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Voir Le Loup
Par epice
Originales  -  Romance/Fantastique  -  fr
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I - partie 1/2

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Résumé
 :
Alexander Lehmann s’apprête à entrer à la D. Academy, une curieuse université séculaire, connue d’une communauté particulière à laquelle appartient sa famille.
La tradition, chez les Lehmann, veut qu’aucun membre ne rentre au bercail avant d’avoir gagné le respect dû à leur patronyme. Mais Alexander a bien d’autres préoccupations que celle de ne pas remettre les pieds à la maison avant cinq ans, une fois le portail du Campus franchi. C’est avec angoisse qu’il redoute son départ, car sa pire crainte est sur le point de se réaliser : entrer à la fac encore puceau.
Le banquet organisé par ses parents, pour célébrer son admission, semble être une occasion en or pour « voir le loup ». Mais les choses ne se passent pas du tout comme prévu, et il apprendra vite que perdre son pucelage est bien le cadet de ses soucis.

oOOo

Chapitre I - partie 1/2

La rentrée universitaire de la D. Academy est prévue dans trois jours. À vrai dire, le terme université ne lui rend pas ses lettres de noblesse. J’opterai pour « institution ». Aux yeux du commun des mortels, ce n’est qu’un vieux monastère franciscain du comté du Donegal, au nord de l’Irlande. Le regard humain se limite aux ruines datant de l’époque des Vikings, et à la structure ancienne du couvent encore sur pied à flanc de montagne, mise en avant en tant que « site touristique historique ».

Il faut s’enfoncer dans les grottes sombres et glaciales des falaises du massif de Slieve League pour déboucher sur ce qu’elle est réellement. Une université vieille de mille ans. Un référentiel dans notre monde, depuis qu’il a été prouvé qu’il fallait structurer notre mode de vie et institutionnaliser certaines de nos mœurs pour accroître notre survie sur une terre devenue hostile.

Par voie aérienne, il est impossible de la voir, à moins d’être un puissant oiseau migrateur. Ou un autre genre de créature ailée… Une perturbation météorologique empêche tout aéronef de survoler l’endroit. Même un drone équipé de vision infrarouge ne s’y risquerait pas. Une surcharge électromagnétique détruit tout circuit électronique à proximité.

Le phénomène en soit pourrait être scientifiquement explicable, mais son origine relèverait de l’irrationnel. Fort heureusement, cela n’a jamais attiré l’attention du public. Sinon le buzz serait de l’ordre planétaire. Du moins, depuis la nuit des temps nous y avons échappé. Jusqu’ici. Avec l’avancée des technologies, il devient de plus en plus ardu de se soustraire des regards indésirables.

Comment tout cela marche ? Je l’ignore… Je suppose qu’une fois au sein de cette Académie, j’en saurai davantage. Ce soir, nous célébrons mon admission à ce cercle de privilégiés. Une idée de Mère. Elle ne rate jamais un prétexte pour faire étalage de ses merveilleux talents d’hôtesse et maîtresse de cérémonie. Et je dois dire que chez elle, c’est vraiment un don.

Je suis Alexander, second fils de Clyde et Eva Lehmann. En cette fin de 16ème année de mon existence, je m’apprête à intégrer la très réputée et conservatrice D. Academy, prônant des valeurs plus qu’ancestrales.

C’est la raison pour laquelle nous séjournons plus longtemps que prévu dans la résidence d’été de Père, à Sligo au nord-ouest de l’Irlande. La ville se trouve relativement proche de mon université, comparée à notre adresse à Dublin. Sligo est inclue dans la baie du Donegal, ce qui raccourcit plutôt le trajet jusqu’à Slieve League.

Mon départ est prévu pour demain soir. Autant vous dire que je n’ai pas hâte d’y être. Les raisons ? Eh bien, je vais devoir renoncer à ma liberté pendant au moins cinq ans. Et en tant que fils cadet de la vénérée famille Lehmann, j’ai tout de même une réputation à tenir. Je vais débarquer dans cette Académie sans avoir vu le loup, et il en est hors de question !

Ce qui statistiquement, ne me laisse que deux jours pour régler son compte à mon pucelage. Or j’ai un problème de taille. Je suis né dans une famille puritaine et malheureusement pour moi, très à cheval sur les traditions.

Il est de tradition chez les Lehmann de ne jamais rentrer au bercail avant d’avoir acquis un surnom. Et très rares sont ceux qui l’obtiennent avant la 5ème année d’études, sur six ans passés à l’Académie.

Mon père, comme son père avant lui et son grand-père, est revenu parmi les siens lorsqu’il a fièrement acquis le surnom de Windcharger. Sa réputation en tant que dragon de Tempêtes n’est plus à faire. La rumeur dit qu’il n’y a pas plus dévastateur que lui sur cette partie de l’Atlantique. Et pour avoir vécu deux siècles jusqu’ici, mon géniteur a fini de prouver sa valeur en tant que guerrier et homme d’affaires émérite.

La force brute ne suffit plus à faire une percée dans notre monde, à l’ère actuelle. Les Lehmann sont aussi puissants financièrement que musculairement, si je puis dire… Enfin, c’est ce que l’on déduit devant le tableau parfait de notre portrait de famille.

Mon frère aîné, Klaus, est juste un Clyde miniature ; surtout physiquement. Seulement 26 ans d’existence, mais déjà un surnom que toutes les lèvres relaient : Blastbuster, acquis lors de sa dernière année à la D. Academy.

