Drago hésitait, la plume au-dessus de l’encrier, dévoré par une angoisse urgente qu’il ne supportait plus. Trêve d’hésitations. Hermione n’avait plus donné signe de vie depuis quatre jours. Il savait que c’était Noël, et que tous deux étaient retenus par leurs familles, mais… Il avait espéré au moins avoir un signe, le 25. Ou même le 24 au soir.
La veille, le 26, il s’était rendu à son bureau dans l’espoir de l’y trouver, sans grande conviction. Il savait qu’elle avait pris deux semaines de congés pour être avec ses enfants, et qu’elle appréhendait cette longue période à passer à la maison, avec Ron. Lui ne s’était pas donné cette peine. Il avait travaillé le 24, et s’était porté volontaire parmi les employés qui sacrifiaient leur 25 décembre. Il faisait cela tous les ans. Tout plutôt qu’une fête de famille lugubre.
Enfin, ce n’était pas la fête en elle-même qui le dérangeait. C’était sa famille qui était lugubre.
Pour les derniers jours de cette fin d’année, il avait également prévu de travailler. Il avait toujours vécu Noël avec une indifférence feinte, maudissant le bonheur affiché par le monde avec vulgarité. Il comprenait pourquoi le taux de suicides augmentait à Noël. C’était à vomir.
Mais cette année, il avait Hermione. Les choses étaient différentes. Il comprenait la joie que l’on pouvait retirer à passer une soirée devant le sapin au coin d’un feu, avec la personne que l’on aime. Mais la société ne lui avait pas encore accordé ce bienfait.
Inquiet, il commença à griffonner quelques mots sur son papier à lettres lorsqu’il surprit une conversation, à quelques mètres de lui. L’un de ses collègues – son voisin depuis huit ans dont il n’avait jamais retenu le nom – s’entretenait avec une fille du service d’à côté :
- Tu savais qu’Hermione Granger était à Sainte Mangouste ? Apparemment, elle a eu un accident chez elle…
Son sang ne fit qu’un tour. Drago se leva et partit en trombe sans la moindre explication, consumé par une fureur terrible qu’il n’avait pas la force de réprimer. Si cet ivrogne avait osé la toucher…
Il courut presque jusqu’au métro avant d’envoyer au diable les mesures de prudence : il transplana devant Sainte Mangouste.
Là, il eut le temps de recouvrer son calme. Il dut se faire violence, mais la dernière décennie l’avait bien entraîné. Il alla voir la réceptionniste et demanda d’une voix mesurée :
- Je voudrais des nouvelles d’Hermione Gr… Weasley.
A son grand soulagement, la fille ne sembla pas le reconnaître. Elle jeta un œil à ses registres :
- Elle est au deuxième étage, chambre 205. Vous pouvez aller la voir.
- Elle va bien ?
- Elle devrait sortir d’ici demain.
Drago murmura un vague merci et grimpa les escaliers quatre à quatre. Dans le couloir du deuxième étage, il aperçut en sens inverse une silhouette qui lui sembla familière. L’espace d’une petite seconde, il se figea. L’autre eut la même réaction. Abasourdie.
- Qu’est-ce que tu fous là ? cracha enfin Weasley.
Drago sentit presque son masque de serpent se cristalliser sur son visage :
- Ça ne te regarde pas, répliqua-t-il.
Et il poursuivit son chemin, feignant de ne plus lui prêter attention. Au bout de quelques secondes, il entendit Weasley faire de même. Drago apercevait la chambre 205 au bout du couloir. Weasley venait donc d’en sortir. Il avait eu de la chance.
Sans frapper, Drago entra et referma derrière lui.
- Tu es là ! s’écria Hermione.
Elle voulut se lever mais il la devança. Il s’assit au bord du lit et ils s’enlacèrent très fort. Hermione finit par reprendre ses esprits :
- Tu es complètement fou ! Ron vient de sortir d’ici…
- Je sais. Je l’ai vu.
- Tu quoi ?
- C’est lui qui t’a fait ça ?
Elle mit quelques secondes à comprendre :
- Non, bien sûr que non. C’était un accident stupide. Hugo allait tomber par la fenêtre du premier étage, Ron dormait, et je suis tombée en voulant le rattraper.
- Tu vas bien ?
- Je suis totalement guérie. Je sortirai demain.
Elle ne put s’empêcher de noter qu’il ne se souciait pas du sort de son fils. Une petite voix, au fond d’elle-même, lui murmura qu’il était ainsi, et qu’elle ne le changerait pas.
