Chapitre 3 : Un long chemin vers la divinité Nezha revint à lui. Les ténèbres diffuses se dissipèrent, tel un rayon de soleil qui transperce les plus épaisses brumes et, malgré la pénombre ambiante, il put distinguer sa position fraichement établie : encore mouillé, il se reposait sur un rivage au sable blanc et doux de ce petit étang forestier qui lui avait inspiré le plongeon. Il se redressa donc et extirpa sa veste trempée avant même de se demander comment les eaux l’avaient poussé sur leurs rives. Une fois torse nu et osant s’imaginer définitivement nu, prêt à enlever son pantalon, il remarqua alors la plus désirable des créatures, qui rayonnait d’une beauté lumineuse, géniale, ce genre d’attrait que peu d’hommes trouvent aux femmes, hormis aux femmes qu’ils peuvent aimer toute une vie. Il fut tout de suite gêné d’être torse nu, mais constata assez rapidement que la femme se parait en tenue d’Êve et que cela ne lui causait nul tracas. Pire que tout, Nezha ne savait quoi dire. A partir du moment où il l’avait aperçue, tout se bloquait en lui : d’abord ses mouvements, devenus maladroits et lourds. Puis ses pensées, qui fixaient une image et imaginaient l’objet de cette fixation dans d’autres positions : debout, allongée, souriante, habillée… Il est vrai que son imagination était surabondante mais elle paralysait sa réflexion et surtout sa capacité de parler. Obnubilé par cette beauté aux longs cheveux d’or qui descendaient en cascade jusqu’à ses reins, Nezha sentit monter en lui un énorme désir. La naïveté qui se dégageait de la nymphe était également un témoignage de son regard nacré qui plongeait dans l’eau, contemplative émotion. La peau laiteuse paraissait douce et invitait les mains du bûcheron au toucher. Il ne put contenir toutes ses envies et posa son pantalon, puis rejoignit sa déesse, aussi nu qu’elle. Il s’assit à ses côtés, comme un amant rejoint sa partenaire sur un lit d’amour. -Vous êtes enfin réveillé ? demanda la sublime femme en lui lançant un sourire ravageur, plongeant son regard immaculé dans les émeraudes du garçon. -Euh… ou… oui, rétorqua-t-il, gêné, en pleine érection sans que cela ne gêne son interlocutrice. -Je ne sais pas ce qui vous est passé par la tête, mais la folie semblait vous avoir guetté et attrapé lorsque vous avez chuté de cette falaise. -C’est vous qui m’avez sauvé ? Elle sourit une fois de plus en détournant son regard. -Comment vous appelez-vous ? demanda le rouquin. -Vous pouvez m’appeler Freïa. -Que faites-vous en plein cœur de cette forêt ? La curiosité du jeune homme ne trouvait pas de limites, il voulait tout savoir sur elle, la connaître davantage en profondeur. -Je communie avec la nature. Je me sens en parfaite osmose avec le monde quand je suis dans cet ilôt de sérénité. -Désolé… Freïa se retourna vers Nezha. -Désolé de quoi ? D’avoir perturbé la sérénité de ce lieu ? Je ne vous en veux pas, ne vous inquiétez pas. Ils restèrent longtemps à parler avec le regard, puis rapidement, le bûcheron voulut parler de nouveau avec sa langue mais d’une autre manière. Il s’élança lentement vers sa divinité et l’embrassa doucement. La communion se révéla parfaite. Le baiser fut long et passionné, chacun rendant à l’autre tout l’amour qu’ils pouvaient donner. Les mains de Nezha parcoururent les reliefs charnels de la nymphe. Elles firent une halte du côté des deux collines propres à la féminité, et caressèrent longuement ce qui constituait la partie la plus intime de la femme. Les amants débordaient de désir, et ils ne furent bientôt qu’un, chevauchant avec fougue et passion les ailes du plaisir. La fusion de leurs corps était un doux aperçu du paradis, et l’étreinte bienveillante dura une éternité dans le cœur du jeune homme. Ils s’endormirent après avoir fait l’amour, après l’avoir transmis à leur moitié. Lorsque Nezha revint à lui, Freïa regardait toujours l’eau, mais son regard était beaucoup plus inquiétant ; il transpirait la haine et le dégoût. De même, l’obscurité habituelle s’était faite prégnante, et une sorte d’amertume planait dans l’air, ce qui découragea le bûcheron. Il se sentit faible, désemparé, et