Chamane 7 : La cape d'invisibilité.
Tard le soir, après leur entrevue avec la Grande Maîtresse de Ghanzi-Sa et sa suite, Maître Ndiapo et Draco tenaient conseil.
Le jeune homme blond avait dîné dans la grande case des voyageurs mais il ne s'était pas attardé. Quelques sorcières désœuvrées avaient fait petit à petit leur apparition et regardaient ostensiblement de son côté. Il avait gardé les yeux baissés selon le conseil du guérisseur et n'avait pas eu vraiment le temps d'apprécier l'excellence et la fraîcheur des mets préparés. Il avait lancé discrètement des sorts de reconnaissance sur la nourriture et la boisson. Mais il n'avait pas décelé d'ingrédients suspects. C'était une sorte de buffet où les voyageurs venaient se servir. Il était difficile de droguer des plats communs à tous. Il avait ensuite regagné sa case et l'avait « enclose » par un sortilège comme lui avait conseillé Maître Ndiapo.
Pendant ce temps, le guérisseur avait rendu visite à son fils et il avait naturellement été invité à dîner chez le cousin de sa défunte femme. La palabre avait été longue. La disparition de Harry Potter était de toutes les conversations et Offentsé qui, pour ses travaux pratiques, allait chaque jour dans la case des malades, était au courant de beaucoup de choses. Maître Ndiapo était donc revenu avec des informations qu'il avait glanées dans sa famille et en chemin. Il était allé dans la chambre de Draco pour faire le point avec lui. Voilà ce qu'il avait appris.
Le jeune homme étranger qui avait été piqué par un oursin des sables – Harry Potter donc, qu'on appelait ici Maître Harry avec une nuance de respect – avait commencé à « disparaître » depuis un peu plus d'une lune mais il était vrai qu'on ne l'avait pas vu depuis trois jours entiers. Les autres fois, il restait « absent » quelques heures mais il revenait toujours le soir. Le conseil de la cité avait commencé à s'inquiéter et maintenant c'était presque la panique. On le recherchait partout, dans la ville et au dehors mais il était introuvable. Les dromadadaires, montés par des gardes, patrouillaient tout autour de la cité et même loin dans le désert, au cas où le jeune homme se serait perdu ou qu'il aurait fait un malaise … Enfin c'était la version officielle. Ama Saé craignait surtout qu'il n'ait décidé de quitter la cité et de rentrer chez lui. Mais comment, handicapé comme il l'était par les conséquences de son accident … ?
Au début de sa maladie, il avait été soigné dans la case des grands malades. C'était assez difficile car on ne pouvait le toucher directement sans le faire hurler de douleur. Les guérisseurs avaient utilisé au mieux les ressources du palmier Hyphaene, pour son lit, ses couvertures, sa nourriture et sa boisson. Quand il avait pu se lever, pour ne pas qu'il reste nu, les femmes lui avaient tissé une large ceinture et un pagne qui lui descendait à mi-cuisse, le tout en fibres fines de palmier. On lui avait aussi fabriqué des socques de bois à lanières pour qu'il puisse poser le pied par terre sans ressentir de brûlure. Tout ce qui se trouvait autour de lui était fabriqué avec le bois de l'arbre et les guérisseurs ne le touchaient qu'avec des gants en feuilles. Et encore ! Le moins possible !
On avait essayé de lui faire manger divers aliments car il ne pouvait survivre en buvant seulement de l'eau et de la sève de palme. Mais il ne pouvait avaler que certaines sortes de légumes verts et quelques fruits crus peu sucrés. La seule céréale que son corps acceptait, c'était le riz qu'il fallait acheter dans une ville non sorcière car Ghanzi-Sa n'en cultivait pas. Ce n'était pas un produit typique du pays. On le faisait cuire dans l'eau profonde qu'on puisait sous les palmiers. Tout le territoire de Ghanzi se situait au-dessus d'une nappe phréatique très pure et très abondante. C'est pourquoi elle ressemblait à un superbe écrin de verdure. C'était peut-être cette eau qui rendait le riz acceptable pour le malade. Heureusement, son corps tolérait le sel.
Car le jeune sorcier vomissait tout ce qui ne lui convenait pas et souffrait beaucoup. Par exemple, il ne supportait ni viande, ni œuf, ni poisson. Mais il pouvait boire le lait des femelles dromadadaires et manger leur fromage. Ces essais avaient pris deux lunes et pendant ce temps, le malade s'affaiblissait et maigrissait. Il devait ressembler à ce que Draco avait vu dans ses rêves, un jeune homme nu, au visage creusé, aux os pointant sous la peau trop blanche. Enfin on avait pu lui trouver un régime adapté et il avait repris du poids et des forces.
