IX. CHAMBRE DES JUMEAUX.
Il savait que c’était peine perdue. Il savait que Tom l’aimait trop pour s’en aller. Mais il était fatigué, maintenant. Il ne voulait plus s’accrocher, c’était trop douloureux. Lorsque son frère l’embrassait, il sentait la douceur de ses lèvres s’écorcher aux siennes, trop gercées, et ça le brisait. Lorsque son frère lui faisait l’amour et qu’il respirait trop fort, sa gorge s’enflammait et la douleur était insupportable. Il ne connaissait plus de matin savoureux, la morsure du soleil le détruisait. L’alcool ressemblait à de l’acide. Il n’arrivait même plus à fumer convenablement. Tout ce qu’il avait un jour aimé s’évanouissait. Il ne restait que Tom, Tom et ses espoirs brûlants, Tom et ses sourires aveuglants, Tom et son amour qui l’achevait. Et il en voulait à Tom d’être si beau, parce qu’il détestait encore plus l’idée de l’abandonner. Il se sentait prisonnier d’une agonie sans fin.
Il était seul depuis quelques heures déjà, mais il n’avait pas bougé de son lit. Il avait beau avoir pris une douche, il n’avait pas eu la force de sortir de sa chambre. Ce matelas était terriblement confortable. Il se disait qu’il voulait mourir ici, dans ce lit. Ce serait une mort… confortable. Voilà. Confortable. Le cendrier posé sur la table de chevet contemplait en silence la cigarette se consumer seule. Bill était recroquevillé sous les couvertures, ses cheveux noirs éparpillés sur l’oreiller. Il ne dormait pas. Il attendait le retour de son frère. Ça le rendait furieux, mais il n’y pouvait rien. Il lui manquait. Chaque fois que Tom passait cette porte pour le laisser seul ici, il ne pouvait pas s’empêcher de murmurer son nom, parfois sans s’arrêter, jusqu’à son retour.
Le bruit de la poignée le réveilla - il s’était finalement endormi, sans même s’en rendre compte - et il se souleva sur ses coudes tant bien que mal pour voir qui entrait. Il s’attendait au rayonnement habituel qui accompagnait toujours Tom lorsqu’il rentrait, et il s’y prépara, fermant à demi ses yeux gonflés par le sommeil. Mais il n’y eu pas de rayon. Aucune lumière. Et pourtant, c’était bien Tom. Mais ce n’était plus le même. Ce n’était plus ce garçon aux cheveux de blé et aux tee-shirts trop longs. Tom avait fini par s’user, lui aussi. Il avait donné toute sa force. Il revenait d’un enregistrement. Leur dernier. Et quand il avait réalisé que Bill ne viendrait jamais enregistrer le chant sur cet album, toute son énergie l’avait quitté d’un coup. Bill avait raison : Tom aussi était en train de mourir.
« Tom, retournes-y, t’as oublié ton espoir là-bas. - Je sais, mais je ne sais pas où je l‘ai mis. Peut-être que quelqu’un me le rapportera. - Oh mon Dieu, Tom. - Oui ? - J’ai peur. »
C’était la première fois que Bill avouait qu’il avait peur. Tom sentit le sol s’affaisser sous son corps, et il courut vers le lit, se jetant dans les draps aux côtés de son frère, juste à temps. Leur monde s’écroulait, et cette fois-ci, il n’y avait plus rien pour les sauver.
« Bill, Bill regarde-moi. »
Mais Bill n’arrivait plus à ouvrir les yeux. La peur était trop forte. La peur était partout. Elle avait toujours été là, mais cette fois il n’arrivait plus à la contenir. La peur le rongeait. La peur le tuait.
« Bill ! »
Mais Bill n’entendait plus. Il se cramponnait au torse de Tom, il ne savait plus exactement comment, mais il ne lâchait pas, et Tom le serrait si fort qu’il sentait ses os ployer sous sa force. Il se dit que bientôt, il ne pourrait plus faire aucun geste. Il se dit que dans quelques heures, tout au plus, son cœur allait lâcher. C’est pourquoi il ouvrit la bouche, une dernière fois, tant qu’il s’en sentait encore capable.
« Tom. »
Tom se tut. Il voulait l’entendre. Il savait que ce serait la dernière fois.
« Tom ça fait très mal. Mais je sais que tu me tiens. C’est bientôt fini, t’inquiète pas. C’est pas si horrible la mort, tu verras. Je t’aime. Il faut que je te le dise. Je t’aime. Je t’aime Tom. Tu m’entends ? J’espère que tu m’entends. Je ne m’entends même pas parler moi-même. »
Tom l’entendait, il était penché au dessus de lui, à quelques millimètres de sa bouche, il l’écoutait et il pleurait, il y avait ces larmes qui coulaient sans s’arrêter, et ce silence, il prenait soin de ne pas sangloter, il fallait qu’il l’entende jusqu’au bout, il voulait graver sa voix en lui pour qu’elle ne le quitte jamais. C’était la dernière fois qu’il l’entendait.
« Je t’aime, Tom. »
Il a attendu quelques secondes, et même quelques minutes. Tout était immobile et les minutes, l’air de rien, se sont transformées en heures. Il le serrait encore. Il le serrait toujours. Depuis combien de temps étaient-ils là, comme ça ? Le silence devint total.
Et finalement, le cœur de Bill s’arrêta.
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