Chamane 20 : Le nid des oursins
Draco Malfoy pestait. Contre Harry Potter bien entendu ! Le foutu Griffondor avait oublié de quel côté de la route se trouvait exactement le nid d'oursins. A droite, supposait-il. D'accord, six mois de confusion mentale lui avait brouillé la cervelle. Et de toute façon, Draco se serait méfié. A droite en venant de la barrière magique ou à droite quand il avait erré dans le désert à la recherche de sa baguette magique ? Le jeune homme veillait donc à marcher au milieu du chemin, en repérant bien les rochers balises. Il était tout seul au centre d'un paysage morne. Dame Elizéa avait raison, la route de l'Est était peu fréquentée.
D'ailleurs, quand Maître Ndiapo et lui étaient venus à Ghanzi-Sa, ils n'avaient croisé personne. Aussi pouvait-il se permettre de grommeler et de jurer contre le Griffondor. Et en même temps, ça le faisait vaguement sourire. Potter n'aurait pas été Potter s'il ne s'était pas emmêlé dans des explications confuses. Allons, il suffisait d'ouvrir l’œil. Un amas de pierres, pas très loin de la route, et une touffe de Griffe du Diable commençant peut-être à refleurir, ça devait être facile à repérer.
Draco marchait depuis presqu'une heure quand il trouva enfin ce qu'il cherchait. Il s'approcha avec précaution d'un tas de pierres empilées les unes sur les autres. A l'arrière, la Griffe du Diable était complètement sèche. Potter lui avait expliqué comment il s'était fait piéger par le nid et comment l'oursin avait sauté hors du trou. Mais à mesure qu'il avançait, le jeune homme remarquait quelque chose d'insolite. Les cailloux bougeaient. Une force venue de l'intérieur de la terre les poussait, faisait tomber ceux qui étaient au dessus et écartait ceux situés à la base. Soudain le nid explosa et plusieurs boules hérissées de piquants sautèrent en l'air. Les œufs que Potter avait vus avaient donné naissance à de jeunes oursins des sables qui s'étaient délivrés de leur prison de pierre.
Draco fit un bond en arrière. Heureusement, il était encore à plusieurs mètres des dangereuses bestioles. Il se précipita vers le rocher le plus proche et s'assit dessus, ramenant ses jambes sous lui par précaution. Mais les oursins ne s'occupaient pas de lui. Il y en avait maintenant une quinzaine qui roulaient sur le sable. Ils ne s'éloignaient pas du nid, ils allaient de ci, de là, sans avoir l'air de savoir quoi faire. Maintenant qu'il était à l'abri, Draco se mit à les observer plus attentivement. Il ne devait pas y avoir beaucoup de sorciers ayant assisté à ce spectacle.
Il remarqua vite qu'il y avait deux sortes d'oursins, des gros de couleur noire et des plus petits aux épines grises. Des mâles et des femelles ! pensa-t-il soudain. Bien sûr, il était hors de question d'aller vérifier de près le sexe de chaque espèce. Mais c'était intéressant et Draco se dit qu'il devrait prendre des notes. Le récit d'une éclosion d'oursins pourrait intéresser pas mal de gens à Ghanzi-Sa ou ailleurs. Il sortit son bagage de sa poche, lui rendit son volume normal et prit un bloc et un crayon dans la poche extérieure. Puis il le rétrécit de nouveau et le rangea. Il portait le sac de cuir contenant les mirabilis en bandoulière, il y avait placé un récipient en peau étanche pour les œufs mais il se demandait s'il en aurait besoin.
Il commença par dessiner les oursins noirs. Ils avaient la grosseur d'une pomme mais leur corps était plus petit de moitié. Les fameuses épines étaient longues et brillantes. Elles étaient réparties également sur tout le corps mais assez espacées les unes des autres. Les oursins gris étaient de la taille d'une mandarine, leurs épines étaient plus courtes et plus serrées. On ne remarquait sur leurs corps aucun orifice particulier : ni sexe, ni bouche, ni yeux. Ils devaient être aveugles car ils erraient autour du nid sans savoir où aller.
