Épidémie – 13ème Jour
Il est de certaines personnes comme des catastrophes. Vous n'avez aucun pouvoir sur elles mais elles chamboulent vos vies de fond en combles.
Victoire se disait qu'il en était ainsi des frères Dixon. Depuis deux jours, la jeune femme affrontait les regards de colère et désapprobateurs de Daryl. Depuis deux jours, elle subissait les tentatives de séduction de Merle qui ne voyait pas pourquoi il se priverait de bon temps avec une femme qui lui plaisait.
Alors que Daryl et Eugénie s'attelaient à sécuriser le camping-car et à trouver du carburant pour leurs véhicules, Merle et Victoire, eux, exploraient un quartier résidentiel pour récupérer de la nourriture.
Toquant à la porte d'une maison digne d'être un palais, Victoire ne put empêcher Merle de passer une mèche de ses cheveux auburn derrière son oreille. Il avait souvent ce genre de gestes qui étaient plus tendres que sexuels. Par certaines de ses paroles et de ses actes, la jeune femme se demandait si Merle, lui, n'était pas tombé amoureux d'elle quand elle se pâmait pour Daryl. Cela serait un comble.
Comme aucun gémissement ne répondait à son "toc-toc", elle entra avec précaution dans la grande baraque. Merle la suivit de près et referma la porte derrière lui. Un grand hall marbré flanqué d'un escalier grandiose les accueillit. Ils se dirigèrent d'abord vers la gauche ce qui les conduisit, en passant par une petite salle à manger, vers une grande cuisine digne d'un cuisinier français. Ils trouvèrent des stocks frelatés dans le réfrigérateur mais commencèrent à remplir leurs sacs de ce qu'ils trouvèrent dans les placards.
Ils continuèrent à explorer le rez de chaussée et tombèrent sur une immense salle à manger pouvant servir de salle de réception. Alors qu'elle admirait les lieux, un bruit de chute et de ferrailles la fit se retourner prête à en découdre. Ébahie, elle vit Merle exécuter une caricature de révérence, il avait fait tomber une espèce sculpture métallique, puis il s'approcha d'elle en tendant la main. Cependant, elle lui remit sa main, et il l'entraîna dans une valse quelque peu saccadée et pas très orthodoxe. Devant ses mimiques et ses manières, elle laissa filer un sourire qui peu à peu se mua en rire.
Apparemment heureux de sa réaction, il lui fit un sourire séducteur et continua la danse cherchant à la faire rire sans cesse. Soudain, elle s'arrêta de rire et le dévisagea avec sérieux.
"Quoi ?
- J'ai faim !" répondit-elle en riant.
Il l'emmena en valsant vers la cuisine. En tournoyant, il l'embrassait dans le cou, la chatouillant d'un début de barbe et de moustache et elle ria encore plus fort.
Effectivement, ils revinrent dans l'immense cuisine d'au moins soixante mètres carrés. Un immense îlot, de hautes chaises, deux pianos et immense hotte en occupaient le centre. Le tour de la pièce était "tapissé" de meubles de cuisines hauts et bas d'un style rustique céruse de gris et beige.
Merle souleva la jeune femme et l'assit sur l'ilôt. Il passa ses doigts dans la ceinture du pantalon et releva le haut de Victoire puis ses grandes et larges mains commencèrent à caresser le dos et les reins de sa compagne.
"Non !
- Quoi ? Non !
- J'ai faim !
- Ok, ok, tu n'es pourtant pas une pauvre petite femme maladive....
- Méchant ! Allez, fais-moi à manger !
- A vos ordres !"
Alors qu'il fouillait dans la cuisine de quoi faire à manger, elle lui annonça qu'elle devait aller aux toilettes. Elle rêvait de vrais lieux d'aisance pas comme dans le camping-car dans lequel une nauséabonde odeur commençait à "peser". Alors qu'elle entrait dans les toilettes, elle vit que quelque chose "grouillait" au fond de la cuvette. Elle n'osait s'asseoir, tira la chasse et les choses disparurent. Si les rôdeurs pouvaient être aussi facile à détruire.
