BO 8 : Marie Laforêt — Qu’y a-t-il de changé ?
J’en ai marre de ce chapitre, ça fait un an que je suis dessus. Désolée de sa brièveté... On approche du dénouement :)
Manchester & Liverpool
________
8
Il se levait toujours avant elle. Quand elle se réveillait, parfois, la nuit, elle n’apercevait jamais que son épaule dans la pénombre, ou l’arrière de sa tête. La plupart du temps, elle ne se retournait pas.
Ce matin-là, ils dormirent plus longtemps que d’habitude. Elle resta un moment sur le côté, à étudier les sensations de sa paume et de ses doigts entre les plis du drap ; quand elle se retourna, Draco avait la tête tournée vers elle.
Il se passa une main sur le visage, masqua un rire léger puis se détourna :
« Qu’est-ce qu’il y a…
- Rien. Je me disais que j’avais des détails à raconter maintenant. »
Ginny plissa les yeux et lui décocha un coup d’oreiller qui lui fut renvoyé comme s’il avait rebondi. Elle pesta et roula jusqu’au bord du matelas pour aller le récupérer par terre, extirpant le reste de son dos de sous le drap. Quand elle retourna à sa position initiale, ce fut pour lui jeter un regard sombre. Son rictus goguenard était toujours à moitié en place, mais il la considérait d’un air calme. De toute façon, à qui veux-tu que je m’en vante ?
Elle l’enjamba et s’installa sur son bas-ventre. Il soutint son regard, une main près de la tête et l’autre vers la jambe de Ginny, apparemment détendu mais sans doute prêt à se défendre. Elle sentit ses cheveux découvrir sa poitrine lorsqu’elle se mit à pencher.
« J’ai mal. à la tête. »
…
Après plusieurs semaines d’entraînement, elle se rendit compte qu’elle pouvait retrouver relativement facilement son niveau, si elle mettait encore les bouchées doubles ; elle avait moins de force dans les bras mais n’avait rien perdu de sa précision et compensait avec une énergie qui ressemblait un peu à l’impatience et à la rage de vaincre qui l’animaient dans sa plus jeune enfance. Un soir, Mme Bibine vint la retrouver aux abords du terrain du club : Ginny se sentit idiote de vouloir lui sauter au cou, mais très vite, la discussion repassa aux choses sérieuses ; les pies de Montrose n’allaient probablement pas lui donner une seconde chance, mais les Harpies, même si elles préféraient prendre leurs joueuses dès leur majorité pour les former, étaient plus ouvertes et surveillaient parfois les jeunes adultes des divisions inférieures qui auraient pu passer entre les mailles des filets. C’est ce que la terrifiante Gwenog Jones lui confirma lors de leur entretien : peu importait l’âge du moment qu’elle avait le niveau ; les soi-disant prodiges se décelaient au berceau, certes, mais il n’y a que le travail qui paye, et ça ne l’intéressait pas d’avoir une équipe de flèches éphémères comme à Montrose, où la cohésion de groupe laissait souvent à désirer. Si leur dynamique lui plaisait, alors ça pouvait fonctionner.
« Elle se souvenait de moi, raconta Ginny le soir, les deux mains manipulant un mug fumant tandis que Draco surveillait la casserole d’eau sur le feu. Elle a dit que c’était ma « ténacité » qui lui avait plu.
- Ah oui ?
- Elle m’avait sentie « solide »… Je n’ai pas su lui expliquer pourquoi je ne m’étais jamais présentée aux sélections. »
Il ne répondit pas. Son propre mug était posé sur le meuble à côté de la cuisinière. Il fixait l’eau avec une absorption déconcertante, une main autour du paquet de pâtes, guettant les premiers frémissements. Il lâcha le paquet et croisa son regard interrogateur :
- Je me disais que j’aurais pu avoir une Maîtrise de Potions et que tout ce que je fais bouillir maintenant, c’est de l’eau.
Ginny n’était pas sûre de savoir quoi répondre à ce ton.
- Au moins, je sais faire toutes les sauces et les infusions du monde.
Elle opina vigoureusement du chef. C’était désolant, mais ça occupait les soirées. Elle essaya d’avoir le plus de légèreté possible, tout en demdant quand même :
- … Tu voudrais revenir ?
Il demeura un instant silencieux, considérant la question sans surprise.
