Tom ouvrit deux grands yeux verts et regarda le plafond quelques instants. Les souvenirs de la veille lui revinrent et il sourit. Il allait devenir immortel. Il ferma les yeux et prit une profonde inspiration, puis se leva et s'habilla. Quand il arriva dans la grande bibliothèque l'horloge indiquait sept heures trente-six. Altena était déjà là, dans une robe de velours bleue glace qui mettait ses yeux en valeur. Tom s'approcha, elle leva la tête et lui sourit. Elle était penchée sur les traductions que Tom avait faites la veille et buvait du thé chaud. Tom s'assit à côté d'elle et l'observa sans rien dire.

- Je crois que tes informations étaient erronées, dit-elle au bout d'un moment. Ce livre n'a pas l'air d'avoir été écrit par Salazar, comme tu le pensais.

Tom acquiesça, c'était aussi l'impression qu'il avait eue.

- A mon avis, il a été intéressé par les Horcruxes et il a réussi à mettre la main sur ce livre.

- Mais alors pourquoi ne pas en avoir fabriqué un lui-même?

- Je l'ignore, répondit-elle de nouveau plongée dans le texte.

Ils se remirent à traduire, d'abord l'alphabet, qui était en fait la combinaison de quatre anciens alphabets différents, et ensuite le texte, qu'ils obtenaient et qui était tantôt en anglais, tantôt en latin, et parfois en français, ou en allemand. Il y avait même eu quelques mots écrits dans la vieille langue gnome et quelques autres en gobelin.

Vers huit heures, Dana leur apporta le petit déjeuner et ils passèrent la matinée dans la bibliothèque. Vladislav vint voir sa sœur à neuf heures et l'informa qu'il se rendait à leur banque dans la ville de Dudinka et qu'il rentrerait dans la soirée.

A midi, ils mangèrent en tête à tête en discutant d'une traduction difficile au sujet d'une partie du texte traitant de la relation qu'entretenait le sorcier avec la partie de l'âme dont il s'était séparé et qu'ils n'interprétaient pas de la même façon. Altena pensait que selon le texte, le sorcier ne percevait pratiquement pas ce morceau d'âme et Tom avait plutôt l'impression que le texte précisait que cette rupture de connexion entre le sorcier et le fragment d'âme n'existait que dans le cas où le réceptacle était un objet. Ce qui pouvait laisser entendre que si le réceptacle était un être animé, une connexion demeurait entre ce réceptacle et le sorcier. Tom était en train de développer cette théorie, quand il remarqua qu'elle le regardait d'une façon particulière. Il se tut et la dévisagea à son tour.

- Tom qu'est-ce que tu comptes faire de cet Horcruxe?

- Comment, ce que je compte en faire? Devenir immortel bien sûr!

- Mais devenir immortel pour quoi? Quand tu seras immortel, est-ce que tu vas te contenter de mener une vie simple?

Les yeux de Tom se perdirent dans le vide. Il était un parfait occlumens, donc elle ne pouvait pas avoir lu quoi que ce soit dans sa tête. Elle avait du deviner quelque chose donc. S'il lui disait qu'il voulait créer une armée et contrôler le monde des sorciers pour asseoir la légitimité des Sang-Purs et écarter les Sang-Mêlés et les Sang-de-Bourbe, est-ce qu'elle se mettrait en colère? Est-ce qu'elle cesserait de l'aider? Est-ce qu'elle le regarderait comme un fou? Il tourna son visage vers elle et essaya de déceler ses pensées, d'absorber son regard. Mais il ne voyait rien, aucune de ses réflexions ne lui parvenait. Lui qui arrivait à percer les intentions et les craintes d'à peu près tout le monde, en fut agacé. Et puis l'histoire d'Iselda et de Vikenti lui revint en mémoire, ainsi que ce qu'elle lui avait dit après la lui avoir racontée. Elle ne pourrait que partager son opinion. Et puis de toute façon, il ne pourrait pas lui mentir éternellement, surtout s'il voulait qu'elle vienne avec lui. Et l'idée de devoir la contraindre en la soumettant à l'Imperium lui semblait être une mauvaise décision. Il faudrait qu'elle accepte d'elle-même.

- Non, lorsque je serai devenu immortel, je rétablirai l'ordre qui a été renversé. Je rendrai le pouvoir aux familles de sang pur et à ceux qui le méritent. La magie doit revenir aux meilleurs.

