- Qu'est-ce que tu fais là ?
Ces premiers mots, prononcés par réflexe avec une incrédulité non dissimulée, Drago est en mesure de les comprendre. A la place de Weasley, s'il trouvait son ancienne petite amie en larmes dans les bras de leur pire ennemi d'enfance, il se poserait probablement la même question. Dans un premier temps, Drago s'efforce donc de garder son calme. Weasley est davantage choqué qu'agressif. La situation n'est pas forcément obligée de dégénérer :
- Je sais que ça doit te paraître étrange, répond-il en réfléchissant à toute vitesse. Mais ce qu'Hermione t'a dit est vrai. Je suis expert en souvenirs, c'est mon métier. Hermione est venue me trouver dans ma boutique. Elle voulait que je l'aide à recréer la mémoire de ses parents, en se servant de tous les témoignages possibles, en complétant artificiellement les souvenirs qui manquaient... J'ai accepté.
Les sourcils de Weasley se plissent à mesure que Drago délivre ces informations. Finalement, au prix d'un visible effort de concentration, Weasley s'exclame :
- C'est toi qui tient la boutique « Artisan Mémoriel », sur le Chemin de Traverse ?
Cette fois, c'est au tour de Drago d'être surpris. Le Ministère a-t-il gardé un oeil plus attentif sur lui qu'il ne le pensait ?
- Oui, répond-il sans savoir à quoi s'attendre.
Weasley secoue la tête :
- Bon sang, je ne savais pas que c'était toi... Tu sais que j'ai failli passer te voir, il y a quelques années ?
- Non...
Drago est franchement décontenancé. Il ignore où cette conversation est censée les mener, et à quel moment Weasley abordera réellement les questions qui fâchent : sa relation avec Granger, leurs mensonges, son séjour ici... Pour l'heure, il reste sur la défensive :
- Je sais que tu dois être très surpris de me voir ici, risque-t-il.
- C'est le moins qu'on puisse dire...
- Mais je t'assure qu'il n'y a rien de malhonnête derrière tout ça. Je te l'assure.
Drago voudrait se flageller pour son manque de tact, mais il ne voit pas d'autre moyen d'exprimer son inquiétude. Il ne veut pas tourner autour du pot avec Weasley pendant des heures, et si conflit il doit y avoir entre eux, autant qu'il éclate le plus vite possible. Au moins, Drago aura fait l'effort d'essayer de communiquer le premier. Weasley marque un temps d'arrêt devant lui. Son visage s'est fermé, extraordinairement impassible pour un garçon dont Drago se rappelle le tempérament impulsif et parfois colérique. Puis, alors que Drago a le sentiment de se dessécher de plus en plus sur place sous son examen minutieux, Weasley déclare simplement :
- Je sais.
Drago ne comprend toujours pas :
- Comment ça, tu sais ?
- Tu as dit « Hermione », tout à l'heure, dès que je suis entré. Le Malefoy que je connaissais n'aurait jamais dit « Hermione ». Tu as changé.
Weasley incline la tête, comme pour l'observer plus attentivement sous un nouvel angle :
- Et puis, tu en as bavé, ça se voit. Comme moi. Comme nous tous.
Il jette un bref regard vers le couloir où Hermione a disparu :
- Nous étions des gosses, Malefoy. Nous avons tous souffert pendant la guerre, quel que soit notre camp. Nous avons tous fait des erreurs, moi le premier.
Il soupire :
- Si tu crois que je suis incapable de comprendre que les gens puissent changer...
Drago ne sait plus quoi répondre. Abasourdi, il fixe Weasley avec l'impression d'être un parfait abruti, rattrapé par la seule réaction qu'il n'a pas su prévoir :
- Alors... Tu ne m'en veux pas ? balbutie-t-il finalement.
- T'en vouloir ? Pourquoi ?
- Tu veux vraiment que je te fasse une liste ?
Weasley se fend d'un sourire :
- Là je retrouve le Malefoy que je connais.
Drago renonce à continuer. La porte de ses crimes envers Weasley vient de s'ouvrir en grand, et rien que le fait d'y penser le remplit de terreur.
- N'en veux pas à Hermione, répond-il à défaut. Elle aurait voulu tout te dire, vraiment. Mais elle avait peur que tu la quittes une nouvelle fois.
- Je sais, répète Weasley, songeur. C'est ma faute. J'ai cru qu'en la mettant face à un ultimatum, elle me choisirait, qu'elle accepterait enfin de lâcher prise et de continuer à vivre, mais... C'était sous-estimer à quel point elle peut être têtue, pas vrai ?
