Chamane 12 : Rappel du passé
Harry se réveilla le cœur joyeux. Il souleva son oreiller de palme et redécouvrit sa précieuse baguette magique, rangée là la veille au soir. Il en avait senti les effets dans la nuit car il n'avait pas fait de mauvais rêves. Souvent, il était pris dans des cauchemars nauséeux où il était prisonnier d'une boue épaisse, essayant vainement de marcher pour s'en sortir. C'était peut-être les effets secondaires des sortilèges de Maître Félaro pour lui faire oublier le temps qui passait.
A ce propos, à la soirée, quand il avait brandi sa baguette retrouvée, il avait lancé un rapide Légilimens sur la Grande Maîtresse et sur son conseiller. Ama Saé n'avait manifesté que de la satisfaction et une joie sincère. Maître Félaro avait été visiblement surpris mais c'était tout ce que Harry avait pu discerner. Soit il n'avait rien à se reprocher, soit c'était un très bon Occlumens. Maintenant, il allait lui être plus difficile de continuer ses envoûtements. Mais Harry savait que tant qu'il ne serait pas guéri, il ne pouvait pas quitter Ghanzi. Il espérait que la petite chauve-souris avait apporté à Draco de bonnes nouvelles.
Draco tiens ! Pendant toute la soirée, il avait été parfait. Aimable avec tous, dégustant avec plaisir la nourriture apportée par les invités, se prêtant au jeu des souvenirs de Poudlard avec malice, montrant sans réticences son enthousiasme à propos du spectacle … Oui vraiment Draco avait été parfait, à l'opposé de son attitude distante voire méprisante d'autrefois. Le temps avait passé, il se révélait comme il aurait dû être sans doute, s'il n'y avait pas eu la guerre, si son père ne lui avait pas inculqué dès son enfance ces idées de Sang Pur supérieur aux autres, s'il avait pu être lui-même.
C'était à lui qu'il devait sa coiffure et aussi son collier d'ivoire végétal. La veille, une très belle femme avait frappé à la porte de sa chambre alors qu'il s'apprêtait à rejoindre les invités Elle lui avait expliqué que l'homme « aux cheveux de lumière » ayant rendu à son fils un grand service, elle venait le coiffer … « Magique, avait-elle dit. Sans toucher. » Et de quelques gestes de ses longs doigts, elle avait discipliné sa tignasse qu'il essayait de dompter à l'aide d'un peigne à trois dents en bois de palmier. Puis elle lui avait tendu le rang de perles d'ivoire qu'il pouvait passer par dessus sa tête et elle avait ajouté avec un sourire éblouissant : « Tu le portes et tes cheveux se coiffent tout seuls. » Il l'avait mis pour la fête. Ça, une coiffure raffinée et son pagne de raphia, il pouvait rivaliser avec l'élégant Draco Malfoy !
Et à propos du pagne, la sorcière qui le lui avait offert s'était assise à côté de lui avant le spectacle et elle lui avait donné des nouvelles de son garnement de fils. Le jeune garçon n'écoutait jamais les recommandations que lui faisait sa mère. Au contraire ! Cette fois-là, il était entré dans un champ pourtant clôturé d'épines où on cultivait une ortie magique, souveraine contre les rhumatismes mais dangereuse tant qu'elle n'était pas séchée et traitée. Il en était ressorti hurlant de douleur et couvert de cloques brûlantes. Voyant qu'il ne guérissait pas au bout de trois jours, les Maîtres Soigneurs avaient fait appel à Harry, sachant que son intervention serait pour lui très douloureuse.
