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"Ashes to Ashes, Dust to Dust"
Par Juno
Artemis Fowl  -  Général  -  fr
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Chapitre 8 - La larmoyante statue de glace

Chapitre 7 – La larmoyante statue de glace                                                                           


DUBLIN, IRLANDE

Artemis fut réveillé par le froid.

Il avait neigé pendant une grande partie de la nuit, et un épais duvet blanc et glacé avait recouvert la capitale de l'Irlande. Des visages d'enfants émerveillés se pressaient aux fenêtres des maisons, tandis que leur père déblayaient tant bien que mal un chemin de la porte d'entrée de leur propriété à leur voiture.

Artemis, grelottant, tout ankylosé d'être resté roulé en boule toute la nuit, observait ces hommes d'un regard rendu vitreux par le froid. Juste en face de la cabine téléphonique dans laquelle il se trouvait, un homme encore ensommeillé, ayant revêtu un épais manteau par-dessus son pyjama, creusait à l'aide d'une pelle un couloir entre la porte d'entrée d'un pub qui devait lui appartenir et une vieille Ford Anglia à la carrosserie décolorée, encouragé par sa femme et ses deux enfants, restés sur le perron.

En regardant voler dans les airs les pelletées de neige soulevées par l'homme sous le regard de ses enfants, Artemis repensa à son propre père. À chaque fois qu'il neigeait pendant la nuit, il venait aider ses domestiques à déblayer un chemin jusqu'au portail du manoir. Des larmes – qui avaient tout de même l'avantage d'être chaudes – commençèrent à couler sur ses joues gelées.

Le bonhomme avait enfin réussi à atteindre sa voiture, et en se tournant d'un air triomphant vers sa femme et ses gamins qui l'acclamaient comme s'il avait creusé le tunnel sous la Manche, il vit une petite chose noire et grelottante dans la cabine téléphonique. Il mit quelques secondes à s'aperçevoir que cette chose était un petit garçon, si immobile et au regard si fixe qu'on aurait pu le prendre pour une statue de glace en train de fondre.

Artemis, le regard brouillé par les larmes, crut reconnaître son père qui se précipitait vers lui. Il voulut l'appeler, mais son « Père, tu m'avais tellement manqué » articulé d'une faible voix fut noyé dans une terrible quinte de toux. Une douleur fulgurante le prit là où Rose lui avait fracassé l'assiette sur la tête, et tout devint encore plus flou.

 

*


-Elaine ? Pourquoi il dormait dans la cabine téléphonique le garçon ?
-Comment veux-tu que je le sache, cervelle de mascarpone !
-Bah, chais pas moi... Regarde, on dirait qu'il a arrêté de respirer. Il est mort ?
-Ne sois pas stupide, Andrew, on ne meurt pas comme ça ! Tiens, il se réveille, je crois.

Artemis avait l'impression qu'un porc-épic avait élu domicile dans sa gorge. Il se redressa brusquement en toussant à en cracher ses entrailles, faisant sursauter Andrew et Elaine qui reculèrent précipitamment.

-Papa ! Il s'est réveillé !

Papa. Artemis, la gorge en feu, ressentit brusquement un immense vide en lui-même. Papa. Jamais Artemis Senior n'avait toléré que son fils l'appelle ainsi. Il considérait cela comme une marque d'irrespect. Artemis se rappela de toutes les gifles qu'il avait reçues quand, étant encore petit, il utilisait inconsciemment le mot banni pour s'adresser à son père. Il se sentit soudain si triste, si effroyablement triste, sans même savoir vraiment pourquoi.

-S'il-te-plaît, petit, arrête de tousser comme ça, tu vas t'étouffer.

Artemis sentit un liquide brûlant et sucré couler dans sa gorge. Il retrouva une respiration calme, et ouvrit péniblement les yeux.
L'homme de tout à l'heure, toujours vêtu d'une robe de chambre, lui faisait boire à petites gorgées du lait au miel.
De près, il ressemblait moins à Artemis Senior. Moins bien rasé, moins jeune, une peau plus mate, des yeux plus clairs. Un air plus gentil.

Derrière lui, Andrew et Elaine, les deux enfants, observaient Artemis avec une intensité gênante. Il leur aurait volontiers adressé un regard noir à en faire frémir la Mort en personne, mais la simple perspective de bouger un quart des muscles de son visage l'épuisa. Tout l'épuisait. Le froid, l'or qu'il ne possédait pas, son père mort, sa mère dépressive, Rose, la musique. La vie.
La vie l'épuisait.

-Petit ? Est-ce que tu peux parler ? Dis un mot, s'il-te-plaît.

La tasse de lait au miel était vide. Artemis déglutit, et grimaça. Sa gorge était terriblement douloureuse, malgré la boisson chaude. Le jeune Fowl ouvrit la bouche et parvint finalement à croasser :

-Un mot, s'il-te-plaît.

La suite des événements lui parut très floue ; non pas qu'il s'était évanoui de nouveau, mais il avait tout simplement cessé de s'intéresser à ce qu'il se passait. Quand il finit par s'aperçevoir qu'il était assis à côté de Butler qui conduisait la Bentley familiale, il supposa qu'il était parvenu à articuler son nom et son numéro de téléphone. Artemis entendit que son garde du corps lui parlait, mais il préféra feindre de regarder le paysage.
La neige avait cédé la place à une pluie drue ; les campagnes encore immaculée la nuit dernière prenaient une teinte grise, sale. Le jeune Fowl essaya de repenser au barman, mais le visage d'Artemis Senior brouillait les traits du père d'Andrew et Elaine.

