- El ?
Eleonora se détourna du paysage qui défilait derrière la vitre. Ses yeux bleus se perdirent dans ceux de son cousin, si clairs qu’ils en paraissaient gris. Saphir et Diamant.
Quelques secondes d’un silence sans fin.
-Je vais bien. Ne t’en fais pas.
Sa voix douce trembla imperceptiblement. Triste.
Scorpius le perçut, pourtant. Comprit aussitôt.
-Je resterai avec toi, El. C’est promis.
Promesse intenable… Et elle le savait bien. Pourtant elle sourit à son cousin.
-Merci.
Eleonora et se laissa aller contre Scorpius, s’endormant aussitôt.
Sans bouger pour ne pas la réveiller, le garçon ferma lui aussi les yeux. Pas pour dormir. Pour réfléchir et laisser ses pensées le mener aux rêves…
Pour repenser aux dernières minutes, aux dernières heures. Au reste, à Avant.
Ne jamais oublier. Jamais.
Aujourd’hui, il faisait chaud. Le ciel était bleu. Pur. Les rares nuages qui le parsemaient s’enroulaient sur eux-mêmes, s’estompaient… J’aime les nuages. Je trouve ça beau. Vrai.
Papa et Maman m’ont amené à la gare, ce matin. Nous ont amenés, devrais-je dire, puisque Théodore et Daphné n’ont pas daigné accompagner leur fille. Mon oncle ne pense qu’à son travail. Ma tante… à elle-même, je crois. Ils s’occupent peu d’Eleonora. Alors elle passe ses étés chez nous. Tout le monde y trouve son compte, ainsi : Maman aurait voulu avoir une fille, moi je souhaitais une soeur…
Eleonora a l’air heureuse, quand elle dort. Elle sourit dans son sommeil. Je pense qu’elle rêve. Elle rit trop rarement, en ce moment. Je n’aime pas ce voile de tristesse qui assombrit ses yeux. Ni sa voix lointaine. Et je ne supporte plus sa retenue, comme si elle pesait le moindre de ses mots. Même avec moi. Surtout avec moi.
El est trop fragile. Pour ce monde, face à la pression de ses parents… Pour tout. J’ai peur pour elle. Je ne supporterais pas qu’il lui arrive quoi que ce soit. J’ai peur qu’elle hésite, un jour. Qu’elle choisisse de rebrousser chemin. Qu’elle refuse d’avancer et se laisse aller…
Oui, j’ai peur pour elle.
« Je crois en toi, Scorpius. Ecris-nous. »
Les mots de mon père me reviennent par hasard. Il croit en moi… Même si je sais que c’est sa manière de dire « je t’aime », cela me met mal à l’aise. Je sais qu’il était excellent, tant au Quidditch qu’en général, lorsqu’il était à Poudlard. J’ai peur de ce qu’il attend de moi. Que je suive ses traces ? Que j’excelle en tout ? Je n’aime pas la compétition… Et le Quidditch ne m’attire pas vraiment. Pourtant, je ne veux pas le décevoir. Il faut qu’il soit fier de moi. Il le faut.
Maman est plus douée pour exprimer ses sentiments que lui. Elle, elle me l’a dit, qu’elle m’aimait. Elle, elle n’a pas hésité à me serrer dans ses bras. Elle sourit de plus en plus, ces derniers temps.
Elle était belle, aujourd’hui, avec sa robe bleue estivale. Rayonnante. Elle va sûrement voir Blaise tout à l’heure…
Mes parents veulent le cacher mais je sais bien qu’ils ne sont pas ensemble. Pas vraiment. Je pense qu’ils font semblant pour moi. Absurde. Comme si je ne l’avais pas vu se glisser dans la chambre de Maman, l’ami de Papa… Comme si je n’avais pas entendu mon père mettre Blaise en garde, lui dire de l’aimer autant qu’elle le méritait, de ne pas la blesser…
Il y a un peu plus d’un mois, Papa est rentré avec une femme en larmes dans les bras. Oh, il n’a fait que la consoler, bien sûr. Et elle est partie très vite. Discrètement. Mais je connais mon père. Je lui ressemble tant… Il l’aimait. Il l’aime. Ca se lit dans ses yeux. Dans son sourire lointain, un peu trop factice parfois.
Elle, je ne sais pas. Elle était triste. Et rien d’autre ne paraissait dans ses yeux sombres. Seulement une douleur insondable.
Je n’ai pas vraiment compris. Je n’ai pas non plus demandé. Je les laisse jouer leurs rôles, si cela leur plait. Et puis, c’est à eux de me parler, pas l’inverse.
Je ne sais pas grand-chose de leur arrangement. Je sais juste que Maman aime Blaise. Et que Papa n’a pas revu la femme en larmes. Pourtant, elle lui a écrit une lettre. Pas une lettre d’amour, bien sûr. C’était… étrange. Elle le remerciait. Elle s’excusait. Elle donnait l'impression de se sentir redevable de quelque chose. Je n’ai pas compris pourquoi. Ce devait être voulu. Sûrement pour que personne d’autre que mon père n’interprète ses mots.
Papa ne lui a pas répondu, j’en suis presque sûr. Ca non plus, je ne l’ai pas compris. En fait, il y a beaucoup de choses que je ne saisis pas vraiment. Mes parents sont très secrets. Et le peu que je sais, je l’ai deviné. Ou intercepté.
Comme la lettre ; je ne l’ai pas prise. Elle est juste arrivée dans ma chambre. Parce que la fenêtre était ouverte. Ou parce que le hasard en avait décidé ainsi. Bref. Elle était blanche, très simple. « Malfoy » était inscrit dessus à l’encre noire, d’une écriture élégante et fine. Et puis elle n’était pas cachetée… Alors, oui, j’ai lu.
Oh, on dirait qu’El se réveille...
-Scorpius ? On arrive… J’ai...
La voix d’Eleonora vacilla. Son regard perdu, angoissé accrocha celui de Scorpius. S’y perdit. Y trouva le courage qui lui manquait jusqu’alors. Le garçon serra longuement sa cousine contre lui et lui murmura :
-Ne t’inquiète pas. Je reste avec toi, quoi qu’il arrive… Nous serons dans la même Maison.
Seconde promesse intenable, soumise au hasard. Une chance sur quatre…
Les deux enfants sortirent du compartiment, valises à la main.
Tendresse et complicité.
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