Si la jouvence était un gâteau, Clyde et Klaus se partageraient la part de la force physique – et du cerveau bien fait, pour Père. La part charme et beauté reviendrait à Eva, ma mère, et sans aucun doute possible à Evangeline.

Du haut de ses 13 petites années, ma sœur cadette est un ange. Et je ne dis pas cela par gagaïsme. N’étant pas née comme les hommes de la famille, Evangeline ne mettra jamais les pieds à la D. Academy, réservée aux créatures écaillées et à plumes. Peut-être pour visiter…

Et il y a moi, l’entre deux. La beauté de Mère et le vice de mon géniteur. La sensualité de maman et la stature de viking de papa. Le sourire d’Eva et la brutalité de Clyde. La crinière royale et sombre comme la nuit de ma génitrice, et les yeux hypnotiques clairs comme un lagon bleu de Père. Alexander, né dix ans après l’héritier direct, mais ayant hérité du meilleur de mes deux parents. Sans vouloir me vanter.

Tous s’accordent à dire que je suis un parfait mix de mes procréateurs. Cela fait de moi le fils qu’ils exhibent volontiers quand ils veulent appâter la galerie, la soudoyer, la charmer.

Me voici prêt à arpenter les premières marches de la mystérieuse voie de l’homme-dragon. Si jusqu’ici, je n’étais traité que comme un adolescent humain, je perdrai de ce statut, ou plutôt j’en acquerrai un nouveau avec le respect qui lui sera dû au sein de notre société.

À ma première transformation, sous la bienveillante supervision des professeurs de la D. Academy, je serai enfin considéré comme un membre à part entière de la Communauté des Dragons Séculaires : Draken’heim.

Par conséquent, mes derniers jours de vacances post-bac s’apparentent à un sursis durant lequel je suis bien déterminé à tremper mon biscuit, non pas dans le con d’une jeune fille mais dans ce qu’un garçon viril a de plus intime à offrir. Il devient évident que l’Académie est un gros obstacle à ce projet.

Le fait est que je n’ai jamais pu assumer ma sexualité différente dans une famille comme la mienne. Une famille qui la considèrerait d’emblée divergente, sans fournir le moindre effort de compréhension. D’ouverture d’esprit. À plus forte raison dans une Académie où sont formés les futurs pères et mères de ces familles puritaines ?

Clyde et Klaus sont aussi muets que des tombes sur tout sujet concernant cette université de dragons. J’en parle, mais j’ignore tout de cette institution. Parce que la loi de l’Omerta Séculaire prévaut sur tout ce qui a trait à la D. Academy… et au reste.

Encore, ai-je de la chance parce que peu sont les sang-mêlé qui connaissent leur nature semi-dragonne avant d’être admis à l’Académie. En général c’est le lieu où ces derniers découvrent leur seconde nature.

Si j’ai eu droit aux confidences sur ce sujet-là, malgré le fait que je sois le fruit d’un métissage humain-dragon, c’est parce que la tradition veut que les rejetons des membres du Haut Conseil aient très tôt conscience de cette particularité. Bien souvent, c’est dans cette progéniture que se trouve la relève dirigeante.

Il ne fait aucun doute que Klaus succèdera à Père en tant que Haut Conseiller. Et puisque je suis amené à le seconder, me laisser dans l’ignorance aurait été absurde. Encore et toujours cette histoire de traditions. Un fléau, si vous voulez mon avis !

Selon la tradition, je devrais en ce moment me montrer sous mon meilleur jour. Sourire, être avenant, bref, faire le paon parce que je suis potentiellement le meilleur parti que les filles de nos invités de ce soir pourraient trouver à des kilomètres à la ronde. Ce rôle de damoiseau incombait à mon frère il y a peu. Depuis qu’il a eu la brillante idée de se fiancer à Aviyah Becker, fille-dragonne d’un magnat de l’immobilier, ce fardeau pèse à présent sur mes pauvres épaules.

Selon la tradition toujours, je devrais en trouver une à mon goût et commencer une amourette comme on en attendrait d’un jeune homme aussi fringant que moi. Sous l’œil attendri et non moins vigilant des adultes.

J’ai l’avantage de ne pas faire mon âge. Grâce à ma carrure, nombreux me vieillissent facilement de 4 ans. À presque 17 ans, passer pour un jeune dans la vingtaine est un atout quand on espère emballer plus vieux que soit. Hélas, difficile d’emballer ceux qui suscitent mon réel intérêt, quand tous me revêtent de ce coriace manteau d’hétérosexualité. Dois-je blâmer ma trop grande virilité ?

C’est à 18 ans que mon frère a eu tout loisir de courtiser ouvertement ses premières conquêtes. Je commence avec un an d’avance parce que mon physique de jeune adulte m’octroie une dérogation. Courtiser la donzelle sous autorisation parentale… Grand Dieu que c’est d’un passéisme ! On est au 21ème siècle, et les dragons vivent toujours à l’ère féodale. C’est ma veine, ça !

Selon ces fichues traditions, je devrais regarder des filles qui ne m’intéressent pas le moins du monde, alors que je rêve de la chaleur intime d’un homme. Je hais les traditions depuis que j’ai compris que j’étais certifié « non conforme ».

Habituellement, je ne vois que la vacuité de ces soirées mondaines qu’organisent mes parents. Clyde et Eva aiment de temps à autre rappeler à leurs « vassaux » leur toute puissance. Ils n’y vont pas par quatre chemins, en faisant étalage de leur richesse. Comme les inviter dans l’une de leurs nombreuses résidences secondaires, pourvoyant gîte et couvert, et réglant les frais d’hôtel à ceux qui n’auront pas la grâce de séjourner au domaine.

