Bonjour amis lecteurs,
Je suis désolée pour la fausse alerte d'il y a quelques jours : en voulant publier un nouveau chapitre de mon roman "Into the Deep", je l'ai ajouté accidentellement à "Perfect Sense" au lieu de l'ajouter à "Into the Deep"... D'où ce chapitre en attente que vous avez dû subir ces derniers temps ^^
J'espère me rattraper avec ce chapitre ;D
Bonne lecture !
Nat'
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Le soir venu, Drago attend posément qu'Hermione rentre, assis seul à la table basse du salon. Il a passé le reste de cette journée à tenter de calmer ses nerfs, ce mélange de fébrilité, de colère et de remords qui l'a mordu au cœur devant la tombe de sa mère, et qui ne semble plus vouloir le lâcher depuis. Sensible aux conseils d'Hermione, Drago a tenté de solliciter ses perceptions pour étreindre à nouveau la réalité : c'est pourquoi il a allumé une petite bougie parfumée au cèdre dans l'un des angles de la pièce, tout en éteignant la lumière et en se préparant un thé à la cannelle, guidé uniquement par la danse des flammes tout juste ravivées dans la cheminée. De temps à autre,Drago trempe ses lèvres dans la tasse brûlante, tentant de se rappeler le goût du thé, sa chaleur, celle des flammes, les odeurs délicates de cèdre et de cannelle qui se contredisent, et le contact noble du cuir du canapé Chesterfield sous ses doigts. Cela marche. Un peu.
Vers vingt heures, la clé finit par tourner dans la serrure, et Hermione apparaît enfin, comme une réponse à tous les problèmes de l'univers. Sa présence à elle seule semble altérer l'atmosphère de la pièce : elle est soudain plus chaude encore, plus vive, pénétrante, et Drago reçoit une brève explosion sensorielle rien qu'à la voir franchir cette porte, l'espace de quelques secondes.
La jeune femme remarque aussitôt son trouble :
– Ça ne va pas ? demande-t-elle en constatant tout le petit rituel auquel il s'est livré.
– Je n'arrête pas de penser à ma mère, répond-il en baissant les yeux.
Il s'en veut déjà de troubler à nouveau sa tranquillité d'esprit. Mais cela fait partie du pacte implicite qui s'est noué entre eux ces dernières semaines : la vérité. La transparence absolue. Il ne peut tout simplement pas lui mentir :
– Je suis allé sur sa tombe aujourd'hui.
Le visage d'Hermione se voile de compassion :
– Ça a été ? s'enquiert-elle avec sa douceur naturelle.
Drago esquisse un sourire cynique :
– Je ne sais pas si ça pouvait bien aller...
– Mais est-ce que ça t'a fait du bien d'aller la voir ?
– Non... Je ne sais pas. Ce n'est pour cela que j'y suis allé, en tout cas.
Déposant ses affaires, Hermione vient délicatement s'asseoir auprès de lui :
– Pourquoi est-ce que tu y es allé, alors ?
Drago se décide enfin à relever les yeux sur elle :
– Pour elle, déclare-t-il sans la moindre hésitation. Parce que... Ce n'est pas un hasard si elle continue de me visiter chaque nuit. Elle, et tous les autres... Je l'ai abandonnée. Je me suis caché de cette vérité pendant trop longtemps. Des années durant, je me suis plains que le Ministère ne m'avait pas infligé le châtiment que je méritais, mais je n'ai jamais eu le courage de me punir moi-même pour autant...
– Drago, nous avons déjà eu cette discussion...
– Attends. Laisse-moi finir.
Hermione respecte sa demande, même si Drago voit bien que cela lui est douloureux :
– Je crois que ce dont j'ai besoin, c'est de prendre enfin mes responsabilités vis-à-vis de mon passé, déclare-t-il alors très lentement.
– Comment ? En te flagellant sur la place publique ? En te laissant mourir ?
– En ce qui concerne mes crimes, je ne sais pas...
La jeune femme grimace sur le mot « crime », mais il ne la laisse pas protester :
– Pour ma mère, en revanche... Je peux demander justice.
Le visage d'Hermione s'éclaire, sans qu'il n'ait besoin d'en dire plus :
– Tu veux savoir où en est l'enquête...
– Oui. S'il y a jamais eu une enquête.
Drago laisse échapper un rictus, et cette fois il ne peut le retenir. Il redoute ces moments où il laisse voir à Hermione toute la dureté qui réside en lui. A bien des égards, son esprit et son cœur ne sont plus qu'un marécage en décomposition, un marécage pourrissant de solitude et de remords, qui commence tout juste à renaître sous le soleil timide de son amour avec Hermione. Mais il reste quelque part sous la surface un noyau fossilisé, un roc d'obsidienne noir, rempli d’arêtes coupantes comme des rasoirs, et Drago n'a cessé de s'y blesser lui-même au fil des années. Il ne voudrait pas la blesser elle aussi.
Baissant les yeux à son tour, Hermione prend sa main dans la sienne :
– Tu veux aller au Ministère, déduit-elle d'elle-même. Au Département des Mystères.
Drago acquiesce. La moitié de leur discussion n'a même pas besoin d'être énoncée : ils peuvent lire dans l'esprit l'un de l'autre, aussi bien qu'ils se connaissent. Drago voudrait se rendre au bureau des Aurors. Mais c'est aussi l'endroit où travaille Ron.
