Allez hop.
BO 2 : Marie Laforêt — Tu fais semblant : http://www.youtube.com/watch?v=YyDLVzpxtsU
Manchester & Liverpool
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2
Décembre 1998. Ils étaient dans le salon du Terrier, devant la cheminée ; le sapin avait été décoré la veille. Sur le canapé, Ron essayait à voix basse de suggérer à Hermione qu’il en avait assez de réviser, mais elle ne l’écoutait que d’une oreille. Harry était assis par terre, adossé à la petite table, les jambes étendues face au feu. Allongée sur le tapis, la tête sur ses genoux, Ginny avait reposé sa baguette magique avec laquelle elle traçait des formules lumineuses ; elle avait le regard sur lui à présent.
« Ça te dirait du thé ? » demanda-t-elle.
Il acquiesça distraitement, sans détacher son regard du feu. Ginny se redressa, et tandis qu’elle se rattachait les cheveux Harry se leva.
« Laisse, j’y vais. »
Il disparut dans la cuisine. Elle mit de l’ordre dans les bouquins par terre, aidée par un Ron ravi de s’interrompre pour dégager la table, puis elle rejoignit Harry. La bouilloire était sur le feu. Il rassemblait des tasses sur un plateau.
Sur l’horloge, les aiguilles de George et de sa mère ne décollaient pas du Chemin de Traverse, et son père devait rentrer tard. Ils avaient encore quelques heures à passer sans agitation.
Harry était très silencieux depuis ce matin-là. Ginny lui toucha le coude.
« Eh, ça va ? »
Il fit simplement oui de la tête et passa un bras autour de sa taille pour la rassurer. Ginny se rapprocha pour l’enlacer à son tour et il la serra contre lui, enfouissant le visage dans ses cheveux. Elle ne dit rien de plus. Au bout d’un moment, il finit par parler.
« Je vais faire un tour au square Grimmaurd. »
« Tu veux que je vienne ?
- Non. J’ai besoin de faire le vide un moment. Tu peux venir me chercher pour Noël, si je ne reviens pas avant.
- Tu vas rester dormir là-bas ?
- Je sais pas… oui, sûrement. Au moins une ou deux nuits. »
Elle le serra un peu plus fort dans ses bras et lui déposa un baiser sur la joue.
« Tu m’envoies un hibou si ça ne va pas, d’accord ? »
Il fit oui de la tête et déposa un baiser sur ses lèvres.
« Tu expliqueras à Ron et Hermione ?
- Oui.
- Tu les empêcheras de venir me harceler pour savoir pourquoi je suis parti ?
- Oui….
- Tu m’excuseras auprès de tes parents ?
- Oui.
- Tu m’en veux pas trop ? »
Elle soupira.
« Non. Ne t’inquiète pas. »
Harry monta chercher ses affaires dans leur chambre et elle rangea la tasse qu’il s’était sortie, acheva de préparer le thé en attendant. Il revint l’embrasser une fois, le regard déjà loin. Elle lui dit : « Je viens te chercher si tu restes trop longtemps là-bas. » Il eut un bref sourire.
Puis il partit, et ne donna plus signe de vie pendant deux jours. George et Molly avaient fini par rentrer, et c’était plutôt bien pour George de ne pas voir Harry tout de suite. La veille de Noël, alors que Bill et Fleur ne devaient plus tarder, Ginny quitta le Terrier pour aller voir au square Grimmaurd où il en était. La maison était vide, terriblement silencieuse ; le portrait de la vieille Black était en charpie.
Ginny grimpa dans les étages sans le trouver : le lit où il avait dormi n’était pas fait, le placard à moitié ouvert comme d’habitude et des affaires traînaient. Ne le trouvant pas non plus dans le salon ou la cuisine, elle finit par cesser d’appeler et chercha plutôt Kreattur. Celui-ci était terré dans son coin habituel ; il n’accueillit pas la rouquine avec beaucoup de chaleur.
« Le maître Potter n’est pas là. »
Il lui jeta un regard plein de morgue. Ginny battit en retraite vers le salon, le cœur battant. Elle trouva une tasse vide sur la table, un crayon et du papier froissé.
Elle sursauta lorsque Kreattur se mit à parler derrière elle.
« Le maître a dit de ne pas le chercher et qu’il ne viendrait pas pour Noël.
- Quoi ?
- C’est tout ce que le maître a dit. De ne pas le chercher, qu’il ne reviendrait pas. »
Puis il retourna dans le couloir.