Quelques minutes plus tard, elle revint dans la cuisine et trouva Merle qui jouait le parfait petit marmiton. Une bonne odeur commençait à se faire sentir. Apparemment, le piano qu'il utilisait fonctionnait au gaz. Elle s'approcha de lui pour regarder dans la casserole mais il la repoussa.
"Ce s'ra une surprise ! Va t'laver les mains, y'a de l'eau ! Sûrement une maison de bobos écolos et militants avec panneaux solaires et tutti quanti."
Elle obéit en souriant puis une fois fait, elle mit la table pour deux. Elle trouva même un chandelier qu'elle posa au milieu dûment allumé. Alors qu'elle l'entendait encore mélanger, tailler, émincer, elle fut fascinée de voir ce grand costaud un peu brut de décoffrage qui s'occupait de la cuisine.
"Vic, fermes les yeux !"
Ce qu'elle fit sans barguigner. Elle l'entendait servir son plat dans les assiettes.
Alors qu'il lui posa une main sur l'épaule, elle ouvrit les yeux. Elle vit un magnifique plat de viande de bœuf en sauce, accompagné d'une fagotine de haricots revenus au beurre. Elle leva son regard vers son compagnon ébahie.
"Merle, d'où tiens-tu ce talent ? Tu es un véritable thaumaturge culinaire, le Christ de la cuisine de cambrousse.
- Forcément, quand not' père nous emmenait dans la forêt, c'était moi qui faisait la tambouille, alors que Daryl dépiautait les bestiaux.
- Allez, on mange, cela a l'air si bon !"
C'est en silence qu'ils entamèrent leur repas et ils profitèrent de ce moment de quiétude pour se dévisager, se jaugeait.
Si le biker regardait intensément sa vis à vis, c'est qu'il espérait lui faire passer un message subtil. Oh, certes, il savait bien qu'il n'était pas un personnage d'une grande finesse, ou comme le désignait son frère, qu'il était un "bourrin". Cela n'empêchait pas qu'il soit un être humain et qu'il éprouvait des sentiments comme les gens biens. Et la fille, femme, en face de lui, faisait parti des "gens biens". Qui plus est, elle n'avait jamais porté sur lui de jugement de valeur par rapport à son milieu social même si elle ne se privait pas de l'égratigner sur ses comportements. Il ne pouvait d'ailleurs pas s'empêcher de lui chercher des poux. Et puis, il rêvait, souhaitait revivre une nuit d'amour, non plusieurs, avec elle. Il se savait amoureux, très amoureux, comme il ne l'avait jamais été, c'était comme un coup de foudre, un feu bouillonnant. Paradoxalement, là où, habituellement, il aurait "joué des coudes" pour forcer la fille à se donner ou redonner. Avec la française, il voulait être patient et qu'elle revienne vers lui sobre, consentante et surtout séduite. Il connaissait assez la nature humaine, et c'est comme cela qu'il savait où appuyer pour énerver les gens, pour savoir qu'elle était intéressée. Comment lui faire comprendre que de toutes façons, il voulait plus avec elle, pour elle. Cela le dévorait de l'intérieur et bizarrement loin de se sentir détruit ou en danger, il sentait comme un accomplissement. Il avait attendu toute sa vie pour trouver une femme à aimer de cette façon là. Il était prêt à batailler, à guerroyer pour avoir cette femme et même l'affection qu'il avait pour son frère ne serait pas un obstacle.
Pour ce qui était de la jeune femme, les sentiments étaient plus diffus, plus confus. Elle aimait toujours autant Daryl mais Merle avait ce petit quelque chose qui donnait envie de vivre. Elle avait l'impression qu'il lui apporterait plus qu'il ne pouvait donner à croire. Comme s'il avait le pouvoir de la protéger de ce "nouveau" monde. Comme s'il mourrait pour elle. Comme s'il avait en trouvé elle le réservoir où déverser un torrent d'amour. C'était effrayant et cela s'était fait en quelques jours.