C'était une bonne expérience pour les guérisseurs, ils pourraient ainsi soigner d'autres personnes qui se feraient piquer par un oursin. Jusqu'à maintenant, tous ceux à qui c'était arrivé étaient morts au bout de quelques jours. Cet accident était assez rare car les sorciers de Ghanzi savait reconnaître les endroits où nichaient ces étranges bestioles. Par exemple, ils se méfiaient des touffes d'Harpagophytum. Ils s'en approchaient en sondant le sol devant eux avec leur bâton-sorcier, ce que Harry ignorait. Mais cela faisait deux années que les oursins des sables avaient disparu. Peut-être la race s'était-elle éteinte.
Aussi quand le martèlement des pierres sur la route de l'Est avait annoncé qu'on avait découvert un nid, l'ambiance avait été plutôt à la joie, même si on disait en même temps que quelqu'un avait été blessé. Enfin le jeune sorcier étranger devait avoir de grands pouvoirs car il n'était pas mort. Harry Potter était décidément un Survivant. Maître Ndiapo avait enregistré dans sa mémoire tout ce qu'on lui avait dit à propos des soins qu'on lui avait donnés. Il comptait bien faire noter toutes ces révélations dans le livre que Gammla écrivait pour leur famille. Offentsé serait aussi d'une aide précieuse.
A son retour à la case des voyageurs, le sorcier avait expliqué à Draco ce qui s'était passé depuis six lunes sans entrer dans les détails. La mention d'un Harry Potter vêtu seulement d'un pagne tissé avait fait sourire le jeune homme blond. Mais les souffrances que son ex-ennemi avait endurées l'avaient tout de même touché. C'était toujours comme ça avec lui ! On en venait presque à l'admirer et à le plaindre … un petit peu.
Mais les mésaventures de Potter ne s'arrêtaient pas là. Maître Ndiapo avait eu d'autres renseignements. Quand le jeune sorcier avait été presque guéri, au bout de trois lunes, on l'avait installé dans la case commune de soins, avec les autres malades, car il avait besoin de compagnie. Là encore, on lui avait aménagé un espace particulier. Il parlait mal le tswana' mais il apprenait vite car il laissait son esprit ouvert. Il communiquait facilement avec ses compagnons de chambre. Il était en particulier à l'aise avec les enfants hospitalisés et les distrayait par des histoires, des chansons ou des images dans leurs têtes.
C'est alors qu'on avait découvert son don : à cause du venin d'oursin qui était resté dans son corps – malgré tous leurs efforts, les guérisseurs de Ghanzi n'avaient pas réussi à le faire sortir de son sang – Maître Harry avait le pouvoir de guérir les maladies infectieuses qui se manifestaient par des boutons, des cloques, des pustules ou des plaques douloureuses, comme les eczémas, la rougeole, la gale, les œdèmes, les ulcères … Il lui suffisait de poser la main droite sur la personne malade et elle guérissait dans l'heure suivante.
Les Maîtres pensaient que le venin d'oursin passait directement par sa peau et tuait la maladie. Ils étaient sûrs que le miracle se produirait même sur la lèpre, la peste ou la variole mais il n'y avait pas encore eu de cas de ce genre à traiter. Heureusement ! Et ce n'était pas tout ! Le même pouvoir agissait sur les brûlures et sur les plaies ouvertes des personnes blessées. Elles se refermaient rapidement et ne s'infectaient jamais. Les épidémies et les accidents étaient rares à Ghanzi-Sa. Sur une population d'à peu près deux mille résidents fixes, plus environ trois cents étudiants ou visiteurs, la case des soins ne comptaient en général qu'une vingtaine de patients. Mais la présence de Maître Harry permettait des guérisons plus rapides et évitait de recourir trop souvent aux onguents et potions.
Il y avait un revers à la médaille. Au moment où il posait la main sur le malade ou le blessé, le jeune sorcier souffrait beaucoup, comme si la douleur de l'un passait dans le bras de l'autre. Ça ne durait pas longtemps mais c'était pénible à supporter. Parfois le jeune homme ne pouvait retenir un cri ou un mouvement brusque mais dès qu'il s'était aperçu de son don, il l'avait utilisé pour soulager les autres malgré sa souffrance. Sa première expérience de guérison était le fruit du hasard. Il chantait une comptine à des enfants en mimant les gestes et une petite fille avait attrapé sa main en riant. Il n'avait pas ressenti la brûlure habituelle mais plutôt un choc douloureux. Il avait poussé un cri en secouant sa main.
