VII. CHAMBRE DES JUMEAUX.
- Tom ? - Oui ? - Tom. - Bill ? - Tom, je vais mourir. - ... - Tom je vais mourir, je suis malade, je suis très malade, et rien ne me sauvera. - ... - Je vais mourir sans toi Tom. On meurt seul, tu sais. Je suis né avec toi, mais je mourrai sans toi, je serai seul et toi tu vivras. - ... - Tom, je ne l'ai pas décidé, j'aurais tellement voulu rester, mais je vais partir, c'est comme ça, qu'est ce qu'on est supposé faire quand on nous annonce qu'on va mourir, à part pleurer, pleurer et crier, peut-être même hurler, peut-être même tout détruire, qu'est ce qu'on est supposé faire en réalisant que ça y est, c'est bientôt, la date est arrêtée, Bill, tu vas bientôt mourir, je veux dire, même sans savoir ni le jour ni l'heure exacte il y a une idée, au moins une idée, ce n'est pas simplement Bill tu vas mourir, tout le monde meurt, c'est Bill tu vas mourir bientôt, dans cinq ans, quatre ans, six mois, tu vas mourir sans avoir eu d'enfant, sans avoir élevé tes enfants, sans avoir vu vieillir tes amis, sans avoir vu mourir tes parents, tu vas t'en aller et tu vas tout laisser derrière toi, tu vas laisser une vie que tu n'auras pas eu le temps de vivre, que tu n'auras aimée qu'un nombre ridicule d'années, et tu vas laisser tout ces gens qui t'aiment, que tu aimes, tout ça va s'arrêter, d'un coup, d'un seul, et personne ne pourra te retenir. Tu vas mourir, Bill. Bill, tu vas mourir. Voilà. Voilà ce qu'on m'a dit. Tom, je vais mourir.
Tom regardait le plafond, les mains glissées sous sa tête. Ces paroles, Bill les lui avait dites trois ans auparavant, presque jour pour jour. Il ne les avait jamais oubliées. Il ne les oublierait jamais. Le bruit de l'eau couvrait ses soupirs, et il se leva, décidé à se préparer lui aussi. Il entra dans la salle de bain dont la température était difficilement supportable, quitta ses vêtements et entra dans la cabine de douche. Il colla son front contre le dos de son frère et ferma les yeux. Le bruit de l'eau sur ses oreilles ressemblait à des parasites radiophoniques. Ses cheveux s'étalaient peu à peu sur les épaules de Bill, qui ne bougeait pas. Le monde s'était arrêté. Ils osaient à peine respirer.
- Tom, j’ai quelque chose à te demander.
On n’entendait rien, avec ce fracas impossible, cette eau qui coulait sans cesse, qui ne s’arrêtait pas, c’était un bruit de cascade, un torrent qui se déversait sur leurs têtes, peut-être voulaient-ils se débarrasser de quelque chose dont ils avaient honte, d’une souillure qui brûlait leur peau. Peut-être voulaient-ils juste se noyer, ensemble. Mais il y avait toujours assez d’air pour survivre.
- Tom, tu m’écoutes ?
Et malgré ce bruit infernal, cette fureur qui tentait de les emporter, en vain, Tom écoutait.
- Donnes-moi ta main.
Cette main comme une caresse, tendue vers lui.
- Il faut que tu vives, Tom. - … - Tu m’entends ? Il faut que tu vives. - … - Tu savais que je te le demanderais. Mais jusqu’ici je ne l’ai jamais fait. Parce que je savais qu’il nous restait du temps, au fond de moi je le savais. Peut-être pas autant de temps, mais je sentais que je tiendrais encore. Cette fois c’est un peu plus compliqué. Mes poumons sont fatigués. Mon sang paresse, il ralentit. Ma tête est lourde en permanence. - … - Arrête Tom. Arrête avec ton silence. - … - Je voudrais ne plus t’aimer. Je voudrais mourir seul, t’interdire de revenir, je voudrais ne plus t’aimer comme ça, tu sais. Ça fait trop mal, mon cœur explose, je voudrais que ça s’arrête, mais je tiens. Je résiste. Si tu n’étais pas là je serais déjà parti. - … - Bon Dieu, Tom, qu‘est ce que tu fais encore là ? Regarde-nous, on est devenus des parias, notre monde vacille pendant que les autres continuent de respirer. Notre monde vacille mais ce n’est rien d’autre qu’un microcosme dans ce putain de macrocosme qui nous écrase, tu comprends ça, rien ne nous donne le droit de bouleverser l’ordre des choses. Notre monde s’écroule, Tom, mais ce n’est rien d’autre qu’une poussière dans le désert. - … - Tom. Retourne dans leur monde. Je ne veux plus te voir mourir avec moi.
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