Chamane 18 : Un baiser
Draco était pressé de rejoindre Potter dans sa case pour lui faire tester les mirabilis mais il demanda tout de même au conducteur de l'emmener vers le quartier des maroquiniers. Il devait acheter un sac avant de repartir. Ce n'était pas pour emmener ses bagages, au demeurant peu encombrants, qu'il soumettrait à un simple Réducto. C'était pour les œufs d'oursins qu'il devait récolter à son voyage de retour. Il s'était demandé si le fait de les réduire ne risquait pas de les endommager. Il valait mieux être prudent. Il avait aussi besoin de gants en peau de dragon ou plus sûrement ici en peau de crocodile.
Il trouva son bonheur dans une petite échoppe et marchanda un peu, pour le plaisir. Il ne lui restait pas grand chose de la monnaie du pays que Maître Ndiapo lui avait avancée, assez pour payer son séjour à la case hôtel, mais il avait encore en réserve quelques gallions d'or. En sortant, il eut le plaisir de croiser Ladochem, tout fier de son bâton-sorcier. Ils se saluèrent mais Draco ne s'attarda pas. Il était pressé de revoir Potter … Harry ... Hé oui, c'était comme ça, rien que d'y penser, ça le faisait sourire. Enfin c'était plutôt une sorte de rictus amusé mais bon, ça lui passerait vite. Il était sur le départ, il pouvait se permettre quelques idées fantaisistes.
Il eut la surprise de trouver Maître Dlima et Offentsé dans la chambre de Potter. Avec des mirabilis. Ainsi les Maîtres guérisseurs avaient eux aussi pensé aux vertus des petits fruits jaunes. Ils firent les essais ensemble. Il y eut des surprises mais les petits fruits n'avaient pas volé leur réputation. Harry pouvait en manger, mais sans la peau qui lui donnait des haut-le-cœur. Il pouvait sucer le noyau juste pour le goût mais ça ne servait pas à grand chose. Il fallut aussi peler l'amande. L'intérieur, une boule ovale un peu gélatineuse, passait très bien malgré son amertume. Un nouveau fruit à ajouter au menu du pauvre malade ! Excellent !
Seulement, tout cela aurait-il une influence sur le venin d'oursin ? Draco proposa de mettre un peu de jus sur la tache rouge qui subsistait sur le bras de Harry. Et là, bonne surprise, la couleur s'atténua et passa au rose. En même temps, Harry sentit le sang affluer à cet endroit, et une minuscule gouttelette rouge perla sur la peau. Elle devait contenir une infime quantité de venin car elle devint noire en séchant. Harry échangea un regard avec Draco et décida alors de parler de Maître Ndiapo à Maître Dlima. Le sorcier guérisseur de Molepolole, se sentant coupable de l'état de son ancien invité, cherchait lui aussi un remède à son empoisonnement.
A leur grande surprise, Maître Dlima parut enchanté. Il connaissait le père de Offentsé de réputation et affirma qu'on ne serait jamais trop nombreux pour trouver l'antidote. Ses collègue seraient certainement d'accord. A vrai dire, depuis le temps, ils désespéraient un peu. Ce renfort était le bienvenu. Ainsi les soupçons de Harry concernant leur volonté de le guérir étaient infondés. Ils prenaient seulement leur temps. Draco repartit vers la case hôtel en compagnie de Maître Dlima et de Offentsé qui parla de son père avec beaucoup d'enthousiasme. Puis ils se séparèrent bons amis et Draco se dirigea vers sa chambre à la case hôtel.
Devant sa porte, il trouva Boréa accompagnée d'un Madibo tout sourire. Ama Saé l'envoyait parce qu'il parlait assez bien la langue de la jeune sorcière, enfin il le prétendait. Il avait séjourné quelque temps dans son pays pendant son enfance. Il avait un peu oublié mais ça reviendrait vite. Il était très content de revoir le sorcier blond avant son départ. En fait, il s'était proposé parce qu'il avait quelque chose à lui dire.
