LOONY AND THE BEAST
Chapitre 3 : Hivers et commencement
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Les jours passent, les mois passent et Luna tient tête à celui qui l'emprisonne. Elle lui tient tête sans rien faire, sans chercher à s'enfuir ou à lui désobéir délibérément. Elle lui tient tête simplement en ne le craignant pas. C'est lui le geôlier, mais c'est elle qui est libre et Draco la regarde explorer chaque jour davantage le jardin. Et il a du mal à retrouver dans cette jeune femme téméraire et passionnée, sa loufoque camarade de classe. Oh bien entendu, elle a toujours cet éclat un peu fiévreux dans les yeux quand elle aborde un sujet qui lui plait, la même bizarrerie dans sa manière d'aborder les choses, et cette douceur à la limite de l'indifférence, presque agaçante.
Au début les repas ont été tendus, elle ne mangeait pas, continuant à observer au dehors, guettant l'instant de retrouver le havre du jardin.
Elle revenait à la nuit tombée, se faufilant pour grignoter en cuisine, souvent bien après l'heure du repas, le bas de ses robes taché de boue et la colère de Draco faisait trembler toute la maison. Seule elle restait de marbre. Trop ébahie par la grossièreté et le ridicule du monstre pour en avoir peur.
Ce soir là, Draco la guette. Elle n'est pas venue manger avec lui, et il attend dans le noir, le moment ou elle se glissera dans la cuisine pour se nourrir. Il l'attend pour lui hurler sa frustration. Parce qu'il n'en peut plus de ne pas avoir le courage de se débarrasser d'elle, parce que chaque jour la résistance polie de Luna lui hérisse le poil et lui creuse des boules de frustration dans le ventre. Ce soir Draco a envie de la terrifier, de la soumettre. Il ne veut pas perdre ce bras de fer : c'est elle qui est venue chez lui, elle qui lui résiste. Alors qu'il n'avait rien demandé.
Il ne se rend pas compte que depuis quelques mois, sa fureur prend toute la place et que les matins ne sont plus mornes et douloureux, qu'il est vivant depuis que la colère glisse dans ses veines chaque jour et qu'il ne craint plus les rayons du soleil sur sa fourrure, lorsque nait l'aube. Il ne pense qu'à ça, qu'à elle et il ne s'en rend même pas compte.
Mais ce soir, il a beau l'attendre elle ne vient pas. Même ce soir, elle trouve encore le moyen de le contrarier. Il décide de sortir de la cuisine et monte jusqu'à la chambre de Luna. Il n'a pas mis les pieds dans cette pièce depuis que Dawn y a installé la jeune fille. Il y va souvent et regarde la porte de bois avec hargne, comme si cela pouvait suffire à décharger son ire. Mais ce soir, il n'y a nulle lumière qui filtre sous la porte, nul bruit que celui du silence qui gronde, alors Draco pousse la porte.
Il ne reconnait pas la chambre.
Partout sur les murs, les robes de sa mère de sa mère on été punaisées. Sur le sol, au pied du lit, s'entasse des feuilles, de grandes branches d'arbre mortes, sur les rebord du lit à baldaquin, tous les bijoux de Narcissa ont été suspendus et accrochent le peu de lumière qu'émet la lune. Parce que l'on voit parfaitement la lune depuis cette chambre: les imposants rideaux ont été enlevés et sont roulés en boule devant la cheminée, comme un fauteuil improvisé, au pied du fauteuil qui lui semble servir de table, à en croire les tasses qui y sont posées.
Draco n'a pas le temps d'enrager davantage. Il constate le désastre mais surtout il constate l'absence de Luna. Et un grand froid l'envahit : a t-elle essayé de s'échapper ?
Il se jette sur ses pattes avant et galope à toute vitesse vers la porte d'entrée, ses griffes dérapant contre le carrelage et y laissant de vilaines rayures. D'un coup d'épaule il ouvre la porte, grognant, oubliant presque qu'il a été humain un jour. Le vent froid de la nuit l'accueille et il se fige en haut du perron.
Au bout de l'allée, accroupie dans la neige, il reconnait la silhouette frêle et la chevelure blonde recouverte de flocons.
Il descend les marches hésitant, soudain honteux de s'être emporté. C'est la première fois depuis qu'elle est là, que la colère de Draco s'estompe. Il n'y arrive pas, elle a l'air tellement fragile, dans l'une des robes trop grandes de sa mère.
Quand il arrive près d'elle, il ne peut pas s'en empêcher, il a un frisson. Elle fixe la neige, l'air perdu, ne remarquant même pas sa présence. Il a peur de la brusquer tout à coup.
- Vous allez attraper froid.
Il a parlé doucement, comme on parle à un enfant apeuré. Elle lève vers lui ses grands yeux gris et Draco voit ce qu'elle fixait dans la neige.