…
Ginny en avait eu assez de l’auberge dans la partie sorcière de la ville : c’était moins cher que n’importe quel hôtel moldu de Manchester, mais elle ne supportait plus de faire le va et vient entre deux mondes, il fallait qu’elle se décide. Elle avait fini par trouver un YHA qui avait l’air abordable mais avait pris la fuite quand le jeune homme de l’accueil lui avait demandé une pièce d’identité et une durée de séjour qu’il voulait noter dans une grosse boîte grisâtre ; puis elle s’était résignée à tenter un discret sort de confusion et avait troqué la fin de ses économies contre de l’argent moldu. La somme qu’elle en tira correspondait à dix jours d’autonomie, à tout casser, dix jours seulement. En arrivant devant l’auberge, elle fit demi-tour aussitôt et chercha dans ses poches le papier sur lequel Malfoy avait écrit des indications.
C’était l’adresse d’un pub et le nom d’une fille. On lui dit, sur place, qu’elle ne prenait son service qu’à trois heures cet après-midi, c’était de la part de qui ? – rien, je repasserais. Elle partit s’acheter à manger et prit une nuit à l’auberge de jeunesse.
Elle se cloîtra dans la chambre toute la journée, toute la nuit, les voix des autres filles perturbant le silence à des heures plus ou moins avancées de l’autre côté des rideaux du lit – histoires de brosses à cheveux, de crèmes, d’appareils, bruits d’innombrables bagages retournés avec des « zips » rapides. Ginny finit par s’endormir dans son manteau, le sac à ses pieds.
Au petit-déjeuner, ce ne fut pas difficile de se fondre dans le décor. Il y avait peu d’échanges à part des saluts polis et des questions banales : « comment ça marche, ce truc », « le lait est stocké où ? y’en a plus. » Il y avait même quelques étrangers qui lui demandèrent d’où elle venait, si elle connaissait Manchester, racontèrent leur vie pour pratiquer l’anglais ; elle en profita pour regarder les lignes de bus avec eux sur le plan, écoutant leur planning de week-end d’une oreille et acquiesçant de temps en temps. Ils lui dirent au revoir Jenny l’air radieux.
Elle retourna au pub assez tard dans l’après-midi. Le bus l’avait posée en limite du centre, dans un quartier excentré, au calme à la fois soulageant et stressant. Le jour commençait à décliner. Cette fois, il y avait une jeune femme au comptoir, en conversation avec un autre serveur qu’elle n’avait pas vu la veille. Quelques tables étaient occupées, elle s’installa à la plus proche. La serveuse vint prendre sa commande puis lui apporter un demi.
« Excusez-moi, tenta Ginny, je cherche… Beth ? »
La jeune femme se redressa pour la regarder avec attention.
« C’est toi qui me cherchais hier ? On se connaît ? »
Elle avait le regard perçant, les cheveux trop noirs pour être honnêtes ; elle avait l’air plus proche de la trentaine que de leur âge, mais après tout…
« Un ami m’a dit de m’adresser à vous, je ne sais pas s’il vous a prévenu…
- Qui ? »
Ginny hésita. La serveuse haussa un sourcil.
« Ça a l’air compliqué…
- Ça l’est un peu. »
Malfoy avait précisé qu’il ne fallait pas dire son nom. Ginny serra le papier dans sa main, ce qui n’échappa à l’œil scrutateur de « Beth ».
« C’est de lui ? Je peux voir ? »
Ginny tendit le papier en cachant la dernière ligne mais la jeune femme tira dessus pour mieux voir.
« C’est Drake, ça. » dit-elle, une lueur soudain intéressée dans le regard.
Ginny acquiesça.
« Intéressant. C’est quoi ton nom ?
- Ginny.
- Ginny… » Elle sourit mais n’avait pas l’air d’avoir déjà entendu ce nom quelque part. « Et vous vous connaissez d’où ?
- De l’école… On s’est croisé il y a quelques jours par hasard et il m’a dit de venir ici.
- L’école, c’est-à-dire ?
- …Un pensionnat en Écosse.
- Ah oui ? Ah, attends, faut que j’aille m’occuper de la table là-bas. »
Ginny s’enfonça dans sa chaise, priant pour que la table du fond la retienne un peu, que cela lui laisse le temps de réfléchir. Elle avait opté pour le scénario copains de collège en se disant que ce serait le plus facile à développer au cas où, mais il était difficile de savoir jusqu’où s’arrêter. Beth avait l’air de vouloir des infos, moins sur elle que sur Malfoy lui-même en réalité. Elle revint d’un pas rapide.
« Il t’a donné rendez-vous ici ?
- Pas vraiment. Je n’ai que cette adresse. Il vient souvent ici ?
