Chapitre dixième. Pas de regrets
1997
J'entends tout.
Même la lumière a un son bien particulier.
Je ne l'aurais jamais cru.
Je me laisse guider par le craquement des meubles, afin de rejoindre la cuisine.
Du bout des doigts, je vois la table de merisier.
Je suis attentif au silence des tasses dans le placard.
J'en prend une.
Il est tôt.
J'ouvre la fenêtre alors que l'eau chauffe pour entendre le mouvement de la ville.
Le vent souffle entre les toits apportant le hurlement d'un chat de gouttière, le claquement des talons haut d'une noctambule.
J'inspire profondément l'air de la nuit.
Vu l'humidité, il doit être 4h.
Le monde n'a jamais paru si beau que depuis que je ne le vois plus.
Mon thé est prêt.
Je suis encore maladroit à l’extérieur.
Trop de sons, d'odeurs et de mouvements que je ne fais que deviner.
J'ai l'impression que mes sens sont saturés.
Mais ici ça va. Je connais l'appartement par cœur.
Je connais Severus par cœur.
Je reconnais son pas dans l'escalier, sa manière de glisser sur le sol plus qu'il ne marche.
Je connais sa respiration. Presque imperceptible et calme en général.
Elle ralentie lorsqu'il est triste ou en colère.
Elle accélère quand je m'empare de lui.
Quand je vérifie que son corps est encore là.
J'explore chaque nouveauté, chaque affaiblissement de la peau, l'évolution de chaque cicatrice.
Je sais son odeur. J'imagine son air pincé.
Mais il a beau être là sans cesse il me manque.
Ses yeux d'encre me manquent.
J'aurais voulu les emporter avec moi, dans l'obscurité.
Il m'a soutenu avec une réelle dévotion ces derniers mois.
Il a été un réconfort incroyable.
Ça non plus je ne l'aurais pas cru.
Je commence tout juste à redevenir indépendant.
Je bois une gorgé.
L'amertume et le sucre se mélangent sur mes papilles.
C'est un thé fumé, aux saveurs d'écorces.
Un bruit imperceptible traverse l'appartement.
Severus vient de se réveiller.
Il va passer sa main sur le matelas, encore à demi endormi et va constater que je ne suis pas là.
Je l'entends se lever.
Ses pieds nus traversent le couloir.
Puis sa respiration lente surgit dans la cuisine.
- Vous ne pouvez pas rester tranquille au moins une nuit ?
- Je dors mal.
- Je sais.
Il traverse la cuisine et ferme la fenêtre
- Vous aller attraper froid.
- Et alors ?
- Rémus... soupire t-il.
Il rouvre. Je pense qu'il s'est adossé au mur car je n'entends aucun déplacement.
Il me regarde.
Je regrette de ne pas pouvoir en faire autant.
Je commence tout juste à redevenir indépendant.
J'ai fais des efforts pour y arriver.
Pour moi bien sur, mais aussi pour lui.
Pour le décharger du poids de mon infirmité.
Et étrangement, cela lui déplaît.
Je le sens bien.
Il n'aime pas que je sorte sans lui, que je me lève la nuit pour être seul.
Je finis mon thé sans rien dire.
- Vous revenez vous coucher ?
- Je n'ai pas sommeil.
J'entends le froissement de sa chemise. Il se décolle du mur et vient se poster devant moi. Je lève la main pour lire son visage.
Un pli entre les sourcils.
J'appuie légèrement dessus pour l’aplatir.
Il est inquiet.
Il ne devrait pas.
- Severus allez dormir, vous êtes épuisé.
- Qu'est-ce que vous en savez ? J'ai été insomniaque pendant trente-cinq ans.
- Je peux resté seul. Dis-je en retirant ma main.
Il ne répond pas.
Pas tout de suite.
- Non. Vous voulez rester seul. C'est différent.
Il s'en va. Je baisse doucement la tête, jusqu'à ce que mon front heurte la table.
Il m'en veut de me créer un autre monde derrière mes paupières.
Un monde auquel il n'a pas accès.
OoO
Je me promène avec Harry.
Nous sommes dans un parc.
Les oiseaux chantent. Un véritable cacophonie.
Le parfums des fleurs commencent à surplomber celui de l'herbe et de la terre.
C'est le printemps.
De temps en temps, Padfoot vient flairer nos jambes puis repart à toute vitesse.
Sirius adore courir.
Je sais que Harry sourit.
