Il t’observe, tu sens le poids de son regard pensif sur ton visage baissé. Tu ne lèves pas les yeux de ton livre ; tu ne sais pas ce qu’il a en tête, s’il pense vraiment à toi ou non. Probablement pas. Dehors, Scorpius s’amuse avec sa cousine, Eleonora, la fille de Daphné. Tu les entends rire. Tu tournes la page.

-Asteria, puis-je te poser une question ?

Avant de répondre, tu glisses un marque-page dans le livre puis le poses en équilibre précaire sur l’accoudoir de ton fauteuil. Tu repousses en arrière les boucles dorées qui retombent devant tes yeux, les fixes sur lui. 

-Oui, Draco. Tu peux.

Tu le regardes ; il a l’air fatigué. Tu sais qu’il dort mal, en ce moment. Il se lève presque chaque nuit. Il déambule dans la maison pendant des heures, parfois, en attendant que le jour se lève. Il va aussi dans la chambre de Scorpius. Tu ne connais pas la raison de ces insomnies, tu ne lui as pas demandé. Il ne te le dirait pas, de toute manière.

Tu t’assoies plus convenablement dans ton fauteuil en attendant qu’il te parle, laissant choir tes jambes que tu avais relevées contre ta poitrine. Tu lis toujours dans cette position.

-Tu n’es pas heureuse.

Ce n’est pas une question qu’il te pose, c’est une affirmation qu’il énonce. Tu détournes les yeux. On t’a toujours appris à faire croire que tout va bien, même quand ce n’est pas le cas. Pourtant… Pourtant, tu n’as pas envie de lui mentir. Pas à lui.

-J’ai tout pour être heureuse.

Tu lui souris, de ce sourire éclatant et factice que tu adresses au monde entier. Il n’est pas dupe, tu le sais, mais c’est tellement plus simple…

-Oui, mais tu ne l’es pas.

De nouveau, tu baisses les yeux, observant les motifs chamarrés du coussin que tu serres contre toi d’un regard absent. Réponds à Draco d’un sourire un peu fataliste, un peu désabusé.

-J’ai quelque chose à te proposer.

-Dis toujours, Draco. Dis toujours.

Il hésite à nouveau. Tu le connais assez pour savoir qu’il met ses idées en ordre et qu’il va longuement argumenter avant d’en venir au fait. Cela t’amuse toujours ; tu vas le laisser faire.

-Voilà. Tu auras bientôt vingt-quatre ans.

-En effet.

-Nous nous sommes réellement connus il y a huit ans.

Tu hoches silencieusement la tête, un doux sourire aux lèvres. Tu ne sais pas où il veut en venir, mais cela t’importe peu. Tu apprécies le simple fait de parler avec lui, comme avec un grand frère. Tu le laisses poursuivre.

-Scorpius va avoir sept ans. Il a encore besoin de ses deux parents auprès de lui. Cependant…

Il hésite. Tu fronces légèrement les sourcils. Tu ne suis pas le raisonnement de Draco, vraiment pas. C’est étrange ; habituellement, tu le comprends sans peine. D’un geste un peu nerveux, tu joues avec les boucles de cheveux qui effleurent tes joues à chaque mouvement. Il reprend, inconscient de ton trouble :

-Cependant, nous ne nous comportons pas comme des époux, tous deux.

-Si tu entends par là que nous ne dormons pas ensemble et que nous ne nous embrassons même plus, en effet, je suis d’accord avec toi.

-Oui, entre autres choses, je parle de cela. Je te considère de plus en plus comme ma petite sœur. Et je sais que tu me voies comme un frère plutôt que comme ton mari. C’est pour ça que je voudrais te proposer le divorce.

-Pardon ?

Tu le dévisages. Tu ne comprends pas, à moins que tu ne veuilles pas comprendre. Il a l’air gêné.

-Eh bien, c’est à toi de voir, bien sûr, mais…

-Mais ?

Ta voix est teintée d’ironie. Froide. C’est ta manière de répondre quand tu ne sais pas vraiment quoi dire. Il essaie de savoir ce que tu penses, mais ton expression est impénétrable. Tu ne t’attendais pas à cela, assurément. Le devinant vraiment mal à l’aise, tu lui adresses un léger sourire impassible. Il respire de nouveau, reprend de l’assurance.

-Tu es belle, Asteria. Et très jeune. Tu mériterais mieux que moi. Même si nous formons un très joli couple aux yeux des autres, nous ne nous aimons pas. Si nous divorcions, tu serais libre d’épouser un homme qui t’aime vraiment, de prendre un amant, de…

-Prendre un amant, vraiment ?

Tu hausses un sourcil, amusée et il s’empourpre.

-Oui, enfin, tu pourrais faire ce que tu veux, répond-il rapidement. Puis il ajoute d’une voix plus ferme : Ce que je te propose, si tu le souhaites, c’est que tu restes vivre au Manoir, au moins jusqu’à ce que Scorpius entre à Poudlard. Cela éviterait que la nouvelle se propage. Ensuite, ce sera à toi de voir. Le Manoir te sera ouvert aussi longtemps que tu le désires.

Tu hésites un peu. Si tes parents l’apprennent… Avant que tu puisses répondre, Scorpius et Eleonora pénètrent bruyamment dans le salon, riant aux éclats.

-Maman, peut-on prendre une collation ?

Tu souris devant le mot un peu désuet qu’utilise ton fils ; regardes Draco qui se mord les lèvres, l’air inquiet. Avec grâce, tu te lèves du fauteuil et, avant de t’éloigner en compagnie des enfants, murmures à son oreille un simple « C’est d’accord. »

Puis tu sors de la pièce sans te retourner, un sourire teinté de joie aux lèvres. Un vrai sourire.