Drago acquiesce maladroitement, totalement déboussolé de partager ainsi des plaisanteries sur Granger avec Ron Weasley.
- Mais je refuse de faire la même erreur deux fois, déclare soudain le jeune Auror. Je ne l'abandonnerai plus désormais. Je vais aller la chercher.
- A ta place, je la laisserais tranquille..., intervient Drago, mais Weasley s'est déjà engouffré dans le corridor.
Resté planté au beau milieu du salon, Drago l'entend tambouriner à la porte, mais Hermione n'adresse aucune réponse. Weasley la conjure à travers le battant, d'une voix douce que Drago ne lui a encore jamais entendue auparavant.
« C'est peine perdue », songe-t-il en lui-même.
Connaissant le caractère d'Hermione depuis leurs quelques mois passés ensemble, il se doute que la jeune femme éprouve un besoin absolu de solitude à cet instant. Le besoin de se replier sur elle-même, de se fondre dans sa douleur et de s'y abandonner, ne serait-ce que quelques instants... Il le sait parce que lui-même l'a vécu, à peine quelques temps plus tôt, lorsque son ouïe avait disparu. Il éprouvait un désespoir si intense que rien ni personne ne pouvait l'atteindre en ce moment de ténèbres. Quelques fois, la souffrance a besoin de triompher, avant de s'estomper... Hermione n'avait pu pénétrer à nouveau son univers que lentement, timidement, à gestes doux et lents, jusqu'à ce que lui-même soit prêt à quitter sa bulle à l'écart du reste du monde.
- Alohomora !
Drago entend Weasley en venir à la magie pour tenter d'abattre les défenses de Granger. Aucune chance de ce côté-là. Weasley est peut-être devenu Auror, mais à moins de recourir à la magie noire, il n'a aucune chance de franchir cette porte. Alors, comme Drago l'avait prévu, le jeune homme le rejoint à pas lourds dans le salon :
- Il faut croire que tu avais raison, admet-il, un sourire étrangement grave sur son visage malicieux.
Les deux hommes se retrouvent à nouveau face à face, sans savoir quoi se dire, dans un silence grandissant. Weasley se masse les yeux :
- J'ai besoin de prendre l'air, souffle-t-il. Et d'y voir plus clair, aussi... Tu veux qu'on aille boire un verre ?
Sur le moment, Drago n'est pas sûr d'avoir bien entendu. Weasley rit de sa réaction :
- Qu'est-ce qui t'est arrivé exactement pendant ces dix dernières années ? s'exclame-t-il. On dirait un chiot qui a peur de se faire battre. Je te propose un verre, pas une mise en examen.
Drago se force à reprendre ses esprits :
- Désolé, c'est juste que... Je ne m'attendais pas à ça. Vraiment pas à ça.
- Tu croyais quoi ? Que j'allais te balancer mon poing dans la figure, ou mieux : mon fameux sort pour faire cracher des limaces ?
Drago se risque à laisser transparaitre un sourire :
- C'est à peu près ça, oui...
Weasley hausse les épaules :
- Ça peut toujours se faire, si tu y tiens. Mais d'abord, allons boire un verre.
Et sur ces mots, il ramasse son manteau abandonné sur le dossier du canapé et sort de l'appartement, laissant Drago libre de le suivre. Pendant de longues secondes, Drago reste immobile, pétrifié par la perspective de ce qui l'attend dehors. Au final, il prend sa décision. Ce n'est pas vraiment une décision consciente. C'est un mélange indescriptible de curiosité, de crainte, de culpabilité et de devoir, envers Weasley comme envers lui-même... Sous ses airs méprisants, Drago éprouve de réels remords envers Ron et sa famille. Des remords au moins aussi intenses qu'envers Hermione, si ce n'est plus. Peut-être tient-il aujourd'hui sa chance, à défaut de se racheter, de demander pardon. Une chance qu'il n'aurait jamais espérée. Drago décide donc de suivre Weasley dans la rue, et les deux hommes s'engagent côte à côte sur les trottoirs agités de Londres. Ils ne s'éloignent pas beaucoup de l'appartement de Granger : un petit pub sorcier fait l'angle de la rue et leur convient parfaitement. Dans l'état de confusion dans lequel il évolue, de toute façon, Drago serait tout disposé à se laisser guider n'importe où. Une fois assis sur l'une des banquettes dans l'atmosphère tamisée du pub, il se cache derrière sa Bièraubeurre tandis que Weasley lui préfère un Whisky Pur Feu.