Père aime y voir une certaine ironie et s’en amuse parfois. Lehmann est un patronyme d’origine germanique qui servait à désigner le vassal chargé de diriger le fief en l’absence d’un seigneur. Aujourd’hui, c’est lui le seigneur dont la villégiature est établie dans un pays se revendiquant celte, loin de l’influence germanique.

Quand, comme Père, on est l’un des conseillers d’administration et le principal actionnaire d’une industrie d’aviation à grosse capitalisation boursière, il n’est point surprenant d’être un poids-lourd, financièrement parlant. Et franchement, on a le temps de rouler sa bosse et d’effectuer les meilleurs placements en 200 ans de vie sur terre. À moins d’avoir conjugué au passé, au présent et certainement au futur, poisse et mauvais choix.

Même si elle n’a pas de poste « officiel », Mère est à la tête d’une chaîne de cabinets de recrutement. Professionnaliser le relationnel, c’est tout elle. Le plus souvent, ces cabinets ignorent qu’ils lui appartiennent. Quand le poids des ans se fait très léger sur votre physique, il devient judicieux de recourir à de fausses identités si l’on veut continuer à vivre dans le secret. Et toutes ces « vies » multiples concourent au bien d’un seul individu qui aujourd’hui n’a plus que l’embarras du choix face à une pléthore de comptes bancaires.

Cependant, j’ignore si cela justifie leur attitude. Péter dans de la soie et souper dans de l’or et de l’argenterie leur donne apparemment le droit de se mettre sur un piédestal. Je ne suis pas en train de me plaindre d’être né avec une cuillère en argent dans la bouche. Mais parfois j’aspire à autre chose que tout ce faste et cette facilité… qui ne me laissent pourtant aucun sentiment de liberté.

Puissant, mais enchaîné. Une torture, pour un dragon.

Plus je prends conscience du monde qui m’entoure, plus celui-ci m’oppresse. Exactement comme celles qui défilent devant moi, avec la même lueur d’espoir dans leurs prunelles de veau, de biche, cerclées d’un trait de khôl ou de toute autre substance chimique qu’ils mettent de nos jours dans leur eyeliner. Jeunes, un peu moins jeunes, des gamines aux femmes encore nubiles, présentées sur un plateau au même titre que des petits fours apéritifs. Et on attend de moi que je croque dans l’une d’elles.

Mère me fait un sourire engageant lorsqu’un spécimen m’approche. Elle est gainée dans une robe rouge tel un serpent, juchée sur des escarpins qui lui font la fesse haute, avec gravée sur le visage la ferme intention d’engager la conversation. Un autre que moi la trouverait attirante.

Dans ses yeux, se lit toute la luxure que je lui inspire. Ce qui n’échappe pas à ma mère. Elle me donne d’ailleurs un coup de coude suivi d’un clin d’œil avant de disparaître. En clair, j’ai sa bénédiction pour pécho. D’autant plus qu’il s’agit de la fille de l’ambassadeur Richmount, envoyé du Pays de Galles. Ça contentera très certainement Père…

Parfois je me demande si mes parents ne m’auraient pas prostitué si ça servait leurs intérêts. Je le sais qu’ils m’aiment, chacun à sa manière. Mais je ne peux m’empêcher de me poser cette question.

J’ai envie de vomir. Je doute cependant que ce soit recommandé de le faire dans le bustier de ma future interlocutrice. Le but est de créer et/ou consolider des alliances, comme l’a fait mon frère lors de ses fiançailles, et comme sera pressentie la benjamine de notre famille à l’approche de ses 18 ans. Alors rendre le contenu de mon estomac entre les lolos de miss Sheridan Richmount ne va pas dans ce sens.

— Tu te sens bien ? s’inquiète-t-elle.

Tant de sollicitude m’émeut. Non, vraiment. Le fait est que je n’ai pas su lui masquer mon haut-le-cœur. Pour arranger le tout, son parfum m’agresse les narines. Je suis de plus en plus sensible aux odeurs, preuve que mon Éveil approche. Père et Klaus disent que le mien est précoce. Ils avaient eu leurs signes avant-coureurs à 18 ans mais leur première transformation n’était survenue que deux ans plus tard.

— Le mélange du champagne et des cacahuètes s’avère plutôt malvenu pour mon estomac, dis-je, peu soucieux de lui avancer une excuse qu’elle aurait trouvée plus glamour et qui tienne la route.

Elle ravale une grimace lorsque je feins cette fois un autre haut-le-cœur. Elle m’encourage même quand je lui annonce m’éclipser pour les Walters. Dans ma hâte de m’éloigner, je bouscule un invité. Il me retient par le bras pour préserver mon équilibre, puis s’excuse, pensant être responsable de notre collision.

Sa poigne est ferme. Très solide. Ce que ne laisse pas présager sa carrure presque sylphide. Pour un peu, on le prendrait pour un elfe avec sa blondeur argentée. S’ils existaient… Il n’a pas jugé utile d’arrondir la légère pointe de ses oreilles. Oui, ils peuvent faire cela. La réception de ce soir est réservée à la Communauté. Aussi il n’est pas nécessaire aux dragons pur-sang de paraître très « humains ». Celui-ci en est un. La pointe effilée de ses oreilles indique qu’il n’y a rien d’humain en lui.

