Il faisait nuit et Drago était étendu dans le noir. Une fois encore, il avait préféré l’inconfort d’une chaise longue à la présence d’Astoria auprès de lui dans son lit. Il n’avait plus dormi avec elle depuis le soir où….
Non. N’y pense pas.
(Depuis le soir où il avait embrassé Granger.)
Drago ouvrit grand les yeux. Les étoiles étaient là, bien au rendez-vous. Mais elles ne lui procuraient pas le même sentiment de perte et de vertige qu’il recherchait d’habitude. Cet oubli rassurant où tous ses problèmes semblaient disparaitre. Non, pour la première fois, Drago contempla les étoiles, et il se rendit compte que les étoiles, elles, ne le voyaient pas. Il était seul. Elles n’en avaient rien à faire de lui.
(Pas comme Granger.)
Drago referma les yeux. Il ne savait plus quoi penser. Les idées tourbillonnaient dans son esprit sans qu’il puisse les saisir, trop fort, trop vite, et peut-être cela valait-il mieux. Mais comme toujours, une image s’imposa à lui. Il n’aurait su dire si c’était lui qui la sollicitait, ou si son esprit l’invoquait contre son gré, pour le torturer.
Il revoyait Granger debout au beau milieu de la rue, sa veste jetée sur son épaule dans sa précipitation, sa hâte de le fuir. Il voyait les lampadaires faire étinceler les larmes qui brillaient dans ses yeux. Elle ne pleurait pas, mais les larmes étaient là, contenues. Un mélange d’hystérie et de panique dans ce regard qui ne le quittait pas. Comme un animal pris au piège. Au pied du mur.
Granger avait bondi vers lui, comme s’il n’y avait pas d’autre choix possible, comme si l’urgence l’avait précipitée dans ce dernier recours, et leur rencontre avait été si brève, si violente, qu’il n’en gardait qu’un souvenir fugace et brûlant, comme une décharge terrifiante à travers le moindre de ses os. La surprise l’avait fait reculer. Elle l’avait embrassé quand même, avant qu’il ait le temps de réaliser ce qu’elle voulait faire. S’il avait su, l’aurait-il laissé ?
(Oui.)
Drago soupira. Il avait été stupide. Pour changer.
Il n’avait pas compris ce qui se passait, et alors Granger lui avait jeté ces mots à la figure, comme on jette une insulte :
- Tu n’as pas le droit de me demander pardon ! Tu n’as pas le droit de débarquer dans ma vie, de tout foutre en l’air, et puis de me dire que c’était une erreur ! Tu ne peux pas me faire sentir plus vivante que je ne l’ai jamais été, et me dire de tout effacer ! Tu ne peux pas… Tu ne peux pas me donner tout ça, et me le reprendre la seconde d’après.
Et elle était partie. Comme ça.
Et Drago ne s’était jamais senti aussi stupide de toute sa vie.
Et pourtant, il avait de quoi faire.
Allongé seul dans le noir, avec ses tourments pour uniques compagnons, Drago tenta une nouvelle fois de s’attaquer au problème qui était le sien. Alors qu’il réfléchissait, il réalisa tout à coup une chose étrange : il n’avait pas mal.
Que ressentait-il ?
Il prit quelques minutes pour examiner son cœur, sa conscience, cet assemblage étrange qui faisait de lui ce qu’il était.
Il avait peur. Un mélange très doux d’angoisse et de chaleur, qui ne s’excluaient pas l’un l’autre mais se complétaient dans un amalgame familier, quelque chose qu’il n’avait pas ressenti depuis longtemps, et qu’il croyait ne plus jamais ressentir. Il y avait de l’espoir aussi. Et cela alimentait sa peur de souffrir.
Seigneur, depuis quand était-il devenu assez bête pour se remettre à espérer ? Et qu’espérait-il, exactement ?
La réponse ne vint pas en mots, mais en images, encore une fois. Une seule image. Granger. Elle était la source de cette peur et de cette chaleur au fond de lui. Peur de tout gâcher, peur de la perdre. Chaleur de ce qu’il avait lu dans ses yeux.
Surpris par la lueur de l’aube, Drago se leva en sursaut et courut s’habiller. Il ne jeta pas un regard autour de lui, à cette maison qui lui paraissait de plus en plus étrangère. Tout lui criait que sa place était au Ministère. Et même s’il était trop tôt, il s’y rendit sans plus perdre une seconde.
Arrivé devant son bureau, il contempla d’un œil vide les piles de dossiers abandonnés la veille. Il s’assit, déchira une feuille blanche au hasard et saisit sa plume, sans savoir ce qu’il allait écrire. Il n’avait pas revu Granger depuis qu’elle s’était enfuie, une semaine plus tôt. Son instinct lui disait qu’ils avaient dû s’éviter l’un l’autre, consciemment ou non. Ce que les gens peuvent être cons.