– Je n'irai pas le voir, dit spontanément le jeune homme. Je prendrai rendez-vous avec un autre Auror, pour être sûr de ne pas tomber sur lui.
– Et si tu le croisais dans un couloir ?
Hermione secoue la tête. Un violent dilemme se joue visiblement dans son esprit, et Drago n'a pas de mal à en deviner la teneur :
– Je sais que cette affaire est très importante pour toi, dit-elle enfin, coupable, comme si elle s'en voulait déjà de prononcer ces mots. Mais je ne veux pas prendre le risque d'infliger une souffrance inutile à Ron. Je ne veux pas que vous vous voyez.
– Je sais. Je comprends. C'est pour cela que j'ai décidé de t'en parler avant d'agir, et c'est aussi pour cela que je vais écrire à Potter et prendre rendez-vous avec lui.
Cette fois, c'est la surprise qui éclipse tout le reste sur le beau visage d'Hermione :
– Harry ? Mais enfin... Pourquoi ? Il est très proche de Ron, et après tout ce qui s'est passé au Terrier... Tu peux être sûr qu'il est au courant de la situation !
– Et alors ? Je ne viens pas pour lui parler de ma relation avec toi de toute façon, et ça ne le concerne absolument pas.
– Drago, il y a d'autres Aurors qui pourraient très bien...
– Si j'écris à d'autres Aurors, tu peux être sûre et certaine que mes demandes resteront lettres mortes. Je n'obtiendrai jamais de rendez-vous avec eux, et même si par miracle j'en obtiens un sans avoir à faire un scandale, cela ne servirait à rien. Je ne suis pas en position d'exiger quoi que ce soit du Ministère de la Magie. Je ne peux pas les forcer à ouvrir ou à relancer une enquête sur la mort de Narcissa Malefoy, alors que cela fait déjà six ans et que tout le monde s'en fout.
– Et tu crois qu'Harry, lui, le pourra ?
– Oui !
– Pourquoi ? Pourquoi une telle foi en Harry Potter, tout à coup ?
Drago se fige. Il sait qu'Hermione n'a pas voulu le blesser, que ses mots ont dépassé sa pensée. Qu'elle parle de Potter avec aigreur uniquement à cause de leur dernier face à face au Terrier. Mais trop tard, le mal est fait. Elle ne s'est pas rendue compte qu'en s'adressant à Drago de cette manière, elle faisait comme s'il n'avait pas changé. Comme s'il était normal pour Drago Malefoy de mépriser Harry Potter, sans aucune autre forme de jugement.
Hermione doit remarquer le choc sur son visage, mais il se ferme avant qu'elle n'ait le temps de réagir. Il préfère reprendre, sans la regarder, d'une voix calme et méthodique :
– Je sais que vous vous êtes disputés la dernière fois que vous vous êtes vus, mais si la pitoyable histoire de ma vie m'a bien appris quelque chose, c'est que Harry Potter est un homme bien. Il y a dix ans, cela m'aurait tué de l'admettre, mais aujourd'hui, je ne suis plus à ça près... Il m'a sauvé la vie, et il a peut-être bien sauvé mon âme, qui sait... Si Potter n'avait pas été tel qu'il est, je n'aurais peut-être pas autant douté. Je n'aurais peut-être pas pris conscience du mal que je faisais...
Drago secoue la tête. C'est étrange pour lui de poser ainsi des mots sur ce ressenti, dont il n'a jamais été pleinement conscient avant aujourd'hui. L'influence que Potter a eue sur sa vie, parce qu'il était lui, et la chimie singulière que leurs deux destins entremêlés ont dégagée... Peut-être bien que sans Potter, Hermione non plus n'aurait pas été la même, amoureuse à ses côtés...
Une boule au creux de la gorge, Drago tente de combattre l'amertume que la remarque de la jeune femme a fait naître en lui :
– Potter a toujours eu le syndrome du héros, poursuit-il. Il ne peut pas constater une injustice et la laisser ainsi. Même si elle semble être une cause perdue. Il a toujours été l'exact inverse de moi, en un sens : guidé par sa morale, comme un instinct naturel que moi, je n'aurais jamais eu...
Hermione se hasarde timidement à répondre, sous la lueur chaudes des flammes :
– Tes paroles te contredisent à cet instant-même. Seule une personne douée d'un grand sens moral pourrait avoir une conscience aussi aiguë de ses erreurs passées.
– J'ai changé, balaie sèchement Drago. Je n'étais pas aussi honnête avec moi-même à l'adolescence... Si seulement j'avais changé plus tôt. Ou si seulement j'étais né avec une morale câblée comme il faut dès le départ, comme Potter...
– Les choses ne sont pas aussi simplistes, et tu le sais. Les circonstances...
– Je sais, Hermione. Je parle pour ne rien dire.
Drago soupire, puis, voyant à quel point son trouble inquiète la jeune femme, il n'y tient plus et presse ses doigts entre les siens :
– Ce que je veux dire, c'est que Potter ne me fermera pas la porte au nez, dit-il en essayant d'insuffler de la confiance à ses paroles. Si je lui écris, il ne brûlera pas ma lettre avant même de l'avoir ouverte. Il acceptera de me recevoir. Et si je lui demande qui sont les assassins de ma mère... Je sais qu'il fera ce qu'il faut pour me répondre.