Pendant cinq bonnes minutes, il ne se passa rien. Draco qui avait un bon coup de crayon eut le temps de les dessiner assez précisément. Puis soudain, deux oursins entrèrent en collision, un noir et un gris. Ils s'immobilisèrent. Leurs épines s’agrippèrent et un trou apparut dans chacun des deux corps, juste l'un en face de l'autre. Et les oursins s'embrassèrent ! ... Enfin ce fut ce que Draco ressentit comme impression. Un mâle et une femelle se reconnaissaient, sans qu'on sache qui était quoi, et ils s'unissaient. Au bout de quelques instants, toujours collés l'un à l'autre, ils se mirent en route. Mais cette fois, ils allaient droit devant eux, roulant de concert, sans plus se préoccuper des autres qui erraient toujours. Ils passèrent près du rocher de Draco, traversèrent le chemin et prirent approximativement la direction du Sud.
Pendant le quart d'heure qui suivit, il y eut d'autres collisions et d'autres couples se formèrent. Mais quand deux noirs ou deux gris se rencontraient, ils ne s'unissaient pas. Au contraire, ils se repoussaient. Pas de couples lesbiens ou gays chez les oursins ! A la fin, il ne resta que trois bestioles noires. Elles roulèrent encore un moment puis s'arrêtèrent et partirent aussi droit devant elles. Celles-là resteraient célibataires. Draco avait pris autant de notes qu'il le pouvait. Il avait aussi dessiné un plan indiquant dans quelles directions étaient partis les couples. Cela pourrait être utile, plus tard pour trouver des œufs. Mais combien de temps durait le voyage de noces des nouveaux mariés et où installaient-ils leur foyer ? Cherchaient-ils un endroit abrité, une touffe de Griffe du Diable, le pied d'un rocher ou les racines d'un buisson épineux pour s'arrêter ? Cela demanderait une autre enquête. Draco était déjà très satisfait de ce qu'il avait découvert.
Maintenant se posait la question. Restait-il des œufs dans le nid ? Le jeune homme mit prudemment pied à terre mais il n'y avait aucun danger. Par précaution, il sortit ses gants en peau de crocodile et les enfila. Il s'était aussi habillé en conséquence. Il portait des chaussures de marche, une veste à manches longues et un jean épais. Il faisait frais le matin dans le désert. Autour du cou, il avait une longue écharpe comme celle qu'il avait donnée à Boréa. Il la poserait en turban sur sa tête si le soleil devenait trop fort. Avisant à quelque distance une branche morte, il alla la chercher et tint aussi sa baguette magique prête.
Ce fut alors qu'il remarqua derrière lui un mouvement furtif. Il se retourna vivement et aperçut assez loin un fennec qui, le nez au ras du sable, se glissait en direction du nid. Comment le petit prédateur savait-il que les pierres qui défendaient les œufs avaient été déplacées ? Une odeur particulière chatouilla tout à coup le nez de Draco. Une odeur douceâtre, sucrée mais un peu piquante. Le renard des sables devait avoir un bon odorat. Il s'était mis en route dès que le nid avait été ouvert ! Et ce n'était pas tout, deux oiseaux se profilaient soudain assez haut dans le ciel. Des oiseaux multicolores aux ailes de rapaces. Hé bien, si Draco voulait des œufs, il allait devoir faire vite !