Des noms. Des noms familiers. Ceux des membres de l'Ordre du Phénix, qu'elle a tracé du bout des doigts.
Son cœur se serre brusquement. Il a oublié, durant ses mois de résistance, que Luna était soustraite aux siens, et qu'avant son emprisonnement, elle aussi a eu sa part de guerre, de pertes... Il la saisit doucement par le bras pour la sortir de sa torpeur et soudain, elle se blottit contre lui, enfouissant son corps gelé et son visage dans son torse de fourrure blanche. Il reconnaît le bruit terrible d'un sanglot puis la jeune fille se reprend et s'écarte de lui en essuyant ses joues à deux mains.
- Tu vas attraper froid. Murmure t-il.
Le 'tu' est venu tout seul, il n'a pas pu s'en empêcher. Parce qu'elle n'est plus une étrangère, plus maintenant. Elle hoche la tête docilement et elle le suit. Pour la première fois elle le laisse faire, elle le la reconduire à sa chambre et elle s'exécute quand il lui recommande de mettre un pyjama chaud. Pour la première fois elle boit la tisane qu'il lui a fait porter par Dawn. Puis ils vont se coucher tout les deux. Chacun enfermé dans un univers de neige, de silence et de souvenirs de guerre déchirants. Chacun inexplicablement réchauffé par l'autre. Un répit parmi les colères. Une trêve parce que c'est trop dur de maintenir ses barrières, de maintenir une distance si longtemps avec le seul être humain qu'il nous est offert d'avoir. Et tant pis si cet être humain est un monstre capricieux ou une ancienne camarade de classe à demi folle. Tant pis ou tant mieux.
Depuis, ils se heurtent moins l'un à l'autre. Luna accepte de manger à l'heure des repas et Draco ne surveille plus fébrilement ses allées et venues. Il a ressorti un vieux carnet de croquis du temps où il était encore un homme et parfois il esquisse la silhouette de Luna qui se perd dans les méandres du jardin. L'hiver s'estompe et la colère fond en même temps que la glace. Ils s'apprennent un peu, se tolèrent, s'observent, gardant une distance polie et méfiante.
Depuis ce soir là, ils se regardent avec plus de douceur en somme.
Mais surtout depuis ce soir là, Draco a mal. Mal, qu'elle ne sache pas, qu'il a vécu la guerre, qu'il a perdu des proches. Mais cela lui semble insurmontable de lui avouer qui il est. Il a compris qu'elle a souffert, souffert comme n'importe qui de la guerre, et que cette retraite loin du monde la lui rappelle cruellement. Comment lui avouer, qu'avant de la retenir prisonnière, il était déjà son bourreau, celui qui espionnait ses être chers et qui suivait celui qui attentait à leurs jours ?
Il a relu avec obstination un passage de Shakespeare «Mon nom ma chère sainte est haïssable à moi-même, l'aurais-je par écrit que j'en déchirerais les lettres »
Sauf que dans le cas de Draco il ne s'agissait pas d'une histoire d'amour passionnelle. Juste d'une histoire de compassion; une compassion dont il se sent coupable puisqu'elle n'en a aucune à l'égard de son apparence hideuse... Et cela lui est salutaire, comme si vivre était encore possible.
Et puis de toute façon, Draco a déjà tout déchiré.
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Et puis un soir tout bascule, un soir à l'orée du printemps.
Ce soir- là, après le repas, il lit dans sa bibliothèque, au coin de la cheminée, quand soudain, l'impression tenace d'être observé le fait se retourner et son regard se heurte à la silhouette de Luna. Elle porte encore une robe de Narcissa Malefoy. Elle a pris l'habitude de se servir dans l'armoire, mais le fourreau de cuir de dragon argenté qui faisait de Narcissa une bombe sexuelle, plante venimeuse et délectable, se contente de transformer Luna en fée, effaçant tout le caractère provocant de la coupe. La robe est un peu trop grande et lui recouvre les pieds. Draco déglutit, gêné d'avoir été surpris.
- Qu'est-ce que tu veux ?
Son ton est agressif, il n'a pas pu s'en empêcher : c'est sa seule défense .
Luna rejette ses cheveux en arrière d'un geste distrait et répond
- Rien
- Rien ?! Alors qu'est-ce que tu...
Mais Draco ne finit pas sa phrase. La jeune femme avance, dans le froufrou étrange de sa robe et s'assoit sur l'accoudoir du fauteuil.
- Qu'est-ce que tu lis ?
Draco déglutit gêné et tente de dissimuler la couverture du livre.
- Hem.. Une thèse sur heu... certaines créatures magiques... fantasmagoriques...