Il me décrit de temps en temps ce qui se passe autour de nous.
C'est une habitude qu'il a prise sans que je ne lui ai rien demandé.
Il lit certains panneaux, m'explique les jeux entre enfants, les couples qui s'embrassent sur les bancs. Quand il voit une jolie fille il s’efforce de la décrire.
Ces descriptions interviennent parfois en plein milieu d'une phrase.
Mais elles n’interrompent pas notre conversation.
Exactement comme si je voyais vraiment le monde qu'il me dessine.
Au loin, je reconnais l’aboiement de Patfoot .
- La cohabitation avec Sirius n'est pas trop difficile ?
- Ça va. Il est instable mais ça va. J'ai souvent l'impression que de nous deux c'est moi l'adulte.
Je ris.
- Ça ne m'étonne pas.
- Tiens, des étourneaux. Tu sais, on a penser à partir en voyage tout les deux, quand j'aurai fini les cours.
- Pour aller où ?
- Je ne sais pas trop. Dans un pays chaud. L'Égypte peut-être. Bill connaît encore quelques personnes là-bas. Ça peut être un bon point d'attache.
- Avec Sirius, organiser un voyage est inutile. Rien ne se déroulera comme prévu.
- Je sais. Arf. Dispute entre une petite fille et un petit garçon pour le toboggan. La petite a des couettes, je pense qu'elle va gagner. Elle a l'air furieuse.
Un silence.
- Mais c'est ça qui me plaît avec Sirius. Il y a un banc de libre à l'ombre. Ça te dis qu'on s’assoit ?
Harry me guide vers le banc et je pense à l’Égypte.
La chaleur aussi a une odeur particulière. Je me demande à quel point cette chaleur doit être différente ici et là-bas.
J'entends les grognements de Patfoot qui revient vers nous.
Il glisse son nez humide dans ma paume en quête de caresse.
Je le grattouille derrière les oreilles.
Il se roule en boule sur mes chaussures en poussant un jappement satisfait.
Je soupire.
- Sirius tu es un emmerdeur pathologique.
- Waf ! Approuve t-il joyeusement.
OoO
Je rentre dans l'appartement.
Une odeur acre de sarmentine et de garance.
Severus fait des potions.
Il a recyclé la chambre que nous avions prêté à Draco en laboratoire et je suis toujours capable de déterminer depuis combien de temps il travaille en fonction de l'endroit où les odeurs magiques arrivent dans l'appartement.
Aujourd'hui, elles arrivent dans l'entrée.
Severus a donc commencé dés que j'ai mis les pieds dehors.
C'est mauvais signe.
Je m'installe dans le salon et j'allume la radio.
Un vieux tube des Kinks.
Il a du m'entendre. La porte du labo s'ouvre et bientôt Severus me rejoint
- Vous étiez allé faire votre petite promenade ?
Sa voix est moqueuse. Cassante. Méchante. Il est colère.
- Nous sommes invités à dîner chez les Weasley ce soir
- Lesquels ?
- Ron et Hermione. J'ai dis oui.
- Formidable.
- Je savais que ça vous ferait plaisir.
Je souris.
Il n'y a rien à tirer de lui quand il est comme ça.
Je me lève et le rejoins. Je pose mes lèvre contre la peau de son cou.
L'odeur de la garance imprègne ses vêtements et je grogne.
Je préfère son odeur.
Il caresse ma colonne vertébrale avec deux doigts.
Je soupire de contentement.
- Severus, ça vous dirait de voyager.
Il a un très léger tressaillement.
- Pourquoi faire ?
Apparemment la réponse est non.
OoO
Je discute avec Hermione. Son boulot de médicomage est très prenant.
Severus se dispute à mi voix avec Sirius. Ils sont encore assis sur la table de la cuisine, alors que nous sommes au salon.
Hermione remarque que mon attention a dérivé vers mon amant.
Elle est vraiment très attentive.
- Ils sont comme chien et chat pas vrai ?
Sa voix sourit
- C'est le cas de le dire.
- Rémus, si vous insinuez que je suis un chat je vous fais exploser. Intervient Severus.
Lui aussi est très attentif.
J'éclate de rire et Hermione aussi.
Severus grommelle quelque chose et Sirius se marre à son tour.
Ils ne peuvent pas s’empêcher de se chercher, mais ces engueulades leurs font du bien.
Severus adore avoir quelqu'un sur qui hurler.