En effet, le poison des orties ne faisait pas bon ménage avec le venin d'oursin. Le jeune chamane avait souffert et pourtant, il n'était pas sûr que sa transe douloureuse ait mis du plomb dans la cervelle de l'insupportable gamin. Il avait fait depuis bien d'autres bêtises. Sa mère avait tenu à offrir à Harry ce pagne qu'elle avait patiemment préparé et monté. Elle était visiblement contente qu'il le porte pour la fête. Cette soirée avait vraiment été magique. Ça faisait longtemps que Harry ne s'était pas autant amusé ! Il se leva d'excellente humeur. L'après-midi, il devait montrer à Draco la case des pierres, en particulier le coffre aux pierres précieuses. Il en avait parlé avec Ama Saé. Elle était d'accord. Draco Malfoy expert en diamants ! Très drôle, vraiment !
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Draco, lui, se réveilla avec la bouche sèche et un vague mal de tête. Il s'assit au bord de son lit pour boire un peu d'eau. Le pichet était resté sur sa table de chevet avec le verre et l'eau était toujours fraîche. A côté était posé un des bracelets de Madibo, un cadeau.
Quand il avait reconnu le jeune danseur devant sa porte la veille au soir, il avait tout d'abord été furieux, contre son visiteur inattendu d'abord et ensuite contre lui-même, qui réagissait un peu trop à la vue du jeune homme si beau, à demi-nu dans son costume de scène. Mais sa colère était retombé dès qu'il avait croisé son regard. Les grands yeux encore fardés d'argent le fixaient avec tant d'adoration et d'innocence mêlées que Draco avait été désarmé. Et puis cette fichu boisson lui brouillait la tête. Quand il s'était approché de sa porte, il avait dû s'accrocher au chambranle pour ne pas vaciller sur ses jambes et Madibo s'était mis à rire.
« Oh Maître Draco, avait-il dit, vous ne supportez pas très bien le « mirabinga». C'est un alcool fort qui termine toujours les grandes fêtes. On y fait macérer des fruits de Mirabilis et de l'écorce de Muringa, un arbre tout sec aux grands pouvoirs qui ne pousse qu'ici, à Ghanzi. Nous le supportons très bien, nous sommes habitués, mais il arrive que ça ait un drôle d'effet sur les étrangers. Entrez et asseyez-vous. Je vous apporte le remède, un grand verre d'eau fraîche.
Il s'était dirigé vers le puits au milieu de la cour pendant que Draco entrait dans sa chambre et s'asseyait sur son lit avec un soupir de soulagement. Le jeune homme était revenu avec un pichet couvert de buée, il avait appelé d'un geste le verre qui se trouvait dans le coin toilette et il y avait versé une bonne rasade d'eau. La baguette de Draco n'avait pas sifflé. Pas de sortilège là-dedans, juste les bons soins d'un jeune homme attentionné. Le blond sorcier avait bu et aussitôt, son esprit s'était éclairci.
-Merci Madibo, avait-il dit. Puis pris d'un doute, il avait ajouté : Que faisais-tu devant ma porte ?
Le jeune danseur avait paru gêné, juste un instant. Puis il s'était assis en tailleur sur le tapis à côté du lit, il avait regardé Draco franchement et avait répondu :
-Je voulais savoir si vous aviez aimé le spectacle. M'avez-vous … vu dans la danse du feu ?
-Oui je t'ai vu Madibo. C'était superbe.
-Oh merci Maître Draco ! J'aurais aimé être l'oiseau mais je ne suis pas encore assez bon. Je m'entraîne tous les jours mais Njafer est le meilleur. C'était notre dernière grande répétition. Le mois prochain, toute la troupe doit participer au Festival de Musique de Durban. Un Festival non sorcier ! C'est pour ça que nous n'avons pas utilisé la magie. Ça vous a plu quand même ?
-C'était magnifique. Je n'avais jamais vu de spectacle de ce genre. Dans mon pays, les sorciers n'apprennent pas le chant et la danse et c'est dommage. Il y avait dans mon école un tout petit club de théâtre mais il ne faisait pas d'étincelles …
Il avait dissimulé un bâillement de fatigue derrière sa main et avait repris:
-Il est tard, c'est l'heure de dormir. Bonne nuit Madibo …
Puis, voyant que le jeune homme s'attardait, il avait ajouté :
-Veux-tu me dire autre chose ?