Luna penche le buste et la tête, jusqu'à ce que celle-ci soit complètement à l'envers, pour voir le titre du livre. L'espace d'un instant elle ressemble à une chouette blanche et Draco réprime un rire. Puis le visage de la jeune femme s'illumine.
- Oh mais... C'est un traité sur les ronflax cornus !!
Elle lève les yeux vers lui, toujours assise sur l'accoudoir, la tête à l'envers au dessus de lui. Draco remercie pour la première fois son apparence. La bête ne rougit pas. Mais c'est tout comme.
- Heu.. Oui
- J'en connais un rayon sur les ronflax cornus. Par exemple, savais-tu que c'est une créature très timide? C'est pour ça que tout le monde croit son espèce éteinte. En fait, c'est juste la peur d'un désamour des autres créatures.
Elle a dit ça très sérieusement, sans quitter sa position étrange. Et subitement Draco se laisse aller, ses muscles se détendent, ses épaules s'affaissent. Il est fatigué de lutter, de vivre avec cette jeune fille en se rendant le plus hermétique possible, en se raccrochant à sa raison qui lui dit que c'est Luna Lovegood et qu'elle connait son secret.
Il se gratte la nuque avec sa grosse patte en regardant vers le bas l'air confus.
- Et bien... Le lendemain de ton arrivée ici, tu m'as dit que j'avais l'apparence de .. de l'une de ces bestioles alors.. J'ai voulu faire quelques recherches...
Et le sourire à l'envers de Luna répond à son hésitation. Un sourire tendre, qu'il ne lui a jamais vu. Doucement elle se redresse et pose sa petite main sur la patte gigantesque qui tient le livre. La fourrure est douce, aérienne, Luna songe que la matière des nuages ne doit pas être bien différente. Elle écarte doucement les grosses griffes de la couverture, ouvre le livre à l'endroit du marque page, et d'une voix très sérieuse, elle commence à lire le chapitre en cours à un Draco démuni, mais apaisé.
A la fin de la soirée Luna plante de nouveau ses grands yeux de cristal dans les pupilles anthracites de la bête, seuls témoins de son âme humaine, mais Ô combien humaine et lui demande du bout des lèvres
- Je voudrais... Un morceau de terre.
- Pardon ?
- Un morceau de terre, avoir le droit de cultiver des choses. Tu veux bien ?
Draco hésite, elle lui demande l'autorisation de lever le voile de délabrement dans lequel il s'est réfugié. C'est la première fois qu'elle demande.
- Pourquoi ?
Luna se mord la lèvre, embarrassée.
- Un des pétales de la Scarlet Carson est tombé ce matin.
Et Draco se rend compte que le sursis est terminé. Il a arrêté de compter, mais le doute n'est plus possible. Il a eu 21 ans ce matin, il ne lui reste que quelque mois. La beauté de cette soirée s'évapore et un pieu se plante profondément dans son cœur. Si lui reste monstre pour toujours, il ne pourra pas la garder préès de lui. Il faudra la tuer ou la laisser repartir parce qu'il refuse d'infliger l'enfermement qu'il subit à quiconque, surtout pas à elle qui semble si désolée.
- Prend toute la terre que tu voudras.
Elle lui sourit, se lève, s'éloigne. Puis elle change d'avis. Elle fait demi tour et vient poser un baiser furtif au cœur de la crinière, sur la tempe de la bête. Puis elle tourne les talons et quitte la bibliothèque pour de bon.
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La température ambiante remonte et un printemps frileux émerge de l'hiver, avec ses averses et ses rayons de soleil.
Et Luna court dans le jardin. Elle y passe ses journées les mains dans la terre. Elle taille les branches, sème des graines, ratisse des sentiers, elle arrache le chiendent et tous les soirs, Draco regarde ses mains meurtries et ses ongles pleins de terre. Et son sourire heureux. Qui croirait que cette jeune femme est prisonnière contre son gré ?
Lui n'ose pas descendre au jardin, il a peur de voir la rose. Mais il regarde Luna tous les jours faire des aller-retours dans la cour, avec ses tabliers de fortune (les rideaux de sa chambre) et une pauvre Dawn qui la suit tant bien que mal en portant de lourds arrosoirs. Il la regarde esquisser des pas de danse sur le perron lorsque la pluie tombe et s'extasier devant les premiers papillons.
Quand il ne la regarde pas par la fenêtre, il essaie de dessiner son visage de mémoire. De deviner son sourire, de se rappeler ses larmes. Parfois tard, dans la nuit, il enchante le papier pour rendre le dessin vivant et l'espace du seconde, sur la feuille, une goutte d'eau ruisselle le long de la joue de fusain et vient se perdre dans la fourrure des pattes de la bête.
Le long des arcades de l'amphithéâtre, la glycine a commencé à se teinter de parme.
