J'ai eu une crise de lucidité.

Un de ces moments où le monde n'est pas forcément plus absurde et hideux que d'habitude mais il est simplement insupportable. J'en ai régulièrement. Je suffoque dans ces instants d'extrême clairvoyance, la réalité devient soudainement palpable, pleines d'odeurs affreuses, de visions d'horreurs. Il me semble alors que les règles qui nous régissent sont les aveux même de notre bêtise, de notre incapacité à vivre ensemble, à accepter l'autre, à être digne du cadeau magnifique qu'est la vie.

Ce n'est pas de la dépression de ne pas supporter notre monde actuel. Il marche clairement sur la tête. Les gens deviennent de plus en plus fous et aliénés. Le fanatisme semble être la nouvelle norme qui s'installe tranquillement. Mais il est tellement plus facile de se concentrer sur son petit quotidien plutôt que de s'en inquiéter. Et c'est exactement ce que je fais, comme tous les autres. Parce que se pencher sur la question nous oblige à regarder la décadence en face et que, sans réponse valable à proposer, on reste coincé avec notre malaise. Plutôt l'indifférence que l'impuissance.

C'est toujours comme ça que j'ai procédé. Je me suis concentré sur mon quotidien, sur ce qu'on m'a demandé de faire et d'être. Ca m'a moyennement réussi pour être franc. Mais je ne sais faire que ça.

Depuis quelques mois maintenant, je suis pris de terreurs et paralysies diurne. Vous voyez celles nocturnes ? Alors vous savez où je veux en venir. Je suis victime d'un immobilisme crasse, d'une incapacité chronique à bouger, à agir. Plus j'avance, plus j'en prends conscience et pire elles sont. J'ai l'impression de ne pas avoir pris de décision majeure dans ma vie depuis très longtemps. Cela dit, au rythme où vont les choses, il n'est pas dit qu'il y ait longtemps encore un monde dans lequel j'ai besoin de le faire. Notre univers périclite. Et je ne parle pas seulement du microcosme de la société sorcière, notre planète dans son intégralité est en train de mourir. Cela risque de vous surprendre mais je me suis renseigné, les moldus gèrent leur avenir avec aussi peu de bon sens que nous : montées des extrêmes politiques, mainmise de puissances financières qui desservent les intérêts communs, aveuglement des populations, agrandissements des inégalités, rejets de certaines ethnies,… sans même aborder le sujet de la destruction de l'environnement dont nous sommes pourtant complètement dépendants.

Ca ne vous semble pas quelque peu familier ? Je veux dire, un grand mage noir qui attise la haine, pousse à la violence envers certains et prend possession du gouvernement, c'est dans les grandes lignes le même résultat, non ? On court à notre perte. Et vite.

Vous avez l'air surpris par mon opinion ? Potasser des tonnes de livres aura au moins servi à ça. Mais je suis un peu vexé je dois dire, vous me pensiez assez idiot pour adhérer aux théories poussiéreuses et suprématistes des Sang-Purs ? J'ai pourtant prouvé mon intelligence et mon esprit critique à de nombreuses reprises. Bon, pas dans les actes, certes… mais au moins dans les mots.

Non plus ?
Vous n'êtes pas très observateur, ça doit être pour ça.

Pour être honnête, beaucoup de Sang-Purs ne se rallient à ce mouvement que parce que cela sert leurs intérêts et que cela leur permet de défendre leurs privilèges. Ils tiennent plus que tout à faire que la société sorcière reste sur un modèle féodal qui les mets sur un piédestal sans avoir à justifier d'autre chose que de leur nom, comprenez-les. Moi-même, je ne crache pas sur la fortune et le confort dans lesquels je vis, même si je reconnais qu'ils sont bien mal acquis et que cela n'est ni juste ni égalitaire.

Mais avoir de belles idées ne sert pas à grand-chose si on n'en fait rien. Je sens bien que je vais bientôt être contraint d'agir bien malgré moi – enfin, plus que d'habitude –, que ma fenêtre de « liberté » se fait de plus en plus étroite, que mon chemin de vie ressemble de plus en plus à un couloir, sans lumière au bout.

Et encore une fois, je ne sais pas quoi faire. Ce n'est pas comme si j'avais quelqu'un avec qui je pouvais parler de tout ça et faire le point… Pansy, Crabbe, Blaise ? Laissez-moi rire. De parfaits produits de leur environnement. Et dans ma famille c'est pire encore, mes parents sont obsédés par la conservation du prestige des Malefoy, ma tante est folle à lier, mon parrain est un croque-mort, et tous sans exceptions sont à la botte du Seigneur des Ténèbres. Je suis quelque peu cerné. Alors, comme un animal apeuré, je ne bouge pas, je me maintiens immobile en retenant mon souffle, en priant pour que tout cela ne se termine pas mal, même si je n'y crois pas vraiment. Je ne suis pas dupe, je sens bien que l'étau se resserre de manière dramatique. Je sais que ce n'est pas très héroïque comme attitude, même pour un Serpentard. Mais la ruse ne peut pas me sortir de là.

Vous voulez connaitre un type que j'admire ?

Potter.

Ne le répétez pas évidemment, mais j'admire ses compétences en termes d'action. Il ne peut pas rester sans rien faire quand quelque chose ne lui va pas. C'est grand.

C'est d'ailleurs très bête la manière dont les choses se sont déroulées avec lui. Ca c'est envenimé si vite, j'ai encore du mal à réaliser à quel point. Oh, mais tous les torts sont de mon côté, j'en ai bien conscience. Je me suis comporté comme un crétin avec lui et j'ai continué à le faire jusqu'à ce que cela deviennent véritablement irrécupérable. Au moins j'assure les apparences attendues par mon rang, c'est déjà ça.

Mais à vrai dire, là maintenant, je regrette de ne pas avoir quelqu'un comme lui dans mon entourage, dans mes « amis », quelqu'un à qui je puisse exprimer le fond de ma pensée sans peur de représailles, sans peur de jugement. Ou même tout simplement quelqu'un d'optimiste, avec qui je pourrai refaire le monde naïvement, sans conséquences, juste pour s'amuser. Quelqu'un que je pourrai suivre, qui serait moteur, qui m'aiderait à agir…

Mais je n'ai pas ça. Alors il est inutile de rêver.

Je ferme les yeux alors que Théodore m'appelle et m'invite à rejoindre le groupe de ma maison qui s'apprête à aller petit-déjeuner dans la Grande Salle.

Inutile de trainer, mon envie de hurler ne s'atténuera que si je me maintiens occupé toute la journée, je le sais bien. Alors je me lève et me prépare à attaquer le quotidien.

Jusqu'à quand cette mascarade va-t-elle durer ?