Nous roulions depuis plus d'une heure. Les rues de Londres avaient laissé place à des paysages champêtres et déserts. Le chauffeur emprunta des petites routes caillouteuses qui firent trembler l'habitacle du véhicule. Les chocs ne gênèrent pas  l'imperturbable Sherlock, lequel n'avait pas cessé d'envoyé des textos à ses contacts pendant que j'essayais de passer le temps en rattrapant mon manque de sommeil. Mon cou m'élançait lorsque je me penchais en avant ou changeais de position. La nuit dernière, j'avais dormi sur le canapé peu confortable et je m'étais réveillé avec un dos douloureux et des courbatures. Mes muscles ne faisaient pas souffrir si je restais immobile.

- Tu t'es disputé avec ta femme? Me demanda Sherlock.

- Quoi? Mais comment tu...

- Je le sais car tu as des cernes autour des yeux, et le visage ensommeillé.  Signe, que ta nuit a plutôt été courte. De plus, tu te masses sans arrêt le cou alors je suppose que tu as passé la nuit sur le divan. Autre chose, avant de partir, tu n'as pas adressé la parole à ta femme. C'était visible à la façon dont vous évitiez de vous regarder. Ce qui m'amène à penser à une dispute. Dispute donc, elle ne t'a pas laissé dormir dans la chambre, tu as du emménagé dans le salon. Est-ce que je me trompe?

- Non, dis-je après un moment de silence. C'est tout à fait ce qui s'est passé. Je suppose que tu sais pourquoi nous nous sommes disputés.

Sans quitté son portable des yeux, il hocha la tête. 

- Ta femme a vu juste, commenta t-il.

- Sur le fait que je sois malheureux avec elle?

- Non, sur le fait que mener des enquêtes te manquait et que sans ça tu t'ennuies.

Je devais une fois de plus incliner. Rien ne lui échappait, pas même les minuscules détails auxquels personne n'aurait songé.

- Bien, répliquai-je. Puisque tu te permets de t'immiscer dans ma vie privée, tu vas dire ce que Mary t'a confié.

Sherlock se tourna vers moi, et me gratifia d'un rire moqueur.

- Ce n'est pas drôle, ronchonnai-je.

Le détective se calma et devint grave.

- Elle m'a juste demandé de veiller sur toi, souffla t-il.

-Oh, fis-je surpris. Ce n'est que ça ?

-Que voulais tu que ce soit d'autre?

-Euh, rien... en particulier.

Sherlock leva les yeux au ciel avant de replonger sur son portable. Il tenait une grosse enveloppe brune. Celle-ci était épaisse et renfermait un bon nombre de documents. Je ne me risquais pas à demander à mon ami ce qu'elle contenait. Il me la tendit sans un mot. J'ouvris le parquet et y trouvai des fausses cartes d’identités, un dossier sur un directeur de banque et son associée. Je soulevai un sourcil interrogateur vers le détective. Il s'agissait sans doute des rôles que nous devions endosser.

- Ce sont nos couvertures, confirma Sherlock. Mycroft est passé ce matin avec le colis.  Il s'est donné du mal pour fabriquer les parfaits déguisements.

- Je croyais que tu étais un expert en la matière? 

- Je suis imbattable à ce jeux-là. Mais la discrétion est le maître mot pour cette affaire si nous voulons réussir à la résoudre. Même si je n'apprécie pas les méthodes de mon frère. 

Il soupira avant de reprendre.

- Mycroft pourrait nous faire passer pour des agents du MI6 s'il le voulait et il peut obtenir n importe quel passe partout grâce à son influence ou à ses contacts. Cependant, je compte bien apporté ma touche personnelle concernant le personnage que je suis censé incarner. Je ne veux pas laissé Mycroft tout contrôler.

La guerre entre les deux frères Holmes ne cesserait donc jamais. Cela m'épuisait d'être le témoin de cette rivalité insensée dans laquelle il n'y avait aucun vainqueur. Tous deux possédaient une intelligence au dessus de la normal et chacun jouait avec ses propre cartes et selon son propre jeu. Ils n'avaient hélas jamais dépassé le stade de l'enfance. J'étudiais avec attention l'énorme dossier que Mycroft s'était donné la peine de rédigé. J'étais curieux de voir quel rôle il m'avait attribué. Mais Sherlock me pris de court.

- Je suis Monsieur Thomas Phillips directeur de la prestigieuse Barclays Bank et tu es mon associé.

- Finalement, ce n'est pas si loin de la réalité, annotai-je. Tu es le cerveau et moi je suis celui qui te suit comme ton ombre.

- Bien dit.

- Où est-ce que nous allons exactement? Je suppose que nous serons logés quelque part, arguai-je.

- Oui, j'en ai une vague idée, admit Sherlock. C'est la seule chose que Mycroft a voulut garder secrète. Mais c'est mal me connaître. 

- Tu pourrais préciser?

 - Le genre de grand manoir luxueux qui se situerait dans le sud de l'Angleterre, dans le Wiltshire. Pas très loin d'un village. 

-  Et c'est là que se trouverait les lieux du crimes?

- Je suppose que oui.

Le temps parut s'éterniser mais nous finîmes par arriver à destination. Ce n'était pas le vieux manoir en ruine que je m'étais imaginé depuis le début mais une immense et somptueuse demeure qui se dressait majestueusement  à mesure que nous nous approchions. Deux fontaines symétriques étaient délimitées par une allée centrale. Je n'étais pas très calé en architecture mais je gageai que ce "palais" devait avoir plus quatre ou cinq cent ans. Il y avait des fenêtre cintrées à perte de vue et l’édifice ne semblait pas avoir subi  d'intempéries. Je distinguais un groupe de personnes attendant patiemment notre arrivé.

Lorsque nous descendîmes de voiture, un vieil homme mince à l'allure sinistre s'avança pour nous accueillir. Je notai que son visage était cireux et émacié. Ses yeux perçants nous jaugeaient des pieds à la tête. Sherlock fit de même, promena ses yeux aciers sur l'homme er le sondait jusqu'au moindre détail.

Notre hôte nous offrit un sourire charmeur.

- Monsieur Phillips et Monsieur Adams je présume, nous salua t-il en nous serrant tour à tour les mains. Flatté de votre visite. Je vous souhaite la bienvenue à Longleat House!