Puisque Dine me l'a demandé... (:
III. CHAMBRE DES JUMEAUX
Une sonnerie retentit dans la pièce, ricocha sur les murs et vint s'échouer sur les tympans de Bill, qui se réveilla en sursaut. Il s'apprêta à crier "Entrez" mais se souvint à temps qu'il n'y avait pas de sonnette à la porte de sa chambre. Il saisit son portable. Le prénom de son frère dansait sur l'écran. Il lui sourit et porta l'appareil à son oreille. La voix de Tom, un peu rauque, arriva jusqu'à lui. La nausée qu'il avait ressentit en ouvrant les yeux s'évanouit aussitôt.
- Il y a une soirée pour toi, au Break, petit frère.
Bill se tut quelques instants. Il respirait doucement, c'était devenu une habitude. - Tu te sens la force d'y aller ? - Oui, je viens. - Tu es sûr ? - Évidemment, affirma-t-il. - D'accord, je passe te prendre à vingt et une heures.
Le chanteur raccrocha. Il jeta un coup d’œil par une fenêtre et constata que le soleil avait déjà disparu. Et ce fut comme si, par miracle, il reprenait vie. Sa pâleur s'atténua et sa respiration ne ressembla plus à celle d'un vieillard. Le jour le brûlait, il n'aimait plus que la nuit. Il quitta son lit et se dirigea vers la salle de bain. Lorsqu'il entra dans la douche et que l'eau coula sur ses cheveux ébouriffés, il frissonna et manqua s'étouffer de bien être. Un nuage de vapeur se forma autour de lui, le plongeant dans un monde brumeux où il n'avait pas peur de se faire mal, et il se détendit peu à peu. Il dessina un cœur dans la buée qui s'était déposée sur les portes de la douche, se moqua de lui-même en inscrivant "TOM" au milieu, haussa les épaules, et décida qu'après tout, c'était la vérité. Il ajouta un "BILL" dans l'espace qui restait et éteignit l'eau avant de sortir pour saisir une grande serviette. Il se perdit dedans quelques minutes, ne trouvant plus la sortie. C'était vraiment une très grande serviette. Lorsqu'il parvint enfin à échapper à son étreinte, il s'habilla, enfilant caleçon, jean et tee-shirt avec une rapidité fulgurante. Il étala ensuite devant lui le contenu de sa boîte à bijoux, prenant un air profondément concentré : les bijoux étaient, pour Bill, un sujet très sérieux. Cela réglé, il s'attaqua à son maquillage, ouvrit grand la bouche pour appliquer le crayon sans difficulté - c'était une méthode infaillible - et couvrit ses paupières de fard noir - il n'y avait que ça de vrai. Vint ensuite sa coiffure, qu'il mit quelques autres dizaines de minutes à parfaire. Bill ne savait pas être simple. Et même lorsqu'il voulait en donner l'illusion, il passait un temps fou à se préparer parce que bien sûr, être simple ne s'improvise pas. A l'instant où il glissa ses pieds dans ses baskets, Tom entra dans la pièce en souriant - encore.
- Déjà prêt ? - Record battu. - Merveilleux.
Il caressa sa joue avec tendresse et le prit par la main. Parfois, Bill passait des semaines entières enfermé dans leur maison, et en oubliait presque le monde extérieur. Il se souvenait du bruit des voitures grâce à Gustav, qui l'appelait toujours dans la rue, et des rires des enfants, parce que Georg aimait l'appeler installé dans un parc. Tom, quant à lui, ramenait souvent de ses voyages des souvenirs du dehors. Ce n'était jamais la même chose et chaque fois, Bill était fasciné. Le dernier cadeau qu'il lui fit le rendit fou : c'était un jeu de billes, un casse-tête infernal qui l'absorba tellement qu'il en oublia de manger. Tom dû lui confisquer. Bill était un enfant. Ils quittèrent la demeure ensemble et entrèrent dans la limousine qui les attendait devant le portail. Ils s'installèrent l'un contre l'autre sur la banquette spacieuse.
- Comment te sens-tu ? - Reposé. J'ai dormi toute la journée. - Tu dors de plus en plus souvent. - Le docteur a dit que c'était bon pour moi. - Oui mais si tu dors autant c'est parce que tu es plus fatigué. - C'est vrai mon Tom, rit Bill. Ca paraît logique. - Ne te moque pas. - Jamais.
Ils partagèrent un sourire - ils partageaient tout - puis s'enfoncèrent un peu plus dans les sièges du véhicule. Bill regardait pensivement les lumières de la ville. Quelques mèches dansaient devant ses yeux et chatouillaient son front. Son frère, la main perdue dans son cou, ne parvenait pas à détourner son attention de son visage. Il se disait que la vie était injuste, et, pour échapper au malaise qui montait en lui, il ferma les yeux et serra plus fort la nuque de son jumeau.
- Tom... - Oui ? - N'aies pas peur...
Mais Tom avait la peur en ventre, ancrée à son cœur, depuis trop longtemps. Il avait tenté plusieurs fois de s'en protéger. Mais c'était impossible. Tom voyait son frère mourir, et son impuissance l'étranglait. Il sentait deux mains se serrer autour de son cou, appuyer sur sa pomme d'Adam, il perdait pied, l'air lui manquait, et pourtant il tenait, il devait tenir, puisque Bill s'en allait et qu'il ne pouvait pas disparaître avant la fin. Pour leur sauvegarde. Celle de Bill et la sienne, aussi.
- Quand tu as peur, j'ai froid.
Il inspira profondément et se pencha vers son frère. le couvrant de baisers.
- Mon Bill, pardon, tiens, voilà, je te réchauffe. - Tu me chatouilles.
Il s'excusa, l'air coupable, et Bill éclata de rire.
- J'aime quand tu ris. - C'est grâce à toi. Je n'ai plus froid.
La limousine filait dans la nuit, ses vitres teintées dissimulant leurs baisers. Les gens avaient beau essayer d'imaginer ce que ces jumeaux ressentaient, aucun n'aurait pu se douter de la force de leur amour. Ils en seraient devenu aveugles.
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