La gamine aussi avait crié mais c'était de joie. Les boutons qui couvraient son visage et ses bras avaient séché en quelques minutes et ses démangeaisons avaient brusquement cessé. Les guérisseurs n'avaient pu que constater sa guérison. On avait renouvelé l'expérience avec d'autres patients et la plupart du temps, le soulagement avait été rapide. Harry Potter ne pouvait rien contre la colique ou le coryza mais sous ses doigts, les plaies infectées se refermaient avec une peau douce et saine. Dès lors, on l'avait nommé d'office « Maître Harry » et pour toute la communauté sorcière de Ghanzi, il était redevenu un Sauveur et ça ne lui plaisait pas vraiment. Il avait déjà connu ça et se serait bien passé de sa nouvelle célébrité mais le moyen de faire autrement …
Au bout de deux lunes, pour qu'il soit plus tranquille, Ama Saé lui avait fait attribuer une chambre individuelle dans la grande case de cérémonie. Tout ce qui s'y trouvait provenait du palmier, tout, sauf un simple objet posé sur un coffre de bois. Son sac de voyage qu'il n'avait pas revu depuis son accident. Maître Harry avait remercié le conseil pour toutes les faveurs qui lui étaient accordées. On l'avait copieusement remercié aussi pour les bienfaits qu'il apportait à la cité. La palabre avait duré le temps qu'il fallait pour contenter tout le monde. C'était quelque temps plus tard qu'il avait commencé à disparaître.
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La nuit était tombée depuis longtemps et la lune avait fait dans le ciel étoilé une bonne partie de son voyage. Maître Ndiapo avait résumé pour Draco tout ce qu'il avait pu apprendre. Un silence de réflexion s'était installé entre les deux sorciers. Puis le guérisseur reprit la parole :
« Une seule chose est sûre. Cette disparition n'a rien à voir avec notre venue à Ghanzi-Sa. Nous arrivons seulement à un moment particulier. Toi qui connais Harry depuis longtemps, qu'en penses-tu ? Lui est-il déjà arrivé des choses extraordinaires ?
-Plus que vous ne pouvez l'imaginer Maître Ndiapo ! Harry Potter est un spécialiste des aventures étranges. Outre le fait qu'il ait vaincu le plus grand Mage Noir du siècle, il avait le don de se fourrer dans toutes sortes d'aventures dangereuses et il s'en sortait toujours. Il disait qu'il avait de la chance mais c'était aussi un puissant sorcier, je dois le reconnaître. C'est pourquoi j'ai tendance à le croire en sécurité quelque part.
-Les dangers qui guettent un jeune sorcier étranger à Ghanzi sont multiples Draco. Enfin, il était au moins à l'abri des tentatives de séduction. Mais il a peut-être été victime d'un envoûtement. Pour le garder dans la cité, les sorciers ou surtout les sorcières ont pu le soumettre au sortilège d'Oubli ou de … je ne sais pas comment dire dans ton langage, un sort qui oblige quelqu'un à obéir à un ordre quel qu'il soit.
-Un Imperium ? Potter l'aurait senti et contré. Il avait suivi un entraînement spécial pendant la guerre.
-Pas s'il se trouvait en situation de faiblesse comme après son accident. Il ne pouvait peut-être pas se servir de son bâton-sorcier. Une baguette magique comme la tienne. Longue et mince. Si elle n'est pas en bois de palmier, il ne peut pas la prendre en main comme tu le fais toi-même. Un envoûtement n'est donc pas à écarter. Ce que je ne comprends pas, c'est son don de disparition. L'avait-il autrefois ?
-Pas que je sache mais il y a tant de mystère autour de lui. Je le connaissais très peu finalement. Nous passions notre temps à nous détester et à nous battre. Mais je sais qu'il pouvait parler aux serpents.
-Oui je l'ai vu à l’œuvre. C'est un homme étrange que Maître Harry. Je m'en suis rendu compte quand nous avons fait ensemble une veillée de mémoire, une cérémonie où sous l'influence d'un breuvage spécial, nos esprits se libèrent de nos corps. Depuis, je le considère un peu comme quelqu'un de ma famille. C'est pourquoi je veux lui venir en aide. Mais comme tu le sais, je ne peux rester à Ghanzi-Sa trop longtemps. Même si Gammla est capable de me remplacer pour les soins de guérison, elle ne peut tout prendre en charge. Il faut éclaircir cette histoire. Moi, je partirai demain après-midi. Mais toi, peux-tu rester ?
La question abrupte prit Draco par surprise. Il protesta aussitôt.
-Certainement pas ! Je ne suis pas venu au Botswana pour Potter mais pour des épines d'oursin ! Je ne vais pas gâcher le reste de mes vacances pour courir après un insaisissable qui ne m'est rien ! Je rentre à Molepolole avec vous et je reprends l'avion pour Londres.