- Alors, entame le jeune homme roux après avoir englouti une longue lampée de l'alcool ambré. Raconte-moi tout depuis le début.
Drago hésite :
- Sur quoi, exactement ?
- Commence par ce que tu veux. Ce que tu as fait après la guerre, comment Hermione en est venue à te demander ton aide, ce qu'il s'est passé aujourd'hui...
- Ça ressemble beaucoup à un interrogatoire, ton truc.
Weasley s'esclaffe :
- Oui, désolé... Déformation professionnelle. Mais je ne suis pas là pour te causer des ennuis, je t'assure.
S'ensuit un petit silence, au cours duquel Weasley descend l'autre moitié de son verre de whisky :
- Dis-moi comment va Hermione, demande-t-il alors tout doucement. Je le saurais si je n'avais pas été un tel imbécile il y a trois ans, mais... Voilà que j'en suis réduit à demander des nouvelles d'elle à un Malefoy maintenant.
Il lève son verre et trinque pour signifier qu'il fait de l'humour. Drago ne s'en formalise pas. Il lit de la sincérité dans les grands yeux bleus de Weasley qui évitent son regard. Il n'assume pas de lui demander son aide, mais ce n'est pas parce qu'il a affaire à un Malefoy. C'est parce qu'il a honte de la distance qu'il a lui-même creusée entre Granger et lui. Alors, la mort dans l'âme parce que la jalousie le ronge, Drago se résout à lui répondre le plus honnêtement possible :
- Elle a beaucoup souffert, dit-il d'une voix basse. Elle souffre encore aujourd'hui, à cause de ses parents, à cause de la manière dont vous vous êtes quittés... Quand je l'ai revue pour la première fois il y a quelques mois, j'ai bien cru ne pas la reconnaitre. Elle avait le visage d'une fanatique. Tu sais, le genre de personnes qui sont prêtes à tout sacrifier, jusqu'à la folie...
Ron acquiesce, toujours sans l'affronter, absorbé par ses paroles :
- C'était ce qui me faisait peur lorsque nous étions ensemble, confie-t-il. Elle était incapable de se projeter dans l'avenir. Dévorée par ce problème insoluble... J'ai pensé qu'en la forçant à s'en détacher, je la sauverais. Je ne supportais plus de la regarder se dissoudre lentement, passer à côté de sa vie... Mais au final, trois ans plus tard, nous ne sommes pas plus avancés.
Il commande un autre verre qu'il avale presque aussitôt :
- Je ne sais plus quoi faire, avoue-t-il. Il n'y a rien de plus terrible que de voir la personne que l'on aime se détruire lentement...
- C'est ce qu'Hermione vit avec ses parents.
- Je sais. Mais ses parents sont partis depuis longtemps. Il faut qu'elle l'accepte. Elle, elle a encore une chance de vivre...
Weasley se passe une main dans ses cheveux en bataille :
- Je ne sais pas pourquoi je te dis tout ça, dit-il avec un petit air gêné. Je suis dans une impasse. J'ai essayé de partir, ça n'a pas marché. A présent que je voudrais revenir, je la retrouve exactement là où je l'ai laissée... Je ne peux pas vivre sans elle, et en même temps, je ne peux pas vivre comme ça. Et la laisser dans cet état...
- Elle est plus forte que tu ne le crois.
- Oh, je le sais, crois-moi. Je le sais. Mais c'est aussi ce qui est en train de la tuer, dans cette histoire.
Drago ne répond pas. Il y a une indéniable sagesse dans les paroles de Weasley. Une sagesse qui lui fait peur. A-t-il eu tort d'encourager Granger dans son entreprise impossible ? En acceptant de l'aider, de travailler sur ses souvenirs, en lui redonnant l'espoir que procurent des heures et des heures de labeur, n'a-t-il pas précipité sa chute dans les affres de la déception, et pire encore ? Lui qui désirait lui venir en aide pour racheter ses fautes passées, ne lui aurait-il pas en réalité fait encore plus de mal qu'auparavant ? Ces questions assaillent Drago avec la violence d'un raz-de-marée. La Bièraubeurre n'a aucun goût sur sa langue. Il accompagne Weasley en commandant à son tour un Whisky Pur Feu :
- Qu'est-ce que ça a donné, votre travail sur les souvenirs ? demande alors le jeune Auror comme s'il avait pu lire dans ses pensées. Pourquoi est-ce qu'Hermione était aussi bouleversée tout à l'heure ?