Vite mais prudemment. Les prédateurs avaient sans doute déjà mangé des œufs d'oursins. Il étaient immunisés contre le venin. C'était ce qu'avait dit Potter et il avait sûrement raison. Tenant fermement son bâton en main, Draco s'avança vers le nid ouvert. Mais il n'y avait plus d'oursins à l'intérieur et miracle, il restait une vingtaine d’œufs. Encore une chose à noter ! Les femelles espaçaient leurs pontes pour préserver l'espèce si un malheur arrivait à la première portée. La nature était bien faite ! C'était la dernière réserve et les œufs n'étaient pas très gros, preuve qu'ils n'allaient pas éclore dans l'heure suivante. Draco se hâta de les faire glisser dans le récipient étanche à l'aide de sa baguette magique et d'un Accio bien placé. Il laissa les deux derniers, à demi écrasés, inutilisables, il ferma le réceptacle en serrant le cordon et le rangea dans le sac de cuir. Puis il s'éloigna rapidement sur la route de l'Est, laissant derrière lui un fennec qui couinait et des oiseaux qui criaillaient de déception et se battaient pour les dernières cartouches. Heureusement, ils ne le suivirent pas.
Draco marcha encore pendant une bonne demi-heure et vit se profiler les trois arbres épineux aux troncs entrelacés. Avant de passer la barrière magique, il frappa sur le dernier rocher. La voix du garde lui parvint.
-C'est vous Maître Draco ? Nous commencions à nous faire du souci. Dame Elizéa était prête à repartir avec ses droma. Tout va bien ?
-Oui, n'ayez crainte. Remerciez Dame Elizéa de sa gentillesse. J'ai seulement marché sans me presser. Je passe la barrière. Adieu.
Il sentit la magie devant lui et prononça la formule :
« Ghanzibo akomara, le peuple de Ghanzi te salue »
Il se dirigea vers les arbres, enleva une pierre du monticule et la jeta un peu plus loin. C'était fini, il avait quitté le territoire magique. Il regarda le soleil et l'ombre portée par le feuillage sur le sol. Il était en avance. Maître Ndiapo ne viendrait que dans une heure ou deux. Par Gammla et Uuuiiu, il avait recommandé à Draco de l'attendre. Le jeune homme, fatigué par sa longue marche et incommodé par la chaleur ambiante, s'assit sous les arbres et patienta. Au bout d'un moment, il dodelinait du chef et pour plus de confort, il s'allongea sur le tapis moelleux d'épines sèches. Il rêvait tout éveillé et bien sûr, au lieu de penser à son retour à Londres, à sa mère ou à Solman et Griffith, il pensait à … à ...
Et soudain, Potter fut là, devant lui, pâle et mince dans son pagne de palme, souriant … Souriant oui, mais bizarrement, ça ne ressemblait pas au sourire chaleureux de Harry. C'était plutôt une sorte de rictus moqueur. Le Griffondor penchait un peu la tête de côté, les yeux à demi fermés, les bras croisés sur sa poitrine. Ses lèvres s'étiraient et se pinçaient en même temps et il se mettait à rire … comme si … comme s'il venait de faire à quelqu'un une bonne farce … et ce quelqu'un c'était lui, Draco Malfoy ! Potter se foutait de sa gueule et derrière lui, d'autres personnes se tordaient aussi de rire.
Les libres sorcières par exemple, Dame Elizéa en tête. Elles le montraient du doigt et se tapaient dans les mains en riant à gorges déployées. L'énorme Dame Swazia avait la bouche grande ouverte, elle lançait en l'air ses bras potelés et chaque fois, une chauve-souris s'envolait et tournait autour d'elle. Maître Felaro était plus discret mais lui aussi riait en cachant son visage derrière sa main. Et Madibo ! En costume de danseur, aux longs yeux enjôleurs et à la grâce ambiguë, qui lui faisait signe tout en embrassant son chanteur. Et soudain Maître Ndiapo arrivait, écartait tout le monde et se penchait vers lui en ricanant.