-Réfléchis Draco. Jamais plus tu n'auras la chance de revenir à Ghanzi-Sa ! Tu es invité par la Grande Maîtresse. Tu pourras découvrir tous les quartiers de la ville. Tu verras les sorciers à l’œuvre, les potiers, les tisseurs, les sculpteurs, les marteleurs de cuivre. Tu visiteras les plantations, on cultive ici des fleurs que tu ne verras nulle part ailleurs. Offentsé te guidera. Il te présentera aux Maîtres et aux Maîtresses du Savoir. Il y a dans la cité des endroits qu'aucun sorcier étranger n'a jamais vus …
-Il y a aussi toutes sortes de dangers, vous m'avez prévenu Maître Ndiapo. Potter s'en tirera très bien tout seul. Il n'a besoin de personne, de moi moins que de tout autre. A la rigueur, je veux bien rester un ou deux jours si vous restez vous-même. Mais si vous partez, je pars aussi.
-On peut peut-être trouver un arrangement. Je dois rentrer demain, je l'ai promis à ma mère. Un lointain cousin à nous est en route pour me voir avec un malade, un enfant possédé par le démon des songes. Toi, tu pourrais rester mais tu aurais un moyen de communiquer avec moi. Pour cela, je te révélerais encore un secret de Ghanzi, un secret que tu serais le seul étranger à connaître. Si tu courais le moindre danger, tu pourrais me prévenir et soit Gammla, soit moi, nous viendrions à ton secours. Juste quelques jours Draco ! Je te couvrirais de sortilèges de protection, tu ne risquerais rien …
-Un secret dites-vous ? Je ne promets rien mais de quel genre, ce secret ?
-Un animal magique Draco ! Tu connais déjà les oursins des sables. Ils n'existent nulle part ailleurs dans le monde. Tu as vu aussi les dromadadaires, les grands marcheurs du désert avec leurs ailes. Etonnant non ?
-Nous avons les sombrals et les hippogriffes dans le même genre.
-Mais nous, nous avons aussi les chauves-souris magiques !
-Je n'aime guère ce genre de bestioles.
-Elles nous permettent de communiquer Draco ! Ce sont des porteuses de courrier. Je peux en acheter une et l'emmener chez moi pour qu'elle connaisse ma maison. Ensuite je la renverrais ici et tu pourrais lui confier tes messages. Elle me les portera en quelques heures. De nuit bien sûr. Gammla me les lira et t'écrira ma réponse. Tu l'auras au petit matin. Nous resterons en contact. Tu ne seras pas seul. Qu'en dis-tu ?
-Des chauves-souris messagères … Pas mal ! Nous avons pour ça des hiboux ou des chouettes. Bien. Vous m'avez révélé un secret, enfin en partie. Je vais réfléchir. Je vous donnerai ma réponse demain mais je doute qu'elle soit positive. Je ne veux pas être entraîné dans une histoire avec Harry Potter. Il y a entre nous un fossé difficile à combler. Bien entendu, si je refuse votre proposition, je ferai un serment sorcier qui protégera le secret des chauves-souris magiques. Vous avez ma parole.
Maître Ndiapo n'insista pas. Il savait que la nuit portait conseil et il avait bien amorcé le troc. Il souriait en prenant congé. Quoi de plus excitant qu'un secret à partager ?
Draco n'était que très moyennement tenté. Des chauves-souris … Beurk ! Avec leurs ailes soyeuses et leur vol silencieux. Et leurs petites dents blanches et carnassières. Pas vraiment son truc. En plus, ça lui faisait penser au sortilège de chauve-furie, le sort préféré de la mini Weaslette d'autrefois. Etait-elle toujours la petite amie de Potter ? Zabini ne lui en avait jamais parlé … Enfin ce n'était plus son monde, Merlin merci !
? ? ? … Il grogna. Rien à foutre de la magie ! Vivement qu'il parte d'ici et qu'il rejoigne le côté des Moldus ! On y était bien plus tranquille ! Mais il ne serait pas dit qu'il passerait une nuit tranquille. Il commençait à se déshabiller quand une voix l'arrêta. Quelqu'un l'appelait à voix basse. « Malfoy ! Malfoy !» Il se retourna, scrutant les recoins de la case. Mais il était seul. Il alla regarder derrière le paravent qui dissimulait le coin toilette. Rien. Allons bon ! Il rêvait tout debout ! La journée avait été vraiment longue et fatigante.
Mais la voix reprit un peu plus fort « Malfoy !» et cette fois il la reconnut. Potter ! Mais il n'y avait personne ! Etait-il victime d'une hallucination ? Ce pays était bizarre, il s'y passait de drôles de choses ! Pas question qu'il reste ! Mais quand pour la troisième fois il entendit son nom, il répondit :
« Potter ? C'est toi Potter ?
-C'est moi. Je voulais te prévenir avant d'apparaître. Surtout ne t'étonne de rien.
