“ Coupez ! C’est dans la boîte les enfants ! Marco, tu as été splendide comme d’hab. Jess, par contre, il va falloir que tu apprennes mieux ton texte, parce que là c’est pas ça, mais alors pas ça du tout. Bon ! on range le matos et on se rentre chez nous. Et je veux tout le monde en forme pour demain, parce qu’on commence le tournage en extérieur ; c’est compris ? OK ! Alors bonne soirée à tous !
— OK Bob ! Bonne soirée ! Marco, tu veux que je te ramène ou tu préfères te faire raccompagner par la petite maquilleuse. C’est quoi déjà son nom ?
— Va te faire, Jack ! T’es vraiment qu’un gros lourd. Je vais prendre mes affaires dans ma loge et je te rejoins d’ici une minute.
— OK ! Mais tu te grouilles, pas comme hier, sinon je te plante ici, et tu seras obligé de te démerder pour rentrer.
— Ouais, ouais ! Je me dépêche. ”
Marco Dombas, le premier rôle de la “ super production ” qu’ils étaient en train de tourner, laissa son ami Jack Dumoulin, un des seconds rôles, vomir ses humeurs tout seul et se dirigea vers sa loge. C’est pas qu’il en avait vraiment envie, mais il y était bien obligé, vu qu’il y avait laissé le chèque que lui avait fait le producteur et réalisateur de ce navet, Robert (Bob pour les proches) Lamour. Qu’allait-il voir cette fois-ci ? Un monstre à cinq yeux injectés de sang comme la dernière fois, ou alors bien pires ? Des gouttes de sueur ruisselaient sur son front et dans son cou, l’appréhension les faisant perler. Car, déjà la veille il y avait fait une drôle et horrible rencontre, une de celles qu’on ne voyait normalement que dans le genre de film qu’il était justement en train de tourner. Comme aujourd’hui, après la fin du tournage, il s’était rendu dans sa loge, et, à peine y était-il entré et en avait-il refermé la porte, qu’un être informe, sorti du pire cauchemar qu’il puisse imaginer, apparut devant lui. Ses yeux injectés de sang, qui étaient donc au nombre de cinq, sortaient de leur orbite et brillaient d’une fièvre malsaine ; du sang coulait entre ses dents noires et trouées de caries, pire que du gruyère ; au milieu de son cou, au niveau de la jugulaire, il avait un trou d’où, à chaque seconde qui passait, une grosse et velue araignée en tombait allant s’éclater sur le sol et y laissant une tache de sang coagulé ; ses cheveux étaient en fait des dizaines de serpents qui tiraient leur langue double dans tous les sens avec un sifflement des plus désagréables ; ses vêtements étaient en lambeaux et laissaient entrevoir par endroits sa chair déchiquetée et ses veines sectionnées d’où s’écoulait un liquide verdâtre et à l’odeur fétide ; enfin, pour parfaire cette vision d’horreur, il avait sur son épaule, se tenant comme le ferait un perroquet dans un film de pirates, une chauve-souris aux yeux rouges luisants, aux crocs longs et pointus comme ceux d’un vampire, et, au bout de ses ailes, quatre griffes acérées comme des lames de rasoir d’où s’écoulait encore le sang de sa dernière victime.
Après l’avoir regardé assez longtemps pour figer Marco sur place, le monstre entama d’une voix d'outre-tombe :
“ Salut à toi excrément humain ! Je suis l’un des suppos de Satan et gardiens de ses hordes de démons sanguinaires. Mon maître m’envoie pour te faire signer un pacte avec lui, car il a besoin de toi pour une mission des plus périlleuses.
— Jamais ! Jamais je ne signerai ton immonde pacte, je ne suis pas fou. Et puis, de toute façon, tu ne peux être réel. Tu n’existes pas, ni ton maître non plus, tu n’es qu’une hallucination, une invention de mon cerveau dérangé, hurla un Marco empli de terreur.