«Je vous l'avais bien dit ! C'est un nigaud, un imbécile qui croit tout ce qu'on lui dit. Il a réveillé Maître Harry, c'était le but de sa venue à Ghanzi-Sa. Nous n'avons plus besoin de lui. Laissons-le ici, le désert s'en chargera. Toi, disait-il en s'adressant à Riad, le conducteur de carriole, prends son bâton magique et jette-le au fond du puits perdu pour qu'il ne puisse plus le retrouver. C'est le même que celui du mauvais sorcier qui nous a fait tant de mal. Et toi, ajoutait-il pour Iméo qui dansait de joie derrière les autres, coupe ses cheveux d'argent. Ils ne brilleront plus sous le soleil. Ecartez-vous, voilà les abeilles de Ama Zié, elles lui laisseront un souvenir de nous. Et Maître Harry ne sera pas là pour le guérir.
Ils continuaient tous à rire. Ils étaient de plus en plus nombreux. Mais Draco fut soulagé de constater l'absence de Ama Saé, de Ama Déolida et de Maître Siwo et aussi celle de Boréa. S'ils avaient été là, parmi les autres, à se moquer de lui, ça aurait été pire que tout. Maintenant, il sentait l'épouvante monter en lui. Les rires n'étaient plus seulement moqueurs, ils étaient méchants. Les ricanements se faisaient haineux, comme autrefois à la fin de la guerre, quand les juges envoyaient les Mangemorts et leurs alliés à Azkaban. Quelques sorciers avaient en main leur bâton et Draco s'attendait à recevoir des sortilèges, peut-être même des coups. Mais ce n'était rien à côté de la douleur qui lui serrait le cœur. La trahison était pire que la souffrance physique et la déception qu'elle provoquait était cent fois doublée parce que c'était Harry qui l'avait trahi.
Il lui avait fait croire en l'amitié et c'était une duperie. Juste pour qu'il lui vienne en aide, pour qu'il le sorte du trou noir où il languissait. Potter l'avait attiré dans ses filets et maintenant qu'il ne lui servait plus à rien, il le rejetait. Il s'en foutait royalement que Draco se soit attaché à lui ! Les guérisseurs allaient découvrir le remède à son empoisonnement et il reprendrait joyeusement sa vie d'aventures sur les chemins du monde. Pendant que lui garderait sans espoir son souvenir dans les brumes de Londres. Parce qu'il ne l'oublierait pas, comme ce traître le lui avait demandé juste avant son départ ! D'une voix si pressante ! Etait-ce sa vengeance pour leurs querelles d'autrefois ? Avait-il attendu tout ce temps pour écraser ainsi celui qui le méprisait dans sa jeunesse ? Cela semblait impossible et pourtant cela était.
La foule s'éloignait en ricanant toujours et disparaissait dans la brume blanche qui avait éloigné les éléphants du désert. Il ne restait que Potter. Il était debout dans le soleil alors que lui était étendu par terre dans une ombre pesante. Il était libre alors que lui se sentait prisonnier des ténèbres. Il était beau, il rayonnait dans la lumière avec sa peau blanche, ses yeux verts étincelants, ses cheveux qui l'auréolaient de mèches brunes ondulantes et surtout avec son doux sourire trompeur. Pendant que lui sentait la Marque Noire de son bras grandir et le recouvrir entièrement de sa souillure indélébile. Et puis Potter lui faisait de la main un petit signe désinvolte, il se détournait et s'éloignait sans se retourner, sans écouter les appels étouffés que Draco essayait de lancer vers lui.
C'était vrai, il étouffait. Les arbres l'avaient saisi, ils l'enserraient dans leurs racines dures et leurs branches épineuses. Il était paralysé, entraîné, englouti petit à petit dans la terre sableuse. Il allait y disparaître pour toujours. Il ne pouvait ni bouger, ni crier. C'était pire que le plus horrible des cauchemars. Personne ne viendrait à son secours, ni Narcissa, ni Lizzie, ni même Lovegood qui pourtant l'avait saisi par le bras et tentait de le dégager de sa prison de bois vivant. Elle le secouait et il entendait sa voix bizarrement déformée qui criait :
« Draco ! Draco ! Réveille-toi au nom des Dieux ! Tu as attrapé la Fièvre des arbres ! Regarde-moi ! Reviens parmi les hommes ! Sinon les Esprits Mauvais te tiendront pour toujours !