Ils sont plutôt rares, avec les nombreux métissages de nos jours. Un pur-sang peut être issu de parents pur-sang, mais c’est un fait plus que rarissime. En général, les deux parents sont des sang-mêlé. Des hommes ou femmes-dragons, si vous voulez. Il peut aussi arriver que l’un soit pur-sang et l’autre semi-dragon. Pour ma part, je suis né d’une humaine et d’un homme-dragon.

Mère est ce qu’on appelle dans le jargon dragonique, une humaine affiliée ; c’est-à-dire unie à un mâle de notre race. Je dis « notre » parce que je n’appartiendrai plus vraiment à la race humaine lorsque mon Éveil sera définitif. Tous les « éveillés » disent qu’ils se sentent plus dragon qu’humain, une fois la transition effectuée.

Pour en revenir à la notion d’affilié, elle est cependant à nuancer de celle de non-dragon. Les non-dragons sont des humains nés d’une union de deux sang-mêlé, d’un semi-dragon ou d’un dragon pur-sang avec un affilié. Il arrive que les gènes dragons soient voués à ne jamais entrer en Éveil. Leur dormance est définitive. Ces individus sont des « humains » parfois bien étranges, dotés d’un sixième sens surdéveloppé ou d’une faculté hors norme. Ma sœur en est une.

Quand s’opère l’Affiliation, l’humain affilié acquiert des facultés qui autrement, auraient été qualifiées de surnaturelles. Eva a gagné en longévité par un ralentissement de son processus biologique de vieillissement. C’est un cas de figure courant, mais pas absolu. Aujourd’hui, il est très difficile de se dire que cette femme qui jouit de la vigueur de la fleur de l’âge a en réalité 75 ans…

Que son premier fils ait seulement 26 ans s’explique par le fait qu’il faut compter 30 ans d’Affiliation avant que ne se crée une compatibilité génétique. En deçà, il y a toujours un rejet. Mère s’amuse à raconter à qui veut bien l’entendre, le nombre de fois où Père s’est démené à lui remonter le moral face à une succession de fausses-couches étalées sur trois décennies. Elle a su rendre l’histoire comique et en rit aujourd’hui, avec trois enfants en pleine santé.

Père n’a jamais trouvé cela drôle. Si je compatis, je dois néanmoins dire que le sens de l’humour n’est pas son fort. Et j’en remercie les cieux de n’avoir point hérité de cette austérité paternelle. Je souris à la pensée qu’elle puisse se transmettre par le sang, et mon vis-à-vis semble réceptif à mon sourire. Il me le rend et je me surprends à rougir bêtement.

Bon sang, qu’est-ce qui me prend de baisser ainsi ma garde alors que je suis au centre de l’attention collective ?

Quoique… ç’a beau être ma « fête de départ », mon admission à la D. Academy n’est qu’un prétexte avancé par Père pour réunir sous son toit des émissaires venus des quatre coins du monde. Des figures emblématiques de Draken’heim comme Brawn Hartmann Mirage par exemple.

Connu pour son exubérance, il s’avère surtout être une voix très convoitée par le Haut Conseil. Maintes fois, un siège lui a été proposé, et maintes fois a-t-il décliné. Il se dit trop attaché à sa liberté pour se laisser enchaîner par le Conseil, et j’admire ce point de vue. Bien qu’imprévisible, il est impensable que Clyde Lehmann Windcharger ne songe point à gagner ses faveurs.

Brawn est un dragon d’Illusion. Si l’on vivait dans un RPG, il serait le mage, l’archimage ou le magicien. Bref, on comprend l’idée. Il est de cette classe tant enviée, capable de distordre mentalement la réalité ou d’influer sur la perception humaine. Très pratique lorsque vivre caché garantit une certaine forme de bonheur. Il porte bien son surnom. Mirage.

En outre, c’est un puits de savoir. Rien d’étonnant lorsqu’on sait qu’il passe sa vie à sillonner la planète. Et ce, depuis 231 ans. C’est en partie à cause de sa fonction. Masquer aux humains les plus gros stigmates laissés par la vie dragonne sur terre est un job qui demande beaucoup d’investissement. Il faut constamment donner de sa personne. Il ne passe pas toujours après ; il est aussi sollicité avant et pendant des opérations de grande envergure.

Ce qui à mon sens doit être la cerise sur le gâteau, c’est son métier « écran ». Brawn est connu des humains sous l’aspect d’une rockstar internationale. Un curieux choix professionnel qui se justifie assez bien pour un homme appelé à courir le monde. Une autre façon là aussi de « donner » de sa personne. Mirage – eh oui, c’est aussi son nom de scène – vend du rêve. De l’illusion. Dans tous les sens du terme. Ce dragon peut se permettre d’être une figure médiatisée. Et pour cause : son visage people n’est qu’une belle illusion.

On se doute qu’il n’est pas le seul à posséder cette capacité. Aussi certains voient sa « surexposition » médiatique d’un mauvais œil. Cependant, ses détracteurs ont peu de voix au chapitre car Brawn figure parmi les meilleurs. De plus, il n’en est pas à son premier coup d’essai. Sa longévité lui a permis d’avoir plusieurs vies d’artiste. Musiciens modestes à bêtes de scène lyrics, traditionnels, rockabilly, classiques, punks, grunges, folks, rocks, ayant en commun le tragique destin de finir précocement.

On ne compte plus le nombre de fois où il a stoppé une fulgurante ascension musicale par une fin brusque. Et il s’amuse à varier les plaisirs. Un accident de la route, une noyade, un crash d’avion, une mort par empoisonnement d’un antifan, ou par overdose. Il a même testé le suicide. Cet humour noir ne rencontre pas toujours un franc succès. Moi j’en raffole. Qu’il ait en plus choisi Mirage comme nom de scène actuel est d’une ironie que j’adore et qui naturellement, n’est pas au goût de tous.