Uuuiiu était accrochée à la fenêtre de la chambre. Draco la prit dans ses mains et la caressa puis il la tendit à Boréa qui la saisit à son tour avec délicatesse. Les explications ne furent pas faciles. Le traducteur improvisé trébuchait sur les mots. Mais ils finirent par se comprendre. Selon les recommandations de Dame Swazia, Draco transmettait la petite chauve-souris à Boréa pour qu'elle la nourrisse et en prenne soin pendant son absence. De temps en temps, la messagère volante devrait porter du courrier à Maître Ndiapo, un sorcier guérisseur. Elle connaissait le chemin. Les lettres seraient de Maître Harry, le chamane, et les réponses devraient lui être portées. Avait-elle bien compris ? Il lui offrait en échange une pièce d'or pour sa peine. Mais Boréa secoua la tête en souriant et montra du doigt une légère écharpe en coton que le sorcier blond portait autour du cou puis elle fit le geste de l'enrouler sur sa tête. « Petit travail. Petit troc » dit-elle dans sa langue, des mots faciles à traduire. Draco la lui donna en se promettant de lui rapporter d'autres cadeaux quand il reviendrait … Oui parce que bien sûr il reviendrait …
Boréa partit. Madibo resta.
« Je voulais vous dire au revoir, Maître Draco, dit-il en se dandinant un peu. J'espère que vous reviendrez vite.
-Je ne sais pas, Madibo, cela dépendra de mon travail.
-Je voulais aussi vous dire merci. Vous m'avez beaucoup aidé. Maintenant que Monaletsi s'intéresse à moi …
Il se tut et baissa la tête.
-C'est ton petit ami ? questionna doucement Draco.
-Pas encore mais depuis la fête, il me tourne autour. Vous l'avez déjà vu, il fait partie du groupe des chanteurs. Il n'est pas très grand mais on voit qu'il est musclé. Il est aussi plus âgé que moi de quelques cycles du soleil. Il passe exprès devant l'endroit où je travaille. Il me sourit et ce matin, il m'a demandé … il m'a demandé si je voulais l'accompagner dans sa promenade du soir. Il sait lire dans les étoiles. Il les observe chaque nuit et grâce à elles, il devine ce qui va se passer dans l'avenir. Il a promis de me montrer mais …
On ne pouvait plus arrêter Madibo quand il avait commencé à ouvrir son cœur. Draco pensait à part lui que ce Mona... quelque chose pouvait bien n'être qu'un dragueur. Mais peut-être pas. Madibo était assez beau pour qu'on le remarque, surtout quand il dansait. Après quelques hésitations, le jeune garçon avouait ce qui le tracassait.
-... qu'est-ce que je dois faire s'il veut m'embrasser ?
Il levait les yeux sur son vis-à-vis et il avait l'air si innocent, si ingénu … L'ancien Draco lui aurait peut-être répondu sèchement que les affaires de cœur d'un gamin ne l'intéressait pas mais le Draco de Ghanzi-Sa ne pouvait pas faire ça. Il sourit et lui demanda:
-En as-tu envie ?
-Oui … Non... Je ne sais pas. Personne ne m'a jamais embrassé … enfin comme ça.
-C'est ton premier rendez-vous avec un garçon ?
-Avec quelqu'un de plus âgé que moi, oui. Bien sûr, avec d'autres garçons de mon âge, on s'est un peu … amusés ensemble. On se caressait dans le cou, on se donnait des petits baisers, même sur la bouche, mais jamais en vrai. Une fois même, on a … on a sorti nos oiseaux pour voir qui avait le plus long. On se racontait des histoires d'hommes-femmes en cachette. Ça me travaille bien sûr. Ma mère qui sait ce que je suis me dit que c'est normal, que la sève monte dans les jeunes plantes. Mon père prétend que ça me passera quand je connaîtrai la jeune fille qu'il me destine … Je ne l'épouserai jamais ! J'aime les hommes et je vais aller me promener ce soir avec Monaletsi … Mais j'ai un peu peur …
«Et tu as raison, joli papillon tout juste sorti de ta chrysalide, mais c'est comme ça que ta vie d'adulte commencera. Premières amours, premiers chagrins. Que puis-je te dire ?»
-De quoi as-tu peur ? Penses-tu que ce jeune homme pourrait te forcer à faire quelque chose qui ne te plairait pas ?
-Oh non ! Mona n'est pas comme ça. Seulement il est sexy et il a du succès auprès des filles comme auprès des garçons. Je ne suis pas sa première promenade. Il me l'a dit. Mais il dit aussi qu'avec moi, ce n'est pas pareil, que depuis qu'il m'a vu danser, il ne pense qu'a moi. Il dit qu'on doit d'abord se parler pour mieux se connaître. Mais s'il veut aussi m'embrasser, j'ai peur de le décevoir. Je ne saurais pas quoi faire.