De nouveau, le jeune homme s'était un peu tortillé. Puis il avait répondu avec une candeur désarmante :
-Maître Draco, ne vous fâchez pas … C'est à propos de mon vœu … Le vœu que j'avais fait en plantant le petit bâton en haut du palmier. Je voulais … Je désirais … rencontrer une personne qui m'aimerait. Et que j'aimerais aussi … Un homme … Parce que vous l'avez sûrement deviné, je n'aime pas les filles. Quand je vous ai vu, j'ai cru que c'était vous … Maître Draco … Vous êtes comme moi, n'est-ce pas ? Vous aussi vous aimez les garçons. Me trouvez-vous à votre goût ?
Puis prenant le silence de Draco pour un encouragement, il avait ajouté à voix très basse :
-Me voulez-vous près de vous pour cette nuit ?
Draco était resté muet de stupeur. Tant de simplicité ! Tant d'innocence ! Tant de perspicacité aussi ! Bon d'accord, l'alcool lui troublait encore un peu l'esprit mais il s'attendait si peu à cette conversation qu'il n'avait pas réagi assez vite. Autrefois, il aurait interrompu Madibo dès les premiers mots et l'aurait fichu à la porte vite fait. Là, il l'avait écouté sans rien dire et maintenant, il devait lui répondre sans lui faire de mal. Le jeune homme avait été franc avec lui. Alors, autant lui rendre la pareille. Il l'avait regardé dans les yeux – ces beaux yeux noirs allongés par l'eye-liner et ombrés d'argent – et il avait murmuré :
-Madibo, tu as bien deviné. Ma préférence va aux garçons. Mais ce n'est pas moi que tu attends. Quand tu rencontreras l'homme de ta vie, celui que ta sorcière t'a promis, tu le sauras tout de suite. Tu brûleras comme dans ta danse du feu. Aujourd'hui, j''étais juste là quand tu as grimpé dans le palmier. C'était un hasard. Tu es très beau et tu as magnifiquement dansé mais pour moi ça s'arrête là.
Et il avait ajouté sans même se rendre compte de ce qu'il disait :
-J'aime déjà quelqu'un d'autre.
Étonnamment, Madibo n'avait pas paru chagriné. Il avait même souri un peu et il avait répondu en se levant souplement :
-Ça ne fait rien Maître Draco.
Il avait enlevé un de ses bracelets.
-Je vous l'offre, avait-il murmuré. Vous avez été bon pour moi, aujourd'hui. Bonne nuit.
Il était parti sans bruit, de sa démarche dansante. Encore sous le coup de la surprise, Draco s'était rapidement préparé pour la nuit, sans oublier « l'enclose » autour de sa chambre. Mais son esprit, lui, était resté libre. Il avait vagabondé. De quoi avait-il rêvé déjà ? De Potter !!!
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Draco se leva, même pas de méchante humeur. C'était normal de rêver de Potter, ici à Ghanzi. Il vit aussitôt la petite chauve-souris accrochée en haut de la fenêtre. Il lui donna sa ration d'insectes puis déroula le message. Ce qu'il lut lui fit lever un sourcil. Maître Ndiapo lui faisait savoir qu'il ne pouvait pas aller lui-même chercher les œufs d'oursins sur la route de l'Est. Draco devrait le faire lui-même.
« Pour passer la barrière magique, écrivait Gammla, mon père devrait mettre une pierre sur le tas qui est à l'entrée. Mais les sorciers de Ghanzi sauraient alors qu'il était entré puis ressorti sans aller jusqu'à la ville. Ça pourrait leur donner des soupçons. Le plus simple était que Draco s'arrête sur le chemin de son retour, qu'il prenne les œufs et qu'il s'éloigne comme si de rien n'était. La formule pour sortir était « Ghanzibo Akomara ». Son père avait oublié de le préciser à leur entrée. Et qu'il n'oublie pas d'enlever une pierre du monticule en passant la barrière …
Bien sûr, avait pensé Draco. Toujours aussi retors ce bon Ndiapo ! Il garde toujours un troc dans sa manche !
