Chapitre 6

Coiffure ? Ok ! Maquillage ? Parfait ! Tenue ? Diablement sexy. Je me contemple dans le miroir d’un œil pleinement satisfait. Ce soir, mon déguisement a atteint son apogée et je suis extrêmement fier du résultat. William manquera surement de s’étouffer en me voyant et je jubile rien qu’en y pensant.

- Allen ! s’écrie ma mère en me voyant passer la porte de la cuisine pour y prendre un verre d’eau.

- Quoi ?

- Tu sors ?

- Je te l’ai dit mercredi, j’ai une soirée ce soir.

Elle me regarde l’air égaré.

- Mais tu sors comme ça ?

Je pose mon verre et l’observe quelques secondes. Si mon père a décidé de fermer les yeux sur ce qu’il appelle ma « petite lubie passagère », ma mère ne s’est toujours pas fait à l’idée de me voir ainsi accoutré. Je lui souris tendrement, je sais que je lui en fais toujours voir de toutes les couleurs, surtout dernièrement.

- Comme ça. Ne m’attends pas pour te coucher, je rentrerai tard…

Ou je ne rentrerai pas, mais ça, je préfère ne pas lui annoncer.

- Allen…

Je ne lui laisse pas le temps de poursuivre.

- Bonne nuit Maman.

Et je me sauve en claquant derrière moi la porte d’entrée.

oOo

Je presse le doigt contre la sonnette qui retentit joyeusement de l’autre côté de la cloison. Quelques secondes plus tard, la porte s’ouvre et j’aperçois l’air surpris de William dès qu’il me voit. Je savoure mon petit moment de gloire en cachant mon triomphe derrière un charmant sourire accompagné d’un clin d’œil malicieux.

- Bonsoir beau blond, tu m’invites à entrer où dois-je te supplier ?

J’arrive à lui décrocher un sourire, c’est bon signe, tandis qu’il s’écarte un peu pour me laisser passer. Son appartement est rangé, sa vaisselle lavée…

- Eh bien ! Quel changement !

Il ne dit rien mais je le vois m’observer du coin de l’œil alors que je m’installe sur son divan moelleux.

- Tu me sers un verre ?

- On ne va pas tarder à y aller… me répond-il en fronçant les sourcils.

- Radin.

Je pince mes lèvres en prenant un air boudeur et il ne résiste pas plus longtemps. Il se dirige vers moi et s’installe à mes côtés en passant un bras autour de mes épaules.

- Tu es superbe ce soir…

- Parce qu’hier je ne l’étais pas ?

Il tente de se rattraper en balbutiant une excuse incompréhensible que je fais taire en m’emparant de ses lèvres. Il s’écarte de moi d’un geste ferme.

- Arrête.

Je plonge mes yeux dans les siens qu’il détourne rapidement. Il a peur, je le sens, peur que sa récente résolution de me refuser ne finisse par céder… Je ne dis rien, je me contente de le regarder encore et encore…

Tout en sachant qu’il finira tôt ou tard par craquer.

oOo

La maison de Sam est une grande bicoque entourée par un vaste jardin. Elle a du charme, la maison, et la décoration mise pour l’occasion – bougies à l’entrée, guirlandes lumineuses – accentue l’aspect chaleureux qu’elle dégage. Sam nous accueille              tout sourire. Je remarque particulièrement l’œil gourmand qu’il me porte mais je n’y prête pas davantage attention. Le salon est déjà bien rempli de monde, des jeunes et des moins jeunes qui semblent bien s’amuser en dansant sur la musique d’ambiance ou en papotant un verre d’alcool à la main.

- Tu veux boire quelque chose ? me demande notre hôte.

J’accepte volontiers un jus de fruit, pour commencer. Inutile de se saouler dès le début de la soirée. Il me l’apporte, son sourire toujours irréprochablement collé aux lèvres et entame la discussion.

Il me demande ce que je fais dans la vie, ce que j’aime, ce que j’aimerais faire plus tard, mes passions, mes coups de cœur du moment… Et il me raconte sa vie de célibataire, des femmes qui sont trop versatiles et qui cassent après seulement quelques nuits passées ensemble… Ses déceptions, ses espoirs… Il me complimente, me drague, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Moi ça m’amuse, j’aime lui faire croire que je suis une fille et j’aime constater que je lui plais sous cette apparence en sachant pertinemment que je ne serai jamais l’une des femmes qui partageraient son lit. Il peut espérer mais finira déçu. Will aussi a l’air de se rendre compte du manège de son ami, est-ce pour ça qu’il semble passablement irrité ? Le nez plongé dans son punch fait maison, il ne m’a pas adressé la parole de toute la soirée.

- Je vais faire un tour dehors, me dit Will avant de s’en aller.

Tiens, le voilà qui sort de son mutisme. Qu’il s’en aille s’il veut, moi, je m’amuse bien.

