Il semblait évident que la jeune fille avait beaucoup pleuré, comme le prouvait ses yeux rougis. Cependant, la simple vue de l'inspecteur Fairfox faisait pétiller son regard.
Lorsqu'Ansem fut sorti du bureau, la jeune fille frissonna et baissa le regard. Axel la détailla un instant, observa la manière dont elle tordait ses mains, et le mélange de peur et d'intérêt certain qui passait sur son visage.
– Asseyez vous je vous en prie mademoiselle euh…
– Je m'appelle Oni Masuda, inspecteur.
Sa voix était tremblante mais le fait de s'assoir enfin sembla la rassurer. Les mains sur les genoux, elle regardait Axel puis Dyme, la curiosité visible dans ses yeux.
– Mademoiselle Masuda, vous avez donc été contactée par le tueur ? Pouvez-vous nous expliquer ce qui s'est passé ?
Les yeux d'Oni s'assombrirent une seconde sous l'effet de la peur. Elle ouvrit la bouche plusieurs fois sans rien dire, puis se décida enfin à parler.
– Et bien, j'ai été appelée sur le téléphone fixe de mon appartement. La conversation n'a pas duré longtemps mais elle m'a terrorisée. La voix était trafiquée, évidemment. Elle m'a juste dit "Oni Masuda, tu seras la dernière !", et puis elle a raccroché. Inspecteur s'il vous plait, je vous en prie, faites quelque chose !
Axel lança un regard à son assistant, étonné. C'était un grand pas en avant dans l'enquête. Les questions se bousculaient dans la tête des deux hommes. Ce fut Dyme qui parla le premier.
– Mademoiselle Masuda, avez-vous essayé de rappeler le numéro qui vous a contacté ?
La jeune femme rougit légèrement. Elle avoua qu'elle avait tenté de retrouver un numéro, mais qu'après être tombée sur celui d'une cabine téléphonique, elle avait abandonné. Dyme la regarda quelques secondes avec un air sévère, puis se concentra sur son ordinateur.
– Nous pouvons vous proposer une protection policière autour de chez vous si vous le souhaitez.
Oni s'empourpra de nouveau.
– Non s'il vous plait ! En vérité, je… Mon père est un personnage très influent au Japon, il ne sait pas que je fais mes études ici… S'il apprend que j'ai eu des problèmes, je devrais rentrer chez moi, et c'est tout l'inverse de ce que je souhaite.
Elle avait l'air désespérée. L'inspecteur lui tendit une carte avec un sourire tendu.
– Je vous laisse réfléchir, mais pensez y. Si il se passe quoi que ce soit d'inhabituel, appellez moi, n'hésitez pas.
Oni leva une main tremblante vers la carte, qu'elle accepta avec un sourire crispé. Elle la regarda quelques instants, puis se leva de sa chaise. Elle remercia les deux hommes avec un rire nerveux puis s'échappa du bureau, comme si son atmosphère l'étouffait.
Malgré la peur que le tueur avait provoquée chez Oni Masuda, l'inspecteur Fairfox était ravi. Il tenait enfin un vrai indice, une preuve que tous les meurtres étaient liés. Alors qu'il se perdait dans la lecture du dossier de la jeune fille, Ansem rentra en trombe une seconde fois, jeta deux documents devant Dyme, émit un léger grognement et ressortit comme il était entré. Dyme les fixa quelques secondes, l'air sidéré.
– Ax' ! Ax' ! On a un cheveu sur le corps de Mendel !
Un sourcil levé, Axel s'approcha de Dyme et des mystérieux documents. A son tour, il fut saisi de surprise. En effet, une photo trônait sur le bureau et représentait un court cheveu blond sur le tissu blanc de la blouse d'Even Mendel. L'autre document était une comparaison génétique. Dyme lança un grand sourire à l'inspecteur avant de se jeter sur son ordinateur. Sur de lui, il déclara qu'il allait découvrir à qui appartenait le cheveu.
L'inspecteur Fairfox s'attendait à une recherche longue et entreprit donc de fouiller les dossiers pour établir un lien entre Oni et les autres victimes. Cependant, le tintement significatif de l'ordinateur sonna seulement quelques minutes plus tard. Axel s'installa derrière Dyme et observa le nom inscrit sur l'écran.
– Roxas Price, 19 ans, condamné l'année dernière pour violences. Hum, le voilà le suspect parfait. Il n'y a pas de photo Dyme ? Tu es sur que ce cheveu est à lui ?
– Non Ax', pas de photo. Mais j'ai son adresse, on peut aller lui rendre une petite visite.