Et soudain Potter fut là. Et Draco le regarda avec des yeux ronds, ne sachant pas s'il devait rire ou s'inquiéter. Son ex-ennemi était à demi nu. Il ne portait qu'une ceinture et un pagne, jolis d'ailleurs, finement tissés en fibres de plusieurs couleurs. Sa poitrine et son bras droit étaient marqués de longues griffures et ses jambes étaient blanches et maigres. Il était chaussé de socques de bois à lanières tressées mais ses pieds étaient rouges et semblaient lui faire mal. Il avait un peu l'air d'un hibou parce qu'il ne portait pas ses habituelles lunettes rondes et qu'il écarquillait les yeux. Il tenait à la main un grand morceau de tissu transparent aux reflets moirés. Mais surtout, il avait l'air complètement épuisé. Il se tenait un peu voûté et il cherchait son souffle. On aurait dit qu'il allait s'effondrer sur le sol d'un instant à l'autre.
Draco avait été plus ou moins prévenu de la situation par Maître Ndiapo mais la réalité dépassait tout ce qu'il avait pu imaginer. Il fit un mouvement pour s'approcher mais Potter leva la main pour l'arrêter.
-Non, ne me touche pas. Ecoute, je n'ai pas beaucoup de temps. Il faut que j'aille dans ma chambre à la grande case pour boire et manger. J'espère qu'il y aura ce qu'il faut. J'ai marché dans le désert pendant deux jours. Je me suis perdu. Enfin je te raconterai plus tard. Je dois d'abord me reposer. J'ai entendu ta conversation avec Maître Ndiapo. Il faut que tu restes Malfoy ! J'ai besoin de toi. Sinon je ne pourrai jamais partir d'ici.
Draco devait avoir l'air ébahi car Potter lui fit un demi-sourire qui ressemblait plutôt à un rictus de souffrance. Malgré son sang-froid habituel, le jeune homme blond ne trouva rien d'autre à dire qu'une question qui lui parut aussitôt idiote :
-Potter … Comment fais-tu pour disparaître et apparaître ?
-La cape d'invisibilité de mon père, répondit Harry en soulevant le grand morceau de tissu qui traînait au sol. Puis il enchaîna : je vais certainement dormir longtemps. Ne dis à personne que tu m'as vu, même pas à Maître Ndiapo. Mais reste. Je te contacterai demain à visage découvert. C'est d'accord ?
Draco hésita un instant. Son côté Serpentard n'aimait guère les situations délicates où il fallait prendre des décisions sans avoir eu le temps de réfléchir. Mais dans la pénombre, il vit briller les yeux de Potter. Des yeux verts. Comme les émeraudes de Muso. Non il ne croyait pas aux signes du Destin. Mais cette fois, c'était différent. Dans ces yeux, il y avait un mystérieux appel. Presque malgré lui il acquiesça :
-C'est d'accord. Va te reposer. A demain. »
Un geste rapide des bras et Potter ne fut plus là. La porte de la case s'ouvrit à peine quand il sortit. Draco se demanda comment il avait passé le sortilège d' « enclose », ce devait être un effet de la cape magique. Et soudain il se rendit compte que porté par les événements, il avait accepté de rester à Ghanzi-Sa pour … pour aider Potter ! Il avait perdu la tête ou quoi ? Aussi vrai qu'il s'appelait Malfoy, il allait être entraîné dans une histoire délirante, pleine de surprises et de dangers, comme le Balafré et ses deux acolytes en avaient vécu autrefois à Poudlard !
Lui, un sorcier passé du côté des Moldus ! Un homme d'affaires avisé, expert en diamants et en pierres précieuses ! Un grand voyageur qui prenait l'avion comme d'autre la poudre de Cheminette pour se rendre dans des pays du bout du monde !
Oui, enfin, un ex-Serpentard assez bête pour gâcher ses premières vraies vacances, et pour quelle raison impérieuse ? Pour les beaux yeux de Loufoca Lovegood ! Et prêt à remettre ça pour … les beaux yeux de Harry Potter ! Des yeux couleur d'émeraude d'accord et alors ? Rien à foutre !
Draco Malfoy, tout frémissant de colère contre lui-même, scruta les ombres de sa chambre à la recherche d'une mauvaise surprise de plus, mais il était seul. Pas de sorcière aguicheuse en vue. Tant mieux ! Il était tellement en rogne qu'il se serait montré grossier ! Lui, un Sang-Pur élevé dans la tradition de la plus exquise courtoisie ! Il se déshabilla et se coucha. A peine la tête sur l'oreiller, il s'endormit. Un sortilège ? Peut-être. Mais sa fin de nuit se passa sans rêves.
