– Axel ! NON !

Axel Fairfox se redressa dans son lit, en sueur.

– Encore ce putain de rêve…

Un coup d'œil lui apprit qu'il était à peine quatre heures du matin. Le sommeil l'ayant abandonné, il glissa péniblement hors de ses draps et se dirigea vers sa machine à café en se massant les tempes. Il partit à la recherche d'une cigarette quand il se souvint qu'il avait fumé le paquet entier la veille, après son entrevue avec Roxas Price. Avec un soupir, il laissa de coté sa tasse de café, y préférant un verre de Gold Strike.

Il rêvait souvent la même chose, avec la même réaction à chaque fois. Il voyait son corps sans vie, son visage ensanglanté, ses grands yeux bleus totalement vides, la lumière pâle sur sa plaie béante. Il se souvenait de sa propre colère, sa rage, la balle se fichant dans sa main gauche, la force avec laquelle il avait frappé le tireur. Il se rappelait de la douleur qui lui tiraillait le poignet, la terrible peine qui déchirait son cœur. Enfin, il se remémorait son corps dans ses bras, ses larmes, les gouttes de sang tachant sa chemise.

Depuis cette affaire qui lui avait brisé le cœur, Axel s'efforçait de rester aussi distant que possible avec les individus des affaires qu'il traitait, autant suspects que victimes. Un rapide coup d'œil à sa cicatrice, vestige douloureux de cette époque, et le visage hautain de Roxas Price apparu devant ses yeux. Il lui ressemblait tellement…

Chassant ses pensées douloureuses de son esprit, il attrapa son verre qu'il vida d'une traite. La chaleur de l'alcool remonta dans sa gorge avant de le faire tousser. Il remplit à nouveau son verre et s'installa à la fenêtre.

Le jeune Roxas Price le troublait énormément. Son comportement était horripilant, ses manières si supérieures, son expression si hautaine… Il avait évidemment quelque chose à se reprocher. Pourtant, un tel personnage, aussi éloigné de sa première opinion, titillait sa curiosité. Même s'il n'avait pas de raison pour retourner le questionner, il voulait le revoir, ne serait-ce que pour détailler à nouveau son visage, si familier.

Sirotant son verre, il réfléchissait à son affaire. Trois victimes, un suspect. Sans preuves, cependant, il ne pouvait pas faire accuser Price. Un meurtre pouvait donc être commit n'importe quand. L'inspecteur ne savait plus où donner de la tête.

Il contempla les étoiles quelques  instants, le visage contre le rebord. Il ne voyait qu'une solution à son problème : il devait surveiller Roxas Price. L'excitation de cette soudaine idée le sortit de sa transe. Il finit son deuxième verre, prépara une thermos de café et s'habilla rapidement. En sautant dans sa voiture, il fouilla à la recherche d'une cigarette, en vain. Il s'arrêta donc en chemin dans une épicerie vieille comme le monde, acheta deux paquets en prévision de la journée et reprit la route.

Il arriva chez Roxas vers cinq heures du matin. Aucune lumière suspecte, aucun mouvement étrange venant de chez lui. Axel se glissa dans sa peau d'inspecteur, s'enfonça dans son siège, alluma une cigarette et attendit. Rien ne bougea pendant plus de deux heures, jusqu'au lever du soleil. Plusieurs personnes sortirent, mallettes à la main, démarrant leurs journées de travail. Ils furent bientôt suivis par Roxas Price, sac à l'épaule, emmitouflé dans une écharpe noire.

L'inspecteur Fairfox glissa hors de sa voiture, écrasa sa cigarette par terre et entreprit de rejoindre le jeune homme. Il le retrouva à l'angle d'une petite rue, marchant calmement, sans aucun doute vers l'université. Il s'efforça à garder une distance correcte entre eux, utilisant ses cheveux dorés comme guide. Cependant, après quelques pas, il perdit sa cible de vue. Avançant à tâtons, il ne pût retenir un léger hoquet de surprise lorsque Roxas Price surgit devant lui, un sourcil levé.

– Je vous ai manqué inspecteur ?

Il s'était fait avoir comme un débutant. Était-ce à cause de sa ressemblance si frappante, de sa personnalité tellement agaçante ? La seule chose dont il était certain, c'était que ce Roxas Price n'était pas celui qu'il prétendait être.

Comme à chaque fois qu'il le voyait, Axel caressa sa cicatrice, concentrant son regard sur autre chose que le visage de Price. Celui-ci approcha d'un pas, fit tomber son sac à terre et écarta les bras.

– Je vous en prie, fouillez-moi. On ne sait jamais, peut-être que je cache un cœur dans mon sac.

Son regard mêlait le dédain, la malice et un autre sentiment totalement indescriptible. L'inspecteur n'arrivait pas à dire quoi que ce soit. Il avait eu le malheur de regarder ses yeux, dans lesquels il était maintenant captif. Roxas Price eut un léger rire, rejeta sa tête en arrière et avança encore d'un pas.