Hermione l'écoute, sans rien dire, consciente du bien-fondé de ses paroles. Drago sait qu'il la met dans une situation délicate : elle voudrait protéger sa vie privée, la maintenir à l'écart de Harry et Ron, mais ce désir paraît bien égoïste en comparaison de ce que Drago attend...
– Tu n'as pas peur de sa réaction ? finit-elle par demander d'une petite voix. Tu n'as pas peur qu'il te parle de Ron, de moi, de nous ?
– Même s'il le fait, je n'aurai pas à me justifier devant lui. Je n'ai rien fait de mal. Ni toi, ni Weasley. Nous sommes des adultes responsables, et j'ose espérer que Potter l'est aussi. De toute façon, s'il est un bon ami pour Weasley... Il devrait lui souhaiter d'avancer. Pas de se complaire dans sa colère.
– Un bon ami...
Drago passe un bras autour de ses épaules :
– Ne sois pas cruelle, la sermonne-t-il gentiment. Potter n'a pas su être là pour tes parents et toi, c'est vrai, mais il ne peut pas avoir tous les torts du monde. J'ai la faiblesse de croire qu'il est un bon Auror. Et qu'en ce qui concerne ma mère... Il fera bien son travail.
Ces dernières paroles achèvent de l'emporter sur Hermione :
– Très bien, soupire-t-elle. Tu peux lui écrire dès ce soir. Et si tu veux... Je viendrai le voir avec toi.
Drago sourit :
– Merci, mon amour, répond-il avec toute la sincérité dont il est capable. Mais il y a certains démons que je dois affronter tout seul. Tu ne peux pas toujours être là pour me guider.
Il l'embrasse sur le front :
– Et puis... Je ne tiens pas à te rendre mal à l'aise.
– Je croyais que j'étais censée être une adulte majeure et responsable ?
– Tu ne peux pas être parfaite à cent pourcents, ma chérie.
Hermione lui pince les côtes, mais elle accepte de bonne grâce la critique :
– Je sais que j'ai été dure avec Harry, murmure-t-elle finalement. J'étais bouleversée. Il ne méritait pas toutes les choses que je lui ai dites... Il a choisi de vivre, et il a bien fait. Je ne pouvais pas exiger de retenir le monde entier sur pause autour de moi.
Drago la contemple sans rien dire, si belle même lorsqu'elle admet ses erreurs, là devant la chaleur du feu :
– S'il-te-plaît, dis-lui que je m'excuse, reprend-elle en se raccrochant à sa résolution. Et lorsque nous serons prêts, Ron, lui et moi... Dis-lui que je suis prête à revenir dans le monde des vivants.
Drago acquiesce. L'instant d'après, il tend l'oreille pour percevoir le grattement de sa plume sur le parchemin, tandis qu'il cherche les mots justes pour s'adresser à Potter. Le hibou s'envole dans la nuit noire avec sa missive, et la réponse ne se fait pas attendre. Le lendemain matin, 10h30.
℘
Debout dans le hall d'entrée du Ministère de la Magie, Drago a du mal à comprendre exactement ce qu'il fait là. Il y a difficilement d'autres lieux sur Terre où il se sentirait moins à sa place. Le va-et-vient du monde sorcier partout autour de lui a de quoi lui donner le vertige, avec ces hommes pressés emmitouflés dans leurs capes qui se jettent dans le réseau des cheminées ou qui en surgissent, les visiteurs qui "popent" de nulle part, sorciers, gobelins, elfes de maison, centaures, toute cette petite faune qui se croise sans se regarder, trop impatiente, trop vive.
C'est le coeur battant de Londres qui vibre là tout autour de Drago, mais lui ne parvient pas à prendre part à cette vibration. Comme pour tout le reste, il demeure en dehors des choses, en dehors de la vie, et du monde. Le brouhaha qui bruisse partout autour de lui fait et défait les lois de ce pays chaque matin. Les lois qui ne l'ont jamais condamné officiellement, mais qui ont préféré le faire officieusement, ce qui, d'une certaine façon, était peut-être un châtiment encore pire...
Alors qu'il se tient là au milieu de la foule, submergé par l'imposture qu'il éprouve à se trouver là, Drago ne résiste pas à enfoncer la tête dans les épaules de son costume trop cher afin de ne pas se faire remarquer. Depuis combien de temps ne l'a-t-il plus enfilé, celui-là ? C'étaient les vêtements qu'il portait le jour où il est parti de chez ses parents... Il y a songé en s'y glissant ce matin, avant de se regarder dans le miroir, comme on affronte un fantôme du passé. Pourquoi a-t-il revêtu ce costume exactement ? Pour être présentable devant Potter ? Devant ce haut lieu d'institution où il n'aura jamais sa place ? Ou pour rendre hommage à sa mère, d'une certaine manière ?
Ce costume, elle l'a vu, elle l'a touché. Drago se souvient du contact de sa main sur son bras, la veille de son départ. C'est le dernier lien tangible qui l'unit à elle, et tandis qu'il s'engouffre dans le dédale des ascenseurs du Ministère, Drago a l'impression de percevoir un tout petit peu de sa présence avec lui, là, juste sous sa peau, et cela le rassure.
