Je le savais. Je savais que ça allait arriver. J'aurai du le prévoir.
Mais la brûlure n'en est pas moins cuisante. Tout mon corps est encore en feu au simple souvenir de cette horrible nuit, de cet acte qui me révulse, de cette marque qui m'enchaine désormais à tout jamais.
Et dire que je pensais que cette journée était la pire de ma vie. C'était sans savoir ce qui m'attendait.
J'ai été tellement idiot de faire l'autruche, j'aurai du m'enfuir alors que j'en avais encore la possibilité. J'ai un rire las. Comme si cette option avait jamais été une solution viable…
Mon chemin de vie est désormais plus proche du tunnel que du couloir. Quelle sinistre blague.
Mon envie de hurler est si omniprésente que je peux presque sentir mes cordes vocales vibrer malgré moi, sous la peau de mon cou. Mais je n'ai rien à crier, pas un mot, pas un son. Alors je me contente d'être là, immobile, terré dans les toilettes des filles en retenant mes larmes autant que possible, les poings serrés d'impuissance.
Je n'ai pas d'issue.
S'il était possible de mourir de désespoir, je ne serai plus de ce monde depuis longtemps. Malheureusement, ça aussi il ne suffit pas de le vouloir, il faut AGIR pour. Je suis maudit. Condamné à vivre en supportant ma propre inactivité. Je suis un homme sous respiration artificielle. J'ai l'impression de n'être maintenu en vie que par magie car pas une seule cellule de mon organisme ne souhaite prolonger ce supplice.
J'ai été missionné de tuer.
Et je sais que je ne peux pas faire ça. Je n'arrive déjà pas à me faire à l'idée de me débarrasser effectivement de ma personne… J'essuie rageusement une larme. Il va cependant falloir que j'agisse. Mais tout ce que je tente est un échec, m'obligeant à chaque fois à devoir rééssayer de nouveau, plus fort et avec encore moins d'envie. Chaque plan est pire que le précédent, chaque fois ça me coûte encore plus et je me dégoûte davantage. Je ne parviens même plus à fermer l'œil.
Je suis terrorisé. Le reflet que me renvoie le miroir est pathétique, mes traits tirés trahissent malgré moi ma fatigue, mon angoisse et mon malaise. Je détourne le regard. Je hais ce type.
Je n'ai pas d'issue.
Mimi Geignarde me parle mais je ne l'entends plus, ses mots glissent sur moi sans parvenir à rentrer. Je m'appuie sur un des lavabos, le contact de la pierre froide sous mes paumes me redonne légèrement prise sur la réalité. J'ai le tournis.
Qu'est ce que je fais là ? Comment j'en suis arrivé là ? Qui suis-je en train de devenir ?
Je me considérais plutôt comme quelqu'un de brillant, mais mon parcours semble dire tout le contraire. Comment ça a pu mal tourner à ce point ? Mon but principal était de terminer ma scolarité avec panache, laisser le souvenir d'un excellent élève, rendre mes parents fiers, entamer la vie avec toutes mes chances. Mais visiblement ma famille à d'autres types d'attentes, qui n'ont pas grand-chose à voir avec mes études. Et ce qui m'est désormais demandé m'est insurmontable. Je ne peux pas participer à ça, je ne VEUX pas. Je ne veux pas être ce type de personne… même si techniquement je le suis déjà. Je suis un putain de Mangemort.
Je lève à nouveau les yeux vers le miroir pour apercevoir le type minable que je suis devenu. Je suis ce Mangemort.
Je hais ce mot, je hais tout ce à quoi il fait référence, tout ce qu'il désigne, tout ce qu'il porte en lui de lâcheté, violence, d'idiotie, d'aveuglement et de cruauté. Tous ces adjectifs qui peuvent également me désigner désormais. Je me hais. Je suis coincé dans ma vie, coincé dans mon corps.
Je n'ai pas d'issue.
Je sursaute violemment en réalisant que je ne suis pas seul dans la pièce.
Potter ?! Qu'est-ce que tu fais là ? |