Et soudain, une image très nette surgit dans la mémoire de Draco. Lui, il y avait de cela des années, rejoignant Kristoff sous le hêtre biscornu de Poudlard. Lui, aussi incertain et inquiet que Madibo, se demandant ce qui allait se passer, et pourtant ne reculant pas et passant cette épreuve avec … avec une sorte d'émerveillement ! Son premier vrai baiser ! Il en avait encore le goût sur la langue et sur les lèvres. Il n'avait que quinze ans et pourtant ce soir-là, il avait su d'une façon certaine qu'il était plus attiré par les garçons que par les filles, même s'il l'avait nié aussitôt … Kristoff le serrant contre lui. La vague chaude se répandant dans son ventre, dans tout son corps … Cela faisait des années qu'il n'avait pas pensé au brun élève de Durmstrang, qui l'avait doucement initié, qui l'avait révélé à lui-même … Il y avait toujours une première fois. L'important c'était qu'elle soit bonne.
-Ne t'inquiète pas à l'avance Madibo. Suis ton instinct. Si le jeune homme qui t'a donné rendez-vous a plus d'expérience que toi, et surtout s'il tient à toi, tout se passera bien. Crois-tu qu'il soit le grand amour que tu recherches ?
Le jeune garçon parut surpris. Il répondit avec plus de sagesse que Draco n'imaginait :
-Oh non, Maître Draco. Je n'ai pas été attiré vers lui dès que je l'ai vu. Son invitation me fait plaisir mais mon cœur n'est pas encore pris. Ce soir ce sera comme une expérience, comme une épreuve. Après, je me connaîtrai mieux, je ne serai plus un enfant. J'ai un peu peur, c'est vrai, mais j'irai. Souhaitez-moi … bonne chance ?
Hmmm … Instinctivement Draco croisa les doigts. Un Serpentard ne disait pas ces choses-là. Mais la maturité de Madibo le surprenait. A le voir on lui donnait à peine plus de seize ans. Mais son visage était trompeur. Peut-être était-il plus âgé. En tout cas, il ne se laissait pas trop embobiner par de belles paroles. Et c'était bien.
-Bonne promenade sous les étoiles plutôt, répondit-il en souriant. Passe une bonne soirée.
-Vous aussi Maître Draco et bon retour dans votre pays. Revenez-nous vite.
Il se dirigea vers la porte, l'ouvrit, sembla hésiter, se retourna tout à trac et murmura d'une voix implorante :
-Maître Draco, j'aurais tellement aimé que ce soit vous, mon premier baiser …
Il levait vers Draco ses yeux noirs légèrement en amande, ses lèvres entrouvertes étaient rouges et humides, il était si jeune, si beau, si attirant … Draco ne résista pas à cet appel si simplement formulé. Il s'avança et prit Madibo dans ses bras, jetant tout de même un coup d’œil rapide vers la cour de la case hôtel. Mais elle était déserte. Aucun attroupement, aucun rire de femme près du puits, lieu de toutes les rencontres. Alors il posa doucement ses lèvres sur celles du jeune garçon et l'embrassa. C'était tendre et fondant et puis ça devint plus fort, plus hardi. Une pensée le traversa comme un éclair. Madibo n'avait pas besoin d'avoir peur. Il savait d'instinct quoi faire. Draco se demanda même si le jeune homme ne lui avait pas joué un peu la comédie.
Mais ce n'était pas grave. Il prenait vraiment plaisir à ce baiser reçu et donné avec sincérité, avec passion et tendresse. Un baiser que pouvaient échanger des amoureux très jeunes ... quinze ans ... lui avec Kristoff … Comme le bel élève de Durmstrang, il était l'initiateur, l'instant du passage entre deux tranches de vie … Avant, après … Son corps s'échauffait, celui du jeune homme aussi certainement. Mais il restait lucide. Il se détacha doucement des lèvres de Madibo et sourit. Un soupir lui répondit et le jeune garçon, retrouvant ses réflexes de danseur du feu, sauta dans la cour en riant et s'en fut, léger comme une flamme au vent. La cour redevint silencieuse.
Draco referma la porte et s'appuya du dos contre le bois en fermant les yeux. Aucun regret. Ce qui venait de se passer était juste un beau moment, un souvenir qu'il emporterait demain avec lui dans son voyage de retour. Il se redressa et commença à rassembler ses effets. Il s'aperçut alors qu'il avait oublié chez Potter le sac qu'il avait acheté pour transporter les œufs d'oursins. Pas grave, il le prendrait ce soir en allant comme prévu faire ses adieux à Ama Saé. Il passerait aussi chez Potter … chez Harry …
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Harry … Harry avait tout vu. Caché sous sa cape d'invisibilité, la bouche béante de stupeur, il avait vu Malfoy prendre Madibo dans ses bras et échanger avec lui un baiser … un baiser passionné ... comme ceux qu'échangent un homme et une femme ! La révélation l'avait foudroyé. Malfoy était homo !