- Ecoute, dit-elle. Tu ne peux pas rester ici. Ron peut revenir d’un instant à l’autre, ou Harry, ou Ginny, et je ne sais pas comment je pourrais leur expliquer ta présence.
- Je sais. Mais quand j’ai appris que tu avais été blessée, j’ai juste…
- Je comprends. Je serai chez moi demain. Je t’enverrai un message pour qu’on se retrouve quelque part. Il faut… il faut qu’on parle.
Drago acquiesça, sans vraiment écouter ce qu’elle disait. Il la fixait pour vérifier qu’elle allait bien. Même sous l’éclairage maladif des tubes cathodiques, il la trouvait merveilleusement belle. Jamais il n’aurait cru pouvoir être perdu à ce point.
- Qu’est-ce que Ron t’a dit ? demanda-t-elle enfin, inquiète.
- On s’est juste croisés. Il m’a demandé ce que je faisais là, et je l’ai envoyé baladé. Ne t’en fais pas.
Il aurait voulu ajouter qu’il faudrait forcément lui dire la vérité un jour, qu’il était temps d’envisager leur avenir, mais… Ce n’était ni le moment, ni l’endroit.
Alors il l’embrassa doucement, presque par peur de la briser, et il s’en alla.
XXX
Hermione prépara ses affaires pour rentrer le lendemain soir. Elle fut autorisée à transplaner devant chez elle, et trouva Ron l’attendant debout dans le salon, avec deux valises.
- Alors on en est là ? murmura-t-elle.
- A quoi tu t’attendais ?
Il avait dit cela sans vouloir la brusquer, mais il avait du mal à se contenir.
- Où sont les enfants ? demanda-t-elle.
- Harry et Ginny sont passés les prendre cet après-midi. Je me suis dit que c’était mieux de les éloigner pendant quelques temps. Et qu’ils ne voient pas ça.
- Et toi, où est-ce que tu comptes aller ?
- Je vais les rejoindre, dès qu’on aura fini de parler.
Hermione sentit une boule venimeuse exploser dans son ventre :
- Tu m’enlèves mes enfants ? C’est ça, ou est-ce que j’ai mal compris ?
- Ça fait des mois que tu n’en as plus rien à foutre, de tes enfants ! hurla-t-il enfin.
Hermione recula. La fureur de Ron éclata sur son visage et dans sa voix :
- Ça fait des mois que tu n’es jamais là, que tu rentres tard, que tu les vois à peine, qu’ils sont endormis quand tu arrives et quand tu repars ! Ça fait des mois qu’ils me demandent où est leur mère, et quand elle viendra leur faire un câlin pour dormir ou leur lire une histoire, et ça fait des mois, des mois, que j’invente des histoires pour les rassurer ! Qu’est-ce que je j’étais censé leur dire ? Hein ? Que leur mère préférait aller se faire tringler dans un hôtel plutôt que de leur dire bonne nuit ?
Elle le gifla. Elle sut qu’elle était allée trop loin à l’instant où elle franchit la limite. Mais il était trop tard :
- Comment est-ce que tu oses emmener les enfants après ce qui s’est passé ? Hugo a failli mourir par ta faute ! Parce que tu étais avachi ivre mort dans le canapé !
- Qui m’a rendu comme ça ? Hein, dis-moi !
Il l’agrippa par les bras et la plaqua contre la porte d’entrée :
- Je me suis occupé d’eux à chaque instant. Toi, tu n’étais jamais là. Et je commets une petite erreur, une seule, et tu veux me faire culpabiliser pour ça ? Je sais ce qui aurait pu se passer, crois-moi. Je m’en veux déjà suffisamment. Je n’ai pas besoin de toi pour me le rappeler.
- Tu n’as pas le droit de me prendre mes enfants, articula-t-elle. Les services sociaux ne te laisseront pas…
- Harry s’en est occupé. Ils me laissent les prendre tant que je reste avec lui et Ginny. Mais vas-y, je t’en prie, appelle-les. Tu as envie de leur expliquer que tu es enceinte d’un autre homme ?
Il la relâcha, comme si ces mots l’avaient dégouté d’elle :
- Tu les as abandonnés. C’est à moi de m’occuper d’eux.
Il allait dire autre chose, sans doute pour la blesser, mais il eut un regard pour elle et se retint. Il y avait tant de conflits dans ses yeux. Il ramassa ses valises et l’écarta pour ouvrir la porte :
- Prends soin de toi, dit-il sans la regarder.