Il revenait. Péniblement. Les racines le lâchaient et rentraient sous terre. Les branches cessaient d'enfoncer leurs griffes aiguës dans son corps. Il quittait l'ombre noire et se retrouvait dans la lumière, ébloui par les rayons du soleil de midi. Ce n'était pas Lovegood qui le tirait par le bras et lui criait dessus. C'était Maître Ndiapo, l'air affolé, qui peu à peu reprenait un visage plus serein et s'asseyait à côté de lui en poussant un soupir de soulagement.
-Hé bien, reprenait-il d'une voix plus calme, tu m'as fait une belle peur, Draco. Pourquoi t'es-tu allongé sous les arbres ? On ne t'avait pas dit que c'était dangereux ?
-Heu … Non … Personne ne m'a rien dit … Qu'est-ce qui s'est passé ?
-Tu rêvais n'est-ce pas ? Tu faisais un horrible cauchemar ? Tu étais raide comme un bâton et le râle qui sortait de ta bouche était un râle de mourant. Dès que je suis arrivé, j'ai vu que la Fièvre te tenait. Ces arbres ne sont pas dangereux par eux-mêmes. Mais ils ont accumulé beaucoup de magie et si quelqu'un s'endort sous leurs branches, les maléfices qu'ils ont conjurés à l'entrée du territoire magique ressortent et attaquent l'imprudent sans défenses. Ce sont des Esprits Mauvais. Ils entrent dans la tête du dormeur et provoquent des cauchemars. Si cela dure trop longtemps ou si le sorcier n'a pas assez de résistance, ces idées noires peuvent s'incruster et il est très difficile de soigner le malheureux malade. Car on ne sait pas à quoi il rêve. En général, à quelque chose qui lui tient à cœur mais qui est déformé par la présence des Esprits. Tu as eu de la chance que je sois arrivé à temps pour te tirer d'affaire. Tu gémissais, tu appelais … A quoi rêvais-tu ?
Draco reprenait peu à peu ses esprits. L'horrible cauchemar le laissait sans forces. Mais il avait encore assez d'énergie pour dire avec colère :
-Il est bientôt temps de vous en inquiéter ! Pourquoi ne m'a-t-on rien dit ? Je ne me suis même pas aperçu que je m'endormais !
-Calme-toi Draco. Le danger est passé. Te reste-t-il un peu d'eau venant de la cité ? C'est le meilleur remède contre la Fièvre. Tu as dû te rendre compte qu'elle était magique, n'est-ce pas ?
Draco lui lança un regard furieux mais chercha dans son sac la petite gourde qu'il avait emportée. Il n'en avait pas eu besoin puisqu'il avait bu du café avec Maître Epofa et Dame Elizéa – mauvais souvenir, elle faisait partie du rêve –. Il but et se sentit tout de suite mieux. Mais sa colère n'était pas éteinte. Il craignait surtout d'avoir dévoilé le plus important, le nom de son cauchemar.
-Qui est-ce que j'appelais dans mon rêve ? Ma mère Narcissa ? Mon amie Lizzie ?
-Non … répondit Maître Ndiapo après une hésitation. - Il avait reconnu le nom de Harry dans les plaintes du rêveur, mais ce n'était pas une chose à dire, cela pouvait être utile par la suite. - Tu gémissais mais on ne comprenait pas ce que tu disais. Te sens-tu déjà mieux ? M'as-tu rapporté des œufs d'oursins ?
