Un chapitre pas très joyeux en cette journée de Saint-Valentin, mais c'est précisément le jour où je n'ai aucune envie d'écrire du fluff ! J'espère qu'il vous plaira néanmoins. Bonne lecture ! :)
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Sirius Orion Black 2 novembre 1959 – 18 juin 1996 Cœur loyal, ami fidèle et parrain dévoué Le bien sera rendu aux justes
- Joyeux anniversaire, Patmol, dit Harry ; et, sur la stèle qui ne recouvrait que du vide, il posa une chandelle qu’il fixa et alluma d’un coup de baguette.
- Joyeux anniversaire, Sniffle, dit Ron d’une voix rauque ; et Hermione sentit plus qu’elle ne les vit ses épaules et son cou se tendre.
- Joyeux anniversaire, Sirius, dit-elle, le poing serré sur sa cape un peu trop fine pour la saison ; et elle entendit Ginny, debout près de son mari, faire écho à ses paroles.
En vérité, réalisa une Hermione frissonnante alors qu’elle tentait de lutter contre la bise d'automne qui soufflait sur le cimetière de Godric’s Hollow, les dix-huit premières années de la vie de Harry n’avaient été qu’une suite de deuils : deuil de ses parents à un âge si tendre que seuls les Détraqueurs pouvaient réveiller les souvenirs de cette époque, enfouis au plus profond de son inconscient ; deuil de l’affection à laquelle tout enfant avait droit, lorsque sa tante l’avait fait entrer dans sa maison avec l’agacement que l’on réserve à un animal abandonné qu’on ne peut tout de même pas laisser crever là ; deuil de sa normalité et de son intégration, lorsqu’à l’âge de cinq ans les premières manifestations de sa magie l’avaient rendu marginal ; deuil d’un anonymat confortable, parmi ses pareils, lorsqu’à peine entré dans le monde des sorciers la communauté l’avait bombardé d’une célébrité pour laquelle il n’avait rien fait ; deuil de son insouciance, quand, avant même ses douze ans, il avait pris conscience du fait que le plus puissant mage noir de sa génération voulait le voir mort ; deuil d’une vie familiale juste entrevue, lorsque l’espoir de réhabilitation de son parrain retrouvé s’était enfui avec le Mangemort Peter Pettigrow, un soir de juin ; deuil de son innocence quand, coup sur coup, il avait dû supporter la mort de Sirius au Département des Mystères et prendre conscience qu’il devrait lui-même devenir un meurtrier pour sauver sa propre vie ; deuil, avec la mort de Remus lors de la Bataille Finale, du dernier lien qui le rattachait encore à des parents qu’il n’avait jamais connus… et deuil de sa jeunesse. Comme pour tous ceux de leur génération, d’ailleurs : à un âge où l’on aime à se croire éternel, ceux qui avaient grandi sous l’ombre de plus en plus menaçante de Lord Voldemort et vécu la Bataille de Poudlard savaient déjà qu'il n'en était rien, et la colonne gravée des noms de leurs camarades, de leurs amis, de leurs parents était là pour le leur rappeler.
Douloureusement conscients de leur propre mortalité, ils étaient entrés dans une sorte de boulimie du vivre, du faire, du voir. Ainsi Luna avait-elle passé six mois dans les étendues glaciales de l’extrême Nord de la Suède, seule avec son père : une expédition qui aurait probablement rebuté n’importe quelle jeune femme âgée d’à peine dix-huit ans, mais pour laquelle l’ancienne Serdaigle avait fait ses paquets sans sourciller, d’abord parce que Luna Lovegood n’avait pas naturellement tendance à sourciller, ensuite parce que « même la charge d’un Ronflak cornu lancé à pleine vitesse, c’est de la pisse de chat comparé aux caves du Manoir Malfoy, alors sérieusement, Hermione, pourquoi veux-tu que j’aie peur ? ». Ginny, avant même ses ASPICs, avait pris la décision de poursuivre une carrière de sportive de haut niveau. Quant au Survivant et à ses deux meilleurs amis, ils s'étaient lancés à corps perdu dans des études réputées particulièrement difficiles, avant d'embrasser des carrières prenantes et, concernant Harry et Ron, dangereuses : si, seize ans après la fin de la guerre, la plupart des anciens Mangemorts avaient été arrêtés ou étaient rentrés dans le rang, la magie noire et la folie avaient encore de beaux jours devant elles, et leur mélange dans la tête de certains individus se révélait toujours particulièrement explosif. Hermione n'était pas en reste, qui traitait au département de la Justice Magique les dossiers des individus en question : après quelques algarades un peu musclés qui l'avaient opposée à la famille ou aux réseaux plus ou moins légaux de certains d'entre eux, l'ex-Gryffondor avait pris l'habitude de regarder par-dessus son épaule quand, le soir, elle empruntait les couloirs déserts du Ministère de la Magie. Elle était bien placée pour savoir que ceux-ci n'étaient pas aussi sécurisés qu'on voulait bien le dire.