Drago soupire. Il a bien besoin d'une gorgée de whisky avant de se lancer :
- Nous avons reconstitué l'équivalent d'une vie entière de souvenirs pour les parents d'Hermione, commence-t-il alors. Hermione a recueilli tous les souvenirs de ceux qui les ont connus, y compris les siens, et elle m'a raconté le reste. J'ai travaillé pendant des mois pour modifier les souvenirs selon leurs perspectives, et j'ai recréé de toutes pièces les passages qui manquaient. Avec Hermione, nous avons convenu qu'il serait moins risqué d'introduire les souvenirs petit à petit, par tranches de cinq ou six ans, afin que l'esprit de ses parents puissent les assimiler sans être dépassés. Mais même cela, ça représentait une masse d'informations énorme... Le grand jour est arrivé aujourd'hui. Nous avons implanté dans la mémoire de la mère d'Hermione l'équivalent de six ans de souvenirs, et elle a très mal réagi. Voilà, tu sais tout. J'ai peur d'avoir mal fait, après t'avoir écouté... J'ai peur de lui avoir donné de faux espoirs.
Weasley reste silencieux un très long moment. A tel point que Drago se met à redouter ce fameux coup de poing dont ils ont parlé en plaisantant, mais qui plane tout à coup dans l'espace qui les sépare, très tangible. Finalement, Weasley lâche d'une voix sombre :
- Tu as fait plus que je n'en ai jamais fait pour elle. Je ne crois pas que qui que ce soit puisse t'en vouloir pour cela. Toi au moins, tu auras essayé.
Weasley s'essuie les yeux et les plante soudain dans ceux de Drago :
- Peut-être que tu as enfin trouvé ce qu'il lui fallait, articule-t-il. A la fin de ce projet insensé, peut-être qu'elle aura enfin le sentiment d'avoir tout tenté. Peut-être qu'elle pourra enfin lâcher prise, sans plus se sentir coupable... Elle aura fait tout ce qu'elle pouvait, tu comprends ?
Drago comprend. Il peut presque voir le poids de la culpabilité peser sur les épaules de Weasley :
- Et toi, pourquoi est-ce que tu as fait tout ça ? lui demande-t-il. Pourquoi est-ce que tu as accepté de l'aider ? Alors qu'elle a débarqué dans ta boutique à l'improviste, si je comprends bien...
- Oui.
Drago inspire profondément. C'est le moment. Il ne ressent peut-être pas le goût de l'alcool, mais celui-ci estompe suffisamment ses peurs pour qu'il ose prononcer ces mots :
- Je l'ai fait parce que je le lui devais, déclare-t-il.
Weasley le dévisage sans comprendre, attendant qu'il continue. Alors cette fois, Drago se lance :
- Je le lui devais après tout le mal que je lui avais fait, poursuit-il. Tous les mauvais choix que j'ai commis, et les conséquences dramatiques qu'ils ont eues... Tu avais raison, Weasley. J'en ai bavé, et je le mérite. Je vis avec mes erreurs depuis ces dix dernières années, et Hermione...
Il se reprend :
- Granger m'offrait une chance de réparer une petite part du mal que j'avais fait. Une toute petite part. De quel droit est-ce que j'aurais pu refuser ?
A peine une heure plus tôt, il se serait attendu à ce que Ron Weasley s'insurge ou se foute ouvertement de sa gueule pour de tels propos. Mais il ne le fait pas. Ron Weasley le détaille au contraire avec une intensité pénétrante, et Drago le sent ému par ses paroles. Comme si leurs deux esprits avaient pu entrer en résonance, eux qui étaient pourtant si différents... Drago saisit l'occasion :
- Je suis désolé pour la mort de ton frère, Weasley, murmure-t-il. Je sais que je n'ai pas le droit de te dire ça. Tu pourrais me frapper pour avoir osé en parler, et tu aurais bien raison. Mais je tenais à te le dire. Sincèrement.
