Miss Cathie Dumas se leva du tabouret où depuis une heure elle était assise, surveillant du coin de l’oeil un dénommé Frédéric Grente. Ils se trouvaient alors dans un bar plutôt miteux de la capitale. Mais à ce moment-là Grente était en train de se diriger vers la sortie et Cathie s’apprêtait à en faire de même, le filant toujours. Il faut dire qu’elle travaillait pour les Services Secrets Français et que l’homme, lui, était soupçonné d’appartenir à une agence rivale et d'être venu espionner la défense du pays. Elle avait espéré que ce soir-là serait la bonne et que dans ce bar il allait enfin rencontrer la taupe qui depuis quelque temps volait des documents top secret pour les revendre à ce premier. Mais hélas à part à la serveuse, il n’avait parlé à personne et Cathie, qui le suivait déjà depuis plus d’une semaine, commençait à se demander si elle n’avait pas fini par se faire repérer. Pourtant elle avait suivi le manuel du parfait filateur à la lettre et ne voyait vraiment pas comment cela aurait pu être possible. Donc elle décida de continuer à le suivre au moins un jour ou deux de plus, puis, si cela ne donnait toujours rien, elle refilerait alors le bébé à un autre de ses collègues. Car il n’y avait aucun doute à avoir dans le fait que Grente était un espion, cela faisait déjà un moment qu’il était fiché à l’agence, et que c’était avec lui que la taupe faisait affaire était sûr à 90 %, car, à part ce premier, aucun autre agent travaillant pour le pays soupçonné d’être l’acheteur des documents n’avait été repéré dans les environs. De plus une étroite surveillance de celle-ci leur avait appris qu’elle avait dérobé de nouveaux secrets il y avait pas longtemps, et qu’il y avait peu de chance qu’elle ait pu déjà les avoir fait passer à l’ennemi.

 Une fois sorti de l’établissement, elle le suivit un moment, puis l’homme rentra dans un hôtel. Elle commença à reprendre espoir, car il ne s’agissait pas là de celui où il était descendu. C’était donc qu’il allait y rejoindre quelqu’un, sûrement la taupe. Il monta jusqu’au troisième étage et rentra dans la seconde chambre. Elle, après s’être assuré que la première était vide, en crocheta la porte et y pénétra, espérant que la cloison serait assez fine pour qu’elle puisse écouter ce qui se passait dans la pièce où se trouvait l’espion.

 À peine fut-elle entrée qu’elle sentit que quelque chose n’allait pas. Déjà il y avait une désagréable odeur qui émanait de toute la pièce, mélange de soufre et de vase, ensuite elle vit une chose luisante qui se mouvait dans la pénombre. Elle alluma alors et vit la chose la plus horrible qu’elle n’est jamais vue. La chose, un monstre, avait deux fois sa taille et de son torse sortait une tête de chien ; de son arrière-train dépassait une queue d’un animal qu’elle ne put identifier, recouverte d’écailles et de piques ; ses mains avaient un doigt sur deux qui était humain, mais sans chair ni peau, et les autres qui étaient ceux d’un singe aux longues griffes goûtant de sang ; sa moustache était celle d’un chat, ses yeux ceux d’un caméléon et son nez une truffe de chien ; enfin ses cheveux étaient des pointes en métal sur lesquels étaient plantés divers morceaux d’êtres humains, dont un oeil, de la cervelle et même un testicule tout ratatiné.

 Cathie en resta pétrifiée sur place et le cri qui s’était formé dans sa gorge ne put sortir tellement la peur l’avait submergé. La monstruosité ouvrit alors la bouche, laissant entrevoir à cette première sa dentition de lion et sa langue de varan et dit de sa voix féminine et emplie de cruautés :

 “ Je suis l’ami des bêtes et je sais que toi aussi. Rends à mon maître le diable un service et je te donnerai le pouvoir de les commander tous, du plus petit au plus gros, de la sourie à l’éléphant.

 — Non ! cria Cathie. Non je ne veux pas, laissez-moi où je hurle. Allez-vous en, quoi que vous soyez, partez où je vous descends.

Elle tira alors son révolver de son sac et le pointa sur la chose, les mains tremblantes et à deux doigts de tomber dans les pommes.

 — Si tu crois que j’ai peur de la mort tu te goures sale pute, car la mort est mon royaume. Mais toi, tu devrais la craindre, car, si tu ne consens pas à te joindre à nous, elle sera longue et douloureuse, pire que toutes les tortures que l’on t’a apprises dans ton métier. Alors réfléchis bien et, la prochaine fois que l’on se reverra, fais le bon choix. Tu n’auras pas d’autre chance. ”

Le démon se transforma alors en boule de feu et traversa la pièce pour s’enfuir par la porte toujours ouverte. Au passage il percuta Cathie qui en ressentit à l’estomac une vive brûlure. Lorsqu’elle baissa les yeux, elle put voir que son ventre était en feu, ses tripes fumantes pendant de la plaie. Elle se mit alors à vomir et tourna de l’oeil, s’écroulant au sol.

 Lorsqu’elle revint à elle, elle était de nouveau Virginie Lania et se trouvait dans son lit, encore toute retournée par l’ignoble cauchemar qu’elle venait de faire et qui lui semblait si réel. Elle ne put se rendormir, et, après avoir pris une douche histoire de se rafraîchir les idées, elle finit sa nuit devant la télé.

 Pendant ce temps-là, la dernière personne, habitant ce pourtant si charmant immeuble, vivait son propre rêve démoniaque. Il se nommait Mohamed Abdelkrim et bossait dans une agence de courtier, mais, comme pour les autres, dans son rêve il portait un tout autre nom et menait une vie bien plus palpitante que la vraie.