Il a beau être privé d'une grande partie de ses perceptions, son isolement prolongé ne rend que plus terrible ce bouillon de culture enivrant que représente le Ministère de la Magie. Lorsque les portes de l'ascenseur s'ouvrent enfin sur le Département des Mystères, au terme d'un rodéo digne des plus grandes montagnes russes, Drago est soulagé d'être le seul à sortir à cet étage. Sa plus grande crainte serait que quelqu'un l'arrête et l'interroge, le prenne à parti pour lui demander ce qu'il vient faire là, dans l'une des arcanes les plus secrètes du gouvernement britannique : fomenter un attentat ? S'attaquer aux Aurors, tenter d'assassiner Harry Potter, peut-être ?
Drago avale sa salive, mais il trouve sa gorge complètement sèche. Il ne s'est rendu que très peu de fois au Ministère au cours de sa vie, et ces moments ne comptent pas parmi ses meilleurs souvenirs. Son père, en revanche, a arpenté ces couloirs de très nombreuses fois... Rien que d'y songer accroît encore plus son malaise si c'est possible. D'après ce qu'Hermione lui a dit, le Département des Mystères a beaucoup changé depuis l'époque où le monde fermait encore les yeux sur la survie et le retour de Voldemort. Ses couloirs se sont fait moins intimidants, moins austères. Mais pour Drago, c'est du pareil au même. Les fantômes de Voldemort et de son père hantent ces murs. Les intrigues qui s'y sont nouées sans qu'il en soit lui-même totalement inconscient... Les multiples choses sur lesquelles sa morale ne s'est pas arrêtée à l'époque, ou du moins, pas suffisamment...
Le Département des Mystères représente à ses yeux la Justice par excellence. Celle qui a failli autrefois, celle qui aurait dû le condamner bien des années plus tôt, celle dont il réclamerait presque le châtiment parfois, et celle pourtant qui le terrifie. Il se précipite dans ses bras aujourd'hui, pour demander justice pour une autre... La lui accordera-t-on ?
Un long couloir se profile devant Drago. Percé de multiples portes, des Aurors, leurs assistants et leurs visiteurs vont et viennent dans un ballet qui aurait presque quelque chose de gracieux. Aucun ne fait attention à lui. Il ne doit pas être le premier solliciteur ébahi à franchir pour la première fois le seuil de ce département mystère. La réponse que Potter lui a adressé la veille était claire et concise : "Malefoy, tu as raison, nous devrions discuter de cette affaire de vive voix. Je te délivre une autorisation pour venir me voir à mon bureau demain matin à 10h30. Mon bureau sera le dernier sur la gauche."
Le dernier sur la gauche... Pourquoi cela ne pouvait-il pas être le premier ? Pourquoi Drago doit il subir l'enfilade de portes entrouvertes, chacune d'elle menaçant de lui jeter Weasley au visage à chaque instant ?
S'inspirant de la brièveté de la lettre, Drago trace sur toute la longueur du couloir aussi vite que possible sans avoir l'air suspect, et c'est presque à bout de souffle qu'il ouvre en grand la porte du dernier bureau sur la gauche et la referme aussitôt, sans même avoir pris la peine de frapper.
L'espace d'une demi-seconde, il se paralyse d'horreur à l'idée d'avoir fait une erreur. Mais non. Potter est bien là, assis à son bureau, un air stupéfait plaqué sur son visage un peu idiot, comme s'il n'avait pas pris une ride depuis ces dix dernières années.
Drago secoue la tête et tente de se reprendre. C'est sa peur qui cherche à le protéger en raisonnant ainsi. Qui convoque en lui de vieux réflexes d'agressions et de mépris, le temps de barricader son coeur sous trois couches d'épaisseurs anti-reproches... Aujourd'hui, cela ne marche pas. Harry Potter est assis à son bureau, dans la même pièce que lui, il le dévisage, et Drago se soumet à ce regard en acceptant de baisser ses défenses, une à une :
- Excuse-moi, lance-t-il, encore haletant. Je... Je ne me sens pas très à l'aise, ici.
Encore sonné, Potter acquiesce, comme si leur réunion dans ce bureau était la chose la plus naturelle du monde :
- Oui, je comprends, bredouille-t-il.
Il finit visiblement par reprendre ses esprits, car il se lève et lui désigne le siège en face de lui :
- Je t'en prie, assieds-toi.
Drago ne se fait pas prier. Sa gorge le brûle, son coeur tambourine dans sa poitrine comme s'il avait couru un marathon. Il dégouline de sueur dans son costume d'adolescent, et la conscience de percevoir toutes ces choses lui donne soudain un regain de courage :
- Merci, déglutit-il en essuyant vaguement ses paumes moites.
Potter se rassoit. Un long moment, les deux hommes s'observent, comme deux loups mis en cage qui ignorent encore s'ils vont s'entre-tuer ou coopérer. Drago fait de son mieux pour soutenir cet échange silencieux. Il s'y attendait. Quoi de plus normal, après tout ? Lui-même est forcé de reconnaître qu'il éprouve une curiosité mal placée à l'égard de Potter, et l'Elu du monde sorcier doit sans aucun doute ressentir la même chose pour son vieil ennemi...
Puisqu'il ne pourra pas échapper au jugement, Drago se permet de juger lui aussi. Sa première impression était injuste : Potter a changé. L'âge a fait fondre les dernières rondeurs de l'enfance et de l'innocence qui se devinaient encore chez lui avant cette année fatidique passée à traquer les Horcruxes de Voldemort. Drago se souvient du choc qu'il a ressenti lorsqu'il l'a revu pour la première fois, à cette époque... Dans son Manoir, le visage complètement défiguré, avec au fond des yeux la peur et la furie d'un animal traqué, blessé à la pointe d'épreuves que lui-même ne pouvait même pas imaginer...