-Bien sûr, jeta Draco avec rancœur. Et j'ai failli me faire piquer moi aussi ! Les œufs étaient en train d'éclore et si vous voulez tout savoir, j'ai sauvé le reste des prédateurs. Un joli petit fennec et quelques oiseaux de proie n'en auraient fait qu'un bouchée. Et j'ai aussi un panier de mirabilis. Tout ceci mérite une bonne palabre et un troc équitable. Nous en reparlerons … Etes-vous certain, Maître Ndiapo, que ce que j'ai vu sous les arbres n'était qu'un rêve ? Qu'il n'y a rien de vrai là-dedans ?
« Oh oh ! pensa le guérisseur, il a été plus touché que je ne le croyais. Y aurait-il anguille sous roche entre lui et Harry ? Intéressant ! »
-Ne crains rien Draco, tout est faux. Efface ce cauchemar de ton souvenir. Viens, rentrons à la maison. On nous attend pour un en-cas. Ensuite, nous passerons aux affaires sérieuses.
«Effacer, effacer, c'est vite dit ! Et si malgré tout c'était vrai et que Harry n'en ait rien à faire de moi ? »
Tenant fermement en main sa baguette magique – qui n'avait pas été jetée dans le puits perdu ! - Draco transplana aux côtés de Maître Ndiapo, pas encore très rassuré sur sa dernière aventure dans l'enclave magique de Ghanzi-Sa, mais prêt à batailler du mieux possible au petit jeu subtil du troc à qui perd gagne. .
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L'avion ronronnait et Draco somnolait. Demblé, le fils musicien de Maître Ndiapo, se débrouillait très bien chez les N'Saé. Il lui avait réservé une place sur le Gaborone Londres avec une escale à Lisbonne, mais les passagers en transit ne seraient pas obligés de descendre de l'appareil. Le jeune homme blond n'était pas non plus aussi confortablement installé que lorsqu'il voyageait pour le compte de Solman et Griffith, une mallette contenant des pierres précieuses attachée par une chaîne à son poignet. Mais son voisin n'était pas envahissant et le plateau-repas était correct. Le voyage serait long, il n'arriverait pas à l'aéroport de Londres avant minuit. Il se reposait donc le plus possible, son siège en position relax et des boules Quiès dans les oreilles.
Il repensait à la palabre de la veille. Il avait bien mené sa barque. Il rentrait avec les gallions qu'il avait mis en gage auprès du guérisseur, car ce qu'il rapportait – les œufs d'oursins, les mirabilis, la cire et le miel de palme, plus tous les renseignements qu'il avait pu glaner sur le traitement de Harry - valait beaucoup plus que quelques pièces d'or. Du coup, Draco avait aussi troqué un baume souverain contre les douleurs dont souffrait parfois Narcissa, une crème de soins pour les mains et les pieds qui, il le savait, ferait plaisir à Lizzie et, cerise sur le gâteau, trois épines d'oursins toutes fraîches.
A quoi allaient-elles lui servir, il ne le savait pas très bien. Il s'était dit qu'il pourrait lui aussi faire des recherches pour la guérison de Harry. Il était bon autrefois en potions. Mais maintenant qu'il était sur le chemin du retour, l'entreprise lui semblait vouée à l'échec. Et puis pourquoi se donnerait-il du mal pour Potter ? Peut-être que ce qu'il avait vu en rêve sous les arbres épineux était vrai finalement ? Tous ceux et toutes celles qu'il avait connus à Ghanzi-Sa n'avaient peut-être qu'une idée en tête, aider leur chamane à guérir. Et Potter lui-même lui avait peut-être aussi joué la comédie, comme les autres. Peut-être … Peut-être … Draco Malfoy s'embrouillait dans ses pensées et ne savait plus où il en était.