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Le lendemain matin, quand il alla déjeuner, Draco sentit tout de suite l'atmosphère joyeuse qui régnait dans la salle à manger. Les conversations bourdonnaient et une phrase dominait les autres : Maître Harry est de retour ! Et chacun, chacune y allait de son commentaire … Oui, on l'a trouvé ce matin endormi sur son lit, il ne s'est pas encore réveillé … Non on ne sait pas où il est allé, mais il a dû marcher longtemps le pauvre ! … Il s'est fait attaquer par une bête ! … Il est blessé ? Oui mais d'après les Maîtres Soigneurs, ce n'est pas grave ! Mais je croyais qu'il n'y avait aucun animal dangereux à Ghanzi-Sa ! … Et patati et patata …
Une jeune femme vint s'installer sans façons en face de Draco et le voyant se servir du thé, qu'il avait préparé lui-même par précaution, elle lui dit d'une voix charmeuse :
«Si vous préférez le café, venez jusqu'à ma case. J'ai du moka de Tanzanie, un régal !
-Et moi j'ai des petits pains au lait tout frais, ajouta une autre en se rapprochant. Je vous en apporte si vous voulez.
-N'écoutez pas ces péronnelles, commenta une femme plus âgée en balançant ses hanches. Venez plutôt chez moi, beau jeune homme. Moi, j'ai tout ce qu'il faut pour vous satisfaire.
Elles étaient toutes les trois grandes et belles, avec leur peau sombre et les lourds cheveux tressés, avec leurs robes qui galbaient parfaitement leurs formes pleines, avec leurs yeux enjôleurs et leurs sourires envoûtants. Hmmm … Un des nombreux dangereux sortilèges de Ghanzi-l'ensorceleuse … Draco se leva, s'inclina légèrement devant les trois tentatrices, sourit lui aussi puis baissa modestement les yeux.
-Mesdames, c'est trop d'honneur … Je ne puis accepter vos invitations. J'ai rendez-vous avec Maître Ndiapo. Nous nous verrons peut-être plus tard …
-Ah ! Vous restez ! Très bien ! Parfait ! A bientôt !
Elles riaient toutes les trois et la plus jeune fit à Draco un clin d’œil qu'il ne vit pas. La plus âgée la rabroua et son regard s'attarda sur les cheveux « argent brillant au soleil » dont parlait tout Ghanzi. Le sorcier étranger était là pour quelque temps … On allait se charger de lui faire oublier les heures et les jours … La compétition serait rude … Qui allait le faire succomber à ses charmes ? Chez laquelle des libres sorcières passerait-il ses nuits ? … Et qui aurait la chance d'avoir un joli bébé café au lait dans neuf lunes ? … Le sang sorcier avait besoin de se régénérer périodiquement. Alors quoi de mieux qu'un étranger pourvu d'un visage attirant, de beaux cheveux et de pouvoirs inédits ? Dans la case de cérémonie, la Grande Maîtresse souriait avec indulgence. Aucune de ses filles ne pouvait approcher Maître Harry. Elle le regrettait depuis six lunes. Mais ce nouveau venu … Quel était son nom déjà ? Ah oui … Draco …
Le dit Draco avait rejoint sans s'attarder Maître Ndiapo dans sa chambre. Il lui avait donné sa réponse et le sorcier avait souri. Bon troc ! Maintenant ils partaient tous les deux vers les boutiques de la ville. Le guérisseur allait en profiter pour renouveler son stock d'ingrédients magiques et pour montrer à son jeune ami les quartiers intéressants de la cité. Au bout d'un long moment, ils étaient arrivés devant une case basse sans fenêtres, la volière des fameuses chauves-souris messagères.
« Il faut aller les capturer tout au bout du Chemin du Nord, expliqua le guérisseur. Il y a là un énorme rocher abritant une profonde caverne. Les chauves-souris qui vivent là ne sont pas magiques. Elles sortent la nuit pour attraper leur nourriture au-dessus des marécages proches. C'est impressionnant car elles sont nombreuses. On dirait un énorme nuage noir. Quand elles reviennent, repues, un Dresseur ou le plus souvent une Dresseuse en capture quelques-unes et les ramène à la cité. On les gave d'une nourriture spéciale et elles apprennent à écouter les sorciers. Elles ont chacune un nom et obéissent à la personne qui les caresse en le prononçant. Celle que je vais acheter t'appartiendra. Mais elle ne voyagera qu'entre deux endroits, toujours les mêmes, un lieu pour le départ et un autre pour l'arrivée.
-Mais qu'en ferai-je quand je quitterai Ghanzi-Sa?
-Tu lui diras de t'attendre ou tu la transmettras à quelqu'un d'autre. A la fin, tu la libéreras et elle ira rejoindre sa colonie.
-Ce n'est pas un troc équitable, Maître Ndiapo. Qu'allez-vous exiger en retour ?