Le guérisseur le remerciait toutefois, ainsi que Harry, pour cette découverte, qui ferait à coup sûr grandement avancer ses recherches. Qu'il renvoie Uuuiiu pour donner la date de son retour. Ou pourrait-il voyager seul par les airs pour arriver jusqu'à leur case ? Il était attendu avec impatience.
Draco eut envie de froisser la lettre, Maître Ndiapo en prenait à son aise. Mais il se contenta de la dissimuler par un Evanesco. Prudence ! Il se prépara et se rendit à la case restaurant pour son petit déjeuner. Il avait à peine terminé que Iméo se précipitait vers lui, l'air tout excité.
« Ama Zié nous donne rendez-vous aux jardins du Sud, dit-il. Une carriole taxi nous attend devant la porte parce que c'est loin et qu'on pourrait se perdre. Le conducteur sait où c'est. Venez vite ! Son âne s'impatiente !
Toujours aussi enthousiaste, Iméo ! Et aussi bavard. Draco n'écoutait que d'une oreille. Il était question de Maître Kori qui l'avait accepté comme élève … de sa chambre chez Ama Zié qu'il partageait avec son fils Faron … de la fête de la veille où il aurait bien voulu aller … Et Maître Harry avait-il été content de la coiffure que sa mère lui avait faite ? … Elle avait même enchanté un collier pour lui … Elle était belle sa mère pas vrai ? Il l'aimait beaucoup … Elle repartait bientôt au pays …
Soudain Iméo se tut. L'âne trottinait toujours, ils avaient contourné une partie de la cité et longeaient maintenant un quartier qui semblait désert. Les cases étaient délabrées, certaines n'avaient plus de toit. Les arbres des cours n'avaient que quelques feuilles et beaucoup d'épines. De rares touffes d'herbes poussaient au milieu des ruelles sombres. Tout avait l'air sinistre, abandonné. Et Draco ne put retenir un cri. Brusquement, une douleur fulgurante avait traversé son bras gauche, là où sous sa manche était tatouée la Marque des Ténèbres. La même douleur qu'autrefois quand Lord Voldemort appelait ses fidèles en touchant sa propre Marque avec son long doigt pâle. Cela ne dura qu'un instant mais cela fit à Draco l'effet d'un coup de poing en pleine poitrine.
Le conducteur avait arrêté son âne et s'était tourné vers ses passagers. Il dit à voix basse comme si le lieu ne devait pas être réveillé :
« C'est ici qu'a eu lieu le crime il y a cinquante ans. Personne ne veut y habiter. D'ailleurs le puits est tari. L'herbe ne repousse que depuis quelques années. Tout ça à cause de ce visiteur étrange, le maudit …
Il secoua la tête et fit redémarrer son âne. C'était sans compter la curiosité d'Iméo.
-Quel visiteur ? demanda-t-il quand ils se furent éloignés du sinistre quartier.
Le conducteur était en veine de confidences. Il reprit à la façon des conteurs :
-En ce temps-là, il vint par la route du Nord un homme blanc portant une grande cape noire. Il était jeune et beau mais il faisait peur aux enfants. C'était un puissant sorcier. Il connaissait des sortilèges que personne d'autre ne connaissait. Il prétendait qu'il venait à Ghanzi-Sa pour s'instruire. Mais il voulait surtout découvrir nos secrets. Il s'installa chez une vieille sorcière dans le quartier maintenant désert. Et les malheurs commencèrent. Une nuit, tous les coqs des alentours moururent. Une autre nuit, des serpents envahirent les cours. Les enfants pleuraient sans raison. Les gens se disputaient pour des riens. Des inscriptions énigmatiques apparaissaient sur les murs.