Quoi qu’on dise, Brawn a une aura particulière. Il est unique, et d’une ouverture d’esprit aussi large que le firmament. Ça doit être sympa pour quelqu’un comme moi d’être son fils… Je ne dirais pas que je le vénère, mais j’en suis indubitablement fan. Aussi bien en tant que dragon qu’en tant qu’artiste.

Le regard appuyé de mon elfe me ramène à la réalité. Enfin, mon elfe, c’est vite dit. Pourtant je voudrais bien qu’il soit à moi. Là, à cet instant. Il est à croquer. Un corps de mannequin nerveux et musculeux, et probablement à se damner une fois nu. J’ai intérêt à ne pas le déshabiller du regard. J’ignore si parmi les invités de ce soir figurent des dragons d’Esprit. Ceux-là, capables de lire vos pensées les plus obscures pour ne pas dire les plus obscènes, sont juste des monstres. Et je ne suis pas péjoratif.

Il parait que le doyen de la D. Academy en est un. J’en frissonne rien qu’à l’idée. Heureusement pour la quiétude de l’humanité et de la dragonité, on les compte à peine sur les doigts d’une seule main… Il parait qu’il n’y en a que quatre de répertoriés sur toute la planète.

Mon elfe relâche mon bras, réalisant que notre contact prolongé sort du cadre admis par la politesse. Mais je ne veux pas le voir s’éloigner. Pas déjà.

— Je ne te connais pas, dis-je. Et pourtant ma mémoire de dragonnet se souviendrait de quelqu’un comme toi.

J’aurais dit de « pareille beauté » si je ne craignais pas de me faire griller, de me faire jeter, ou de le faire détaler. Oui, il m’a tapé dans l’œil et dans ce cas, avancer que je suis un dragonnet me fera gagner quelques points.

Même s’ils possèdent de nombreux atouts, on a tendance à beaucoup minimiser les sang-mêlé lorsqu’ils n’ont pas encore atteint leur Éveil. Et si je dois voir le loup dans les prochaines 48 heures, je me dois d’être entreprenant. Alors souffrez du pathétisme de ma technique d’approche. Je suis désespéré…

Et en toute honnêteté, je n’ai jamais fait ça. Aguicher un homme. La peur a été mon maître jusqu’ici, et aujourd’hui je prends conscience que j’ai plié l’échine par lâcheté. Je suis à présent au pied du mur. Du coup je manque de pratique.

Je me suis toujours défini comme quelqu’un de coriace, n’ayant pas froid aux yeux. Comme tout Lehmann qui se respecte. En faisant le bilan de mes années lycée, j’en viens à me détester face à ma couardise. Enfin, juste l’espace d’une poignée de secondes. Je m’apprécie trop, le reste du temps. On n’est jamais mieux servi que par soi-même.

— Euh…

Il y a un moment de flottement lorsqu’il cligne des yeux. Comme s’il se demande s’il a bien saisi ce qu’il vient d’entendre. Je me surprends à ravaler un soupir devant la singularité de son visage.

Ses longs cils clairs donnent une indéniable sensualité à ses traits fins. Quant à la voûte de ses sourcils blond argenté et ses pommettes légèrement hautes, elles apportent une subtile virilité à un visage qu’on aurait simplement trouvé sympathique chez un autre. On aurait pu s’attendre à une peau pâlotte, une carnation d’albâtre avec une pilosité et une capillarité aussi éthérées. Or le contraste avec son teint bronzé, presque bistre, est saisissant.

Je lui donnerais la vingtaine, mais avec les dragons et leur longévité séculaire rien n’est moins sûr. Il pourrait tout aussi bien avoir la soixantaine pour ce que j’en sais. Et il ne serait toujours qu’un dragonnet.

— C’est normal que l’on ne se connaisse pas, se reprend-il. C’est la première fois que je viens en Irlande.

Il a un accent. Australien ?

— De quelle contrée es-tu originaire ?

— Hum… je suis un citoyen du monde, fait-il en gesticulant avec une certaine grâce. La dernière terre que j’ai foulée est Melbourne. J’en garde encore l’accent, rit-il.

J’avais vu juste.

— Il te va bien.

Il sourit, avant de pouffer. Je me trompe peut-être, mais j’ai la désagréable impression qu’il se moque de moi. Je ne sais pas si je dois prendre la mouche. Puisque je suis l’hôte, je vais me montrer « conciliant ». Je ne peux cependant m’empêcher de demander d’un ton légèrement cassant :

— Ai-je dis quelque chose de drôle ?

— Non, dit-il avec un sourire énigmatique. Je trouve ça juste… mignon.

J’ai dû me figer, je crois. De tous les mots pouvant me qualifier, « mignon » n’entre pas dans ce lexique. M’a-t-il seulement bien regardé ? Je ne fais pas moins d’un mètre quatre-vingt-cinq pour 85 kilos de muscles ! Je serais catégorisé poids-lourd si je pratiquais de la boxe. Bizarrement, sa remarque me renvoie à ma condition d’ado de 16-17 ans. Je déteste ça.

— Il y a trop de monde ici, enchaîne-t-il avant que je ne prenne mes distances. Je n’ai pas l’habitude de ces mondanités. Et je me remets tout juste de mes heures de vol. Tu connais un endroit où je pourrais me soustraire à tout ce cirque ?