Et puis il y avait eu les mariages, les maisons à acheter, les enfants nés les uns après les autres, la rapide progression dans la hiérarchie du Ministère - Kingsley Shacklebolt, lorsqu'il avait accédé au pouvoir, avait commencé par faire un grand ménage parmi les employés, à tous les niveaux, ce qui avait offert de grandes possibilités d'évolution aux nouveaux diplômés -, les dossiers à traiter, les innombrables invitations à honorer - certaines par choix, d'autres, inévitablement, par intérêt -, Hugo et Rose à élever... Les responsabilités s'étaient accumulées sur sa tête sans qu'elle s'en aperçût, sans qu'elle se demandât si elle en avait l'envie : envie d'être Hermione Granger-Weasley, sous-directrice du Département de la Justice Magique à l'âge de trente-sept ans, mère de famille, bon chic bon genre. Elle se demanda où était passée la Hermione de dix-sept ans qui sillonnait le Royaume-Uni en dormant dans une tente miteuse, seule avec deux grands adolescents avec qui elle partageait tout ; et en regardant Harry et Ron, la main du second posée sur l'épaule du premier, droits dans leurs capes noires, debout devant la tombe de celui qui, à leurs âges, était déjà passé à travers le voile du Département des Mystères, elle vit que ces deux garçons étaient toujours là, pleins de doutes, de creux, de vides qu'ils n'avaient toujours pas comblés, et se sentit à des lieues d'eux.
- Je rentre me mettre au chaud, Lily doit commencer à s'inquiéter, dit Ginny.
- Je vais avec toi, Hugo doit m'attendre aussi, s'empressa de dire Hermione, alors que Harry et Ron restaient muets.
Elles remontèrent le chemin qui menait vers la clôture du cimetière, se tordant les chevilles sur les pierres rendues glissantes par la fine pluie tombée les jours précédents.
- Je déteste quand il est comme ça, marmonna Ginny alors qu'elles passaient la barrière de fer forgé. On ne peut même pas lui parler. Dis-moi que mon crétin de frère est pareil, sinon je vais croire que je suis une débile sans diplomatie.
- Il y a plusieurs de manières de réagir quand on est triste, tu sais...
Ginny secoua la tête. Elles étaient à présent hors de portée d'oreille, et elle n'avait visiblement pas envie d'être charitable.
- Je suis fatiguée de cette manière-là.
- Je suis sûre que c'est toi qui l'aides à tenir dans ce genre de moments.
- Oh, je t'en prie, Hermione ! Depuis quand un homme de trente-sept ans, chargé de famille et d'un poste à responsabilités, a besoin qu'on l'aide à tenir ? Enfin, ça fait vingt ans que ça lui arrive, et rien ne change ! Alors moi, je lui caresse les cheveux, je lui tiens la main, je le regarde d'un air compatissant, j'attends que ça passe. Et après, quand c'est passé, il me remercie, il me dit que je suis formidable, et il redevient ce type sérieux et fiable que tout le monde connaît. Sauf que moi, j'ai vu. Moi, je sais. Et j'en ai marre.
Les mâchoires crispées, Ginny avançait toujours, et la ligne de ses épaules étaient si tendue qu'Hermione y posa la main et massa un moment, comme elle aurait réconforté une Rose qui avait hérité le caractère facilement inflammable des Prewett. Peu à peu, les muscles se décontractèrent, le pas devint moins vif, le sang reflua du visage de la rousse, et Ginevra Potter regarda son amie d'un air coupable.
- Excuse-moi. Je me déteste aussi quand je suis comme ça.
Hermione soupira.
- Je crois qu'il n'y a personne à détester, tu sais... Les choses sont ce qu'elles sont, n'est-ce pas ?
- J'aimerais avoir ton calme.
Hermione hésita à dire que ce n'était pas du calme mais de la résignation et qu'elle s'en passerait volontiers, merci, mais un coup de vent lui fit décider qu'elle avait fait assez d'introspection pour la journée, voire l'année en cours. Elle passa un bras autour des épaules de sa belle-soeur et les deux femmes continuèrent leur route vers la maison des Potter.
En contrebas, sur la pelouse du cimetière, les deux sorciers vêtus de noir contemplaient toujours la stèle qui ne recouvrait que du vide.
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Bien que j'aie fait du mieux que je pouvais, j'avoue ne pas être pleinement satisfaite de ce chapitre : j'ai surtout peur qu'il y ait des longueurs. Pour cette raison, les reviews seront encore plus appréciées que d'habitude, que ce soit pour confirmer ou infirmer cette impression ! :) |