Il l'avait reconnu au premier regard, bien sûr. C'était lui. Mais cette vérité n'avait pas pu franchir ses lèvres. Peut-être Hermione avait-elle raison, en fin de compte. Drago le réalise seulement maintenant, tandis qu'il retrouve le poids de ce regard posé sur lui. Son caractère s'est véritablement révélé durant ce moment, ce face-à-face dans la grande salle du Manoir Malefoy, alors qu'il ne pouvait se résoudre à livrer ce que son prétendu camp réclamait à cor et à cris depuis des années... Placé au pied du mur, il n'avait pas pu. Peut-être faisait-il partie de ces esprits trop lents qui avaient besoin qu'on les colle au pied du mur pour trouver la réponse, qu'on leur remue le nez dans leur propre merde jusqu'à ce qu'ils en devinent enfin la puanteur...
Bien des années plus tard, Drago peut affirmer qu'il a compris. Oh ça oui. Il voudrait demander pardon à Potter aujourd'hui, spontanément, comme il a demandé pardon à Weasley... Mais ce n'est pas ce qui l'a amené ici aujourd'hui. Avec Weasley, il y avait eu ces retrouvailles surprenantes dans ce bar, l'assurance de l'alcool, cet attachement étrange et partagé pour Granger, qui avait dû tisser un lien invisible entre eux malgré eux...
Potter ne dégage rien de tout cela. A présent qu'il l'a en face de lui, Drago peut enfin se faire une petite idée de ce qu'Hermione a pu ressentir, livrée toute seule au plein coeur du Terrier des Weasley.
Du haut de ses vingt-huis ans, Potter transpire l'épanouissement et la joie de vivre. Son bureau, loin de l'antre de magie noire que Drago se figurait, est couvert de dessins d'enfant et de photos de sa famille. La plus récente montre une Ginny Potter rayonnante, rousse, plus enceinte que jamais, enlaçant son mari avec tendresse.
Oui, Potter est plein de tout ce qui a manqué à Hermione et Drago pendant toutes ces années, et face à lui, soudain, Drago se sent vide. Comparé à Potter, qu'a-t-il fait de sa vie ? Il a le sentiment de n'avoir rien vécu. De n'avoir pas su prospérer, s'enrichir, se nourrir de la vie, et grandir auprès d'elle. Pas étonnant que ses sens lui échappent avec autant de facilité... Il n'a pratiquement rien pour les retenir.
A moins d'un mètre de lui, le visage de Potter exhale de lui-même l'existence, la famille, la fierté et l'amour qui l'habitent, la réussite, tout simplement, et Drago s'en voudrait presque de l'envier pour tout cela. Cela le fait se sentir minable. Cela le fait se sentir moins que lui-même. Oui, plus que jamais, il comprend le calvaire qu'Hermione a pu ressentir, en voyant de ses yeux ce qu'elle avait abandonné pour rester auprès de ses parents, ce qu'elle avait perdu tandis que son ami, en acceptant de la laisser derrière lui, raflait toute la mise...
Drago baisse les yeux, se force à desserrer les poings et expire à fond. Il n'est pas venu ici pour envier Potter, ni pour entrer en guerre avec lui. Il vient solliciter son aide, rien de plus. Et peut-être, qui sait, dresser un nouveau pont de réconciliation entre son passé et son avenir...
- Merci d'avoir accepté de me recevoir, dit-il sobrement.
A nouveau, Potter acquiesce. Lui non plus ne semble pas vraiment savoir par où commencer leur discussion. Le fantôme de Weasley se dresse entre eux, inévitable. Difficile de l'éluder, quand on sait qu'il travaille probablement dans le bureau d'en face...
- Je sais ce qui t'amène, finit cependant par déclarer l'Elu. Ta demande est légitime, et je te promets d'y répondre dans un instant, mais tout d'abord... Je ne me sens pas capable de faire de faux-semblants avec toi. Tu me comprends ?
C'est au tour de Drago de faire oui de la tête. Il sait déjà de quoi Potter veut lui parler, bien sûr, mais il ne lui rendra pas la tâche facile pour autant :
- Tu dois t'en douter, mais... Je sais, pour Hermione et toi, se trouve donc contraint de poursuivre Potter devant son silence. Je sais ce qui s'est passé avec Ron. Je suis... perplexe, je dois bien te l'avouer. Complètement.
- Je comprends.
Drago économise ses mots. Même s'il s'attendait à devoir obligatoirement en passer par là, cette conversation le met plus que mal à l'aise. A travers le regard et les questions de Potter, c'est le reste du monde sorcier qu'il perçoit. Ce qu'il adviendrait si sa relation avec Hermione était révélée au grand public... Le choc médiatique que cela provoquerait, avec au mieux, de l'incompréhension, de l'incrédulité, et une curiosité mal placée, et au pire, de la colère, du dégoût, de la haine... Drago ne veut rien de tout cela. Il accepterait d'être mis en pièces sur la place publique si c'est ce que la justice exigeait de lui, mais il ne veut pas de cela pour Hermione. Pas après tout ce qu'elle a déjà traversé...