-Mais rien Draco. J'ai déjà été payé ce matin quand tu as accepté de rester. C'était ce qui était convenu, n'est-ce pas ?
Oui bon. Il y avait une autre raison à l'acceptation de Draco et il s'en mordait déjà les doigts mais il ne pouvait rien dire. Ils étaient entrés dans la case et il y faisait très sombre. A peine la petite lumière d'une bougie allumée. Des dizaines de chauves-souris étaient accrochées par leurs griffes au toit de paille, assez bas pour qu'on puisse les attraper en se mettant sur la pointe des pieds. Elles étaient enroulées dans leurs ailes repliées et elles dormaient, la tête en bas. Une femme obèse était assise sur un tabouret et elle donnait la becquée à une petite boule noire lovée dans sa paume claire. Elle leva les yeux et salua joyeusement Maître Ndiapo puis elle fit en tswana' une réflexion en regardant Draco. Celui-ci reconnut la phrase parlant de ses cheveux et curieusement, cela le mit tout à coup de bonne humeur. Ah! Ce n'était pas la touffe de cheveux noirs hirsutes de Potter qui allait déclencher l'hystérie sur son passage !
« Tu peux choisir Draco, dit le sorcier avec un sourire. Je vais m'arranger avec Swazia.
Elles se ressemblaient toutes, velues et noires. Il avança un peu et c'était vrai, même dans l'obscurité presque totale, ses cheveux brillaient doucement. Au-dessus de lui, une petite bête ouvrit les ailes et fit entendre un sifflement. Un appel ? Il la saisit à deux mains et l'attira à lui. Elle répéta le même bruit, une sorte d’ultrason aigu.
-Elle te dit son nom. « Uuuiiu » Répète-le et elle t'obéira, dit la femme en se levant. Tu as de la chance. C'est elle qui t'a choisi. C'est rare. Tes cheveux l'attirent comme la lune la nuit. N'aie pas peur. Vas-y.
-Je n'ai pas peur … Uuiu … Non … Uuuiiu …
Il ouvrit les mains et le petite bête s'envola, tourna deux fois autour de sa tête et se posa sur son épaule. Il sentit ses petites griffes à travers le fin tissu de sa chemise puis de nouveau, sans plus de façons, elle s'enroula dans ses ailes veloutées et se rendormit, appuyée contre son cou.
-Parfait, dit Maître Ndiapo. Maintenant achète un paquet d'insectes séchés. Il faudra la nourrir tous les jours.
Le troc avait ses limites. Heureusement il restait à Draco un sachet de champignons noirs donné par Luna, une ultime réserve. Cela fit l'affaire. C'était le début de l'après-midi. Ils avaient acheté une crêpe fourrée en chemin. Ils rentrèrent à la case des voyageurs. Une messagère les guettait. Ils étaient attendus dans l'instant à la case de cérémonie. En chemin, la jeune femme bavardait avec entrain tout en coulant des regards vers le blond sorcier.
« Je m'appelle Nyoba. Je suis l'une des habilleuses de Ama Saé. Mon travail se termine vers dix heures le matin. Puis-je vous inviter demain à midi pour le déjeuner ? Je fais très bien la cuisine, particulièrement les gâteaux. Aimez-vous le moelleux à la confiture de roses ? …
Il fallut à Draco, à qui bien sûr s'adressait l'invitation, beaucoup de diplomatie pour refuser l'offre généreuse. Maître Ndiapo se pencha vers lui et lui glissa à l'oreille :
« Tu auras toutes les protections possibles mais elles ne te serviront à rien si tu acceptes imprudemment une invite de cette sorte. Prends garde, ces filles sont redoutables !
Dans quel guêpier s'était-il fourré ! Mais plus le temps passait, plus Draco trouvait ça amusant. Il pensa tout à coup à Lizzie qui lui avait conseillé d'être moins sérieux et de profiter de la vie. Elle avait raison. Il ne s'était jamais senti aussi vivant depuis la fin de la guerre. Il se rembrunit. Ah oui ! Potter …
Dans la case de cérémonie, il n'y avait que la Grande Maîtresse et le sorcier à la robe blanche. Ce devait être son conseiller ou du moins quelqu'un d'important dans la cité. Ils avaient tous les deux un air joyeux.
« Vous le savez sans doute déjà, ici les nouvelles voyagent très vite, dit la majestueuse sorcière avec un sourire. Maître Harry est de retour. Vous pouvez lui rendre visite. Ne le fatiguez pas trop, il a encore besoin de reprendre des forces, il ne se souvient pas de ce qui s'est passé pendant ces trois jours mais c'était une épreuve puisqu'il est revenu blessé. Légèrement je vous rassure. Maître Ndiapo, toutes mes félicitations pour votre fils Offentsé. Ses Maîtres et Maîtresses sont très contents de lui. Avez-vous trouvé à Ghanzi tout ce que vous étiez venu chercher ?
