Dans un parfait silence, l’homme se glissa dans la chambre d’enfant et se pencha au-dessus du lit.
Il observa tendrement le petit garçon blotti sous la couverture, au milieu d’une impressionnante armée de peluches ; le recouvrit délicatement pour éviter qu’il n’attrape froid. Ses doigts effleurèrent la joue lisse et douce avec légèreté, glissèrent dans les cheveux soyeux. Puis il recula un peu, sans quitter le jeune dormeur des yeux.
Et attendit.
Il ouvre les yeux. Me sourit. Tend sa main vers moi.
J’observe les fins cheveux et le visage rond de mon fils. Mon trésor. Mon ange.
Ces mots me ressemblent si peu… Pourtant, ce sont eux qui me viennent à l’esprit dès que je le vois. Dès que je pense à lui. A chaque instant. Je l’aime tant… Devenir père m’a fait changer plus que quiconque ne pouvait s’y attendre. Même moi.
Comme d’habitude, un sourire se dessine sur mes lèvres en réponse au sien.
Comme d’habitude, je dépose un léger baiser sur sa joue si douce.
Comme d’habitude, mes doigts entourent les siens, sa main disparaît dans la mienne. Je ne serre pas : je ne veux pas le blesser. Il semble si fragile, si petit…
Et, comme d’habitude, je remercie mon épouse pour cet enfant.
Scorpius.
Il est tout ce qui me retient auprès d’Asteria.
Mon sourire se teinte d’amertume en pensant à la jeune femme. Je ne l’aime pas et c’est réciproque. Tout au plus ressentons-nous une vague amitié teintée de tendresse l’un pour l’autre.
Pourtant, sans autre raison qu’un moment d’égarement et de solitude, nous avons fait l’amour. Nous voulions nous amuser, nous n’avions pas réfléchi ; à seize ou dix-huit ans, pense-t-on aux conséquences de ses actes ?
La guerre nous avait tous touchés plus que nous ne l’admettions et il fallait l’oublier. Nous, nous l’avons oubliée ensemble, l’espace d’une nuit. Et de cette union est né le petit ange blond que je contemple en ce moment même avec bonheur.
Mes yeux gris fixent le regard malicieux et plein de vie de l’enfant. Il n’a même pas un an et, un instant, j’imagine le petit garçon, l’adolescent, l’homme qu’il sera.
Durant une seconde lourde de poussières, je me demande s’il commettra les mêmes erreurs, s’il fera les mêmes choix que moi ; s’il saura prouver au monde entier que les Malfoy ont changé.
Si… Tant d’hypothèses, d’espoirs, de chimères peut-être.
Je n’ai jamais su vivre au jour, le jour.
On m’a appris que, pour survivre, il faut toujours avoir un coup d’avance. Comme aux échecs. Quelle que soit la situation. Si on ne sait pas comment elle va évoluer, on envisage toutes les possibilités, sans exception, et on prévoit ses propres réactions. Alors, on a une chance de survivre.
Scorpius, lui, m’apprend à vivre, à profiter de chaque instant à ses côtés. Un simple sourire de mon fils et j’oublie tout des théories tortueuses de mon père. Certains prétendent que c'est lié à ma récente paternité ; je crois que c’est simplement un des effets que produit Scorpius sur quiconque l’approche de trop près. Cet enfant porte bien son nom, même si on ne se méfiera certainement pas de lui, plus tard. Je présume qu'on l'aimera, qu'il sera aussi apprécié que je l’aie été... Que j’ai cru l’être, du moins. J’espère simplement qu’il n’essaiera pas trop de duper les autres. Quoique… S’il côtoie un petit Potter ou un enfant Weasley, je ne lui interdirai pas de les brimer un peu. J’ai peut-être changé, mais pas au point de sympathiser avec ces gens-là. Tout a des limites, et ma récente tolérance de même.
Ses doigts échappent aux miens. Il ferme les yeux. Son pouce se glisse dans sa bouche, et il serre son doudou contre lui de sa main libre.
Un chat. Un tout petit chaton noir et blanc aux yeux verts et aux longues moustaches. C'est moi qui ai tenu à ce que Scorpius ait cette peluche. J'aurais tellement aimé qu’on m’en offre une, enfant...
Et je sais que j'ai fait le bon choix en voyant mon fils, déjà perdu dans les limbes du sommeil, déposer un léger baiser sur l'oreille du chaton avant de s'endormir tout à fait.
L’expression calme et détendue du petit garçon, ses mouvements inconscients pour trouver une position propice au sommeil, l’ombre du sourire qui flottait sur ses lèvres un instant auparavant et qui ne s’est pas encore tout à fait effacé… Tout cela, et tant d’autres choses, me permettent de penser qu’il m’aime autant que je l’aime.
Ou, du moins, de l’espérer.
Tout comme je souhaite être un père qu’il admirera sans pour autant le craindre, qui saura le protéger et l’encourager. Oui, je veux devenir pour mon fils ce que mon père n’a jamais été pour moi.
On prétend que les enfants reproduisent ce qu’ont fait leurs parents. J’espère être une exception, de celles qui confirment des règles inutiles et stupides.
Et, surtout, je prie pour que cet espoir ne soit pas utopique. Les utopies ne servent qu’à faire rêver les faibles, ceux qui ne croient pas en eux.
Je crois en toi autant qu’en moi, Scorpius. Je sais que tu ne me décevras pas.
Et, quoi qu’il advienne, n’oublie jamais que je t’aime.
Mon fils…
La respiration de l’enfant s’apaisa, sous le regard tendre et pensif de son père. Draco attendit quelques secondes de plus puis se glissa silencieusement hors de la chambre, fermant doucement la porte derrière lui.
Il souriait toujours.
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