Je me glisse hors de la maison. Pieds nus et en pyjama léger, je lève les yeux. On voit les étoiles, ce soir. Je souris. La lune est pleine. Ses rayons me donnent l’impression d’être dans un jardin de fées. Au bout de quelques secondes, mon regard quitte le ciel.

Devant moi, un mur lointain, couvert de lierre. Il y en a tant, de lierre, qu’on dirait qu’il cherche à étouffer la pierre, à la remplacer. Mais ce n’est sûrement qu’une impression : Maman dit que j’ai trop d’imagination, que j’invente des choses improbables. Derrière le mur, il y a  les cimes de grands arbres. Un autre jardin, celui d’Alice. Alice, elle est très belle. Et elle a neuf ans, comme moi. Je n’en suis pas amoureux, contrairement à ce que prétendent nos parents à tous deux. Je l’apprécie juste énormément. Et puis elle me fait penser à Eleonora, ma cousine. Elle est aussi calme, aussi astucieuse qu’elle.

J’avance un peu.

Il y a de l’herbe, le long du mur, une herbe verte presque jaunie, brûlée, recouverte de pâquerettes et de boutons d’or. Le sol est dur. Les petits graviers qui le parsèment s’enfoncent dans mes plantes de pieds. Si je reste immobile, je ne les sentirai plus.

Je ne les sens plus. A ma gauche, à bâbord comme disent les marins des contes moldus que je lis parfois, des arbres et des fleurs. Au loin, un immense portail. La glycine déjà fanée qui serpente dessus se faufile dans les interstices, envahit la moindre fissure. On dirait un peu à des serpents.

De l’autre côté, un arbre coupé. Mort. C’est laid, un tronc d’arbre sans rien dessus, sans branches, ni feuilles, ni fleurs pour le faire vivre. J'aime vraiment les arbres ; trop pour supporter qu’on les coupe.

Quelques pas de plus. L’herbe fraîche sous mes pieds à la place des graviers. Je me retourne. La maison est plutôt petite. Ancienne. Les volets en bois, d’un bleu délavé, ne se ferment plus très bien. Tant mieux, j’aime regarder le ciel, la nuit. Inventer l’histoire de chaque étoile. La glycine du portail s’enroule autour de la gouttière, investit la façade. C’est joli, sûrement. A en croire Maman, c’est même « ravissant ». Moi, je n’aime pas les fleurs. Je n’aime que les arbres. Et le ciel.

Je me laisse tomber dans l’herbe. La lune. Les étoiles. Le vide qui les entoure, qui veut les noyer.

C’est étrange, d’ici, tout est différent. Tout est à découvrir. Je ferme les yeux. Je ne sais pas si j’ai le droit d’être là, dans ce jardin odorant, bien après minuit. Alors je profite de la chaleur de cette nuit d’été, je me laisse bercer par le chant étrange des insectes. Je crois que ce sont des grillons. Je m’endormirais presque…

Bruits de pas. Draco se glisse auprès de l’enfant, s’allonge lui aussi. Silence.

-Papa ?

-Scorpius ?

-Regarde cette étoile.

Draco obéit, suit des yeux le doigt tendu de son fils. Ne remarque rien.

-Elle brille plus que les autres, ça veut dire qu’elle va bientôt mourir. Dis, on attend qu’elle meure ?

Son père hoche la tête, se rapproche de Scorpius. Le petit garçon sourit dans la pénombre, pose la tête sur le ventre de son père, reprend :

-Une étoile morte devient une étoile filante. On pourra faire un vœu. Tu vas souhaiter quoi, toi, Papa ?

Légère hésitation. Draco répond avec un sourire dans la voix :

-Si je te le dis, Scorpius, il ne se réalisera pas.

Elle…

-Oh. Alors je ne te dirai pas mon vœu non plus. Mais je pourrai te le raconter, quand l’étoile l’aura réalisé ?

Le ton du petit garçon est sérieux. Draco sourit, souffle que « oui, bien sûr » et observe tendrement Scorpius.

Les secondes s’égrènent. Deviennent minutes. Le père et l’enfant sont heureux, l’un près de l’autre, les yeux fixés sur l’étoile.

Ils sont en vacances, loin de chez eux. Ils en profitent pour réaliser quelques un des nombreux rêves de Scorpius. Des chimères de Scorpius.

-Là, regarde !

Le garçon a parlé doucement, émerveillé, tandis que l’étoile semble exploser puis tomber, tomber…

-Papa, n’oublie pas de faire ton vœu !

Draco n’oublie pas, non.

Faites qu’Elle pense à moi… Au moins un peu…

L’étoile disparaît. Scorpius se lève.

-Tu viens, Papa ?

-J’arrive, Scorpius. Va te coucher.

-Tu viendras me dire « bonne nuit » ?

-Bien sûr, comme chaque soir. Même si ce sera plutôt « bonjour », aujourd’hui.

L’enfant sourit et rentre dans la maison.

Draco reste allongé quelques secondes de plus. Finit par se lever. S’il ne va pas l’embrasser, Scorpius ne dormira pas. Après un dernier regard indéchiffrable vers les étoiles, Draco rentre à son tour.

Il fait de nouveau sombre.