La soirée bat de son plein, de nombreux couples sont en train de batifoler dans les recoins de la pièce ou dans l’escalier menant au premier étage… Je vois soudain Sam qui revient après m’avoir quitté à peine quelques secondes, avec deux verres de punch. Il m’en tend un avec un grand sourire. Je l’accepte à contrecoeur, j’ai déjà beaucoup trop bu et j’ai déjà la tête qui tourne. Sam parle fort pour couvrir le son de la musique, et il parle beaucoup. J’ai du mal à garder mon attention sur ses paroles, je ne me sens vraiment pas très bien. Le jeune homme remarque mon malaise et me retire mon verre des mains.

- ça va ? Tu veux t’allonger un peu ?

J’accepte la proposition, je n’aurais vraiment pas dû boire autant. Sam m’indique qu’il y a des chambres à l’étage et m’aide à y aller. La monté des escaliers fut pénible et je dus m’appuyer abondamment sur Sam pour éviter de tomber. J’avais refusé qu’il me porte – non merci ! – et il avait ri en disant que je n’avais rien à craindre, que peu importait mon poids, il me trouverait toujours aussi charmante. J’avais ri à mon tour, de ce rire un peu gras et certainement pas très charmant qu’ont habituellement les alcooliques, mais j’avais maintenu mon refus. J’avais tout de même ma fierté.

Sam m’emmena dans une chambre à la déco classique mais très jolie aux murs peints en jaune foncé. L’homme me fit coucher sur le lit double et sortit pour me chercher un verre d’eau. Il revint quelques minutes plus tard qu’il me tendit avec un sourire. Je bus à petites gorgées tandis qu’il restait là à me regarder. L’eau fraiche me fit du bien, j’avais chaud et je devais avoir les joues rougies par la chaleur. Sam passa une main fraiche sur ma joue qui me fit frissonner à son contact. La sensation était agréable, aussi je ne vis pas l’intérêt de rompre le contact. Sa main passa ensuite dans mes cheveux bruns que je laissais pousser depuis un petit temps déjà… Je fermai les yeux. Je ne me sentais vraiment pas bien. Je n’avais jamais été vraiment saoul de ma vie et me jurai ne de plus recommencer. Une fois suffisait. Je sentis Sam me reprendre le verre d’eau désormais vide que je tenais dans la main et me caresser de nouveau la joue, puis la nuque… Deux lèvres étrangères vinrent se plaquer sur les siennes avec une ardeur fébrile. Je rouvris les yeux immédiatement et tentai de repousser Sam mais mes forces m’abandonnaient.

- Arrête, Sam, protestai-je.

- Len… murmura-t-il à mon oreille avant de la lécher et de mordre son lobe.

Une main s’infiltra sous mon haut moulant que je tentai d’arrêter d’une main.

- Sam ! Arrête !

Il me fit taire en plaquant sa bouche contre la mienne. Je n’aimais pas son odeur, trop forte, parfumée, ni son haleine et encore moi cet empressement gras qui me donnait l’impression qu’il avait juste envie de se soulager.

- Sam, s’il te plait…

Je n’avais pas la force de lui résister, je me sentais amorphe et vaseux…

- Eh Sam ! Qu’est-ce tu fous ?! crie soudain une voix vibrante de colère tandis que mon assaillant est tiré de force vers l’arrière.

Je connais cette voix, je la reconnaitrais entre mille : Will. Le jeune homme m’attrape par le bras et m’attire vers lui pour me soustraire aux « soins » déplacés de son collègue.

- Will, dis-je d’une voix pâteuse… pourquoi tu m’as aidé ?

- Parce que t’es son frère, crétin !

« Son frère», oui, ma sœur… Cette jeune femme morte trop tôt, qu’il a aimé profondément un temps et qu’il veut oublier, s’interdisant jusqu’à prononcer son nom.

- « frère » ? répète Sam, incrédule en se redressant sur le lit.

- C’est un mec, crétin !

- Quoi ? Attends, tu…  tu… homo ?

- Non ! s’exaspère Will avant de m’attirer vers la porte.

Il me traine de force à sa suite en me broyant le bras, il a l’air furieux mais je m’en fiche, ce n’est pas mes affaires.

- Lâche-moi, tu me fais mal ! protesté-je.

Will ne m’écoute pas, ouvre une porte et me projette dedans.

- Non mais ça ne va pas ? Tu as quoi dans la tête ?! me crie-t-il tandis que je fais de mon mieux pour reprendre mon équilibre.

- Je…

Je dois surtout m’adosser contre un mur, ce que je fais sans attendre. Tout tangue autour de moi, j’ai l’impression de naviguer sur un bateau en pleine tempête de mer.

- T’es bourré et il allait te sauter dessus, putain, qu’est-ce que je déteste les mecs comme toi !

Et sans me prévenir, il se jette sur moi pour m’embrasser férocement.

Je n’y comprends rien, ne vient-il pas de dire qu’il me détestait ?