Chapitre 7
Il ne m’a jamais embrassé ainsi, si fort, aussi brutal, à me faire mal… et pourtant j’aime ça. J’aime le savoir en colère à cause de moi, savoir que je lui fais autant d’effet, que je ne le laisse pas indifférent. Je sens ses lèvres rageuses dévorer les miennes, sa langue fébrile s’enfoncer dans ma bouche et forcer toutes mes défenses… pour peu que j’en aie. Je n’ai pas envie de lui résister, je veux seulement profiter de cette attention inespérée qu’il me porte. Il me regarde, enfin, et Dieu que ça fait du bien. Il me veut, moi, le « mec » qu’il déteste tant.
Le baiser s’arrête trop tôt à mon goût, beaucoup trop. William s’écarte de moi, le souffle court et je cherche à capter son regard… en vain. Il me fuit.
Comme s’il avait honte. Il s’est laissé aller à ses pulsions et il a regrette, je le vois, je le sens…
Et ça fait mal.
Je le fixe d’un œil glacial puis, amer le repousse lentement pour pouvoir m’éloigner de lui et sortir de la chambre. Sur le pas de la porte, je m’arrête quelques secondes pour tourner ma tête vers William.
- Tu me ramènes, j’ai trop bu.
Sous mon ton impérieux, je le vois tressaillir puis acquiescer lentement sans jamais lever les yeux vers moi. Je quitte la pièce sans un mot de plus, le cœur en bouillie mais les yeux secs. Je ne m’abaisserai pas à pleurer devant lui, Liz ne l’aurait jamais fait.
oOo
Le trajet dans la voiture se déroule en silence. William me ramène jusque devant chez moi et je sors du véhicule en claquant la portière derrière moi. Je suis trop énervé pour prononcer le moindre mot. Je fouille dans mon sac – le sac de Liz – pour y dénicher la clé de la porte d’entrée sans accorder un regard au véhicule derrière moi. J’aime à penser qu’en ce moment, William me regarde avec, qui sait, peut-être, une lueur de regret dans les yeux, regret de ne pas avoir été jusqu’au bout, de me laisser rentrer chez moi sans avoir rien fait ce soir… J’ai à peine trouvé ma clé que la voiture redémarre en trombe. Quel con d’avoir espéré encore un peu de son attention. Il m’avait ramené chez moi, comme je le lui avais demandé, rien de plus. William rentrait chez lui et m’oublierait certainement une fois seul dans son lit.
Connard.
C’est moi qui le déteste.
oOo
La maison est noire et calme. Je ne prends pas la peine d’allumer la lumière de peur de réveiller ma mère. Non pas que j’ai peur de ma mère en réalité, je n’ai simplement pas envie qu’elle me trouve dans cet état : déprimé, rageur, les yeux brillants de larmes que je refuse de laisser couler. Je monte l’escalier en silence et, à peine franchie la porte de ma chambre, je me jette sur mon lit.
- Liz…
Ma voix n’est qu’un murmure mais c’est amplement suffisant lorsqu’on a son oreiller pour seul confident.
- Je crois que je suis en train de faire une belle connerie…
Et je finis par m’endormir le cœur lourd et les yeux rougis par mes larmes sans savoir exactement si ma connerie résulte en mon déguisement ou en ces sentiments traitres qui commencent doucement à éclore dans ma poitrine douloureuse.
oOo
- Arrête-ça ! Tout de suite !
La voix de ma petite amie – l’est-elle encore ? – retentit impérieusement dans le petit café où nous avons l’habitude de prendre le thé.
- Arrêter quoi ? je lui demande tout sourire, innocence incarnée.
- Ton petit jeu avec l’ex de ta sœur !
Mon sourire disparait et je pince mes lèvres en prenant un air renfrogné. Je ne sais pas exactement comment Lucille a appris mon petit manège (même si je soupçonne fortement l’implication de ma mère dans cette révélation) mais depuis deux semaine, elle n’arrête pas de me bassiner avec ça.
- Je ne vois pas en quoi ça te regarde, lui dis-je d’un ton buté.
- Ça te fait du mal !
Elle a raison, comme toujours… mais je me garde bien de lui donner raison. Je suis beaucoup trop fier pour ça et je n’ai aucune envie d’abandonner mon « petit jeu ». Gâcher tous mes efforts ? Ma vengeance ? Jamais !
- Tu veux dire « je lui » fais du mal, non ?
Je soupire théâtralement et poursuis :
- Je sais, je sais, Toi ô grande altruiste, divinité incarnée, tu n’acceptes pas que moi, un simple mortel, juge et punisse un odieux individu.
- Len ! crie-t-elle, exaspérée.
- C’est bien moi, je lui réponds avec un sourire désarmant.
- Tu es impossible ! Pas moyen d’avoir une conversation sérieuse avec toi moins de trente secondes !
J’abandonne mon sourire pour la deuxième fois en quelques minutes.
- Je suis on ne peut plus sérieux en ce qui concerne William.
- Et c’est bien ce qui me fait peur ! Au final, c’est toi qui te fais le plus de mal ! C’est une manière égoïste de te venger toi ! Pas elle ! Liz n’aurait jamais voulut ça !
Je me tais. Luce a-t-elle raison ? Liz n’aurait pas voulu de cette vengeance ? Étais-je égoïste, vraiment ? Non, impossible. Tout ce que je faisais, je le faisais Liz, pour elle seule. Luce n’y comprenait rien ! Comment l’aurait-elle pu ? Mais le doute s’est emparé de moi et lorsque les paroles de ma petite amie finissent par trouver un écho de vérité en moi, je m’empresse de le rejeter et change de sujet.
- Stop ! je crie pour effacer les dernières parcelles de doute.
Je bois une gorgé de mon thé tiède et prends mon temps pour déglutir.
- Les trente secondes de sérieux sont passées, dis-je avec un sourire insolent. On parle d’autre chose ?
Luce ouvre la bouche, la referme et m’observe avec un air scandalisé.
- J’y crois pas ! Bon sang ! Je te savais buté mais pas à ce point !
Elle se lève violement et me fusille du regard.
- Et bien tu sais quoi ? Débrouille-toi tout seul ! Je ne veux plus entendre parler de Liz, de William et encore moins de toi ! Vis ta vie et je vivrai la mienne… sans toi !
Je la regarde s’en aller en silence, à moitié choqué, à moitié soulagé. Je ne l’aurai plus dans mes pattes, ça m’arrange bien...
Je ne l’aurai plus du tout, ça me plait nettement moins. |