Hermione ouvrit les yeux sur un plafond uniformément blanc. La lumière crue l’éblouit quelques instants, mais elle sut aussitôt où elle était. Seuls les hôpitaux avaient un éclairage aussi maladif.
Son cœur s’accéléra, mais elle s’efforça de rester calme. Elle n’avait pas mal. Pas encore.
Sans céder à l’appréhension, elle testa les sensations de son corps, et ne perçut qu’un vague engourdissement. Elle se sentait lourde. Elle n’essaya pas de bouger, et de toute façon, elle sentait de nouveau le sommeil l’attirer vers le fond.
Comment était-elle arrivée là ?
Elle perdit connaissance sans obtenir la réponse.
XXX
Lorsqu’elle revint à elle cette fois, elle se souvenait. Le souvenir était si vif qu’elle avait l’impression de sentir le lego de plastique glisser sous son pied.
Un médecin était penché sur elle. Jeune, de petites lunettes rondes, et déjà des mèches grises dans ses cheveux courts. Hermione voulut lui parler, mais sa voix s’était échappée.
- Restez tranquille, lui dit-il gentiment. Je vais dire à vos proches que vous êtes réveillée.
- Mon fils…, articula-t-elle.
- Il va bien. Il a eu le bras droit cassé, mais il se remettra vite. Vous avez amorti sa chute.
Le médecin sortit, et quelques minutes plus tard, Harry, Ginny et Rose entraient dans la chambre.
- Maman !
Rose se jeta sur le lit et lui planta un bisou mouillé sur la joue. Hermione rit, du mieux que son visage paralysé le lui permettait. Harry et Ginny la regardèrent faire avec un sourire attendri. Hermione lut sur leur visage un mélange de soulagement et d’inquiétude qu’elle avait peur d’interpréter. De quoi avait-elle l’air ? Etait-ce si grave que ça ?
- Comment te sens-tu ? demanda Harry.
- Pâteuse. Et j’ai du mal à me rappeler ce qui s’est passé… Où est Hugo ?
- Dans sa chambre, à l’étage des enfants. Les médecins ont dit qu’ils le transfèreraient dans ta chambre quand tu te serais un peu reposée.
- C’est vrai ce qu’on m’a dit, il va bien ?
- Oui. Tu le verrais, il saute déjà partout. Les infirmières ont du mal à le tenir tranquille. Et il est déjà devenu la coqueluche du service.
Hermione sourit :
- Ça ne m’étonne pas de lui.
Elle hésita un instant, puis posa la question qu’elle savait qu’ils redoutaient :
- Et Ron ?
Harry et Ginny se regardèrent. Ce fut Harry qui répondit :
- Il est avec lui, à l’étage.
Hermione acquiesça.
- Qu’est-ce que j’ai eu ? demanda-t-elle.
- Une jambe et trois côtes cassées, deux autres fêlées, énuméra Ginny. L’une des côtes t’a performé un poumon, mais heureusement, Rose a réveillé Ron, et… les secours sont intervenus à temps.
- On t’a ressoudé les os, précisa Harry. C’est pour ça que tu es restée endormie si longtemps, ça t’a évité de souffrir.
- Je vois…
Hermione se mit à penser à Malefoy. Elle était confuse, indécise face à ce qui venait de se passer. Tout ce qu’elle voulait, c’était le voir. Mais elle ne pouvait pas en parler ici. Elle ne pouvait même pas le prévenir.
A cet instant le médecin revint dans la pièce, et demanda à ses visiteurs de la laisser dormir. Une fois seuls, il se tint auprès du lit et lui réexpliqua ce qui lui était arrivé.
- Combien de temps ai-je dormi ? demanda-t-elle.
- Deux jours. Mais vous serez vite sur pied. En revanche, je dois vous prévenir que votre mari a dû répondre aux questions de nos assistantes sociales. Il va devoir se faire aider pour son alcoolisme.
Hermione écarquilla les yeux. C’était comme si elle percutait de plein fouet un problème qu’elle avait jusqu’alors refusé de voir.
- Il va avoir des ennuis ? demanda-t-elle, plus par réflexe qu’autre chose.
- Nous avons ouvert un dossier sur lui. Nous devrons vous rendre visite de temps en temps et veiller à ce qu’il se fasse soigner. Dans l’intérêt de vos enfants.
- Oui, bien sûr…
- Quant à vous, vous allez devoir faire attention dans les prochains mois.
Hermione fronça les sourcils, pas sûre de comprendre :
- Pourquoi ?
Le médecin lui montra son dossier :
- Nous vous avons fait des analyses de sang. Vous êtes enceinte.