Pendant longtemps, Drago maintint sa plume en équilibre au-dessus du parchemin vierge, jusqu’à ce qu’une goutte d’encre s’abandonne entre les fibres du papier. Et soudain, Drago sut ce qu’il devait écrire. Il n’avait pas besoin de réfléchir. Il n’avait pas besoin de se demander ce qu’elle en penserait ou non, si ça marcherait ou non. C’était juste ce qu’il ressentait.
Trempant à nouveau sa plume dans l’encrier, il écrivit : « Tu me manques ».
Il plia la feuille et l’envoya. Elle disparut de son champ de vision, et il n’y eut plus rien à faire. Le sort était jeté.
XXX
La réponse se fit attendre, et la journée s’étira, interminable, une longue et lente agonie faite de spéculations, de remords et de doutes, jusqu’à ce qu’enfin, une petite feuille de papier déchirée se posât sur le bureau de Drago. Il la reconnut aussitôt. C’était la note qu’il avait envoyée.
Il soupira, prêt à l’expédier à la poubelle, lorsqu’il aperçut un bout de l’écriture de Granger au verso. Elle n’avait pas conservé sa note. Elle l’avait retournée et avait simplement écrit : « 47 Brondesbury Park, 18h ».
XXX
C’était une jolie rue, résidentielle, large et interminable. De belles maisons de briques se disputaient laquelle aurait le plus beau portail.
Lorsqu’il arriva enfin devant le numéro 47, Drago se demanda franchement ce qu’il foutait là. Et puis il se rendit compte qu’il s’en foutait, tout simplement. Il franchit la grillée laissée ouverte et se dirigea vers la promesse d’une lumière derrière la fenêtre du salon.
XXX
Hermione se tenait debout devant la cheminée éteinte. Elle avait entendu Malefoy frapper, mais avait attendu qu’il entre de lui-même. Pour une raison étrange, elle n’avait pas envie de l’accueillir sur le seuil comme on accueille un invité.
- Salut, lui dit-il.
Il paraissait gêné, tout comme elle. Un peu inquiet aussi. Il regardait autour de lui, comme s’il s’attendait à voir surgir un fantôme des murs d’un instant à l’autre.
- C’est, euh… C’est sympa ici.
Hermione sourit :
- C’est la maison de mes parents. Mais depuis qu’ils ont pris leur retraite, ils sont en voyage tout le temps. En ce moment, je crois qu’ils sont en Nouvelle-Zélande, ou quelque part comme ça…
Malefoy acquiesça, sans doute plus pour combler son silence qu’autre chose. Elle haussa les épaules, dans un vague geste d’excuse :
- J’ai pensé qu’on pourrait discuter tranquillement, ici. Tu sais, sans… Sans tous ces gens, constamment autour…
- Oui, oui, c’est bien ici.
Il regarda à nouveau autour de lui, avec un intérêt renouvelé :
- Alors c’est là que tu as grandi ?
- Et oui.
Il s’approcha de la cheminée, sur le manteau de laquelle trônaient plusieurs portraits de familles. Une Hermione Granger de dix ans, encore en uniforme de l’école élémentaire Moldue, souriait de ses dents légèrement trop longues. C’était avant que Malefoy ne lui lance le Dentesaugmento à Poudlard. Avant qu’elle ne doive aller à l’infirmerie pour les faire rétrécir, jusqu’à une taille un peu plus esthétique.
Hermione se regarda dans la glace, et songea pour elle-même :
« Même mon sourire, je le dois à Malefoy… ».
Il se tenait là à côté d’elle et contemplait les photos. Il se pencha pour en prendre une, l’examina, la reposa, passa à une autre. Ce faisant, il se rapprocha d’elle. Hermione le laissa faire, sans le regarder. Son bras vint presser contre le sien. Doucement, irrésistiblement, Malefoy caressa la ligne d’un de ses doigts. Aucun d’eux ne réfléchissait à ce qu’ils faisaient. Ils se prirent la main, dans une union mutuelle, et ils restèrent ainsi quelques instants sans parler, sans bouger, à l’exception de leurs doigts qui se frôlaient, se découvraient.
Hermione s’appuya un peu plus contre le bras de Malefoy. Elle fixait les photos. Elle avait plus que jamais conscience de son visage très proche du sien, quelques centimètres plus haut, tout au plus. Son cœur battait très vite et très fort. Son ventre et son corps tout entier semblaient noués dans une tension qu’elle n’avait plus ressentie depuis longtemps. C’était terrifiant. Et plus que tout, c’était captivant.
Ils furent attirés l’un vers l’autre, tels deux aimants. Drago se pencha doucement vers elle et soudain, ils s’embrassaient, avec douceur mais sans hésiter, enfin conscients ensemble de ce qu’ils voulaient et de ce qu’ils faisaient. Leur baiser s’amplifia, tremblant, intense et fort, jusqu’à ce qu’ils s’agrippent l’un à l’autre, et qu’Hermione se dise : « Stop ».