- Tout le temps. Il ne devrait pas tarder d’ailleurs, c’est vendredi soir. Tu ne devrais pas te mettre là, c’est plein de courants d’air. Viens par là. Tu veux pas venir au bar, papoter ? »
Ginny hésita, mais se retrouva au bar. Son interlocutrice ne cessait de faire des allers-retours avec la salle principale et parfois les cuisines, ce qui lui laissait le temps de choisir des informations aussi vagues mais convaincantes que possible, sans trace du monde sorcier. Beth s’intéressait beaucoup à l’école, un pensionnat mixte la faisait rêver, et elle fut déçue du peu de ragots que Ginny avait à lui raconter sur « Drake » : c’était un vrai connard à l’époque, mais elle ne le connaissait en fait pas beaucoup, ils n’étaient pas dans la même classe et n’avaient pas les mêmes amis (Merlin…). Il y eut un moment où Ginny avait dû faire involontairement une grimace et la serveuse avait éclaté de rire. En fait Ginny n’arrivait pas à croire ce qu’elle était en train de faire : parler de Malfoy, l’attendre même, alors qu’elle n’avait de lui que des souvenirs qu’elle aurait autant aimé ne pas avoir ; elle le revoyait dans le Hall entouré de son père et sa mère, alors que sa famille à elle entourait le corps de Fred ; un sentiment de revanche coupable lorsque son père avait reçu le baiser du Détraqueur ; et puis elle cherchait Harry… S’apercevant que l’atmosphère n’était pas à la légèreté, Beth cessa de la cuisiner.
« Je connais Drake depuis quelques mois. Il n’était pas très loquace au début, voire un peu agressif. Je sais qu’il ne faut pas poser de questions, mais je suis curieuse.
- C’est rien… Je suis juste en train de mesurer ce que je sais de lui et comment je le connais. »
Elle regardait fixement sa bière presque terminée. Il ne restait plus qu’une gorgée.
« Tiens, le voilà. » Beth lança un regard en direction de la porte d’entrée, un rictus malicieux jouant sur ses lèvres. Ginny tourna la tête. Malfoy s’était figé, la main sur la porte, et regardait les deux filles au comptoir. Cela ne dura qu’une poignée de secondes et il conserva une expression relativement neutre. Il s’avança tranquillement, ferma brièvement les yeux en sentant venir la question de Beth.
« Bonjour… ? fit-elle d’une voix traînante.
- Salut Beth.
- Et Ginny que voici ?
- J’ai vu. » dit-il en hésitant à s’asseoir au comptoir. « Qu’est-ce que vous vous êtes raconté sur moi… ?
- Du gros dossier, chantonna la serveuse.
- Pas grand chose, fit Ginny mal à l’aise. Je ne suis pas là depuis longtemps.
Il lui lança un bref regard. Certes, elle avait une demi-pinte vide près de la main.
- T’inquiète, dit Beth, aucune information compromettante et pas de contradictions flagrantes entre vos deux versions. Elle m’a juste parlé de votre école.
- Ah oui ? fit-il d’une voix blanche, le regard parcourant les étagères du fond où s’alignaient les alcools d’apéritif.
- Pas de potins. Si vous avez couché ensemble, elle m’a rien dit.
Malfoy s’étouffa de rire. Ginny fit une grimace :
« Quelle horreur.
- Oh quand même, s’indigna Beth. Et tu ne te défends pas ?
- Non, répondit Malfoy très sincèrement. Quelle horreur, c’est bien ça.
La serveuse eut une moue étrange.
- Bon…, soupira-t-elle, scotch ?
- Non, juste une bière s’il te plaît. On va aller là-bas. » Il indiqua une table éloignée du comptoir.
Beth haussa les épaules : « Ginny, autre chose ?
- Pourquoi pas.
- Deux demis. Allez barrez-vous.
Malfoy prit sa bière et sourit à Beth qui lui fit une grimace suivie d’un clin d’œil. Il secoua la tête. Une fois assis, il vérifia qu’elle ne les espionnait pas.
« Elle sait ? demanda Ginny.
- Bien sûr que non, elle ne sait pas.
- Elle t’appelle « Drake ».
- C’est un surnom pour elle. Ça vient d’un feuilleton moldu dont elle me rebat les oreilles.
Ginny hocha fébrilement la tête. Il la regardait droit dans les yeux.
- Qu’est-ce qui t’amène ? demanda-t-il.
Elle ne savait pas quoi répondre, elle était venue, c’était tout. Elle ouvrit la bouche et la referma aussitôt, fronçant les sourcils.