— Ha ! Ha ! Ha ! Pauvre larve, je suis bien réel et si tu t’obstines à refuser la chance qui t’est donnée, je serais ton pire cauchemar. Oui, ton refus entraînera ta perte vermisseau, car quiconque ose défier le seigneur du mal s’en repentira jusqu’à la fin des temps et même après. Alors, réfléchis bien et donne-moi une réponse qui me satisfera la prochaine fois que je viendrai te visiter dans cet endroit, car cela sera la dernière. Oui, ce sera ta dernière chance, après il sera trop tard et tu en souffriras pour toujours. POUR TOUJOURS ! Ha ! Ha ! Ha ! ”
En disant ces dernières paroles, il haussa la voix à en faire trembler tous les objets se trouvant dans la loge, puis il disparut dans un nuage de fumée empestant le soufre. Sur le sol, les taches de sang qu’étaient devenues les araignées se rassemblèrent pour prendre la forme d’un rat énorme et aux dents en lame de rasoir, qui se jeta sur lui et le mordit au molet lui arrachant un morceau de viande avant de s’évaporer à son tour.
Marco effaça de son esprit ce souvenir horrible et ouvrit la porte de sa loge. Il aperçut alors le monstre qui l’attendait. Il était exactement comme à sa première apparition, à l’exception toutefois des araignées qui ne sortaient plus du trou dans son cou. La pièce était sens dessus dessous et des fantômes à l’aspect de gnomes hideux tournaient autour du bureau sans provoquer le moindre bruit. Le monstre le regarda de ses yeux haineux et lança du même ton caverneux que la fois précédente :
“ Alors, larve humaine, as-tu réfléchis à la proposition de mon Maître, le roi des enfers ? Es-tu prêt à nous rejoindre pour répandre sur terre le chao ? L’heure est proche, et bientôt son armée de morts sortira de leurs tombes et fera de tous les hommes des esclaves qui vivront éternellement dans d’atroces souffrances. Oui, cela aura lieu bientôt, à la prochaine lune, pour être plus précis, lorsque celle-ci sera pleine et aura pris la teinte rouge carmin du sang. Alors, es-tu prêt à en prendre la tête et conduire tous les démons de l’enfer vers la victoire et avoir une place privilégiée au côté du plus puissant d’entre nous ?
— Oui, j’ai réfléchi ! Et ne comptez pas sur moi pour servir cette abomination. J’ai déjà un patron et le mien est bien plus grand que le tien. Il se nomme Dieu le père et vous détruira tous ! Soyez-en sûr.
— Ha ! Ha ! Ha ! Pauvre pustule, ton dieu ne peut rien contre le mien. À présent, si c’est ton dernier mot, je vais t’écraser comme la larve que tu es. Es-tu certain de ne pas vouloir changer d’avis, avant que je ne te torture ?
— Sûr et certain ! Je préfère mourir dans d’ignobles souffrances plutôt que de m’allier à des êtres aussi répugnants que vous.
— Très bien ! Je vais donc être obligé de te faire passer de vie à trépas, mais pas sans t’en faire regretter tes paroles avant, misérable humain ! ”
Le monstre et tous les fantômes se jetèrent alors sur lui et le mordirent sur tout le corps, lui arrachant les chairs de leurs dents pourries et pourtant bien solides et acérées. Marco hurla à s’en bousiller les cordes vocales tant la douleur était insupportable, et il criait toujours alors qu’il se réveilla en sursaut de cet ignoble cauchemar qui semblait si réel.
Son lit était détrempé de sueur et il tremblait jusqu’au plus profond de son âme. Il resta là sans pouvoir bouger, les yeux écarquillés d’effrois, se demandant pourquoi ce rêve, comme celui d’avant, lui semblait-il si réaliste, alors qu’il n’était même pas acteur et ne s’appelait pas Marco. En vrai, il se nommait François, François Carmin et n’était qu’un préposé des postes, un simple facteur, certes ça rythme avec acteur, mais ce n’était pas du tout la même chose. Mais pour en revenir à son cauchemar, c’était comme s’il avait vécu tout cet épouvantable songe à travers les yeux d’un autre, qui, lui, l’avait vécu pour de bon. Cela était vraiment étrange et pas pour le rassurer, pourtant il finit tout de même par se rendormir, et, pour cette nuit-là, ne refit pas d’autre cauchemar. Ce qui ne fut pas le cas des autres personnes habitant le même petit immeuble que lui... |