Il acquiesça et enfila son manteau d'un geste. Son intuition reprenait sa place et lui dictait quelque chose à l'oreille : pour lui, Roxas Price était un jeune délinquant seul et négligé, sans réelle éducation ni personnalité. Cependant, s'il était bien lié à ces meurtres épouvantables, ce pauvre garçon n'aurait pu être qu'un complice, violent et soumis. Selon l'inspecteur, ce Roxas Price était donc l'indice parfait, la pièce fragile qui ferait tomber le tueur.
Une fois sur le parking, Axel alluma une deuxième cigarette et démarra sa voiture, Dyme à ses côtés. Roxas Price habitant loin du cabinet, Dyme en profita pour faire le point sur son cas : le jeune homme fréquentait la même université qu'Oni Masuda et qu'Ienzo Hetzel, ce qui lui donnait un aspect de plus en plus inquiétant. De plus, sa condamnation pour violences intriguait l'inspecteur. Celui-ci jouait avec le mégot de sa cigarette, écoutant distraitement les informations de son assistant. Enfin, lorsqu'ils arrivèrent devant le petit immeuble, il jeta son mégot par la fenêtre, attacha ses cheveux et sortit.
Dyme suivant, l'inspecteur Fairfox grimpa le premier étage de la résidence pour sonner au numéro 13. Quelques minutes passèrent, sans réponse. Axel frappa du poing contre la porte.
– Monsieur Price, nous avons besoin de vous parler !
Enfin, du bruit se fit entendre derrière la porte, et cette dernière s'ouvrit sur Roxas Price. Axel était bouche bée. Le jeune homme, loin d'être négligé, présentait à l'inspecteur et à son assistant un physique parfait, sublimé par un visage hautain à l'air ennuyé. Ses mains étrangement délicates s'échappaient d'une chemise à moitié ouverte et tapotaient lentement sur l'embrasure de la porte. Axel reconnu les cheveux blonds de la photo, souples et dorés, retombant en mèches éparses sur deux yeux bleus qui le fixait d'un air dédaigneux.
L'inspecteur Fairfox caressa la cicatrice de sa main gauche comme un réflexe, essayant de détacher son regard du jeune suspect. Il se racla la gorge, déconcerté par son intuition, qui l'avait pour une fois trompé.
– Monsieur Price, voici l'inspecteur Baez, je suis l'inspecteur Fairfox. Nous sommes ici à la suite de plusieurs assassinats. Nous aimerions vous poser quelques questions.
Une lumière étrange passa dans les yeux saphir de Roxas Price, qui leva un sourcil interrogateur.
– Je vous demande pardon ?
Dyme sortit à cet instant la photo et l'analyse génétique de son manteau.
– Monsieur Price, l'un de vos cheveux a été retrouvé sur le corps de l'une des victimes. A votre place, je nous laisserais entrer, nous avons réellement besoin de vous parler.
Son intervention fit son effet et Roxas s'écarta de l'embrasure de la porte pour laisser la place aux deux inspecteurs. Ils découvrirent un appartement raffiné, ce qui élimina encore un point de la théorie de l'inspecteur sur l'individu négligé. Ils s'installèrent autour d'une table en verre, en face d'un Roxas Price détendu, bras croisés derrière la tête.
– Alors inspecteurs, je suis un meurtrier ? Qu'est ce que je peux faire pour vous ?
L'inspecteur était désorienté. Qui était ce jeune homme à l'allure altière, si loin de sa première idée ? Comment son intuition avait pu s'éloigner autant de la réalité qu'il avait devant lui ? Il baissa les yeux sur sa cicatrice, préférant se concentrer sur autre chose que sur le suspect. Dyme, quant à lui, n'avait jamais vu son mentor dans un tel état. Quelques secondes silencieuses s'écoulèrent avant que l'inspecteur reprenne le contrôle de lui-même et ouvre le dialogue.
– Connaissez-vous ces personnes monsieur Price ?
Alliant le geste à la parole, il déposa devant le jeune homme les photos des trois victimes et le fixa, en attente d'une réaction de sa part.
– Non, aucun des trois. Enlevez-moi ça, je vais vomir.
Roxas Price repoussa les photos vers les deux inspecteurs et croisa les bras contre son torse.
– Pouvez-vous nous parler de votre condamnation pour violences ?
– Non, je ne crois pas que ça vous regarde. Je n'ai rien à me reprocher, et encore moins ces violences.
Cet individu irritait les deux inspecteurs au plus haut point. Axel se leva, tendu, et jeta une carte sur la table.
– Si jamais vous souhaitez partager avec nous quelques bribes de votre précieuse vie privée, n'hésitez pas. Nous nous reverrons monsieur Price.
N'attendant aucune réponse, il tourna les talons et sortit de l'appartement, Dyme à ses trousses. |