Avec un soupir, Drago se décide à crever l'abcès :
- Demande ce que tu as à demander, Potter. Est-ce que c'est vrai ? Oui. Est-ce que je l'aime ? Assurément, oui. Est-ce qu'elle m'aime ? J'ai l'audace de croire que oui. Je n'ai aucune animosité pour Weasley, et je suis désolé qu'il ait eu à en souffrir. Tu es son meilleur ami, c'est normal que tu prennes son parti. Mais je n'ai jamais voulu causer de tort à quiconque, et je ne suis pas là pour en causer davantage aujourd'hui.
Potter semble boire ses paroles. Drago a l'étrange impression que c'est là leur toute première vraie conversation, depuis qu'ils se connaissent. La première qui ne se déroule pas dans le mépris et l'affrontement. La défiance, par contre, il leur faudra sans doute encore un peu de temps pour s'en défaire...
- Je t'avoue que je n'arrive pas... Je n'arrive pas à imaginer comment vous avez pu en arriver là, livre Potter. Comment Hermione et toi, vous avez pu... Ça sort tout droit d'un monde parallèle pour moi.
- Pour moi aussi, si ça peut te rassurer.
Devant l'air suspicieux de Potter, Drago complète :
- Pas à cause de son statut de Née-Moldue. J'ai laissé ces idées derrière moi depuis longtemps. Ce n'étaient pas les miennes, de toute façon... Non, je n'aurais jamais imaginé pouvoir connaître ça un jour, c'est tout. La connaître elle.
- Tu ne dois pas lui faire de mal...
- J'essaie. Mais comme Weasley a dû te le dire, je suis malade. Je ne suis pas exactement le compagnon idéal pour un bonheur sans nuage...
Drago rit de lui-même : cela l'a toujours aidé à se détendre. Il ne s'attendait pas à aborder sa maladie avec Potter, mais l'hameçon est lâché :
- Ron m'a dit pour ce qui t'arrive, oui, répond l'Elu. Je suis désolé. J'ai fait quelques petites recherches de mon côté, mais... Je n'ai rien trouvé de plus que ce que vous savez probablement déjà.
- Oui.
Drago se tapote la tempe d'un air sarcastique :
- J'ai quelques petits comptes à régler avec moi-même. C'est pour cela que je suis venu te voir, d'ailleurs.
Ça y est, ils y sont enfin. Plus de retour en arrière possible, désormais. Drago sent la tension se resserrer autour de sa cage thoracique :
- Je sais que notre situation est étrange : toi et moi qui nous retrouvons dans cette pièce, après toutes ces années... Je sais que tu ne me dois rien, et que tu aurais toutes les raisons de m'envoyer me faire foutre, d'autant plus avec ce qui s'est passé avec Hermione. Mais... J'avais le sentiment que tu accepterais de m'aider. Au sujet de ma mère.
Potter se recule dans son fauteuil et garde le silence quelques instants. Visiblement, l'honnêteté de Drago le surprend et le touche : peut-être cela jouera-t-il en sa faveur... Drago ne se sentirait pas davantage vulnérable s'il venait de se mettre à poil au beau milieu du grand hall du Ministère :
- Je fais bien mon travail, Malefoy, répond enfin l'Elu du monde sorcier.
- Je n'en doute pas une seconde...
- Ce que je veux dire, c'est que je fais mon travail sans y intégrer mes émotions, mes jugements de valeur et mes opinions personnelles. Je m'investis à fond dans chaque enquête, bien sûr. Mais j'estime que tout le monde a le droit à une justice équitable, peu importe qui tu es, d'où tu viens et ce que tu as fait auparavant.
- C'est rassurant de le savoir...
Drago a l'impression de marcher sur des charbons ardents. Potter lui fait comprendre qu'il n'a rien oublié de son passé de Mangemort, et le jeune homme peut difficilement l'en blâmer. C'est la première fois qu'il se retrouve confronté à l'une de ses "victimes" qui aborde ouvertement son passé devant lui. Hermione et Weasley, eux, avaient montré du pardon et de la compréhension. Potter semble davantage versé dans l'intransigeance...
- Et puis de toute façon, en ce qui me concerne, Malefoy, poursuit soudain Potter en s'appuyant des deux coudes sur son sous-main, je n'ai jamais eu le moindre ressentiment pour toi.
Drago avale sa salive. Il a mal entendu, ce n'est pas possible... Une triple absolution ? Si on lui en avait parlé à peine quelques mois plus tôt, il en aurait ri aux éclats jusqu'à ne plus sentir ses côtes.
- Vous vous êtes consultés, Hermione, Weasley et toi ? lance-t-il malgré lui, regrettant aussitôt son sarcasme.
Potter secoue la tête :
- Ron m'a raconté vos retrouvailles, votre soirée au bar, les choses que tu lui as dites... Mais même avant cela, je gardais un oeil sur toi, de temps en temps. Je n'ai pas attendu que tu resurgisses dans la vie d'Hermione pour m'inquiéter de ce que tu devenais.
- Tu me surveillais, conclut Drago, amer.
- Tu pourrais me le reprocher ?
- Non... Non, si j'étais à ta place, j'aurais probablement fait bien pire.