- Tu veux encore du vin Rémus ? Me demande Hermione, alors qu'elle ressert son mari et Harry qui discutent quidditch à coté de nous. Le clapotis du liquide me renseigne sur sa texture. Un liquoreux.
Je tourne la tête vers Severus pour demandé une approbation.
Je sais qu'il n'aime pas tellement quand je bois.
- Mais je m'en fiche, brûlez-vous la gueule au schnaps si ça vous chante. Lâche t-il comme si ma demande l'agaçait.
Hermione remplit mon verre et je le porte à mes lèvres.
Il a goût de soleil.
- C'est un bordelais non ?
- Sainte croix du mont. Répond Ron.
Je déguste lentement mon verre.
J'ai envie de soleil.
Je me penche vers Harry
- ça te dit de prendre l'air ?
Il me prend par le bras pour m'aider à me lever et nous sortons de la maison.
Celle-ci est accueillante. Pour moi, elle est toute en teintes orangés. Mais si je me souviens bien, Severus m'a dit qu'il y avait une prédominance de vert.
Nous marchons côte à côte dans la douceur du soir.
- Tout va bien Rémus ? Me demande Harry au bout d'un moment
- Je ne sais pas.
- C'est Snape ?
- Pas vraiment. Pas seulement.
- Il est possessif pas vrai ?
- Oui. Protecteur serait peut-être plus adapté.
- Protecteur c'est une déclinaison de possessif j'en sais quelque chose.
Je souris.
Aprés la guerre, Ginny et Harry sont sortit quelques temps ensemble mais ça n' a pas marché.
- Rien de neuf de ce côté là ?
C'est à son tour d'hésiter
- Je ne sais pas.
Il n'ajoute rien. Je n'insiste pas.
- Vous avez toujours pour projet de partir avec Sirius ?
- Oui toujours. Pourquoi ?
Je ne réponds pas tout de suite.
La douceur du soir, l'odeur des fleurs qui se referment, le bruissement lointain des arbres.
- Après la guerre, j'ai été content de retrouvé une stabilité. Vivre avec Severus. C'est ce que j'avais toujours voulu. Mais dans ma tête, quand j'imaginais cet avenir là, j'avais encore des yeux.
- Rémus, je suis désolé.
Je ris et lui frictionne l'épaule
- Il ne faut pas. Tout va bien. Ça va peut-être te sembler stupide mais depuis que j'ai perdu la vue, il n'a jamais été aussi important pour moi de voir le monde.
Un silence.
Au loin une chouette hulule
- Severus le sait ?
Je m'assombris
- Non. Pas en ces termes.
- On voit très bien les étoiles ce soir. Ce n'est pas stupide Rémus.
Je me retourne vers lui.
- J'ai besoin d'être un peu seul.
Il lâche mon bras et me donne ma canne.
Il fait demi tour et je guette la porte de la maison qui se referme.
Une seconde, j'imagine l'effet que cela ferait d'ouvrir les yeux et de voir les étoiles.
Une seconde seulement.
Ce qui est fait est fait.
Il faut aller de l'avant.
Je me demande simplement quel avant je dois choisir.
OoO
Du bout des doigts je marque le rythme de la musique.
J'attends que Severus rentre.
Ça fait une semaine que je repousse le moment de lui parler.
Mais je ne peux plus reporter l'échéance.
Je pars demain.
Harry m'a proposé de me joindre à lui et Sirius.
J'ai accepté.
Il ne s'agit que de simples vacances. J'essaie de me convaincre.
Mais au fond je sais que c'est bien plus que ça.
Je profite de l'appartement une dernière fois.
C'est presque un entretient avec Severus. Cet endroit lui ressemble tellement.
Je voulais simplement te dire, que ton visage et ton sourire
resteront prés de moi, sur mon chemin.
Je crois que si je pars, il n'y aura pas de trajet de retour.
Et je sais qu'il ne me suivra pas.
Il ne m'a jamais suivit.
Il a déjà trop sacrifié pour moi, je le sais.
Ma vie entière a tournée autour de lui.
Subir son absence m'a longuement occupé.
Et maintenant qu'il est là, c'est moi qui veut partir.
Te dire que c'était pour de vrai, tout ce qu'on s'est dit, tout ce qu'on a fait
Que c'était bien
Je l'ai aimé oui.
J'ai aimé notre vie forcenée.
J'ai aimé l'aventure avec lui.
Nos sales luttes de chiffoniés et notre entente complice qui revenait certains soirs.