surtout sentit qu’il n’avait rien à faire ici. -Je crois que je vais rentrer chez moi, Freïa. -Comme d’habitude, les hommes vous renient après vous avoir fait l’amour, rétorqua la femme d’un ton incisif. -Je reviendrai… -Dis-le avec plus de franchise si tu veux m’y faire croire. Silence. -Nezha, ta mission n’est pas de rentrer chez toi. La nymphe fixa le rouquin avec des yeux d’onyx, exhalant un délicieux parfum de rancœur. -Ta mission est de partir pour Thanatos. -Thanatos ? C’est à l’autre bout du continent ! -Ecoute-moi, Nezha. Ta destinée n’est pas celle d’un bûcheron mais d’un dieu. Des millénaires après ta mort, ta vie sera encore énoncée avec passion par des générations et des générations d’érotiques et de thanatiens. -Tu vas bien Freïa ? -Ne me coupe pas, obéis-moi. Obtempère. Tu dois aller à Thanatos. Les rivages s’assombrissent, les odinistes vont prendre les deux villes à l’assaut. -Les odinistes ? Et tu veux que j’abandonne ma patrie ? -Ta patrie n’est pas à l’abandon, puisque ses forces se regroupent depuis peu sous le commandement d’un homme. -Quel homme a suffisamment d’influence dans Thanatos ? -Lotus. La révélation fut un choc pour Nezha. Vous pourrez raconter à votre descendance, bien entendu, que le choc qu’essuya Nezha n’était pas le genre de choc qui fige votre sang mais qui au contraire le fait imploser et exploser à la fois. Vous savez, ce genre de sentiments qui fait fluctuer votre fluide rouge, qui l’accélère et le ralentit. Boum boum. Oui, exactement ça, cette délicieuse alternance entre la peine et la haine. Comme une blessure que vous n’avez pas bien fait cicatriser et qui se déchire littéralement. Une haine féroce combinée à une détresse désespérée. La fabuleuse alchimie des passions humaines les plus tordues ! C’est exactement cela que ressentait Nezha et cette monumentale claque lui valut la phrase suivante : -Peux-tu répéter ? -Lotus, ton père, est à la tête des armées érotiques depuis ton départ ce matin. -Tu mens. -Je dis vrai. Nezha se jeta sur Freïa et la plaqua violemment au sol. -Tu mens ! Pourquoi cet assassin, cet homme qui n’en est pas un serait à Thanatos aussi facilement ? Comment peut-il être là si vite ? -De deux choses l’une, Nezha : tu me fais mal. Et que sais-tu de ton père ? Tu connais juste de lui sa fougue meurtrière ? -Il m’a invité à le haïr… -Tu me fais mal Nezha. Le bûcheron serra son étreinte. -Nezha arrête ! Vas-tu faire la même erreur que ton père ? Cette phrase eut un nouveau type de choc sur Nezha, cette fois-ci ce n’était pas un épanchement de sentiments violents mais une incompréhension insatisfaite. -Comment connais-tu cet homme ? Comment sais-tu ce qu’il a fait à maman ? -Tu es un gamin, Nezha, qui ne veut pas voir la vérité en face. Je t’en conjure, pars pour Thanatos et trouve Yamaturga. -Qui ? -Yamaturga, un jeune prêtre qui saura t’aider à rassembler une armée pour Thanatos. Elle sera à tes ordres et tu pourras combattre aux côtés de ton père. -Tu plaisantes ? Et dis-moi ce que tu sais. Je ne suis pas un pion. -Pour l’instant, si. La perplexité est un savoureux sentiment, qui joue également sur les cordes de l’incompréhension et de la passion ; d’abord une gamme de questions puis quelques accords de soupçons. Enfin, après une mesure ou deux de tentatives de résolution du système, vous sombrez finalement dans un refrain long et rythmé par des accrochages avec la réalité. -Je ne comprends pas. -Va à Thanatos. -Je ne comprends rien… -Trouve Yamaturga. -Comment connais-tu Lotus ? -Les odinistes vont attaquer. -Réponds-moi ! -Je t’aime. -Je ne comprends rien… -Repose-toi, Nezha. Dors encore un peu. Prends du repos et après cela tu sauras quoi faire. Nezha, écoute-moi. Tu dois m’obéir, tu dois obtempérer. Va à Thanatos, je le veux donc tu le veux aussi. Le bûcheron n’eut d’autres choix que d’écouter la nymphe. Perdu dans cet océan d’incertitude, il n’avait d’autres choix que de se reposer dessus plutôt que de s’y noyer. Il se rapprocha de Freïa, l’embrassa, elle lui rendit son baiser et l’attira vers ses seins, où il s’endormit aussitôt, la tête reposée sur les plus agréables des coussins. |