Altena ne dit rien. Elle dévisagea Tom un instant et sourit. Encouragé, Tom décida de lui en révéler plus.

- Je ne veux pas créer qu'un Horcruxe en fait. Je veux en faire sept. C'est le nombre parfait pour décupler la magie. Je possèderai alors six sauvegardes. Et je vivrai pour toujours.

- C'est intelligent, dit-elle seulement après un moment.

- Est-ce que tu es toujours d'accord pour m'aider? demanda Tom en inclinant un peu la tête et en laissant poindre volontairement de la crainte dans sa voix.

- Bien sûr, dit-elle avec un sourire chaleureux. Tant que tu agiras pour un monde meilleur, un monde où Iselda n'aurait pas eu à mourir, je mettrai ma tête et tous mes pouvoirs à ta disposition.

Tom sourit à son tour. C'était mieux que ce qu'il espérait entendre. Altena appela Dana qui vint débarrasser et ils se replongèrent dans le texte.

Vers seize heures, le texte était presque entièrement traduit. Tom avait trouvé la formule "arcere anima" qui permettait de faire passer le fragment d'âme dans un objet. Il ne leur restait plus qu'un morceau de texte, seulement une dizaine de paragraphes, mais ce morceau semblait être la clef, la solution de l'énigme. Tom traduisit le texte en alphabet latin, mais ça ne donnait rien et il était absolument incompréhensible. Il le montra à Altena qui était occupée à réorganiser le texte traduit pour en faire un ensemble cohérent.

- C'est du russe, s'exclama Altena après avoir jeté un œil. Mais écrit de cette façon ça ne veut presque rien dire. Donne-moi le texte original et explique-moi les caractères qui ont été utilisés et je transcrirai tout en alphabet cyrillique. Ensuite je traduirai en anglais.

Le tout prit près d'une heure. Altena écrivit le texte en anglais d'une longue écriture calligraphique, fine et appliquée. Quand elle eut terminé, Tom s'assit à côté d'elle et prit le parchemin. Le début du texte était sans importance, ce n'étaient que quelques références à de grands sorciers qui avaient vécu longtemps ou étaient apparus à plusieurs moments de l'histoire et qu'on soupçonnait d'avoir eu recours à la création d'un Horcruxe. Tom lut le texte en diagonale puis tomba enfin sur ce qu'il cherchait et se concentra avec attention. Le texte disait:

"...mais la nécessité de commettre un meurtre implique un critère fondamental car il ne peut s'agir de n'importe quel meurtre. Le simple fait de tuer, d'ôter la vie ne saurait être suffisant. Peut-on créer un Horcruxe en abattant un faisan à la chasse? Je ne pense pas non. De la même façon, je doute que tuer un inconnu ou une personne que l'on hait suffise à la fragmentation de l'âme. Car la mort, comme la haine, fait partie de la nature humaine et il n'est point question de nature dans l'expérience que nous entreprenons.

L'âme est par principe indivisible et inaliénable et il n'est pas chose aisée de contrevenir à ce que la nature ne conçoit pas. Ainsi, celui qui cherche à atteindre l'immortalité en enfermant une partie de son être dans un objet, devra commettre un acte tel qu'il renverse son propre équilibre intérieur et soit capable de déchirer ce qui n'a pas vocation à l'être.

Le sorcier qui fait le choix de trancher son âme en différentes parties, doit prendre conscience qu'il ne le désire pas réellement. Une telle action en soit n'a pas de sens. Le sorcier désire ce que peut lui apporter cette opération, pas l'opération elle-même; car nul homme censé ne peut vouloir être mutilé au plus profond de son être.

Or donc, afin que la création de l'Horcruxe soit possible, il est absolument nécessaire que le sorcier détruise volontairement quelque chose qu'il ne 'veut' pas détruire. Prendre la vie d'une personne que l'on aime semble être un choix idéal.

La création d'un Horcruxe engendre la perte d'une partie de soi qui ne peut être réalisée sans un terrible sacrifice, de nature à heurter l'âme au point de la rendre instable. C'est un acte irréversible, de même que doit l'être le sacrifice qui permet de le réaliser. A la différence des autres magies qui permettent au sorcier d'agir sur le monde, cette magie lui permettra d'agir sur lui-même. Mais il devra pour y parvenir se blesser lui-même.