Et il transplana.
Hermione resta seule, sans réaliser, pendant de longues minutes. Puis elle éclata en sanglots. Elle se recroquevilla sur elle-même et se laissa glisser le long de la porte.
- Ce n’est pas possible, ce n’est pas possible…, répétait-elle.
Elle se retrouvait au pied du mur, et elle réalisait soudain qu’elle l’avait entrevu depuis longtemps, et qu’elle avait choisi de détourner le regard.
- Ce n’est pas moi…, murmura-t-elle.
Elle trouva la force de se relever pour prendre un parchemin sur son bureau. Elle écrivit à Drago : « Viens. Viens chez moi tout de suite. ». Elle envoya un hibou porter son message, et attendit en pleurant sur le canapé.
Il arriva une demi-heure plus tard. Lorsqu’elle le fit entrer pour la première fois chez elle, il regarda autour de lui, inquiet de l’accueil qui risquait de lui être réservé, puis il aperçut les larmes d’Hermione qui commençaient à sécher sur ses joues :
- Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-il.
- Ron a emmené les enfants.
- Quoi ?
- Ils sont chez Harry et Ginny.
- Attends, explique-moi tout, s’il te plait.
Hermione le fit asseoir à côté d’elle, sur le canapé. Elle prit une grande inspiration, pour être sûre que sa voix ne tremblerait pas :
- Je suis enceinte, dit-elle.
Drago recula de surprise. Il n’avait pas besoin de déchiffrer l’expression d’Hermione. Pas une seconde il ne douta qu’il fut de lui.
- C’est impossible…, murmura-t-il.
- Si. Je suis enceinte de six semaines. Ça s’est passé dans le Kent, rappelle-toi.
Il ne s’en rappelait que trop bien. Il sentit sa mâchoire se contracter malgré lui. Il fallait qu’il se maitrise. Avec beaucoup d’efforts, il y parvint :
- Alors Weasley sait tout ? demanda-t-il. Mais quand je l’ai vu à l’hôpital…
- Il sait que je suis enceinte d’un autre homme. Il ne sait pas que c’est toi.
- Je vois…
- Il ne faut pas qu’il l’apprenne, poursuivit-elle précipitamment. S’il l’apprenait, vous vous entretueriez… Et je ne te parle même pas d’Harry.
- On n’en est pas encore là, tenta-t-il de le rassurer. Mais un jour ou l’autre… il faudra bien qu’il le sache.
Elle se figea brusquement :
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
Drago hésita. Mais il saisit ses mains dans les siennes et pour la première fois de sa vie, il eut la sensation de se lancer, véritablement :
- J’ai suffisamment de courage, maintenant. Grâce à toi. On m’a proposé un boulot comme professeur de Potions, à Durmstrang. Je vais envoyer bouler mes parents. Je vais divorcer d’Astoria. Et je veux que tu viennes avec moi.
Hermione le regarda, sans que le moindre mot ne sorte de sa bouche. C’étaient trop de chocs en une seule journée. Drago vit sa surprise et plongea ses yeux dans les siens, ses magnifiques yeux, pour continuer :
- Ça aurait fini par arriver un jour ou l’autre ! Je t’aime.
C’était la première fois qu’il le lui disait.
- J’en ai assez de cette vie. Pour la première fois de toute mon existence, je suis prêt à me battre pour ce que je mérite. Je veux une vie loin d’ici, loin de tous ces connards, avec toi.
Hermione sentit une nouvelle larme rouler sur sa joue :
- Et mes enfants ? murmura-t-elle.
Il balaya sa remarque :
- On n’aura qu’à les prendre avec nous.
- Les enlever à Ron ?
- Il vient bien de te les enlever à toi.
- Justement, il a le soutien d’Harry, comment je pourrais…
- Il a failli laisser mourir ton fils ! C’est un alcoolique. Et toi aussi, tu es une héroïne de guerre, il n’y a pas que Potter. Si tu fais valoir tes droits, les services sociaux te les rendront.
- Mais ce serait les priver de leur père…
- Ils seront mieux sans lui ! Réfléchis ! Regarde ce qu’il est devenu !
- C’est à cause de moi qu’il est devenu comme ça, et tu le sais…
- Ne dis pas de conneries ! Ce n’est que le reflet de ce qu’il a toujours été. Ils seront bien, avec toi et moi.
Hermione le fit taire. Quelque chose dans ses yeux le fit taire. Elle venait de comprendre une réalité triste et terrible.