Mais étrangement personne ne le soupçonnait. Au contraire, les gens le respectaient et le saluaient avec déférence, ils venaient lui demander conseil et ils repartaient enchantés. Ils faisaient ensuite des choses bizarres. Ils accusaient leurs voisins de les voler ou d'avoir jeté un sort sur leur famille. Ils prétendaient que leurs maisons étaient hantées, que quelqu'un frappait aux murs ou que des objets se déplaçaient tout seuls. Puis une rumeur commença à circuler. La responsable de tous ces malheurs, c'était une jeune sorcière de quinze ans qui avait des yeux rouges.
Tout le monde savait que c'était une maladie mais petit à petit, on parla de malédiction. Les gens murmuraient sur son passage, On lançait sur elle des sorts qui ne semblaient pas l'atteindre. Un jour, un gamin lui jeta une pierre. Mais elle rebondit vers lui et le blessa. Le pire, ce fut le jour où il n'y eut plus d'eau au puits. La jeune fille était là, portant sa cruche et attendant son tour. Toutes les femmes présentes se tournèrent vers elle, il y eut des menaces, puis les coups se mirent à pleuvoir. Elle réussit à s'enfuir et le sorcier blanc apparut. Il calma les femmes en furie et dit qu'il allait s'occuper de la jeune fille ...
Le conducteur de la carriole se tut et ses passagers semblaient pétrifiés. L'histoire impressionnait tellement Iméo qu'il en était muet. Draco tremblait intérieurement même si ça ne se voyait pas à l'extérieur. Il n'y avait pas de doute. Lord Voldemort avait à un certain moment de sa vie vécu ici. Tout dans le récit le confirmait. Et la douleur qu'il avait ressenti au bras devait venir d'un reste de sa magie accrochée aux murs délabrés du quartier désert. Merlin ! Heureusement que Potter n'était jamais passé par là !
Le jeune homme continuait son récit.
« Le lendemain, on la trouva étendue morte sur son lit. Ses mains étaient crispées sur sa poitrine, ses yeux étaient grands ouverts et son visage devenu gris reflétait une profonde terreur. Elle ne portait pourtant aucune blessure apparente. Les guérisseurs qui l'examinèrent conclurent qu'elle était morte de peur. Mais qu'est-ce qui avait pu lui causer une telle frayeur ? On s'aperçut alors que le sorcier blanc avait disparu. Et les yeux des habitants du quartier se dessillèrent. C'était lui le responsable de tous les malheurs qui les avaient frappés et non la jeune fille. Il s'était enfui après avoir probablement pratiqué sur elle un sortilège de magie noire. Mais ce n'était pas tout …
La carriole avançait doucement. Les maisons étaient moins serrées, les cours plus grandes. On voyait déjà le long du chemin des bouquets d'arbres et des parcelles de jardin. Mais les deux passagers ne voyaient pas la beauté et la tranquillité du paysage. L'histoire les passionnait et les horrifiait à la fois. Draco comprenait pourquoi personne n'osait évoquer la tragédie autrement qu'à mots couverts. Pourquoi le conducteur la racontait-il ? Il eut la réponse un peu plus tard.
«... Le pire vint quand le Meneur d'Esprits commença la cérémonie funéraire, poursuivait le conteur. Avant la crémation du corps, il fallait libérer l'âme de la jeune morte pour qu'elle soit en paix et ne vienne pas hanter la cité. Le Chamane s'aperçut alors que l'esprit intérieur de la victime, tout ce qui faisait d'elle une personne humaine particulière, avait été mis en lambeaux. Plusieurs fumées grises distinctes s'élevaient du corps inerte au moment des incantations et ces fumées se tordaient comme si elles souffraient mille morts. C'était cela qui avait tué la jeune fille. Son corps ne portait pas de blessures. Le sorcier blanc s'était attaqué à son âme et l'avait déchirée, saccagée, brisée. Heureusement le Meneur d'Esprits était un grand Maître. Il réussit à rassembler les fumées en une seule et il libéra l'âme de la jeune morte …
« C'était l'une de mes arrières grands-tantes, ajouta-t-il après un silence que ses passagers n'osèrent pas troubler. Voilà pourquoi je connais bien toute l'histoire. On en parle encore à mots couverts dans ma famille. Mais je voudrais faire plus. Je voudrais faire revivre le quartier où elle vécut pour qu'on pense à elle avec compassion et tendresse et non avec horreur. Les autres ont peur, moi pas. Son esprit est en paix. Pourquoi le craindre ? D'ailleurs l'herbe commence à repousser. C'est bon signe n'est-ce pas ?