XXX
Il était presque neuf heures du soir lorsque Ron passa la tête par l’entrebâillement de la porte. Elle le vit et lui fit signe d’entrer. Elle lui proposa de s’asseoir, mais il refusa. Il se tenait là, bien droit, dans son pull de Noël en laine ridicule. Etrangement, elle lui trouva une dignité qu’elle n’avait plus été capable de voir depuis des mois. Il était sobre. Il ne la regardait pas, mais portait sur la chambre un regard à la fois triste et résigné.
- Comment te sens-tu ? demanda-t-il simplement au bout de longues secondes.
- Je suis toujours… un peu fatiguée, hésita-t-elle.
Il inspira à fond :
- Et le bébé ?
Ça y est, ils y étaient. Il n’avait pas tourné autour du pot.
- Le médecin a dit qu’il irait bien, répondit-elle doucement. Qu’il avait eu de la chance.
Il ne la regardait toujours pas. Hermione le voyait serrer convulsivement les poings à peu près toutes les cinq secondes. Il faisait des efforts pour se contenir, et elle le voyait. Mais lorsqu’enfin il braqua ses yeux sur elle, elle ne put s’empêcher de voir le feu en lui :
- Depuis combien de temps es-tu enceinte ?
Elle ne dit rien, alors il insista, se rapprochant d’elle :
- Hermione. Depuis combien de temps es-tu enceinte ?
Elle fut tentée de fermer les yeux. Elle savait à quoi il faisait allusion. C’était un souvenir qu’elle ne voulait pas remuer. Mais c’était trop tard, il était là. La dernière fois que Ron et elle avaient fait l’amour. Si on pouvait appeler ça ainsi.
Cela s’était passé trois mois plus tôt. Ron avait bu. Ce soir-là, l’alcool avait attisé sa colère, et il avait confronté Hermione alors qu’elle rangeait ses vêtements dans la commode de leur chambre. Il l’avait saisie par les bras et l’avait embrassée. Sans amour, mais avec rage. Peut-être pour la forcer à le regarder.
Bien sûr, elle l’avait repoussé. Mais alors il lui avait craché ces mots :
- Je suis toujours ton mari, non ? Tu vas me dire que je n’ai même plus le droit de te toucher, d’une quelconque façon ?
Hermione n’avait rien pu répondre à cela. Par-delà la colère, elle avait vu la blessure qu’elle avait causée, et sa culpabilité lui avait fait baisser les bras le long de son corps, raide, et attendre.
Ron avait vu sa réaction. Elle l’avait remplie de dégoût, autant envers elle qu’envers lui-même. Mais il était allé trop loin pour renoncer. Alors il lui avait dit :
- Ne me regarde pas si c’est si insupportable pour toi.
Hermione s’était retournée. Il l’avait déshabillée juste ce qu’il fallait, et l’avait prise comme ça, contre la commode, sans cesser de la caresser. Il n’avait été ni vif ni brutal comme elle l’avait redouté. Au contraire, alors qu’elle s’était décidée à penser à autre chose, Hermione s’était sentie céder face à ce que son corps ressentait. Elle avait compris où il voulait en venir. Elle voulait s’y opposer mais ne pouvait pas. Il la connaissait trop bien. Ignorant son propre plaisir, il s’était concentré sur elle jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus résister. Il l’avait senti, et alors seulement il s’était laissé aller et s’était retiré juste après.
Il l’avait fait exprès, bien sûr. Pour l’humilier, pour qu’elle lui cède et le sente couler sur sa peau.
Elle était partie vers la salle de bain sans dire un mot. Tous deux étaient furieux l’un envers l’autre et envers eux-mêmes, honteux et pétrifiés par ce qu’ils avaient fait, et le sentiment de ce qu’ils avaient détruit. Plus rien n’avait été pareil à partir de ce jour-là. Et ç’avait été la dernière fois que Ron et Hermione avaient fait l’amour.
De retour à l’instant présent, dans cette chambre d’hôpital sordide, Hermione tentait d’atténuer la rage douloureuse de ce souvenir. Elle entrevoyait son écho dans les yeux de Ron.
« Depuis combien de temps es-tu enceinte ? » disaient-ils.
- Six semaines, répondit-elle.
Quelque chose s’éteignit. Elle le vit. S’il avait encore un espoir, un seul, de ne pas l’avoir perdue, il avait disparu. Aussi brusquement qu’une bougie que l’on souffle. Il déglutit, serra encore une fois les poings, mais ne se détourna pas.
- Et le père ? demanda-t-il. Tu l’aimes ?
On sentait que chaque mot lui coûtait un effort surhumain. Mais Hermione ne répondit rien. Elle en était incapable. Il prit cela comme une réponse, et partit sans dire un mot de plus. |