Scorpius était assis en tailleur sur le tapis mordoré du salon. Il attendait, depuis bientôt cinq minutes –une éternité !- un signe ; ou autre chose, d’ailleurs. Peu importait tant que cela lui indiquait quelle décision prendre. Face à lui, une armée de figurines magiques attendait sagement ses directives. L’enfant hésitait face aux alternatives qui s’offraient à lui : envoyer ses soldats improvisés en combattre d’autres, encore endormis au fond d’une malle dans sa chambre, ou inventer quelque chose d’original ?
Cette décision était d’une importance cruciale. Après tout, de celle-ci dépendrait l’avenir de son armée de personnages disparates. La première possibilité lui permettrait de prouver à son père, assis auprès de lui et plongé dans un journal, qu’il était un excellent tacticien. La seconde… Eh bien la seconde, justement, elle n’existait pas encore, puisqu’il ne l’avait pas inventée.
-Papa ?
-Oui ?
-Qu’est ce que je dois ordonner à mes soldats ?
Draco leva les yeux de son journal l’espace d’une seconde et observa l’objet de l’intense dilemme de son fils.
-Partir à la conquête du salon et retrouver la boucle d’oreille que ta mère a égarée sera une mission parfaite pour eux.
Avant même d’attendre la transmission de l’ordre par leur jeune stratège de cinq ans, les figurines s’animèrent et partirent en quête du Bijou Perdu dans un chaos impressionnant. Scorpius fronça les sourcils, mécontent : c’étaient<i>ses</i>soldats, à lui, et ils devaient obéir à ses ordres, pas à ceux de son père !
Cependant, l’enfant se prêta bien vite au jeu et se réjouit avec les petits personnages quand deux d’entres eux ramenèrent la ravissante boucle d‘oreille qu’Asteria avait perdue le matin même. Certes, il aurait suffi à Draco d’un sort d’attraction pour la retrouver, mais à quoi bon gâcher la joie enfantine de son fils ?
Celui-ci, déjà lassé de jouer avec les figurines, leur ordonna d’un ton autoritaire de retourner dans sa chambre puis pivota vers son père.
-Papa ?
Draco leva les yeux au ciel, posa son journal sur la table basse après l’avoir précautionneusement plié et se tourna vers l’enfant.
-Qu’y a-t-il encore, Scorpius ?
Le petit garçon, devinant que son père ne lui faisait pas vraiment de reproches, s’approcha et lui tendit les bras. Il posa ses yeux couleur ciel sur lui avec espoir, et murmura d’une petite voix, qu’il savait irrésistible :
-J’ai envie d’un câlin…
Son père ne put retenir un petit rire.
-Vraiment ? Monsieur Scorpius désire un câlin… et je suis censé obéir à ses ordres, c’est cela ?
Avec un sourire éblouissant, l’enfant acquiesça vivement. Draco soupira, plus amusé qu’autre chose, et prit son fils dans ses bras. Le serra contre lui, fort.
Il faut vraiment que j’apprenne à résister à Scorpius. A ne pas céder à son moindre désir. Certes, ce n’était qu’un câlin… Mais c’est encore un enfant. Que demandera-t-il dans quelques années ?
Il est aussi doué que sa mère quand il s’agit d’amour. Pourtant, je n’aime toujours pas Asteria comme elle le mériterait. Et je crois qu’elle en souffre. Non, je vais être sincère, une fois n’est pas coutume : je sais qu’elle en souffre. D’autant plus qu’elle a encore de nombreux prétendants, malgré notre mariage ; des hommes qui sauraient l’aimer, eux… Oui, c’est bien d’elle que Scorpius tient ce charme enfantin, ce charisme à peine naissant mais déjà fort efficace sur moi. Quelle idée d’avoir un fils aussi mignon…
Sa facilité déconcertante à manipuler les gens, je crois qu’il la doit autant à Asteria qu’à moi-même. Derrière son sourire lumineux et ses yeux d’un bleu pur et innocent, ma belle épouse cache fort bien un esprit aiguisé... Tout comme sa douceur dissimule une sournoiserie digne de la plus parfaite Serpentard. J’en viendrais même à la croire plus fourbe que moi…
Scorpius noue ses mains autour de mon cou, réclamant mon attention. En riant, je le serre plus fort contre moi, j’embrasse avec légèreté son front. Je n’arrive décidément pas à lui résister… Oui, il faudra bientôt prendre des mesures, pour que cet adorable enfant ne devienne pas un véritable petit tyran. Pour qu’il ne me ressemble pas, devrais-je dire. J’ai été un enfant puis un adolescent vraiment imbuvable… Ce que j’ai mis du temps à réaliser. Là encore, la guerre a joué son rôle… Mes erreurs aussi. Surtout. Je les reconnais, toutes. Et elles me pèsent au point de m’empêcher de dormir, parfois… Trop souvent. Mais il n'est plus temps d' y penser, elles ne peuvent plus être effacées. Tout ce que je veux, c’est que Scorpius n’ait pas à en subir les conséquences. Il n’est pour rien dans ce passé que je chercher à oublier.
En tous cas, je suis sûr que Scorpius saura trouver le juste milieu entre gentillesse et assurance. Il faut qu’il croie en lui, mais sans pour autant jouer au Petit Prince… Heureusement, il n’a pas encore compris qu’il possède ce « talent ». Pour autant qu’on puisse qualifier ainsi sa capacité à manipuler autrui…
Mais je fais confiance à Scorpius, je sais qu’il n’abusera pas de son influence sur les autres. Du moins, je l’espère…
Draco laissa ses pensées dériver au loin, préférant profiter de l’instant présent. Songer à l’avenir, ressasser le passé… Cela ne servait à rien. Alors autant oublier l’un et l’autre, pour l’heure. Ne vivre que dans le présent. Il pourrait toujours réfléchir à tout cela lors d’une de ses nombreuses nuits blanches…
Alors il s’abandonna au calme de l’instant et le grava dans son esprit. Retrouva le sourire, doucement, tandis que le moment présent emplissait son esprit… Finit par demander d’une voix amusée :
-Alors, petit Scorpius, content ?
- Oui. Je t’aime, Papa !
Le sourire de Draco vacilla.
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