- Non, répondit-il. Pas vraiment. »
…
Elle se demanda s’il avait des nouvelles de sa mère. Lorsqu’elle errait en Grande-Bretagne, ou se réfugiait à la boutique de George, c’était facile de se dire qu’on allait bien rentrer un jour, recontacter un jour, facile de laisser filer les semaines les unes après les autres sans y prêter attention, mais quand elle réfléchissait plus précisément aux parents de Draco, mettait des noms sur les visages, elle rencontrait très vite un nœud extrêmement douloureux. Il n’en parlait jamais. Peut-être qu’il avançait lui aussi, de son côté. Il avait l’air plus actif.
Plus les choses semblaient reprendre de la vitesse, plus la pensée de sa famille s’imposait à elle de nouveau. Elle éprouvait du remords à leur cacher ce qui lui arrivait, et cela lui paraissait de plus en plus inconcevable de reprendre une carrière tuée dans l’œuf sans avoir repris contact avant. Lorsqu’elle reçut un laconique « Réservez votre deuxième quinzaine d’avril. » de Holyhead, ce fut l’impulsion qui lui manquait.
…
C’était comme si elle revenait pour la première fois. Chaque pas entre le bout du chemin et le palier du Terrier fut laborieux. Lorsqu’elle arriva sur le pas de la porte, retrouva le paillasson, et qu’elle s’apprêta à frapper, elle hésita. Rien n’avait particulièrement frémi à son approche. Le bois était impassible. Dans le salon, peut-être, l’une des grandes aiguilles de l’horloge se déplaçait.
La porte s’ouvrit brusquement et elle se retrouva nez à nez avec un Ron à l’air hagard qui la dévisagea, stupéfait.
« Salut, hasarda-t-elle.
- Salut…, répondit-il en écho. »
« Euh, je sais que ça fait un bail, mais quand même ?
Ron parut se ressaisir :
- Oui, oui, désolé, c’est juste qu’on ne s’attendait pas à te voir.
- Ah…
- Mais entre, fais comme chez toi…
Il s’effaça pour la laisser entrer. Elle plissa les yeux et, le gratifiant d’un air mauvais, entra dans la maison.
- Si c’était pas moi qui la faisais, ç’aurait été Bill.
- Parce que vous l’aviez préparée en plus ? Il est là ?
- Non, il n’y a que moi et Hermione. Maman est partie faire des courses et Papa ne va pas rentrer avant six-sept heures.
- Et toi, tu ne bosses pas ? demanda Ginny en regardant l’escalier vers lequel Ron avait fait un signe de tête.
- On se fait un weekend prolongé au vert.
Elle hocha machinalement la tête. C’était peut-être mieux comme ça, si elle était déjà là quand son père et sa mère reviendraient. Déjà remettre les pieds dans la maison familière lui faisait drôle. Rien n’avait bougé, mais ce n’était pas comme à Noël ; elle n’y était plus mal à l’aise.
Hermione apparut en quelques instants, sans doute attirée par leurs voix – « Ma pauvre chérie… » – elle avait dû passer beaucoup trop de temps avec sa mère. Néanmoins son étreinte la fit frissonner. Une tension dans ses membres se relâcha.
- Molly va en faire une syncope. On a eu des nouvelles par George, mais quand même, tu aurais pu nous tenir au courant, on était morts d’inquiétude. Qu’est-ce que tu nous as fabriqué pendant tout ce temps ?
- Papa a dit quelque chose ?
- Il en est tombé malade, répondit Ron avant qu’Hermione puisse le faire. Ça j’imagine que George ne te l’a pas dit. Même pas sûr qu’il s’en soit aperçu d’ailleurs. Il a perdu au moins dix kilos.
Ginny se retourna vers Hermione qui avait l’air de dire qu’il exagérait.
- C’est vrai qu’il a maigri, mais c’est plutôt le Ministère qui recommence à trop lui en demander. » Elle se retourna vers Ginny : « Je ne voudrais pas trop t’enguirlander alors que tu viens de revenir mais j’espère que tu ne vas pas nous refaire un coup pareil.