Le redneck se leva et fit fonctionner une superbe machine à expresso. Il posa une tasse devant la française qui lui avait avoué que c'était ce qui lui manquait le plus : un bon expresso.
Alors qu'elle remuait la touillette avec délice dans le noir liquide, la jeune femme dévorait Merle des yeux. Il fronçait des yeux.
« Qu'est-ce qu'il y a ?
- Ce midi, tu es mon Dieu, un repas digne d'un cuisinier français, et un divin expresso. Tu ne pouvais pas me faire plus plaisir. Comment te remercier ?
- Cela peut s'arranger ! »
Il posa alors sa tasse vide, se pencha en avant et prit la main de la jeune femme dont il embrassa la paume. Un long frisson parcourut la colonne de Victoire.
« Et si nous allions explorer l'étage… et ses chambres ? » reprit-il en la faisant se lever.
Ils prirent leurs armes et Merle emmena sa compagne vers les monumentaux escaliers de bois. Ils montèrent les marches allègrement.
Alors qu'ils commencèrent à fouiller pour trouver "la" chambre, dans le couloir déambulèrent vers eux deux rôdeuses habillées comme des servantes de la haute société toutes de noir et de col rond.
Une fois achevées, ils fouillèrent une chambre et tombèrent apparemment sur la chambre des maîtres. Elle était somptueuse, dans des couleurs chaudes et sombres. Des moulures de bois foncé agrémentaient une tapisserie bordeaux. Un immense lit à baldaquin aux lourds rideaux de velours bordeaux avait l'air de les attendre.
Merle prit la jeune femme dans ses bras et la jeta sans ménagements sur l'épais et moelleux matelas occasionnant un nouvel éclat de rire de sa compagne. Il se mit à ramper au dessus d'elle en fronçant des sourcils.
"Tu te moques ?
- Non, finalement... la vie est belle, non !?
- Tu trouves ?
- Oui, on a mangé copieusement, on a trouvé un superbe lit pour faire l'amour.. on...
- Tu veux faire l'amour ?
- Quoi, ce n'est pas pour cela qu'on est ici ?
- Oh que si ma toute belle, oh que si !".
Sans la laisser continuer à parler, il se mit à la dévorer de baisers. Il est par trop heureux qu'elle veuille bien de lui et qu'elle parle "d'amour" et non pas de "baise". Son cœur lui donnait l'impression qu'il allait exploser dans sa poitrine. Il ferait pour protéger cette femme. "Sa femme" comme il se plut à l'appeler intérieurement.
Épidémie – 14ème Jour
Alors qu'Eugénie préparait le repas et le taciturne Daryl était parti chasser pour ramener de la viande fraîche. Merle s'était fait un devoir de bécoter la française dans tous les recoins du cou, sur le lit dans la chambre du fond. Elle gloussait sous les chatouilles occasionnées par la barbe un peu trop drue.
La veille, ils avaient caché l'immense camping-car dans un hangar vide dont les grandes portes étaient solidement cadenassées. Ils sortaient par une porte qui se trouvait à l'étage et leur permettait de contrôler leurs sorties.
Ils n'étaient qu'à quelques miles d'Atlanta où ils voulaient se rendre. Ils avaient prévu le lendemain que les deux hommes et Victoire iraient en ville. Leur projet était de trouver des autorités qui pourraient aider les françaises à rentrer dans leur pays.
Depuis leur retour, Merle et Victoire ne rataient pas une occasion pour faire l'amour, provoquant chez Daryl moults grognements et un renfrognement encore plus fort. Le couple s'était avoué qu'ils voulaient profiter de la vie puisqu'elle paraissait si courte. Ils avaient décidé de se ficher de l'avis et des critiques de Daryl. Merle, tout à son bonheur, ne le provoquait même pas.
La soirée se passa à manger les boulettes aux saucisses d'Eugénie pendant que les trois autres fourbissaient armes et équipements pour le lendemain.
Le couple, qui s'était approprié le grand lit, le firent grincer ainsi que le véhicule en début de nuit pour finir par laisser dormir les deux autres passagers. |