Elle respirait vite. Drago la regardait, sans inquiétude. Il n’essaya pas de l’embrasser à nouveau. Il n’y avait plus de questions dans ses yeux. Rien que cette sérénité inébranlable qui trouvait un écho tout au fond d’elle, qui lui faisait le désirer comme elle n’avait jamais désiré personne. Ils ne parlèrent pas, c’était inutile. Hermione serra sa main dans la sienne, et elle l’attira vers l’étage.
Pendant qu’ils montaient les marches, quelques pensées du monde extérieur assaillirent son esprit, comme : « Drago Malefoy, dans la maison de mes parents !! », ou « Je ne peux pas l’amener dans ma chambre, le lit n’est pas assez… »
Cette idée lui donna chaud, et pourtant, elle ne pouvait pas la désavouer. Depuis la seconde où leurs mains s’étaient touchées, Hermione avait su ce qu’elle voulait. La partie raisonnable au fond d’elle avait abdiqué. Et Drago Malefoy pouvait se vanter d’être la seule personne au monde à avoir remporté cette bataille.
Sans plus réfléchir, Hermione s’arrêta sur le seuil de la chambre de ses parents. La porte était ouverte. Le lit s’offrait à eux, comme le résumé de tous les interdits qu’ils s’apprêtaient à franchir. En son âme et conscience, Hermione sentait que c’était terriblement mal, et terriblement excitant. Elle ne pouvait penser qu’à une chose : sentir à nouveau les lèvres de Malefoy sur les siennes. Elle se retourna pour le regarder. Elle vit dans ses yeux qu’il comprenait.
Ils partageaient un désir fou, et dans cet ultime instant de flottement, toutes les barrières s’effondrèrent. Malefoy l’embrassa. Elle l’attira dans la chambre, le força doucement à desserrer son étreinte. Debout à quelques mètres devant lui, elle retira son pull avec des gestes très lents. Plus que jamais, elle sentait le regard incisif de Malefoy posé sur elle. Jamais elle n’avait eu autant conscience d’être regardée. C’était presque plus fort que d’être touchée. Toutes les cellules de sa peau semblaient se hérisser dans l’attente de ce contact que les yeux de Malefoy promettaient.
Hermione dégrafa l’attache de son soutien-gorge et le laissa glisser sur le sol. Elle se sentait fragile, brûlante et nue. Elle ne s’était jamais déshabillée devant personne d’autre que Ron. Mais elle n’y pensait pas à cet instant : Malefoy s’avança vers elle et l’embrassa, faisant glisser ses mains jusqu’au creux de son dos.
Hermione défit les boutons de sa chemise, un par un. Elle prenait conscience, à mesure que ses doigts dénouaient le tissu, du nombre de fois où elle avait rêvé de faire ces gestes.
Malefoy sentait bon. Elle avait aimé son odeur à la seconde où leur amitié grandissante lui avait permis de l’approcher, et de la sentir. Ce n’était pas un parfum ou une eau de toilette quelconque, mais quelque chose d’indissociable de sa personne, quelque chose de personnel, fort et intime, sans doute imperceptible pour quiconque d’autre qu’elle-même. Elle fit glisser la chemise le long des bras de Malefoy, découvrit sa peau douce et pâle, et se perdit dans les désirs que cette odeur lui inspirait.
Elle l’embrassa dans le cou, doucement, jusqu’à ce qu’il l’allonge sur le lit et s’étende auprès d’elle. Ils s’enlacèrent presque aussitôt, et Hermione n’aurait su décrire le mélange d’intensité, d’envie et de sécurité que cette étreinte lui procurait. Leurs baisers se firent plus profonds, plus passionnés, et très vite ils oublièrent où ils étaient, ils oublièrent tout le reste : leur désir outrepassait tout et ils partirent à la découverte l’un de l’autre.
Ils se déshabillèrent vite, sans pudeur, avec empressement. Ils n’avaient plus l’hésitation des amours adolescentes. Pour Hermione néanmoins, tout semblait nouveau, délicieux et différent. Elle n’avait connu qu’un seul homme dans sa vie, et elle en découvrait un autre aujourd’hui, un homme qui avait éveillé en elle une ardeur qu’elle n’avait jamais soupçonnée.
Lorsque Malefoy la prit, il la regarda dans les yeux, et elle y lut la même intensité, la même passion inexpliquée, libérée de toute bride, dévastatrice. Il sut lui faire oublier qu’elle était loin d’être sa première amante. Il l’embrassa, l’aima et la regarda d’une manière qui la bouleversa, tant elle ressentait leurs émotions conjuguées. Et alors qu’ils s’unissaient, elle répétait son nom en esprit, elle contemplait ses immenses yeux gris, et elle jouit de le savoir en elle.
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