– Ah tu parles d'un enquêteur ! A bientôt "inspecteur".

Il avait prononcé ce dernier mot si près de son visage qu'Axel pouvait sentir l'arrogance dans son souffle. Roxas récupéra son sac, réajusta son écharpe et reprit sa route, la tête haute.

Axel était abasourdi. Tout un tas de pensées se mélangeaient dans sa tête, la principale se résumant à "Ce gamin va me rendre totalement malade !". Pendant qu'il le regardait s'éloigner, il se trouvait de plus en plus minable. Il s'était laissé berner par un étudiant insupportable, qui, malgré son insolence, l'intriguait terriblement.

L'inspecteur avait besoin de penser à autre chose. Ecœuré d'avoir été dupé, il revint sur ses pas jusqu'à sa voiture, chassant de son esprit son jeune suspect. Buvant le café directement au goulot de sa bouteille Thermos, il soupira. Il rentra machinalement chez lui, s'installa à son bureau et se plongea dans les dossiers en attente.

– Il est 21h, la météo vous est offerte par notre partenai-

Axel pressa la télécommande d'un geste brusque et leva enfin la tête de ses papiers. Il n'avait pas arrêté de travailler de la journée entière, résolvant plusieurs cas, rédigeant des rapports. Enchainant café et cigarettes, il avait passé plusieurs heures sans aucune pensée pour Roxas Price. Cependant, il était maintenant trop lucide, hors du travail, et avait besoin de s'aérer.

Il hésita, trancha. Entre le cinéma et le casino, il choisissait le casino. Il enfila une chemise propre, un manteau, attrapa sa carte de crédit et s'échappa dans l'air frais de la nuit. L'odeur du vent froid, la lumière pâle des étoiles agissait sur lui comme un baume apaisant.

Une courte marche l'amena devant le casino, vieux bâtiment de pierre récemment transformé. Il s'y sentait à l'aise, connaissait certains joueurs et s'y rendait souvent, même s'il utilisait un pseudonyme.

Il entra et se plongea dans l'ambiance intemporelle et bruyante. Après un petit signe de tête au croupier, il s'assit à une table de roulette. Les joueurs déjà installés lui lancèrent un bref coup d'œil, certains habitués lui firent un signe de main. Son regard suivit la bille lancée contre la roue et son esprit entra dans une sorte de transe. Il misa plusieurs fois, toujours plus. Malgré son état hypnotique, son travail faisait parfois irruption, si bien qu'il misa sur les numéros 2, 3 et 4, comme un hommage muet aux victimes du tueur. Quand il misa sur le nombre 13, le tant redouté visage de Roxas Price apparu devant ses yeux. Terriblement énervé, il changea de table de jeu, se concentra sur le blackjack.

Il joua plusieurs heures, à différents jeux, jusqu'à ce que ses yeux commencent à le piquer. Il perdit une quatrième fois sa mise et se décida enfin à quitter le casino. Errant dans les ruelles froides, il découvrit un petit bar caché dans une impasse. Bien décidé à supprimer de ses pensées tourmentées l'insolent regard bleu de Price, il y entra, déterminé.

L'endroit était presque vide, à l'exception du barman et d'une femme. Axel s'installa au comptoir, attacha ses cheveux et commanda deux cognacs. Il en avala un d'une traite et la douce chaleur de l'alcool caressa sa gorge. Il tourna la tête vers la jeune femme à sa droite et la détailla. Cette dernière portait deux grands yeux chocolat, cachés derrière de longs cheveux châtains. Axel réfléchit quelques secondes, se remémora les traits de Price, si différents de celle qui se tenait à ses cotés, et finalement lui lança un sourire qui se voulait enjôleur.

– On dirait  que vous avez envie d'une conversation passionnante.

La jeune femme pivota vers lui et esquissa un sourire. Ils engagèrent  la discussion sur le cognac, puis sur ses boucles d'oreille, et enfin entrèrent en contact. Il posa sa main sur celle de la jeune fille, sentit un léger frisson parcourir sa peau. Après quelques échanges, il écarta une mèche de ses lourds cheveux bruns alors qu'elle papillonna lentement des yeux, avant de lui murmurer un compliment à l'oreille. Il sortit un billet de sa poche, paya les verres et enfin glissa sa main autour de la taille de sa nouvelle conquête, l'entrainant dehors. Axel savait qu'ils voulaient tous les deux la même chose, aussi il l'emmena rapidement chez lui. Son appartement mal rangé, son manque de nicotine, Roxas Price… Axel Fairfox oublia tout une fois arrivé au bord de son lit.

Axel se déshabilla et s'abandonna dans les bras féminins qui s'offraient à lui.