Mettre à mort une personne que l'on aime est donc un acte qui a un effet de miroir, le sorcier tue quelqu'un et semble agir sur le monde, mais cette atrocité l'atteindra avec tant de violence qu'il aura également tué une partie de lui-même. C'est cette même partie qu'il pourra détacher de son être et qui lui conférera l'immortalité. Car à celui qui veut obtenir si grand pouvoir, il lui faut en échange payer un lourd tribu."

Tom se renversa dans sa chaise et réfléchit. Altena le regardait, son expression était insondable.

- Qu'est-ce que tu vas faire? demanda-t-elle enfin. Tu vas tuer quelqu'un que tu aimes?

Tom se sentit mal à l'aise pour la première fois.

- Je n'ai pas de famille, dit-il doucement. Je suis le dernier Serpentard en Angleterre et j'ai été élevé dans un orphelinat... un orphelinat moldu.

Il la regarda en s'attendant à voir du mépris ou de l'indignation dans ses yeux. Elle se contenta juste de le regarder en attendant la suite.

- Il n'y a pas grand monde à qui je sois attaché. Mes amis sont surtout avides du pouvoir qu'ils pourraient obtenir grâce à moi. Je ne pense pas que les tuer suffise à briser mon âme.

Altena plissa les yeux.

- Ça me rendra triste bien sûr, s'empressa-t-il d'ajouter, mais pas au point de pouvoir réaliser un Horcruxe. Il va falloir que je trouve un autre moyen.

- Allons demander à Salazar, s'exclama Atlena. Il y a forcément une autre façon de procéder!

Ils sortirent de la bibliothèque et reprirent le chemin de la galerie de l'aile ouest. Ils s'arrêtèrent à nouveau devant le portrait du jeune homme séduisant aux cheveux châtains et aux yeux verts.

- Alors, demanda Salazar avant qu'ils aient pu dire quoi que ce soit, est-ce que vous avez trouvé ce livre?

- Oui, répondit Altena encore essoufflée d'avoir marché si vite le long de l'interminable galerie, nous l'avons traduit.

- N'y a-t-il pas un autre moyen de créer un Horcruxe, monsieur? demanda Tom précipitamment. Suis-je obligé de tuer une personne que j'aime?

- Si cette condition pouvait être évitée mon garçon, je ne te parlerais pas depuis ce tableau. Mais je serais devant toi en chaire et en os.

- Vous avez renoncé à en faire un, s'exclama Tom qui commençait à paniquer.

Salazar le regarda un instant en souriant.

- Qui de ma femme ou de mon fils devais-je tuer? Aurais-je du tuer mon fils et mettre fin à ma lignée? Ou tuer ma femme et supprimer la personne pour laquelle je vivais?

La voix de Salazar devint glaciale.

- L'immortalité ne vaut pas la peine s'il n'y a personne pour la partager avec toi.

- Mais maintenant vous êtes mort et en plus vous êtes séparé de votre femme!

- Tu ne comprends rien, s'énerva Salazar, ce n'est pas le pouvoir qui compte le plus. C'est une bonne chose d'avoir de l'ambition, mais cette ambition-là te détruira toi aussi.

- Vous parlez comme Dumbledore, siffla Tom entre ses dents d'une voix où transpirait le reproche.

- Hm, et qui est-ce?

- Un Gryffondor!

Et sans attendre de réponse, il repartit en direction de la bibliothèque dans le bruit furieux des claquements de sa robe. Il se laissa tomber dans un fauteuil et médita. Dana vint lui proposer du thé, il la renvoya d'un geste du bras comme on repousse un chien trop collant. Au bout d'un quart d'heure, Altena revint à son tour dans la bibliothèque.

- Il ne sait rien d'autre, dit-elle d'un ton bas. Il était à la fin de sa vie lorsqu'il a découvert ce livre. Sa femme est morte et il est venu mourir ici mais il n'a jamais tenté de créer d'Horcruxe. S'il existe une autre solution, il faudra la trouver par nous-mêmes.

Tom croisa les bras et ferma les yeux. Il réfléchit à une vitesse folle à toutes les options qui s'offraient à lui. Il pouvait toujours essayer de tuer l'un de ses serviteurs, après tout peut-être que la sensation de détruire quelque chose qui aurait pu lui être utile briserait son âme, ça valait le coup d'essayer. Ou alors il lui faudrait commettre une atrocité, comme tuer un enfant de façon extrêmement cruelle ou tuer tout un groupe de gens... Qu'importe, il trouverait, il trouverait forcément une solution!