Je rêve où il me demande de quitter la soirée avec lui ? En tout cas c’est ce que disent ses yeux de jade, légèrement pailletés d’or. Ces traces dorées sont un signe distinctif chez les dragons. Chez les pur-sang, elles se manifestent par une fine poussière plus ou moins abondante. Chez les sang-mêlé, la poussière d’or se rassemble en un cercle fin sur toute la circonférence de l’iris.

Je suis en train de me laisser volontiers happer par la profondeur de ces yeux verts pâles. J’ai l’étrange impression que son langage corporel m’appelle. Mes sens qui s’aiguisent me soufflent d’y répondre. Et pis que tout, ils s’agitent. Paniquent presque. Parce qu’un jeu dangereux semble se jouer en cet instant. Sans me quitter du regard, mon elfe s’éloigne lentement. Son attitude soudain prudente m’apprend qu’il a remarqué ma frayeur. Non, il l’a sentie. Je le vois à ses narines légèrement dilatées, à ses sourcils blonds-argentés froncés.

Il arbore désormais un masque d’incompréhension alors que je le retiens par un pan de manche de sa chemise, l’empêchant de prendre encore plus ses distances.

— Et si je te faisais visiter ?

Je suis le premier surpris de ma proposition. Elle n’échappe pas non plus à nos plus proches voisins. Mon frère un peu plus loin hausse un sourcil et je lui souris avec nonchalance. Sans rien laisser transparaître de mon trouble. Curieusement, Klaus m’accorde d’un signe de tête la permission de m’échapper avec cet invité. Comme s’il approuvait le fait que je sympathise avec lui.

À présent, j’ai la très nette impression que mon interlocuteur entre dans la catégorie « convive de marque ». À satisfaire donc. Et j’ai intérêt à redoubler de charme si je veux le rendre disposé à l’égard de notre géniteur. Sauf que c’est à mon endroit que je veux le voir bien disposé… Dans tous les cas, ce que me dit silencieusement mon grand-frère est limpide.

Je hais ces jeux de pouvoir. Klaus appelle cela l’art de l’interaction sociale. Ça l’irrite parfois de voir que j’en fais peu de cas alors que la nature m’a doté de toutes les armes pour exceller dans ce domaine. Mais comme le dit Evangeline, ce n’est juste pas « mon truc ».

Je m’abstiens de questionner mon elfe-dragon sur son patronyme. Naïvement, j’espère ainsi ne pas briser ce qui pourrait naître entre nous. Je n’ai pas envie que ce soit « intéressé ». Je sens une possibilité d’ouverture que je redoute au plus haut point par la même occasion. Quand je saurai quel « fils de » est cet individu sublime, le charme se rompra.

J’ai les mains moites. Merde, je suis nerveux. Ça ne m’était jamais arrivé jusqu’ici, en présence d’un inconnu. J’ai été éduqué pour toujours afficher de la confiance. Que pourrait bien craindre un rejeton de Windcharger, si ce n’est que le ciel lui tombe sur la tête ? Père nous élève avec ce leitmotiv. À tel point que c’est devenu une sorte de philosophie de vie. C’est vrai, quoi, qu’ai-je à craindre de ce jeune homme ?

À part que son charme fou me mette dans tous mes états…

Sa carnation tannée du type café-au lait, se mariant si bien avec sa blondeur argentée, m’évoque le soleil. Pour peu, j’en sentirais les rayons sur ma peau rien qu’en le caressant. Ouais, normal que je flippe ! Parce que mon cœur vient de rater un battement à l’idée de ses doigts fins découvrant les secrets de mon corps. Quant à ma virilité, elle tressaute d’enthousiasme dans mon boxer alors que je réalise la nature indécente de mes pensées à l’égard d’un invité. Je ne me souviens pas que Mère m’ait éduqué ainsi.

À mon grand dam je sursaute un peu lorsqu’il m’adresse à nouveau la parole.

— Tu ne dis plus rien ? Tu ferais un piètre guide, me taquine-t-il.

— Comment t’appelles-tu ? C’est injuste que tu sois le seul à connaître mon nom.

Ne m’étais-je point résolu de ne pas lui poser cette question aussi rapidement ? C’est clair qu’il me perturbe si j’en viens à ne pas tenir mes propres résolutions.

— Qu’est-ce qui te dit que je connais ton nom ? demande-t-il, espiègle.

— Un invité des Lehmann qui ignore le nom de ses fils ? fais-je d’un air entendu.

Il me sert une expression narquoise, comme pour me faire remarquer que je me mets sur un piédestal dérisoire.

— OK, on va admettre que tu fais partie des rares qui l’ignorent.

Bizarrement, une part de moi voudrait se satisfaire de cela. Mais je suis suffisamment perspicace pour ne pas tomber dans le panneau. De toute façon, il se serait dépêché de tuer mes faux espoirs puérils.

— Non, tu marques un point, reconnait-il. Je sais qui tu es.

— Comment je m’appelle, je te l’accorde. Tu ignores qui je suis.

Oui, je me la joue lamentablement mystérieux car lorsqu’il me lance un coup d’œil, je me surprends à me mordre la lippe, plus troublé que jamais. Pathétique. Pour ma défense, ses yeux ont quelque chose d’atypique. Comme s’il pourrait sonder mon âme d’un simple regard. Je me fais violence pour ne pas déglutir, serre et desserre mes doigts. Je les ai de plus en plus moites. Bon sang, mais qu’est-ce qu’il me fait ?