Potter lui accorde un instant de silence, avant de reprendre :
- Je sais ce que tu fais dans la boutique que tu as montée, dit-il. Tu as aidé beaucoup de gens. A ta manière, bien sûr... Je connais des collègues qui sont passés te voir plus d'une fois, et qui en ont eu une vie transformée. Plus de douleur. Plus de mauvais souvenirs...
- Hermione dit que ce n'est pas le bon moyen de guérir.
- C'est un moyen. Dans ce domaine, je ne suis pas sûr qu'il y en ait de meilleurs que d'autres...
Alors soudain, dans l'instant, Drago réalise ce que Potter n'ose pas lui révéler, à demi-mots. Il aurait dû la repérer tout de suite pourtant, cette souffrance si familière, celle qu'il a croisée dans les yeux de dizaines de vétérans de la guerre, et qui brille d'un éclat plus acéré que jamais, dans les prunelles de l'Elu du monde sorcier en personne...
Potter a-t-il eu envie de franchir le seuil de sa boutique, un jour, lui aussi ? A-t-il rêvé de se débarrasser de ses démons en les expédiant aux oubliettes, en les balayant sous le tapis grâce au pinceau expert de Drago Malefoy, son ancien ennemi ?
Face à lui, Potter se rend compte immédiatement qu'il vient de comprendre. Il sourit, avec une tristesse et une maturité qui laissent soudain deviner son âge :
- J'ai pensé venir, oui, murmure-t-il doucement. Mais je n'ai pas pu. Je ne pourrai jamais. Parmi tous les souvenirs terribles qui font de moi ce que je suis, il y a le souvenir de mes parents... Effacer ce que j'ai vécu, ce serait les effacer eux aussi. Déshonorer le sacrifice qu'ils ont fait pour moi. Mon destin est intrinsèquement lié au leur, et je ne peux pas m'en défaire.
Drago acquiesce, incapable de parler. Le noeud dans sa gorge s'est encore resserré. Comme dans ce bar au beau milieu de la nuit devant Ron Weasley, il ne s'attendait pas à devenir le réceptacle de telles confessions. Un acte de confiance dont il ignore ce qu'il a bien pu faire pour le mériter... Sans doute la douleur forge-t-elle un lien indélébile entre ceux qui la créent, et ceux qui en souffrent. En termes de souffrance, Drago et Potter se sont sans doute bien rendu la pareille l'un à l'autre depuis tout ce temps...
- Si tu éprouves de telles choses, alors tu devrais comprendre ce que ressent Hermione, lance soudain Drago.
Il se mord la langue. Il espère que Potter ne prendra pas mal ce qu'il vient de lui dire, mais il l'a dit sans animosité aucune. Uniquement parce que l'analogie le frappait. Sans se mettre en colère, Potter hoche la tête :
- Je la comprends, oui... Mais nos situations sont différentes. Mes parents sont morts depuis longtemps. Rien ne pourra jamais les faire revenir, absolument rien. Parfois, j'ai l'impression que toute mon enfance et mon adolescence n'auront servi qu'à m'apprendre cette leçon... M'apprendre à accepter de lâcher prise. En conservant mes souvenirs, c'est simplement leur mémoire que j'entretiens. Je les honore. Mais Hermione, la pauvre...
Harry soupire, ferme les yeux :
- Tant que le coeur de ses parents battra dans leur poitrine, elle ne cessera jamais d'espérer. La vie lui a joué un sort cruel. Il n'y a rien de pire qu'une mort en suspens... Rester vivant, sans l'être vraiment. Une demi-vie.
- Une vie maudite...
L'air grave, Potter acquiesce. Drago ressent pourtant le besoin de le contredire :
- Ça marche pourtant, tu sais, lui assure-t-il. Les souvenirs ont bien pris. Elle avait raison d'y croire.
Potter sourit :
- Oui, j'ai appris ça. Je suis content pour elle. Je crois qu'au final, nous avions un peu raison et tort tous les deux...
- Elle m'a dit de te dire qu'elle était désolée. Pour ce qu'elle t'a dit au Terrier. Elle a dit qu'elle s'était montrée dure avec toi, et... que tu ne méritais pas tout ce qu'elle t'avait reproché.
Potter détourne le regard. Visiblement, c'est son tour d'entrer sur un terrain qu'il ne s'attendait pas à aborder, surtout avec Drago Malefoy. Drago tente de se mettre à sa place une seconde, et il n'a aucun mal à comprendre sa réaction : jamais Potter ne se serait attendu à parler de sa meilleure amie d'enfance avec Drago Malefoy, devenu entre-temps son amant...
- Merci, finit par acquiescer l'Elu, sincère mais sobre dans son émotion.
- Elle a dit aussi que, quand vous serez prêts, toi, Weasley, et tous les autres... Elle serait prête à retourner dans le monde des vivants. Avec vous.
Potter hausse un sourcil :
- Et avec toi aussi, du coup.
Sa phrase renferme un soupçon d'interrogation, qui n'échappe pas à Drago. Le jeune homme hausse les épaules :
- Je ne serais pas si catégorique. Hermione a tendance à se montrer beaucoup plus optimiste que moi. Pour ma part, je m'imagine mal à un repas de famille chez Weasley ou chez toi... Et je ne sais même pas si je serai encore là dans un an, donc bon.