-Artemis ? … Artemis, je te parle !

Avec un soupir exaspéré, le jeune garçon se détourna de la vitre de la voiture.

-Pourquoi tu m'as menti hier soir ? Où étais-tu ? J'étais mort d'inquiétude, bon sang ! Et ta mère, tu as pensé à ta mère ?

Malgré la léthargie dans laquelle il était plongé, Artemis fut scandalisé par le ton furieux de Butler.

« Pour qui il se prend, ce vulgaire majordome ? Pour mon père ? »

Butler s'énervait toujours, mais son jeune maître ne l'écoutait plus, ne l'entendait plus. Artemis se pencha, alluma l'autoradio et monta le son. Butler se tut aussitôt, le souffle coupé par l'insolence du jeune garçon. L'envie d'arracher l'appareil de son encoche pour frapper le jeune Fowl avec se lisait dans les yeux de l'Eurasien, mais il se contenta d'éteindre la radio, et le voyage s'acheva dans le silence.

*


Artemis sursauta.
Il se redressa en position assise, repoussant ses couvertures. Sa chambre était plongée dans la pénombre ; les rideaux avaient été soigneusement tirés de manière à laisser filtrer un peu de lumière.
L'ordinateur d'Artemis laissait échapper un constant et réconfortant bourdonnement, et l'on entendait le bruit, étouffé par les épais rideaux, de la pluie qui s'abattait sur la fenêtre à double vitrage.
Ce n'étaient pas ces bruits qui avaient réveillé Artemis.

Il se leva d'un bond et, enfilant une robe de chambre par-dessus son pyjama, il sortit de la pièce au pas de course, traversa le couloir à toute vitesse et grimpa quatre-à-quatre l'escalier. Il s'arrêta devant la porte du petit salon, et colla son oreille contre le bois verni. Quelqu'un pleurait. Artemis eut l'impression de recevoir un coup de poing dans le ventre.
Angeline pleurait.

Le jeune Fowl s'éloigna précipitamment de la porte et se cogna contre le rebord d'une petite table au mur opposé, se plaquant les mains sur les oreilles. Il avait toujours détesté entendre sa mère pleurer, mais cette fois était différente, cette fois il savait pourquoi elle pleurait : à cause de la perle. Elle pleurait parce qu'elle avait perdu la perle, et Artemis savait qu'elle ne la retrouverait jamais. Parce qu'il n'avait pas été fichu de la reprendre à Rose, parce qu'il avait cru qu'accepter l'offre de Haine de cette dernière ne ferait de toute façon pas empirer les choses.

Artemis savait qu'Angeline pleurait par sa faute, et c'était insupportable.

Ses mains parcoururent fébrilement la surface de la petite table et se refermèrent sur le manche d'un chandelier doré. Artemis ouvrit violemment la porte du petit salon en brandissant le chandelier comme une arme, la rage déformant son visage et ses pensées s'entrechoquant dans sa tête.

-Tu n'as pas le droit de pleurer ! Tu t'imagines quoi, que ça le ramènera ? Non, ça ne le ramènera jamais, parce qu'il est mort, il est mort, tu entends ? Et toi, tu ne fait que pleurer comme si ça pouvait faire remonter le temps, pendant que moi j'essaye d'aller de l'avant, mais tu t'en moques, je parie, oui, c'est ça, tu t'en moques de ce que je peux bien faire, je peux bien traîner avec une pédophile qui me déteste, tu t'en moques, je pourrais bien mourir, me tirer une balle dans la tête que tu t'en ficherais, tu ne peux pleurer que sur un seul cadavre ! Et...

Artemis se tut brusquement comme si ses cordes vocales s'étaient évaporées. À vrai dire, il avait l'impression que c'était le cas, il avait l'impression que tout son corps se consumait sur place et que les cendres se dispersaient aux quatre vents.
Il venait de se rendre compte qu'il avait parlé à voix haute – qu'il avait hurlé même –, et que sa mère le fixait avec surprise, horreur et chagrin de ses yeux embués, et surtout qu'elle tenait dans sa main droite un gros morceau de verre qu'elle avait commencé à appliquer sur son poignet gauche duquel un léger filet de sang avait commencé de couler.

Un bruit sourd troubla le lourd silence qui s'était installé : Artemis avait lâché le chandelier. Une éternité était peut-être passée alors que l'enfant et la mère se contentaient de se fixer, sans rien dire.
Artemis se dit qu'il devrait peut-être ramasser le chandelier. Mais s'excuser, avant tout. Aller vers sa mère, et se jeter dans ses bras, lui demander pardon et essayer d'oublier ce qu'il venait de voir.

Artemis, sans la moindre parole, sortit de la pièce et referma la porte avec douceur.
Puis il retourna dans sa chambre en courant, s'y enferma et s'effondra sur son lit, versant plus de larmes en une demie-heure qu'il n'en avait versé en presque dix ans d'existence.

 
 
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