Il ignorait qu'on avait jeté sur lui un léger sortilège de Confusion, pas un Obliviate non, mais quelqu'un avait intérêt à lui faire oublier Harry Potter, et les souvenirs qu'il gardait de son séjour dans la cité magique s'estompaient. Tout paraît différent quand le lieu et l'ambiance changent. Draco allait retrouver sa tranquille existence d'expert en pierres précieuses. Il rangerait sa baguette magique dans un tiroir de sa commode. D'ailleurs, il n'en avait rien à faire du monde des sorciers. Soudain, il repensa à Azkaban, aux procès, aux moqueries et aux attaques dont il avait été victime, à sa mère obligée de vendre ses derniers biens personnels pour vivre … A son père qui se mourait en prison, qui était peut-être même déjà mort …
Et le fiel lui monta aux lèvres. Mais qu'est-ce qu'il était venu faire en Afrique au lieu de profiter de ses premières vraies vacances, en croisière aux Caraïbes ? Ah oui ! Lovegood et ses jumeaux se mourant de la dragoncelle ! Comme c'était loin déjà tout ça ! Le dernier souvenir assez précis qu'il gardait de toute cette aventure, c'était cette discussion qu'il avait eue avec Demblé et Dirang, son petit frère de dix ans, le soir de son retour avec Maître Ndiapo à Molepolole. La palabre et le troc avaient duré une bonne partie de l'après-midi. Il était trop tard pour regagner la capitale et chercher un hôtel pour la nuit. Dame Ndiama, la sœur du guérisseur, avait proposé à Draco de dîner avec eux, de dormir sur place et de partir le lendemain très tôt avec Demblé qui allait à son cours de musique en bus taxi. Fatigué par cette journée éprouvante, le jeune sorcier blond avait accepté, à la grande satisfaction de Gammla qui le couvait des yeux.
Il devait partager la chambre de Demblé, là où Harry Potter avait dormi avant de partir pour Ghanzi-Sa, se faisant piquer en chemin par une sale bestiole. Et justement, le jeune musicien et son petit frère qui les avait rejoints voulaient parler du Griffondor. Dirang avait été très impressionné par la description de Poudlard et depuis, il rêvait d'aller y étudier la magie occidentale. Harry avait parlé d'un échange d'étudiants entre l'école anglaise de sorcellerie et les instituts sorciers des pays qu'il visitait, selon les recommandations du Ministère de la Magie. Et cette partie du discours n'était pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Le jeune garçon voulait savoir comment faire pour réaliser son rêve, s'inscrire à Poudlard et partir pour le lointain pays évoqué par Harry.
Bien sûr, son père n'était pas au courant, enfin il le croyait. Oui, il avait des dons de guérisseur comme la plupart des membres de sa famille mais il voulait en savoir plus. Et oui, il était au courant pour le climat très froid. Il ne savait pas ce que c'était que la neige mais il suffisait de bien se couvrir, non ? Harry avait parlé de robes de sorciers et aussi de grandes capes. En plus, il parlait bien anglais et son père était assez riche pour payer le voyage et les études. Ce serait une gloire pour les Mongafa si l'un des enfants faisait de « grandes études » ! Harry avait prononcé des mots magiques : cours de Métamorphoses et d'Enchantements, vol sur balai et Quidditch, Maisons Griffondor et Serpentard, Forêt Interdite et calmar géant dans un lac qui gelait en hiver … C'était quoi, l'hiver ? Dirang était enthousiaste et Draco ne savait pas trop comment calmer sa fièvre voyageuse. Mais au fond, pourquoi vouloir couper les ailes à son rêve ?