Les traits de Potter se ferment. C'est tout l'art de la famille Malefoy, ça : savoir plomber une ambiance en une seule réplique. Drago ajoute avant que Potter ne réagisse :
- Quoi qu'il en soit, je serais heureux qu'elle renoue contact avec vous. Je ne me mettrai pas en travers de son chemin, même si cela signifie que je devrai rester à l'écart.
Potter baisse les yeux, secoue la tête :
- Je pense qu'il faudra du temps, souffle-t-il. Surtout pour Ron. Mais pour ma part... Je ne vois pas de raison de te mettre à l'écart.
Il relève les yeux sur lui en disant cela, et Drago soutient son regard, avec toute la clarté limpide qu'il implique. Il se sent étonnamment lavé par cette conversation. Purifié. Comme si l'une des rares personnes dont l'opinion comptait vraiment pour lui venait soudain de lui accorder son estime, comme un cadeau inattendu tombé du ciel. Bien sûr, comme toujours, cet instant de plénitude ne peut pas durer :
- Puisque nous aimons nos parents, Hermione, toi et moi..., reprend-il. Tu dois comprendre pourquoi je suis venu te voir, moi aussi.
A nouveau, Potter évite de le regarder dans les yeux. Ce n'est pas bon signe. Nerveusement, il fouille dans les piles de dossiers étalées autour de lui :
- J'ai fait quelques recherches avant ta visite, indique-t-il. Il n'y a jamais eu d'enquête ouverte sur la mort de Narcissa Malefoy. Officiellement, elle est décédée de mort naturelle, chez elle.
- Officiellement ?
Potter extirpe enfin de l'une de ses piles une chemise en carton, fine comme trois feuilles de papier, qu'il déploie devant lui :
- Ton père, Lucius Malefoy, a déclaré son décès au Ministère par hibou. Un Médicomage de Sainte-Mangouste a été dépêché pour constater le décès. Il a rempli un rapport presque vide en indiquant simplement "mort naturelle". Une autorisation d'inhumation a été délivrée. Visiblement, tout a été réglé très rapidement, et sans que qui que ce soit n'ait envie de s'attarder sur le sujet.
- Mais il devait y avoir des marques sur son corps, pourtant ! Il devait y avoir encore la trace du sortilège dans l'air !
- Qu'est-ce qui te fait penser que sa mort aurait pu être suspecte ?
- C'est mon père qui me l'a dit... Il m'a raconté que des inconnus avaient pénétré une nuit dans le Manoir, et qu'ils avaient torturé ma mère à mort...
Drago peut presque sentir son coeur se glacer en prononçant ces mots. L'atmosphère de la pièce s'est figée. Les yeux de Potter le transpercent désormais de leur vert pénétrant :
- Et tu n'as pas assisté toi-même à la scène ?
- Non... Jusqu'à il y a quelques semaines, je ne savais même pas qu'elle était morte. Il ne m'avait pas prévenu. Et nous avions rompu tout contact depuis la fin de la guerre.
Agrippant un calepin et une plume, Potter commence à griffonner quelques notes de son écriture en pattes de mouche :
- Tu as envisagé qu'il ait pu te mentir ? demande-t-il sans cesser d'écrire. Si vous n'êtes pas en bons termes, il a pu te dire cela uniquement pour te blesser.
Drago n'avait pas pensé à cette possibilité :
- Peut-être..., grimace-t-il. Mais il avait vraiment l'air de m'en vouloir... Le plus simple serait de faire examiner ses souvenirs : ça pourrait donner une première piste, tu ne crois pas ?
D'un soupir, Potter consent enfin à poser de nouveau les yeux sur lui :
- Ce n'est pas aussi simple. Personne ne peut l'obliger à confier son souvenir à la justice tant qu'il n'y a pas d'enquête officielle ouverte, et si je me pointe sur le pas de sa porte, je doute qu'il accepte de coopérer sans poser de questions...
- Il n'y a qu'à ouvrir une enquête, alors ! C'est un meurtre, bon sang !
- Je sais. Je comprends ta colère.
La voix de Potter est calme, magnétique. Si seulement il avait eu ainsi le don d'apaiser leurs échauffourées à Poudlard...
- Mais je ne peux pas ouvrir une enquête comme bon me semble, objecte-t-il. Je dois en référer à mes supérieurs qui, comme tu t'en doutes, ne sauteront pas de joie à l'idée d'ouvrir une enquête officielle sur la mort de Narcissa Malefoy, d'autant plus si le décès remonte à six ans. Le temps est notre pire ennemi : il efface les souvenirs, les preuves... A l'heure actuelle, tout ce que j'ai c'est ta parole, même pas celle de Lucius Malefoy.
- Il te suffit d'aller l'interroger ! Je peux même aller le voir moi-même, si tu veux !
- Je le ferai. Ecoute-moi, Malefoy.
Potter marque une pause, le temps de s'assurer qu'il capte bien toute son attention :
- J'ai dit que je t'aiderai, et je ferai tout mon possible. Mais tu ne dois pas avoir de faux espoirs. Même si l'idée me met en rage, je ne pourrai peut-être rien faire pour toi. C'est injuste. Mais c'est le monde dans lequel on vit.
- Si c'était ta mère, argue Drago, qui ne peut plus retenir le venin dans sa voix. Si c'était ta mère, Potter, qu'est-ce que tu ferais ?
Potter ne lui oppose que ses yeux d'absinthe :
- La même chose que ce que j'ai déjà fait, répond-il. Tuer celui qui l'a tuée.
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