Avant de le voir venir – et pourtant mes réflexes me font rarement défaut – il se saisit de mon poignet, m’attire à lui, puis profite de notre contact brusque pour me pousser contre la façade. J’ai à peine le temps de le voir tirer les lourdes tentures de velours derrière nous que ses lèvres courent le long de ma mâchoire. Il remonte jusqu’à mon oreille, me laissant statufié, écrasé par tant d’audace. Un de mes reflexes est de le repousser vivement. Mais son emprise sur moi est totale.

— Je sais qui tu es, susurre-t-il d’une voix sourde. Un jeune homme qui a peur de se dévoiler tel qu’il est. Et c’est bien dommage…

J’arrive à articuler quelque chose et en décryptant le son, ça donne :

— D-de quoi parles-tu ?

— De toi. Du vrai toi. D’Alexander Lehmann. Celui dont le cœur s’accélère à l’idée d’être coincé avec un homme dans la pénombre des rideaux du hall de son domicile. Ce cœur s’apaisera-t-il dans l’intimité de ta chambre ou cessera-t-il tout simplement de battre ?

— Euh…

Je déglutis bruyamment, me sentant vraiment ridicule. Ridicule et tétanisé.

— Pas très loquace, pouffe-t-il.

Là il en appelle à mon irritation. Déjà que je suis au bord de la crise de nerfs…

— À quoi joues-tu ?

— Moi ? demande-t-il d’un air faussement ingénu. À tourmenter le jeune puceau qui a tenté de me faire des avances.

Cette fois mon sang ne fait qu’un tour. C’est le mélange d’un tout. D’énervement et de honte d’avoir été si facilement percé à jour. Ce type se joue de moi. Il m’humilie et en tire de l’amusement. Le premier mec que j’essaye de pécho a un tempérament de sadique. Génial ! Je le dégage avec brusquerie… ou plutôt tente de le faire. Sans succès. Sa poigne de tout à l’heure n’était qu’un pauvre aperçu peu représentatif de sa force physique.

J’ai envie de me mettre une mandale lorsque je réalise l’ineptie de mon geste. Je suis en train d’opposer ma force humaine à un dragon pur-sang. C’est tellement risible. Finalement j’en ris. Je prends conscience qu’il peut faire de moi ce qu’il veut en cet instant, mais ça me fait rire. Je crois que c’est nerveux. Ç’a au moins le don de le déconcerter.

— Partage, m’encourage-t-il en se reculant. On se sent seul lorsque la raison de l’hilarité de votre interlocuteur vous échappe.

— Qu’est-ce que tu veux ?

Ma voix n’est qu’un souffle. Il met la sienne à son diapason lorsqu’il répond :

— C’est toi qui décides, Alexander. Tu me veux ?

Il me regarde droit dans les yeux, m’empêchant de fuir. De me cacher derrière un faux-semblant. J’en viens presque à être admiratif de son audace. Au lieu d’y voir une occasion inouïe d’atteindre mon objectif, je me surprends à accorder de l’importance à une question qui ne cesse de me tarauder. Ai-je été si évident, dans ma démarche ? Parce que s’il m’a grillé tout de suite, qui dit que d’autres ne l’ont pas fait ? Rien qu’à cette idée je suis terrifié. Tu parles d’un homme résolu à voir le loup quand celui-ci l’effraie !

— Chut, murmure-t-il à un souffle de ma bouche. Ne panique pas, ça apportera de l’amertume au baiser. Je les aime un peu salés.

Et il m’embrasse. Là, entre les tentures en mousseline blanche et les rideaux de velours bruns des portes-fenêtres du hall.

Je crois que je me suis déconnecté. Ou plutôt, j’ai vécu une expérience mystique. Mon premier baiser avec un homme. J’ai déjà embrassé des filles. Pour faire comme bon nombre de mes camarades au lycée. Avant de les jeter ou de jouer la carte de l’inaccessible en prétendant qu’elles n’étaient pas assez bien pour mon illustre personne. C’était un jeu porté sur les apparences qui marchait efficacement. Une carapace que je polissais pour me protéger d’une menace dont j’ignore la nature réelle.

Peut-être qu’au final l’ai-je inventée, cette menace qui nourrit mes peurs les plus raisonnables au plus irraisonnées. Parce qu’en cet instant, tout ce que je ressens c’est un sentiment de justesse. De plénitude. Ce que je suis en train de vivre est si incroyable qu’il serait absurde de le condamner. Ce baiser est tellement bon que me voilà sorti de mon propre corps pour nous admirer en train de nous embrasser. Et ce que je vois est beau.

Je n’ai pas envie que ça s’arrête. Alors que mon cœur joue ses plus belles percussions dans ma poitrine, j’ose prendre son visage en coupe et forcer de ma langue le passage de ses lèvres. Étape que je ne franchissais jamais avec une fille.

Les lèvres de cet homme, cet inconnu, mon elfe, sont légèrement rêches, mais d’une incroyable douceur une fois humidifiées. Elles sont toutes à la fois avides et généreuses, joueuses et cajoleuses, sensuelles et érotiques. Elles ont le pouvoir de faire miroiter des choses exquises et dans le même temps combler la frustration qu’elles réveillent. Elles sont parfaites. Pour un premier baiser.

Les caresses de sa langue me refilent la chair de poule. Mais ce n’est rien comparé au frisson qui me parcourt l’échine lorsqu’il se met sur la pointe des pieds pour être à ma hauteur, et élever le baiser à un niveau plus intime.

