saoul. Ses deux amis l'entouraient, visiblement inquiets. Ils ne comprenaient pas exactement la situation, mais après avoir fait le tour de l'appartement, amplement vidé, ils s'échangèrent un regard qui en disait long.
-Je l'ai laissé partir. Pendant une seconde… J'ai décroché mes mains de son bras, et il m'a glissé entre les doigts. Non ! Ce n'est pas vrai ! Faites que ce ne soit pas vrai. Une vilaine farce voilà tout, n'est-ce pas ?
-Euh…, interloqué Ron ne répondit pas
-Harry, de quoi tu parles exactement ? Dis le nous ! Effrayé par la réaction de son ami, la jeune femme conservait cependant une voix forte et claire, qui se voulait rassurante.
-Il est parti ! Parti, juste parti… Il m'a quitté… Pourquoi ? Merlin, pourquoi ?
-QUOI ? Qu'est ce qu'a fait ce petit salopard ? Hurla Hermione, à la grande surprise du rouquin qui ne l'avait jamais, ô grand jamais, jurer.
Ne réussissant cependant pas à obtenir plus d'information de la part de Harry, elle lui jeta un sortilège d'endormissement et passa le reste de la nuit à arpenter les rues sorcières à la recherche du blond, après avoir soigneusement crié à Ron qu'elle allait retrouver cet affreux, cet abject goujat et que oui elle était bien assez grande pour être seule dehors la nuit et que non merci elle n'avait pas besoin d'une nounou à la différence du brun.
Après une longue nuit sans rêves, Harry se réveilla en pleine forme. Du moins, jusqu'à ce qu'il se rappelle la nuit précédente et se remette à pleurer, refusant le thé et les gâteaux que son ami lui proposait. Ron était rongé par l'inquiétude. Il n'avait jamais vu Harry dans cet état. Lui le Sauveur, le Héros, qui avait toujours été si courageux et qui n'avait jamais montré un tel signe de désespoir, pleurait, hurlait et détruisait ce qui lui passait sous les mains, à savoir le canapé, ses propres vêtements, ses lunettes et l'unique cookie qu'il avait accepté de prendre, avant de le réduire en charpie. La situation empira lorsqu'il réussit à conduire son ami sous la douche d'où il le sorti précipitamment au bout d'un quart d'heure se rendant compte que le brun s'était évanoui. Gêné par la nudité, il l'habilla rapidement avant de le glisser dans le lit. Bien sûr, il l'avait déjà vu entièrement nu, sous les douches du vestiaire du terrain de Quidditch. Mais à présent, le corps autrefois frêle et maigre était avantageusement et sensuellement musclé. Il quitta donc la chambre et évita de justesse de rentrer dans la personne, qui voulait rentrer dans la pièce.
-Je ne l'ai pas trouvé ! Cette fouine hideuse et dégueulasse n'est nulle part !
-Oh, Hermi, c'est toi ! Merlin, Dumbledore et tous les autres soient loués ! J'étais fou d'inquiétude !
-Tu es ridicule Ron, je ne suis pas une pauvre fille en détresse qu'il faut sauver, dit-elle, partagée entre l'amusement et la colère.
-Oui, probable, vu que pour l'instant c'est plutôt Harry qui est en détresse, répondit-il, d'un ton tout sauf humoristique.
-Comment va-t-il ? Tu as réussi à le coucher ? Bien. Ah non pas forcément bien, se reprit-elle en croisant le regard de son interlocuteur.
Après lui avoir parlé de la nuit qu'ils avaient passé, illustrant ses propos en montrant le champ de bataille que constituait le salon, il parti à son tour à la recherche de Draco, mais revint à la tombée de la nuit, transportant quelques affaires dans un sac. Hermione avait eu apparemment la même idée, et avait elle même ramené des vêtements et des livres. Bien sûr, nous sommes en pleine crise familiale et elle ne peut s'empêcher de lire, pensa-t-il. Car oui, eux trois se considéraient désormais comme une famille à part entière. Trois frères et sœurs à vrai dire. Alors quand l'un d'eux allait mal, ils se retrouvaient et affrontaient le problème ensemble. Cependant ils n'avaient jamais eu à affronter une telle situation. Surtout que Harry était toujours évanoui, ou endormi. Ils n'arrivaient pas à déterminer son état. Au bout d'un moment, Ron cessa de se moquer intérieurement de son amie, qui était plongé dans un livre de potions au programme de son année d'études médicomagique. Il s'ennuyait comme un rat mort et ne pouvait même plus se ronger les ongles, tellement ils étaient à sang après les dernières vingt quatre heures.
Manoir des Malfoy, 8h:
Draco n'avait finalement quitté la baignoire que cinq heures plus tard, le sol recouvert de mégots et de cadavres de mini bouteilles de Whisky-Pur-Feu, transi par le froid et la fatigue. Il ne parvint pas à s'endormir cette nuit-là et ne cessa de broyer du noir qu'à l'aube, après s'être convaincu que Harry n'avait probablement pas entendu ses dernières paroles, bien trop assourdi par les cris qu'il poussait. Ce souvenir qui semblait si lointain à présent entailla un peu plus son corps couvert de plaies incapables de cicatriser. Il se leva finalement et grappilla quelques morceaux du plat que lui avait apporté l'elfe. Oui, Harry ne l'avait pas entendu. Mais lui avait clairement entendu sa détresse et son désespoir. S'il s'était retourné à ce moment-là, lorsque son bel amant s'accrochait à lui, comme un noyé à une bouée de sauvetage, il aurait pu clairement voir dans ses yeux son âme se déchirer en lambeaux. Ce n'était donc pas une si mauvaise idée de refuser de croiser son regard. Car si déterminé soit-il, il aimait encore le lion de Gryffondor. Et la simple vue de cette tristesse à l'état pur aurait amplement suffit à le prendre dans ses bras et à le consoler, lui révélant toute la vérité. Cette situation n'ayant pas eu lieu, il avait pu conserver son secret, bien enfoui au fond de son être, dans une zone sombre et dénuée de toute trace de joie.
Certains jours, plus rien ne veut rien dire, et ces jours-là on songe à se tuer, pensa-t-il. Ces quelques jours habituels dans la vie d'un être humain, s'étaient transformés en semaines, puis en mois pour Draco. Mais, il n'avait après tout qu'à attendre. La fin arriverait bien assez vite. |