Draco vit qu'il s'adressait à lui plus qu'à Iméo qui avait du mal à cacher son émotion et reniflait un peu, tête baissée. Mais que dire à ce jeune homme qui s'était confié à lui, un étranger, plus qu'aux membres de sa communauté ? Il ne pouvait tout de même pas lui avouer qu'il avait été pendant trois ans un admirateur de ce Maître des Ténèbres ! Ici, dans cette cité magique, son aveuglement d'autrefois lui paraissait incompréhensible. Il se détachait de ces souvenirs amers, toute cette époque lui semblait lointaine, presque irréelle. Quelque chose à Ghanzi-Sa poussait les gens vers ce qu'il y avait en eux de meilleur. L'eau, pensa-t-il brusquement. L'eau souterraine qui en faisait au milieu du désert une verte oasis. Les mots sortirent de lui sans qu'il puisse les contrôler :
-Le mauvais sorcier dont vous parlez est mort il y a quelques années. Il a été tué en duel par … un adversaire plus puissant que lui. Il ne peut plus faire de mal à personne. Si vous voulez faire revivre le quartier de la jeune fille, sondez le puits. Si l'eau est revenue, alors il est temps d'oublier les malheurs passés et de penser à l'avenir.
Il ne savait pas s'il disait cela pour encourager le jeune homme ou pour se guérir lui-même. Il n'avait pas révélé le nom du vainqueur de Lord Voldemort. C'était le secret de Potter, pas le sien. Mais tandis que la carriole poursuivait son chemin vers la porte du Sud, il sentait lui aussi la paix revenir en lui. Comme Potter ! Et il n'avait même pas l'envie de penser un bon « Putain d'enfoiré de Sauveur du Monde ! » Merlin ! Son ex-ennemi, le Balafré, l'avait contaminé !
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« Attendez, cria le garde de la Porte en voyant approcher la carriole taxi, j'en ai pour une minute.
Au dessus du livre ouvert devant lui, une plume était dressée, immobile. Des croix noires étaient dessinées en dessous sur la page et le garde s'adressait à un gros rocher posé à côté de la table.
-Je compte six croix, vous deviez être cinq à passer la barrière. Y a-t-il un autre sorcier avec vous ?
De la carriole, ils n'entendirent pas la réponse. Le garde hocha la tête et dit : Allez-y!
Puis il se tourna vers eux et ajouta :
-Ce sont les cueilleurs de Mirabilis. Ils viennent de Namibie pour faire la récolte. Où allez-vous ?
Le conducteur répondit :
-Nous allons rejoindre Ama Zié. De quel côté est-elle partie ?
-Par là, vers la droite. Je note juste l'heure de votre passage. Bonne promenade.
Pendant qu'ils s'éloignaient au petit trot de l'âne, Draco réalisa soudain pourquoi Maître Ndiapo ne pouvait pas juste entrer et sortir du territoire magique pour prendre les œufs d'oursins. Chaque fois que quelqu'un posait une pierre sur le monticule pour passer la barrière, le garde était averti par une croix que sa plume écrivait toute seule. Il pouvait ainsi vérifier les arrivées et les départs ! Peut-être une précaution au cas où quelqu'un se perdrait dans le désert – comme Potter par exemple ! - Ou par prudence, si un Moldu ou un indésirable avait trouvé le moyen de parvenir à Ghanzi-Sa sans y être invité. Malins les sorciers de la cité !
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