- Viens, avec moi, dit-il soudain sans l'avoir voulu. Je dois rentrer en Angleterre pour chercher une solution là-bas. Viens avec moi.

Altena réfléchit une seconde en regardant le portrait d'une femme blonde accroché au dessus de la cheminée. Tom crut lire "Meredith Voldemort" en lettres d'or, inscrit sur le cadre. La femme sourit à Altena avec douceur.

- D'accord, répondit-elle à voix basse.

Tom la regarda sans vraiment comprendre, il ne pouvait pas croire que c'était si facile.

- D'accord, répéta-t-elle, je viens avec toi.

A cet instant, des bruits de pas retentirent et Vladislav entra dans la bibliothèque. Il les regarda l'un et l'autre.

- Et où est-ce que vous allez, demanda sa voix glaciale.

- J'accompagne Tom en Angleterre, répondit Altena d'une voix conciliante. Je vais l'aider à accomplir une quête qui bénéficiera à tous les Sang-Purs.

- Je ne vois pas comment quelqu'un qui utilise la magie noire peut servir autre chose que sa propre personne, répondit Vladislav en foudroyant Tom du regard.

- Vlad, s'il-te-plaît, on en a déjà parlé, plaida Altena d'une voix faible.

- Ça n'a pas d'importance que tu ne voies pas comment je vais m'y prendre, dit Tom d'une voix polie et parfaitement contrôlée. Quand je serai au pouvoir, tu seras satisfait que je donne à ta famille les privilèges qu'elle mérite.

- Ma famille n'a pas besoin d'un petit opportuniste dans ton genre! Laisse ma sœur et va-t-en! cria Vladislav de sa voix forte.

- A trop vouloir l'éloigner du monde, c'est toi qui finira par la tuer, dit Tom d'un ton calme. C'est une fille intelligente et sans doute une sorcière douée, et elle gâche sa vie ici!

Ce fut le mot de trop, Vladislav sortit sa baguette et cria "Endoloris!" en direction de Tom, qui plus rapide que lui et plus habitué à se battre, se protégea d'un sortilège de bouclier puissant dont il n'eut même pas à dire la formule à haute voix. Le sortilège impardonnable ne l'atteignit donc pas et il s'apprêtait à répliquer d'un autre sort puissant (peut-être celui qu'il avait appris la veille dans un des livres de magie noire d'Altena) lorsque quelque chose qu'il n'avait pas prévu se produisit. Altena sortit sa baguette et lança et murmura "Statum" en pointant son frère.

- Altena... fit Vladislav d'une voix faible.

- Comment oses-tu? murmura-t-elle les larmes aux yeux. Comment oses-tu l'attaquer? Ce n'est pas à toi de choisir pour moi! Et tu n'arriveras jamais à me convaincre de cesser d'utiliser la magie noire, surtout si tu utilises des sortilèges impardonnables. Tu ne vaux pas mieux que moi, tu n'as plus rien à m'apprendre.

- Si tu pars maintenant, tu ne reviendras jamais, dit Vladislav d'une voix blanche.

- Tant pis. Je préfère une courte vie d'aventure, qu'une longue vie d'ennui.

- Je ne te laisserai pas partir! s'écria Vladislav de nouveau en colère.

- Le sortilège que je viens de te lancer t'empêchera de transplaner, l'interrompit sa sœur d'une voix froide. Tu vas avoir du mal à m'empêcher de partir sans bouger d'ici, ou en venant me chercher à pieds!

Vladislav rugit et se jeta sur sa sœur qui se précipita vers Tom. La main de Vladislav se referma sur une mèche de cheveux blonds qui se cassèrent. Tom tendit la main, saisit celle d'Altena. Ils tournèrent rapidement sur eux-mêmes et transplanèrent. Subitement, le silence se fit. Un silence étouffant et effrayant. Un bourdonnement résonnait aux oreilles du Serpentard. Le silence fait le même effet que l'obscurité. Des yeux qui s'étaient accommodés à une lumière vive se retrouvent soudain aveugles quand ils passent dans une semi-obscurité. De la même façon, un silence brusque est étourdissant. Il fallut plusieurs secondes à Vladislav pour entendre le tic-tac sec de l'horloge. Et les sanglots étouffés du portrait de Meredith.

A suivre...

Ecriture achevée le 04/10/2009