Ginny soupira. Elle avait beau s’en vouloir un peu, elle n’avait pas non plus envie de se confondre en excuses. Ce n’était pas comme si elle avait eu le choix…
Ron haussa les épaules et partit chercher deux autres tasses à la cuisine. Hermione lui proposa d’aller s’asseoir dans le salon et après un coup d’œil dans la théière, rejoignit Ron pour changer l’eau. Ginny s’installa dans le canapé. Ses chaussures étaient dans l’entrée à côté des leurs. L’aiguille de sa mère était sur « courses », celle de son père et celle de George sur « au travail », la sienne et celle de Ron sur « à la maison » ; les aiguilles de ses autres frères étaient dans la zone vierge vers le bas du cadran qui indiquait qu’ils étaient hors du giron familial, affairés à leurs vies mais loin de tout danger. Son aiguille avait dû se trouver quelque part par là, sans doute. Ils n’avaient pas eu à trop s’inquiéter…
Les deux amoureux revinrent avec ce qu’il fallait pour le thé et s’assirent autour de la table basse. Hermione n’y alla pas par quatre chemins :
- Allez, raconte.
Ginny sourit. Il suffisait de commencer par le Quidditch.
Ron retrouva vite son animation ; il se mit à lui poser de plus en plus de questions auxquelles elle ne voulut bientôt plus répondre pour ne pas vendre la peau du Ronflak cornu avant de l’avoir débusqué, mais la chaleur dans sa poitrine lui confirmait qu’elle avait enfin repris la bonne voie.
- Mais comment tu as eu l’idée d’aller à ce club ? C’est pour ça que tu es restée tout ce temps là-bas ?
- Non, répondit-elle. C’est Mme Bibine qui me l’a conseillé quand j’ai enfin réussi à me secouer.
- C’est vraiment minuscule Manchester, intervint Ron à l’intention d’Hermione. Je ne savais même pas qu’il y avait un club.
- Chez les moldus il y a une grande équipe de football, se défendit Hermione qui manifestement ne s’était toujours pas mise à suivre les fondamentaux.
- Mais ça n’a rien à voir…
Ginny sourit franchement, se préparant néanmoins au prochain sujet qui n’allait pas tarder à être abordé. Cette réponse aussi, lui vint facilement : elle avait rencontré des gens à Manchester, côté moldu, et ils l’avaient pris sous leurs ailes quand elle n’avait plus eu assez de sous pour rester dans des auberges.
- Tu vas y rester ? Ou tu avais prévu de revenir à Londres, ou ici ?
Le regard d’Hermione était si pénétrant qu’il lui était impossible de ne pas continuer de la regarder droit dans les yeux.
- Oui, pour l’instant. Je n’avais pas l’intention de revenir squatter ici, je voulais juste vous voir avant de continuer à reprendre le Quidditch dans mon coin. »
Cela la démangea de se lancer à dire qu’elle « vivait avec quelqu’un » – imaginer la tête de Ron si elle lui disait qu’elle couchait avec Draco Malfoy de temps en temps – mais déjà sous-entendre qu’elle était réellement avec quelqu’un lui semblait trahir leur relation, attaquer le petit espace secret qui les protégeait à Manchester ; ni la chambre, ni lui n’avaient leur place dans cette atmosphère de famille retrouvée. Elle détourna bientôt le sujet d’elle pour interroger Hermione et Ron sur ces trois derniers mois, ainsi que sur les mois d’avant dont elle se rendait compte qu’elle n’avait retenu que des informations tronquées. La vie reprit comme s’il n’y avait pas eu de si longue absence – chacun ses collègues bizarres, chacun ses souhaits et griefs autour de la météo, chacun ses courbatures – et bientôt les flammes de la cheminée virèrent au vert et d’autres aiguilles se déplacèrent.
…
Après tout ce temps passé dans le monde moldu, il ne lui était toujours pas venu à l’esprit d’acheter un parapluie. Draco songea distraitement aux sortilèges qui pourraient protéger ses cheveux de l’humidité, mais il se contenta de rentrer la tête dans son col et de fendre la foule jusqu’à l’arrêt du bus qui devait le ramener chez lui. S’il arrivait à attraper celui de 17h55, Ginny serait sans doute encore à l’entraînement ; l’arrêt était juste là.
Il s’arrêta de justesse au passage clouté alors que le feu piéton venait de passer au rouge. Décidément, il ne se ferait jamais aux voitures. Rien de plus barbare. Il inspectait les alentours pour vérifier que le 87 n’arrivait pas quand soudain, de l’autre côté de la rue, un profil attira son attention. Les yeux rivés sur la silhouette familière, il attendit que l’autre tourne la tête vers lui, espérant croiser ou voir son regard.
L’autre tourna la tête et leurs yeux se rencontrèrent. C’était bien lui.
|