Weasley avale sa salive. Il baisse les yeux sur son troisième verre, et ses deux poings se serrent jusqu'à ce que ses jointures deviennent blanches. Drago continue. Peu importe que chaque mot le rapproche d'une raclée certaine : il n'a jamais eu peur de se prendre des coups jusqu'à présent, et les coups de Weasley, au moins, il les mériterait. Il continue :
- Je suis désolé de t'avoir traité de Traitre-à-ton-sang pendant toute notre adolescence. D'avoir été aussi infâme avec toi, avec Granger, et même avec Potter, tant que j'y suis. Je suis désolé d'être devenu un Mangemort. Je suis désolé d'avoir permis aux Mangemorts de pénétrer dans le château, et de tuer Dumbledore. Je suis désolé d'avoir assisté à la mort de tant d'innocents sans jamais rien faire. Je suis désolé d'avoir laissé Granger se faire torturer sous mon toit, de vous avoir laissés emprisonnés Potter et toi... Je suis désolé. Je suis désolé pour tout, je n'ai plus assez de mots pour l'exprimer. Vous m'avez sauvé la vie Potter et toi dans la Salle sur Demande, alors que rien ne vous y obligeait...
Drago éclate en sanglots. Ça le prend comme ça, sans le moindre contrôle : le flux de souvenirs qui s'échappe de ses lèvres bloque sa respiration et l'inonde de larmes brûlantes. Il n'a même plus la force d'affronter Weasley. Il n'a qu'à le haïr, ou se foutre de sa gueule si cela lui chante : tout cela lui est égal à présent. Les remords le consument tels du sel sur une plaie à vif, et cependant, ils s'échappent, s'échappent de lui et le purifient. Il l'a dit, enfin. Il l'a dit. Cela n'efface en rien tout ce qu'il a pu commettre par le passé, mais c'est un premier pas vers la rédemption, enfin, un pas qu'il n'aurait jamais cru pouvoir franchir... Jamais dans ses rêves les plus fous, il n'aurait imaginé pouvoir s'excuser devant Ron Weasley. Face à lui, Ron avance une main, sans le toucher. Il n'est visiblement pas encore assez magnanime pour abattre cette frontière-là. Drago en est soulagé. Il serait incapable de supporter le contact de qui que ce soit en un moment pareil, à part celui de Granger, peut-être... Finalement, Weasley déclare :
- Hermione a dit que tu étais son patient. C'est toi celui pour qui elle m'a emprunté tous ces livres de magie noire, pas vrai ? C'est toi qui souffre d'une perte chronique des sens.
Drago recule sur sa banquette, comme vidé de ses forces. Il ne s'attendait pas à une telle réaction. Mais il faut croire qu'en grandissant, Weasley s'est rempli de surprises :
- Oui, répond-il.
- Et elle a décidé de t'héberger en attendant de trouver ce que tu avais ?
- C'est ça.
Ron secoue la tête :
- Eh bien, si je m'attendais à ça...
D'une traite, il fait disparaitre la fin de son troisième verre de Whisky Pur Feu, puis il se lève, avec une assurance qui lui fait honneur :
- Tu nous as sauvés quand nous étions chez toi, Malefoy, décrète-t-il. Tu as refusé de nous dénoncer à ta tante Bellatrix. Et tu t'es occupé de la femme que j'aime mieux que je ne l'ai jamais fait, alors que moi je l'avais laissée tomber.
Il pose lourdement sa main sur l'épaule de Drago :
- Fred a été tué par cet enfoiré d'Augustus Rookwood, ou à cause de Voldemort lui-même, pour ce que ça change. Je ne sais pas si je peux parler pour le reste de ma famille, ou pour ce foutu pays, mais... En ce qui me concerne, je te pardonne.
Titubant, il jette quelques Gallions sur la table :
- Ton problème est psychologique, Malefoy. Moi aussi j'ai voulu me débarrasser de mes souvenirs à une époque, mais ça ne sert à rien. Arrête de te blâmer pour toutes les saloperies qui se sont passées durant cette guerre, et tu verras que la vie retrouvera ses couleurs.
Sans prévenir, il lui agrippe la main, la serre :
- Prends soin d'Hermione. Dis-lui que je ne lui en veux pas, et dis-lui... Dis-lui que je serai prêt à revenir, quand elle voudra bien de moi.
Alors Weasley le plante là, complètement stupéfait, les joues encore humides d'émotion. L'esprit de Drago n'est plus qu'un maelstrom sans fond. L'espace d'une brève seconde, il perçoit à nouveau le goût incisif du whisky sur sa langue. Weasley lui a pardonné. Il lui a parlé, à coeur ouvert, et il lui a pardonné. Et puis l'instant d'après, il se rappelle que cet homme est celui que Granger aime. Le destin aurait pu lui faciliter les choses, en faisant de Weasley un intolérant assoiffé de revanche, mais ce n'est même pas le cas. Weasley est un homme bien, et c'est celui que Granger aime. Dans la bouche de Drago, le goût du whisky s'évanouit.
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