Le soleil brille de plus en plus souvent, et un matin, Luna traverse la grande salle. Ses cheveux sont négligemment attachés sur sa nuque et des mèches folles s'échappent de son chignon balayant son visage ensoleillé. Elle ne s'arrête pas à sa place habituelle, dédaignant son chocolat chaud et elle se dirige droit vers la bête. Ses bottes en caoutchouc sont maculées de boue et Draco retient une remarque acerbe sur la propreté du manoir. Elle a l'air si rayonnante qu'il n'ose pas gâcher son plaisir. Puis une fois, près de lui, elle lui tend la main. Draco la regarde éberlué, cette peau fine, sur laquelle on devine quelques cales dues au jardinage. Il ne dit rien, se contentant de regarder tour à tour la main de Luna et son sourire radieux.
Il pousse finalement un soupir entre agacement et renoncement. Il lui a déjà cédé
- Où veux tu m'emmener ?
- J'ai une surprise.
Et sans attendre son autorisation, elle glisse ses doigts gracieux dans la patte griffue et entraine la bête, masse de poil, de muscles et de crocs, le trainant au jardin, comme un enfant qui fait un caprice, que sa mère emmènerait de force au parc.
Au passage de la porte, Draco a un mouvement de recul. Il lâche sa main et se fige dans l'encadrement de la porte. Le soleil est timide et pourtant vu d'ici il semble éblouissant.
Il hésite. Ce jardin n'est déjà plus le sien. Il est une créature des ténèbres, il doit resté calfeutré dans l'ombre pendant que Luna s'épanouit à la lumière. Mais elle le regarde avec ses yeux trop vastes et il ose un pas, descend quelque marches... et saisit le bras encourageant de la jeune blonde. Il se dit que Luna Lovegood n'est pas une sorcière mais une fée et il la suit. Elle le traine vers l'amphithéâtre et le spectacle qui s'offre à lui lui agrandit les yeux et creuse un trou dans son ventre. Le jardin n'a rien à voir avec l'ancien parc Malefoy, il est resté sauvage, désorganisé et pourtant d'une harmonie et d'une délicatesse incroyable. Le long des arcades, la glycine se mêle aux fleurs blanches du jasmin desquelles émane un parfum presque entêtant. Autour de la rose rouge de Draco, l'herbe a poussé, pour amortir les pétales, il y en a déjà trois à terre et la fleur resplendit toujours autant, mais le long des pierres, s'amasse désormais une troupe de capucines, de lilas et de lupins dont la couleur est éclatante.
- Viens...
Elle l'entraine dans un sentier, bordé de bougainvilliers grimpant le long des ormes et un renard roux leur passe entre les jambes.
Luna rit.
- Il avait peur de moi au début. Et puis il s'est habitué.
Elle continue à l'entrainer dans les profondeurs du jardin et la bête baisse la tête pour éviter les branches hautes. Des lys sauvages et des pois de senteur bordent leur chemin; Et soudain Luna s'arrête.
- Ferme les yeux
- Quoi ?
- Ferme les yeux
Le monstre hésite puis s'exécute. Luna le guide sur quelque mètres; il sent la caresse du soleil sur son visage, comme s'ils venaient de sortir des feuillages
- Je peux les ouvrir à présent ?
Il a employé un ton blasé, aristocratique mais il se sent fébrile. Luna lâche ses mains et s'éloigne, puis sa voix lui parvient, comme lointaine.
- Regarde.
Alors Draco ouvre les paupières. Et ses yeux gris s'écarquillent. Devant lui, un bassin recouvert de nénuphars en fleurs, bordés par les ajoncs, les violettes et les pousses de menthe, le tout protégé par l'ombre tranquille d'un saule pleureur, et derrière... une roseraie; une roseraie sauvage, entrelaçant les rouges aux oranges, les pétales blancs aux pétales roses.
Des roses s'entremêlent sous ses yeux, mélangeant des variétés rares et d'autres plus communes : des miniflora , des hybrid tea, et même une black baccara qui pousse à l'ombre du saule. L'odeur est raffinée et enivrante à la fois.
Luna se rapproche, incertaine, les mains agrippées à sa jupe craignant la réaction de la bête. Elle prend la parole doucement.
- C'est pour prendre la relève de... tu sais... ta Scarlet carson.
Elle lui sourit timidement, et Draco ne peut réprimer une vague de tendresse naissante pour elle. Elle ne connait pas le pouvoir tragique de cette fleur, mais symboliquement, c'est comme si elle avait voulu lui offrir un sursis éternel. Un sursis ou elle resterait avec lui, quelle que soit son apparence.
Et il comprend qu'elle l'a déjà sauvé : il est amoureux d'elle, de son jardin, de sa manie de salir les robes de sa mère et du tapage décalé qu'elle a mis dans sa vie.
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