On arrive donc au cinquième et dernier OS de cette série sur Victoire. Honneur aux plus jeunes, il présente le point de vue d'un Louis Weasley de onze ans. Le thème, c'est "Ma plus grande fierté".
Read, enjoy, review !
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- Trop tôt, grommelle son père en se retournant dans un grand froissement de draps.
Quant à sa mère, elle s’enroule simplement dans la couette, ne laissant plus dépasser que quelques mèches de cheveux blonds ; alors, comme d’habitude, Louis sort de la chambre de ses parents et se prépare à retourner dans la sienne pour regarder le plafond pendant deux bonnes heures. Dans le couloir, il se cogne presque à Victoire qui sort de la chambre d’amis, vêtue d’un vieux caleçon de leur père et de l’affreux tee-shirt animé Dragons du Monde qu’elle a piqué à l’oncle Charlie lors de sa dernière visite. Par la porte entrouverte, il voit le lit double dont les draps blancs sont froissés comme si un cyclone était passé dessus ; enroulé dedans, il y a Teddy qui dort comme une souche en étreignant son oreiller, ses courts cheveux blond-roux plus ébouriffés que jamais. Sur le tee-shirt de Victoire, un Opaloeil des Antipodes fait un clin d’œil multicolore et entendu à Louis qui lève ses propres yeux, aussi bleus qu’interrogateurs, sur sa sœur aînée : celle-ci pose un doigt sur sa bouche et, de l’autre main, le pousse dans le dos jusqu’à l’escalier d’une façon si impérieuse qu’il comprend bien que toute résistance est inutile. Ils passent devant la porte de Dominique, avec ses stickers miroirs entourés de grosses fleurs roses, et descendent lentement, pour ne pas faire craquer les marches.
Dans la cuisine, Victoire pose sur la table le paquet de tabac et les feuilles qu’elle sort de l’élastique de son caleçon, ouvre la porte du réfrigérateur, y prend le lait qu’elle verse dans une casserole et allume la cuisinière d’un coup de baguette magique, avant de couper des tranches dans le pain de la veille. Pendant ce temps, Louis se juche sur un tabouret pour attraper le cacao et la marmelade, en haut du placard. C’est un rituel si bien réglé qu’ils pourraient l’exécuter les yeux fermés. Tout en sortant les tasses du bas du buffet, puis les cuillers d’un des tiroirs, le jeune garçon cherche un angle d’attaque.
- Pourquoi on n’a pas vu Teddy hier soir ? finit-il par demander.
- Parce qu’il est arrivé trop tard. T’étais déjà couché et Dom aussi.
Il attend la suite, mais elle ne vient pas, alors il se retourne, il regarde sa sœur qui s’est assise devant la table de la cuisine et roule une cigarette d’un air très concentré. Le sifflement ténu de la vieille gazinière devient tout à coup outrageusement audible.
- Me regarde pas comme ça, microbe, tu sais bien que j’aime pas… Ted s’est pris la tête avec tante Meda hier soir, elle était tellement en pétard qu’il a fini par se barrer.
Louis écarquille les yeux, ce qui constitue chez lui une exceptionnelle manifestation d’étonnement. S’il ne lui est pas difficile de visualiser ce que sont les colères d’Andromeda Tonks – fréquentes, homériques et sans grandes conséquences, comme celles de mamie Molly – il a en revanche beaucoup plus de mal à imaginer un Teddy Lupin qui « se prendrait la tête » avec quelqu’un, et, pire, prendrait ses cliques et ses claques pour quitter la maison de sa grand-mère alors qu’il s’est toujours écrasé devant elle quand elle l’engueulait.
Victoire se met à pouffer en voyant la tête de son frère. Le lait déborde juste à ce moment-là et elle bondit de sa chaise pour aller éteindre la cuisinière en poussant des jurons qui feraient tomber leur mère en syncope.
« C’est Merlin qui te punit. » énonce gravement Louis avant d’attraper d’un geste gracieux le torchon projeté un peu moins gracieusement vers sa tête. Victoire ajoute trois grandes cuillères de cacao au lait on ne peut plus bouillant et touille si vigoureusement que quelques gouttes de chocolat jaillissent et tombent sur son tee-shirt, droit sur le museau d’un Boutefeu chinois. Quand elle se retourne, la casserole à la main, le dragon factice se lèche les babines d’un air gourmand.