Son corps se frotte lascivement contre le mien, ses courbes, ses pleins et ses creux épousant mes formes comme si c’est dans l’ordre des choses. Ses doigts se glissent dans mes cheveux, tendres, mais fermes. Ils descendent vers ma nuque et sa poigne à l’arrière de mon cou se fait possessive. Masculine.

J’en bande, tellement elle m’excite. L’idée de la ressentir ailleurs, sur cette partie très expressive de mon anatomie en ce moment, me fait durcir davantage. Il semble l’apprécier d’un doux ronronnement, l’accompagnant d’un léger mouvement du bassin. Il est en train de me faire perdre la tête.

Je n’ai pratiquement rien bu de la soirée et pourtant je flotte, léger, en apesanteur, enivré. Ivre de lui. Savourant l’indicible plaisir de ce baiser au léger goût de champagne.

Il va de soi que je suis coutumier au phénomène d’érection, mais l’ardeur de celle que je vis en ce moment me surprendrait presque.

J’enregistre à peine son souffle mêlé au mien. Tout ce qui me vient à l’esprit ou au nez, est son parfum. Un léger soupçon de musc, la fraîcheur de la verveine et une senteur de monoï qui me catapulte sur une plage de sable blanc brillant au soleil. J’aimerais m’y prélasser. Mais il faut revenir au temps présent. Réintégrer mon corps qui tremble légèrement des suites de cet ardent baiser. C’était juste… brûlant. Le genre de brûlure laissée par une décharge électrique, sans l’aspect douloureux.

Quelque chose semble attirer son attention par-dessus son épaule. Il n’y a rien pourtant, si ce n’est le velours sombre des rideaux.

— Il faut que j’y aille, soupire-t-il en se reculant, alors que son visage s’assombrit légèrement.

Mon cœur vacille au bord d’un gouffre. Non, pas déjà. Mais je ne peux le retenir. Je n’ose pas. L’idée qu’il regrette ce baiser m’est un supplice. Il lève brusquement la tête et accroche mon regard.

— Les filtres de tes émotions sont très poreux, jeune Lehmann, murmure-t-il, soucieux.

Il tend la main et me caresse affectueusement la joue. Son toucher semble m’apaiser. C’est absurde. Je ressens une chaleur relativement élevée au point de contact. C’est typique d’un toucher de dragon. Mais la sienne est empreinte de douceur et j’incline la tête pour la ressentir davantage. Je sais d’avance que je vais m’en languir lorsqu’il se retirera. Mes réactions me plongent dans un désarroi, car je n’ai plus aucun contrôle dessus.

— Remarque, c’est ce que j’ai apprécié chez toi, dit-il. Mais là tu m’en donnes trop.

Je cligne des yeux. Quel est ce charabia ? Mon interrogation doit se lire sur mon visage car il répond :

— Du langage de dragon, sourit-il, énigmatique. Mon petit dragonnet comprendra lorsqu’il le sera réellement.

Son clin d’œil est juste la preuve qu’il n’a jamais été dupe à mon sujet. Je me suis fait battre sur toute la ligne que ç’en est mortifiant. Il n’y a plus aucun doute possible quant à son expérience. Humainement parlant, celui-ci n’est pas né de la dernière pluie. Une cagoule, pitié ! Peut-être me protégera-t-elle de la honte, avec un peu de chance... Son sourire amusé me fait froncer les sourcils.

— Enfin, tu saisiras tout si tu t’avères de la même nature que moi. Mais ce ne sera pas drôle dans ce cas, ajoute-t-il avec une moue que je ne peux m’empêcher de trouver charmante. Mon père me cherche, dit-il en retrouvant son sérieux, bien qu’un brin exaspéré. C’est à se demander qui de nous deux dépend de l’autre. Il va devenir irascible s’il ne me trouve pas dans les prochaines minutes. À mon grand dam, il a fait de la promptitude un de ses péchés mignons. Je dois y aller.

J’aimerais tellement lui poser toutes ces questions qui trottent dans ma tête. De quelle classe dragonne est-il ? Qui est son père ? Comment sait-il que son père est à sa recherche en cet instant ? Communiqueraient-ils par la pensée ? La télépathie chez les dragons est une faculté très rare, ce qui la rend impressionnante. Le plus logique serait de lui redemander son nom. Mais son baiser m’a rendu muet… je crois.

— Tu es vraiment trop mignon.

S’il pouvait arrêter avec ça ! Je ne suis PAS mignon. Son regard se fait rieur avant qu’il n’embrasse la commissure de mes lèvres puis me lèche suavement le menton. Comme pour goûter au fin duvet qui s’y trouve, encore indigne d’être rasé. Un autre rappel de ma condition d’ado. J’en frissonne de plaisir, à peine mortifié par mon attitude de pucelle.

— Quelque chose me dit qu’on se reverra.

— Quand ? m’empressé-je de demander alors qu’il quitte le cocon de notre étreinte puis de notre cachette.

— Bien assez tôt ! lance-t-il avant de m’échapper d’un pas aérien.

J’ai les jambes en coton. Le rattraper, et probablement me ridiculiser pour cause d’instabilité pédestre ? Inutile d’y penser. Je reste là, adossé contre les carreaux des portes-fenêtres, l’œil rêveur et le cœur en peine. Il est parti. Aussi subitement qu’il m’est apparu.

Voilà ce qu’il aura été. Une collision. Une secousse dans ma vie linéaire et de faux-semblants. Une claque qui n’a pas fini de faire son effet. Parce qu’elle a eu le don de me réveiller. Dans tous les sens du terme.

§

À suivre - partie 2

 
 
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