Il avait conseillé au jeune garçon d'envoyer sa candidature au Ministère de la Magie à Londres en passant par l'adresse du Chaudron Baveur. Il pensait que Potter était un trop bon conteur et qu'il avait un peu trop enjolivé les choses. Satané Griffondor idéaliste ! Un jeune Africain dans les brouillards d'Ecosse ! Une bouffée de nostalgie le prit. Mais ce qui lui venait à l'esprit, ce n'était pas sa rivalité avec Harry, c'était la Grande Salle à Manger et ses quatre longues tables, les couloirs et les escaliers avec leur cortège de folles poursuites et leurs rires sonores, la cave voûtée où Severus Snape donnait ses cours de potions, la Tour d'astronomie, noire sous les étoiles et, assis à la table des Professeurs, Albus Dumbledore qui donnait toujours une deuxième chance à ceux qui s'étaient trompé de chemin. Le passé n'était pas fait que de mauvais souvenirs. Et puis, il y avait eu Kristoff et un baiser échangé sous le Hêtre tortueux … Un baiser qui avait été une révélation …
Draco remua un peu sur son siège et ses mains se crispèrent. Mais ses pensées dérivèrent ensuite vers Demblé. Une fois son petit frère parti dormir avec les plus jeunes enfants de la famille, le jeune musicien avait évoqué ses propres rêves. Lui voulait aller à Londres avec son groupe pour participer à un grand concert. Pas chez les sorciers, les musiciens et l'autre chanteur étaient des N'Saé. Mais il avait entendu parler d'une organisation qui faisait venir des troupes de différents pays du monde pour des rencontres internationales de musique. Draco savait-il quelque chose là-dessus ? Malheureusement, le jeune homme blond ne s'intéressait pas spécialement à la musique. Il avait tout de même promis de se renseigner et ils en reparleraient quand il reviendrait au Botswana. Demblé lui avait rappelé sa promesse dans le bus-taxi qui les emmenait le lendemain matin à Gaborone.
Bien pratiques, ces bus-taxis ! En plus, celui-là était magique ! Le conducteur avait klaxonné en bas de la rue qui menait chez les Mongafa. Le jeune musicien avait réservé deux places. On les attendait. Draco avait fait un signe d'adieu à la famille et c'était au moment où il passait le portail de la cour qu'un sortilège l'avait discrètement atteint. Une pensée à son bâton sorcier soigneusement « rangé » dans sa chambre, un petit mouvement du poignet, trois mots d'incantation prononcés en sourdine, et Gammla avait « embrumé » les souvenirs du beau sorcier « aux cheveux d'argent brillant sous le soleil ».
Elle avait essayé plusieurs fois d'attirer son attention, l'après-midi pendant la palabre, le soir au dîner et même maintenant au moment du départ. Mais il était toujours question de Harry Potter. « Et merci pour tous vos renseignements sur notre cher malade ! » et « Je reviendrai dès que possible, bonne chance pour vos recherches sur le remède ! » et Potter par ci, et Harry par là … Draco n'avait pas fait attention à elle. Elle en avait été vexée. Et elle s'était vengée.
Trois mots dans une langue si ancienne que plus personne ne l'utilisait sauf les sorciers de grande lignée. Trois mots qui évoquaient un tissage où on enlevait un fil sur trois. Où on estompait des morceaux de souvenirs dans la tête d'une personne que l'on regardait fixement. Elle l'avait regretté aussitôt fait. Mais c'était trop tard. Enfin, ce n'était qu'un petit sortilège, ça ne portait pas à conséquence.
Sauf que ça concernait Harry. Et que Draco n'avait pas pu se défendre car il n'avait rien senti. Un fil sur trois et dès le voyage dans le bus taxi, le séjour à Ghanzi-Sa et tout ce qui s'était passé à ce moment-là avait commencé à ressembler à un mirage. Il avait eu l'impression de revenir sur terre au sortir d'un rêve …
Il quittait le monde des Saé, des sorciers, là où le véhicule de transport était extensible car il y avait douze passagers pour sept places normales, où on ne sentait ni les bosses ni les trous de la route et où le trajet jusqu'à la capitale ne durait qu'une demi-heure … Pour regagner le pays des N'Saé, le monde sans magie des Moldus. Pour lui, le conducteur avait continué sa route jusqu'à l'aéroport. Et Draco était monté dans l'avion avec une impression de liberté et de soulagement, comme quand on est enfin débarrassé d'une corvée et qu'on va retrouver sa tranquillité.
Oui, Draco Malfoy était content de rentrer à Londres. Et à Ghanzi-Sa, Harry Potter commençait à l'attendre.
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