J'ai aimé son monde noir, son audace, sa révolte, sa connivence avec l'horreur même.
Sa rage de tout détruire.
J'ai cru avec lui qu'il fallait toujours se battre.
Que tout était permis.
Je l'aime encore.
Mais j'aspire à quelque chose de plus vaste désormais.
Ma vie n'a plus le même sens.
Je ne sais pas si je lui survivrais.
Mais il me faut partir.
Pas le quitter mais visiter d'autres paysages. D'autres lieux. D'autres cultures.
Je n'en peux plus d'être raisonnable.
Je ne déplore plus de l'avoir été.
J'ai fait des erreurs.
J'ai laisser passer des choses que j'aurais du saisir.
Mais je ne peux plus regarder en arrière depuis que je ne peux plus regarder.
Faut surtout jamais regretter, même si ça fait mal, c'est gagné
Tous ces moments, tous ces mêmes matins.
Il n'y a pas de bonne manière de le dire.
De l'expliquer.
De l'abandonner.
C'est égoïste je crois.
Mais le Rémus qu'il a connu s'est estompé avec les années.
Le rire me manque.
Il va me haïr.
Peut-être qu'il n'a jamais cesser finalement.
Peut-être qu'on se retrouvera
Peut-être que peut-être pas.
Ça restera comme une lumière, qui m'tiendra chaud dans mes hivers.
Un petit feu de toi, qui s’éteint pas.
Ma valise est déjà prête.
J'entends la porte d'entrée s'ouvrir.
Je n'ai même pas peur.
Tout juste le cœur un peu broyé. C'est tout.
Il entre dans la cuisine et je sens son odeur, sûrement pour la dernière fois.
Il s'assoit en face de moi. Le raclement de la chaise ne fait aucun doute.
Il attend.
Il sait.
Ça fait longtemps qu'il sait.
- Vous partez quand ?
- Demain.
J'ai soudain envie de rester.
Mais je sais que si je reste tout recommencera.
Il pousse un long soupir.
Il n'a pas la force d'être colère.
Il a été en colère si longtemps.
- Je suis désolé
Il ne répond pas.
- Je veux juste voir le monde
- Ne faites pas le mec qui voit
Je ne peux m’empêcher de rire doucement.
- Vous savez très bien ce que je veux dire.
- Sans doute. Admet il.
A tâtons je cherche sa main sur la table.
Il se laisse faire.
Nos doigts s'entrelacent. Sa peau parcheminée est plus douce que jamais.
Je porte ses doigts à mes lèvres.
- Je vous aime. Vous êtes l'être de ma vie.
Un très long silence. Ses doigts se posent sur ma joue, remontent jusqu'à l'oreille et descendent le long de la ligne de ma ma mâchoire. Puis sa peau quitte la mienne.
- Vous-même.
OoO
Nous sortons du train et les odeurs m'assaillent. La chaleur.
Le soleil sur mon visage.
Patfoot aboie et j'entends un gros PLOUF.
Quelqu'un hurle quelque chose en arabe.
Quelque instants plus tard, le bruit balourd de l’énorme chien noir dégoulinant trottine vers nous. Je l'imagine très bien, très fier de lui quand il s’ébroue dans un vacarme caractéristique.
Les gouttes sur mon visage me font du bien.
Je me passe la main dans les cheveux.
L'atmosphère a prit un couleur différente. Je sens déjà des odeurs d'épices qui parfument l'air.
Le bruit du monde qui m'entoure est différent.
Je suis content d'être ici.
Harry passe son bras sous le mien.
- Au fait Rémus ?
- Oui ?
- Je suis amoureux.
Aux sons des cliquetis, des charriots, des valises et des transplanage, à la rumeur du monde extérieur qui me parvient par intermittence, je devine que nous nous rapprochons de la sortie
Une voix retenti derrière nous
- Dîtes Potter, ça vous ennuierai de tenir votre saleté de cabot ? S'il continue à courir autour de nous, j'en fais une décente de lit.
Severus et son empathie délirante...
Les portes de la gare s'ouvrent. Je souris et le soleil de l’Égypte vient m'envelopper de ses rayons.
OoO
Fin
Je dédie ce chapitre a Vilain garçon. Du premier au dernier mot. Je crois que vous pouvez la remercier infiniment. Sans elle, une bière, quelque cigarette et deux grilles de mots fléchés, j'aurai écrit une fin tragique. Ce Happy End, elle en est la cause. |