- Pourquoi tante Meda s’est fâchée contre Teddy ? s’enquiert le jeune garçon un peu plus tard, alors qu’ils sont assis en tailleur côte à côte, près du bord de la falaise, leur tasse de chocolat à la main.
- Parce qu’il s’est planté à ses ASPICs et qu’il en a rien à foutre.
- C’est pas censé être très important, les ASPICs ?
- Ça, c’est ce que les parents nous disent… Moi, j’en ai parlé avec oncle George. Tu savais que lui et son frère avaient foutu le camp de Poudlard au milieu de leur dernière année ?
Louis intègre lentement l’information. Pour lui, le rat de bibliothèque au nez toujours plongé dans un livre, « le futur Serdaigle » comme l’appellent un peu railleusement ses oncles et tantes, ce sont les gens bêtes qui n’ont pas de bons résultats ou qui sèchent l’école, alors apprendre qu’oncle George, qui n’est assurément pas un idiot, n’a même pas terminé sa scolarité, ce n’est pas une petite révélation. Il regarde sa sœur, ses longs cheveux emmêlés, la cigarette plantée derrière son oreille où pend la vieille dent de serpent de leur père. Il repense à toutes les fois où il l’a entendue se faire gronder, « se prendre la tête », comme elle dit, avec leur mère, ou avec Dominique, ou avec les deux en même temps ; et, soudain, il a peur.
- Tu vas partir avec lui ? demande-t-il.
D’un seul coup, Teddy, le Teddy qui l’a porté dans ses bras quand il était bébé, lui a raconté des histoires et lui a appris à faire des avions en papier, devient lui, le lui qui va peut-être lui voler sa sœur. Victoire a un sourire amusé et secoue la tête.
- Non, microbe, je ne vais sûrement pas partir avec Lupin. En tout cas pas maintenant. J’ai bien envie d’avoir mes ASPICs, moi, j’ai pas l’intention d’aller travailler avec oncle George pour l’instant. Allez, viens là, t’as froid.
C’est vrai qu’il frissonne : le soleil n’est pas encore très haut dans le ciel, l’air de la mer est frais, et puis il ne fait jamais vraiment chaud en Cornouailles. Il s’assied dans le creux des genoux de Victoire, le dos contre sa poitrine et la tête juste sous son menton. Bien qu’elle ne porte toujours que son affreux tee-shirt et son vieux caleçon, la peau de ses jambes contre les siennes est chaude. Au-dessus de lui, il l’entend allumer sa cigarette et tirer dessus. Des ronds de fumée irisée s’envolent dans le ciel matinal.
- Dis, Victoire, plus tard, tu te marieras avec Teddy ?
Cette fois, Victoire a un petit rire, et Louis fronce les sourcils, un peu vexé. L’hypothèse ne lui paraît pas si folle : à onze ans, il sait bien que quand un garçon et une fille se retrouvent dans le même lit ce n’est pas pour faire une cabane avec les draps, et on lui a toujours répété que les gens qui se livraient à ce genre d’activités étaient mariés, alors quoi ? Est-ce que sa sœur, qui l’a toujours appelé « microbe » mais ne l’a jamais traité comme un bébé, deviendrait comme toutes ces grandes personnes énervantes ?
- J’ai pas envie de me marier. J’ai pas envie d’un type accroché à mes basques tout le temps. Quand je partirai, ce sera pour faire mes trucs à moi, des trucs vraiment cool, dans un autre pays peut-être.
Le silence retombe sur eux. Louis ferme les yeux, et il n’y a plus que le bruit des vagues en contrebas, et puis celui de la respiration de sa sœur, là, tout près de son oreille. Il voit se dessiner sous ses paupières closes la silhouette d’une Victoire plus âgée qui brandit sa baguette, à califourchon sur le cou d’un Dent-de-vipère du Pérou dont les écailles cuivrées sont assorties à ses cheveux.
- Eh, tu te battras contre des monstres ? Et tu jetteras des sorts puissants, comme Papa et oncle Charlie ?
- J’aimerais bien, microbe. J’aimerais bien.
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Comme d'habitude, on remercie bien Cloe Lockless pour sa relecture, et on va voir sur son profil, parce qu'elle traduit et qu'elle écrit des fictions qui roxxent !
Moi, j'en profite pour tous vous remercier, parce que c'est la première fois que j'arrive à boucler autre chose qu'un OS, et ça ne se serait pas fait si je ne savais pas que je suis lue et que mes petites élucubrations plaisent à des gens.
A bientôt !(?) |