Voilà donc le 4e texte de ce recueil : le thème était "Mon plus grand regret", et c'est un POV Bill. Comme d'habitude, read, enjoy, review, et on remercie Cloe Lockless pour la relecture.
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Depuis six mois, les nuits de Bill Weasley sont peuplées de cauchemars dans lesquels une silhouette aux longs cheveux blond-roux se tient debout sur une dalle ornée de hiéroglyphes : la lueur rougeâtre d’un maléfice brille dans la pénombre de la pyramide et le sol se dérobe sous les pieds de Victoire qui disparaît en hurlant, avalée par l’obscurité. Une fois qu’il s’est réveillé – en sueur – et qu’il a remis sous l’oreiller la baguette qu’il avait agrippée, il descend l’escalier le plus silencieusement possible. Après, il se fait un thé, parce qu’il n’aimerait pas qu’un noctambule le trouve en tête-à-tête avec quelque chose de plus fort – on a sa fierté, quand même – et il le boit en espérant que sa fille est encore en un seul morceau.
Il ne se souvient même plus des derniers mots qu’elle a prononcés avant de quitter la Chaumière aux Coquillages. Quand il essaie d’évoquer cette horrible soirée, c’est le beau visage de Fleur, affreusement déformé par cette fureur sacrée héritée de sa grand-mère Vélane, qui vient flotter devant ses yeux : tout le reste devient flou, et les imprécations de sa femme, stridentes comme les cris d’un rapace et mêlées de mots français qu’il ne comprend pas, occultent tout. Lorsqu’ils ont enfin réussi à communiquer autrement qu’en hurlant, Fleur a pâli, ses beaux yeux bleus ont fait le tour de la pièce, elle a dit « mais où est Victoâre ? » et alors seulement Bill s’est rendu compte que sa fille aînée, son trésor, sa Vicky n’était plus là ; il a eu l’impression qu’une pierre lourde et glacée tombait dans son estomac et il est sorti de la cuisine en trombe avant de monter l’escalier quatre à quatre. Il a ouvert la première porte, celle de la chambre de Dominique : il n’a pu qu’entrevoir un nez rougi dépassant d’une épaisse masse de cheveux dorés, puis elle a rabattu la couette sur elle, s’est tournée vers le mur, et il est passé dans la chambre voisine. Louis, assis à son bureau, a toisé son père, de bas en haut, silencieusement ; son regard n’exprimait qu’un mépris indicible et Bill s’est vu dans le miroir des yeux de son fils de douze ans, vieux et efflanqué et d’une maladresse crasse.
Il relit une énième fois le billet laconique – le premier et le seul – qu’il a reçu il y a deux semaines – Tout va bien, je rentrerai le 23 décembre, embrasse tout le monde, Victoire. Il regarde Dominique et Louis, assis face à face à la table de la cuisine : un jeu d’échecs est posé entre eux, leurs profils si semblables sont tendus par la même concentration, et il revoit en eux le si sérieux Percy et la petite Ginny, devant la cheminée du Terrier, quelque vingt ans plus tôt. Derrière eux, Fleur, vêtue d’un grand tablier, s’active devant l’évier : ses cheveux blonds ramenés en un chignon lâche découvrent sa nuque gracile, et Bill aurait presque envie d’aller déposer un baiser sur cette peau pâle si le monstre de son angoisse voulait bien arrêter de se tourner et de se retourner au fond de son estomac. Dans ces moments-là, il repense à ce qu’ils ont été : la sculpturale Française qui voulait prouver que sa jolie tête était aussi bien faite, le beau gosse à l’air de mauvais garçon qui l’a séduite ; et puis leurs vies de jeunes adultes, d’abord séparément et après ensemble, qui ont consisté, en gros, en une série de « merde » dits à leurs parents respectifs, à leurs professeurs et, d’une manière générale, à toutes les autorités plus ou moins compétentes qui pensaient savoir mieux qu’eux ce qu’ils étaient et ce qu’ils avaient à faire. Il se demande quand, exactement, ils sont devenus si coincés, si raisonnables, si embarrassés de leurs propres principes et de ce qu’il faut faire ou non ; et ça lui fait peur.
Oh, évidemment, quand ce n’est pas leur gamin à eux, c’est beaucoup plus facile. Quand le môme Lupin est venu toquer à leur porte juste après ses ASPICs parce qu’Andromeda mangeait son chapeau à la perspective qu’il ne soit pas fait pour les études longues, ils ont assuré comme des chefs : Fleur a filé préparer la chambre d’amis avec un sourire compréhensif de fille qui garde au fond du cœur ce qu’il faut de jeunesse, et lui il s’est assis en face de Teddy avec deux verres et une bouteille de Pur Feu. Après une heure de ce régime, le gamin était suffisamment bourré pour arrêter de fulminer contre sa grand-mère, et Bill a pu avoir avec lui une vraie discussion d’homme à homme, donner les arguments des deux parties, enfin lui expliquer comment fonctionnait le monde sans avoir l’air d’un vieux con ; et l’espace d’un instant – mais c’était peut-être le whisky – il a eu l’impression que Remus était penché par-dessus son épaule, et qu’il le remerciait. Plus tard, dans la nuit, alors que Fleur dormait, il a entendu la porte de la chambre de Victoire s’ouvrir discrètement, et comme il avait toujours eu du mal à être le méchant flic, il a souri en se disant que l’histoire de la jolie fille qui voulait être autre chose qu’une jolie fille et du beau gosse à l’air de mauvais garçon se répétait.
Un an plus tard, il a compris qu’il s’était complètement planté, et qu’en fait c’était elle le mauvais garçon, avec la dent de serpent – sa dent de serpent à lui, bordel ! – qui pendait à son oreille et sa veste en cuir de dragon et son blue-jean troué et ses cheveux en bataille et ses yeux d’un bleu très clair où brillait la flamme froide de sa détermination ; et il s’est senti à la fois très désorienté et très désarmé et très inquiet, parce qu’elle était définitivement sa fille, la fille de son père, et qu’il ne savait que trop bien ce que ça voulait dire, et qu’il ne savait pas ce qu’il avait bien pu faire pour ça.
Elle apparaît dans la cheminée du salon, elle sort de l’âtre et reste debout, les bras croisés sur la poitrine. Il voudrait bondir de sa chaise, la soulever et la faire tourner comme quand elle était petite et lui jeune et que tout était simple, mais Dominique et Louis le devancent ; alors il reste assis, il regarde ses trois enfants, et il croit se voir à vingt ans, recevant l’accolade de Percy avec un vague malaise alors que Ron attend son tour.
- Tu as maigri, dit Fleur.
Il se rend compte que oui, elle a maigri ; son estomac se tord, il pense à ses parents, et il a envie d’aller s’excuser auprès d’eux, parce que maintenant il comprend ce que ça fait.
Il ne s’est jamais senti aussi vieux con. |