- Drago, murmura-t-elle. Tu n’es déjà pas capable d’être un père pour ton fils.
Il ne s’attendait pas à ça.
- Je…
- Tu parles de l’abandonner sans même réaliser que c’est ce que tu vas faire. Tu veux partir loin d’ici et tu n’as même pas une pensée pour lui. Comment est-ce que tu pourrais vouloir t’occuper de mes enfants ? Les enfants de Ron ?
Il secoua la tête et prit son visage entre ses mains :
- Je le ferai pour toi !
- Non…
Elle se dégagea.
- Ce n’est pas suffisant.
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
Elle se sentit mourir à la seconde où elle prit conscience de ses mots, et les prononça :
- Je ne peux pas abandonner mes enfants. Et je ne peux pas faire encore plus de mal à Ron.
C’étaient autant de vérités que rien ne pouvait contredire :
- Je ne peux pas partir avec toi, avec ou sans eux. Et je ne peux pas avoir cet enfant avec toi.
Il la lâcha. Il s’écarta d’elle sans cesser de la regarder.
- Qu’est-ce que tu racontes ? articula-t-il.
- On a vécu quelque chose de merveilleux toi et moi. Jamais je n’aurais cru vivre ça un jour. Mais ça ne pouvait pas durer, et nous le savions. Le monde ne l’acceptera jamais.
- Je me fous du monde !
- Je ne l’accepterai jamais.
Elle voulut se retenir de pleurer :
- Je regrette, mais ce n’est pas moi. Avec toi, je suis une personne différente… Une personne que je ne suis pas prête à assumer.
- Non, ne dis pas ça, je t’en prie…
Elle ouvrit la bouche mais Drago la fit taire :
- Je t’aime. Tu m’as rendu à moi-même, mais je ne pourrai pas vivre sans toi. Je le sais, je m’y refuse. Ma vie ne vaut la peine d’être vécue que si tu en fais partie. Je n’arrive pas à envisager un avenir sans toi. Et je sais que pour toi, c’est pareil ! Je t’aime !
Elle se jeta dans ses bras et pleura violemment. Il ne cessait de murmurer toutes ces choses qu’ils ne s’étaient jamais dites. Elle sut à cet instant qu’elle l’aimait à la folie, comme elle n’avait jamais aimé personne, et qu’elle ne connaitrait plus jamais un tel sentiment. Elle aurait voulu prier qu’on lui pardonne cet amour qui la détruisait, qui détruisait sa famille, et tout ce en quoi elle croyait. Mais elle céda. Elle dévisagea cet être qui l’avait prise au piège, qu’elle avait appris à aimer contre sa moralité, qui l’avait damnée, et elle l’embrassa.
Ils s’enlacèrent et firent l’amour sur le canapé, avec un désespoir qui rendit cela beau, terrible et fort. Drago la serra contre lui comme s’il n’avait plus rien d’autre au monde, comme s’il pouvait la perdre à tout instant. Hermione oublia ses maux dans l’amour qu’elle ressentait pour lui.
Lorsqu’il se fut endormi cependant, la réalité la rattrapa. Elle refoula la brûlure que ses émotions avaient laissée en elle et pensa à sa situation calmement. Les mêmes impasses lui apparurent tout aussi clairement. Ils n’avaient fait que repousser l’échéance. Drago était son ange maudit, sa passion, dans un monde où elle ne pouvait se permettre une telle folie. Il y avait ses enfants. Et puis il y avait Ron.
Pour la première fois depuis des mois, elle tenta de penser à lui, sincèrement. Elle se rappela ce qu’ils avaient vécu ensemble. Elle se rappela comment ils s’étaient aimés, et ce qu’elle avait ressenti pour lui. Tout cela n’avait pas disparu. Elle l’aimait toujours, même si sa passion appartenait à Malefoy. Etait-elle prête à revivre ça ? Avait-elle le choix ?
Dans le salon obscurci, elle se rhabilla sans faire de bruit. Elle prit quelques affaires qu’elle fourra rapidement dans une valise avant de changer d’avis. En revenant dans le salon cependant, elle ne put résister. Elle s’assit sur la table basse et regarda Drago endormi. Son cœur se serra. Elle ne s’était jamais sentie aussi mal de toute sa vie. Elle caressa son visage et l’embrassa sur le front, au risque de le réveiller.
- Je t’aime, Drago, dit-elle. Mais c’est impossible.
Alors elle prit ses affaires et sortit dans la nuit. |