-Oui Ama Saé. Merci de vos compliments pour mon fils et je suis heureux de revoir Harry. Comme vous le savez, je me sens responsable de son accident mais je sais qu'il ne peut être mieux soigné qu'à Ghanzi. Permettez-moi de prendre congé, je vais saluer notre malade et je repars aussitôt chez moi. La route est longue.
-Que les pierres du chemin soient douces à vos pieds ! … Et vous Draco … je peux vous appeler par votre prénom, c'est ce que tout le monde fait ici, le nom de famille ne sert que pour les cérémonies importantes quand tout le clan qui le porte est rassemblé. On m'a dit que vous restiez ici quelques jours ? J'en suis heureuse. Profitez bien de votre séjour chez nous. Ghanzi et ses habitants vous plairont j'en suis sûre. Maître Félaro va vous conduire auprès de votre ami. Mais vous êtes invité demain soir à ma table. Quelqu'un viendra vous chercher à la case des voyageurs puisque vous avez décliné les invitations de mes filles. Vous les avez déçues.
-Madame, vous le savez, il vaut mieux les décevoir toutes que n'en contenter qu'une. Ces dames sont toutes charmantes, j'apprécie leur compagnie, n'en doutez pas. Je suis honoré de votre invitation et je ne manquerais ce rendez-vous pour rien au monde. Mon ami Harry sera-t-il aussi de la partie ? Nous pourrions évoquer pour vous quelques souvenirs communs, des histoires de fantômes dans un grand château très froid et très lointain où nous faisions nos classes. Les étudiants de ce pays ont bien de la chance. Ghanzi-Sa est une cité magnifique.
-Flatteur ! Harry viendra s'il se sent assez en forme. Allez maintenant. Adieu Maître Ndiapo.
Maître Félaro, puisque c'était son nom, les conduisit à l'arrière de la grande case. Là s'ouvrait une porte peinte de couleurs vives. A l'intérieur, il faisait frais et Harry Potter, toujours vêtu de son pagne, s'y trouvait, assis sur un tronçon de bois qui lui servait de tabouret. Il se leva et salua les deux arrivants. Draco eut aussitôt l'impression que quelque chose n'allait pas. Le regard du jeune homme brun était voilé, ses yeux sans lunettes ne brillaient pas aussi fort que la veille quand il l'avait vu, pourtant épuisé après son escapade dans le désert. Mais il souriait et semblait content de les voir.
L'entrevue fut courte. Visiblement le jeune homme était fatigué. Il s'entretint un peu avec Maître Ndiapo et se montra surpris de la présence de Draco.
-Que viens-tu faire au Botswana ? C'est bien loin de l'Angleterre !
-Cette fois, je suis là pour des épines d'oursin des sables. Je suis allé chez Maître Ndiapo pour en acheter et j'ai appris que tu étais dans le coin. Mais en fait, la première fois que je suis venu dans ce pays, c'était il y a un peu plus de six mois. Je travaille pour la Maison Solman et Griffith, à Londres. Je suis expert en diamants et pierres précieuses. C'est mon vrai métier.
-Des diamants ? Ça te va bien je trouve. Il faudra que tu demandes à Ama Saé de te montrer les pierres de Ghanzi. Six mois ? J'étais en Afrique mais je ne me souviens pas où. J'aurais peut-être pu te croiser. Je voyage beaucoup tu le sais peut-être. Je suis ici depuis un mois. Depuis mon accident. Ah ! Ne me parle pas des oursins des sables ! Ce sont de sales bêtes …
« Qu'est-ce que c'est que cette histoire, pensait Draco. Pourquoi dit-il qu'il est ici depuis un mois ? Oh ! Merlin ! Il est sous l'emprise d'un sortilège ! Maître Ndiapo m'avait prévenu. Ces yeux troubles … Cet air trop paisible … Il est sans défense ! Il oublie les jours qui passent ! Si ça se trouve, il ne se souvient même pas de sa visite d'hier soir ! Et dire que j'ai promis de rester … pour ses beaux yeux ! Quelle galère ! J'ai intérêt à me méfier. Ce Félaro ne m'inspire pas confiance …
… On se verra plus tard Malfoy si tu veux bien, continuait Harry, et une bonne partie de la phrase avait échappé au sorcier blond. Au revoir Maître Ndiapo. Je suis content de vous avoir vu. »
Ils trouvèrent Maître Félaro à la porte. Avait-il écouté la conversation ? Possible. Hmmm … La situation était délicate. Mais Draco se sentait bien. Il avait sa nouvelle baguette magique à portée de main et il avait envie … vraiment envie de venir en aide à Potter. Pourquoi ? Parce que ! Comment, c'était une autre histoire.
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