- C’est toi qui m’as donné cette adresse…
Il détourna les yeux. Touché.
- Pourquoi ?
- Je ne sais pas, répondit-il. Je n’aurais pas dû.
Ginny se sentit désespérée.
- Dis-moi ce que tu fais ici…
- Je te l’ai déjà dit, soupira-t-il. C’est trop compliqué à comprendre ? Je n’ai plus de vie là-bas. Plus rien. Et malgré tout je suis trop attaché à l’Angleterre pour aller me terrer ailleurs…
- Est-ce que ça a un rapport avec Harry ?
La question lui avait échappé avant même qu’elle ne se la soit formulée. Malfoy marqua une pause.
- Non, pas vraiment….
- Comment ça, « pas vraiment » ?
- Non, ça n’a pas de rapport.
- J’y ai repensé depuis l’autre jour. Il a dû intervenir à vos procès en automne. Et il était toujours à cran quand il revenait.
- Je ne savais pas qu’il avait disparu, dit-il après l’avoir considérée d’un regard attentif. On n’était pas en contact. J’étais déjà parti et je me suis occupé de sauver ma peau d’abord.
- …
- Il y en a encore en liberté qui veulent ma peau, poursuivit-il. Enfin surtout celle de ma mère, mais ça revient au même, et ce n’est pas comme si les Aurors avaient le temps ou l’envie de protéger des… gens comme nous.
Ginny garda le silence. Quelque chose dans l’expression de Malfoy lui parut familier : une peur qu’elle avait à peine réussi à exorciser, ce qu’elle avait ressenti quand ils avaient découvert Ron et qu’elle avait dû fuir le château pour se cacher avec sa famille. Certains soirs, elle n’était toujours pas tranquille.
- Les Carrows ont été arrêtés, dit-elle d’une voix suffisamment basse. Ils n’auraient pas eu l’idée de chercher ici…
- Non. Ce n’est pas du tout leur monde. Et connaissant ma famille, c’est le dernier endroit où ils penseraient à chercher… J’aurais été plus facile à dénicher au fin fond des Philippines.
Ginny hocha la tête ; son regard glissa furtivement sur le bras de Malfoy, dissimulé dans les manches de ses vêtements. Plus encore que tout à l’heure au bar, elle se rendit compte qu’elle ne le connaissait pas. A l’école, elle avait toujours tout fait pour nier son existence : en deuxième et troisième année, le croiser suffisait à lui rappeler son père et ce qu’il avait fait, à réveiller en elle un mélange de honte, de terreur et de colère qu’elle détestait ressentir ; quand ça avait commencé à s’estomper, elle avait continué à l’éviter, autant qu’elle le pouvait avec tout l’acharnement qu’il mettait à faire chier Harry. Et puis il y avait eu la mort de Dumbledore. Et puis il y avait eu la guerre. Et puis jamais il ne semblait vouloir sortir de la vie de Harry.
- Je pensais qu’il voulait juste couper les ponts, dit-il. On a essayé de… repartir à zéro, après la guerre. C’était difficile de se contenter d’oublier nos existences respectives – on se doit mutuellement la vie, surtout moi… On s’est revus pour nos procès, une ou deux fois, mais je n’ai plus entendu parler de lui depuis que ma mère a quitté le pays. J’étais censé la rejoindre, mais je suis resté ici.
Ginny resta interdite. Malfoy évitait consciencieusement son regard. Soudain le choix d’exil qu’il avait fait prenait un tout autre sens et semblait confirmer ce qu’elle avait ressenti en tombant sur lui dans le centre-ville : ce n’était qu’une coïncidence, mais ça n’était pas qu’une coïncidence :
- Est-ce qu’il t’a dit quelque chose ?
Il fit non de la tête.
- On a suffisamment parlé pour que j’aie l’idée de venir jouer les moldus, mais rien de plus. Désolé. »
…
Lorsqu’elle décida de partir, il la regarda un instant comme s’il se demandait où elle allait. Elle avait de quoi payer et se dépêcha de quitter le pub. Une fois dehors, dans la nuit, il n’était plus question de retourner au YHA. Elle avait toutes ses affaires avec elles ; le sac lui faisait un poids contre les jambes. Lentement, elle se dirigea vers la première zone hors de la portée des réverbères qu’elle put trouver. Elle réapparut sur la petite place pavée autour de laquelle se concentrait la quasi totalité du quartier sorcier de Manchester. Quelques clients discutaient avec le propriétaire de l’auberge dans la salle principale. Une poignée de poudre de cheminette plus tard, elle remettait les pieds sur le Chemin de Traverse.
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