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Il traversait la cour quand il avait vu s'ouvrir la porte de la chambre, Madibo apparaître, se retourner, dire quelque chose qu'il n'avait pas entendu et Draco le rejoindre. Et puis il y avait eu ce moment totalement absurde où ils s'étaient retrouvés dans les bras l'un de l'autre. Ce n'était pas le fait qu'un orgueilleux Sang Pur comme Malfoy embrasse quelqu'un n'appartenant visiblement pas à sa caste et semblant de plus à peine sorti de l'adolescence qui l'avait cloué sur place juste à côté du puits. Non, ce qui l'avait changé en statue au milieu de la cour, c'était de découvrir que l'ex Serpentard aimait les hommes.
C'était impossible ! C'était ridicule ! Aussi loin qu'il se souvienne, il avait toujours vu Malfoy draguer des filles … réflexion faite, des filles draguer Malfoy. Pansy Pankinson par exemple et d'autres. Il avait vu aussi des libres sorcières lui faire du charme à la fête. Il s'était même dit qu'il aurait aimé être à sa place et que la compagnie féminine lui manquait. Et puis il y avait eu cette vision … cette incroyable vision … Malfoy embrassant un garçon …
Puis Madibo était passé non loin de lui en sautant de joie et la porte s'était refermée. Il s'était appuyé contre la margelle du puits. Il lui avait fallu un bon moment pour que son cœur cesse de battre la chamade, pour que son souffle redevienne régulier et pour que l'étrange chaleur qui l'avait pris aux tripes s'estompe. Il avait repris le chemin de la Grande Case, portant toujours dans sa besace en fibres de palme - celle qu'il avait emmenée quand il s'était perdu dans le désert ! – le petit sac de cuir oublié par Malfoy, tout en méditant amèrement sur un adage que les Griffondors méprisaient un peu trop souvent : « N'arrive pas chez les gens à l'improviste si tu ne veux pas avoir de mauvaises surprises !»
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Ce n'était pas la faute de Harry s'il s'était trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. C'était juste un concours de circonstances. Quand Draco était parti, à la fin de cet après-midi si agréable, le Griffondor avait vu le sac de cuir oublié près de la porte. Mais il ne s'en était pas soucié, il savait que le jeune homme devait venir le soir saluer Ama Saé. Sans doute passerait-il le prendre. Puis il y avait eu cet appel de la case hôpital transmis par son rocher. Un adolescent venait d'arriver, l'apprenti cueilleur de mirabilis. Il avait été griffé par les méchants petits arbres et les entailles ne cessaient de saigner. D'autre part, son bras commençait à enfler. Peut-être faisait-il une réaction allergique ? Le jeune chamane pouvait-il venir pour essayer de le soigner ?
C'était déjà arrivé à plusieurs reprises qu'on l'appelle pour une urgence. Harry remit son pagne de palme et s'apprêta à partir. En passant près de la porte, il aperçut le sac oublié par Draco. L'envie le prit de le lui rapporter en revenant de la case hôpital. Il appela sa cape d'un Accio et s'en servit pour mettre le sac de cuir dans sa besace de fibres. Puis pris d'un fou rire, il se dit que depuis quelque temps, il n'avait pas « disparu », comme il le faisait quand il cherchait partout sa baguette magique. Il allait s'amuser un peu.
A vrai dire il se sentait assez euphorique. Un effet secondaire des mirabilis qu'il avait mangés peut-être ? Il passa par dessus sa tête sa cape d'invisibilité. De cette façon, il arriverait plus vite à la case hôpital car souvent, quand ils le voyaient passer dans la rue, des gens lui posaient des questions pour savoir s'il pouvait par exemple calmer les gargouillis de leur ventre ou faire pousser une barbichette à leur menton, des trucs bêtes la plupart du temps. En souriant de malice, il se mit en route.
A cette heure, les rues étaient peu encombrées. Le claquement de ses socques était couvert par un bruit si commun qu'on n'y faisait plus attention. Dans les cours, les femmes écrasaient des grains de céréales, millet, sorgho et autres, dans des mortiers avec leur pilon de bois. Souvent elles fredonnaient tout en travaillant. Quelquefois même, les pilons tapaient tout seuls, la mère de famille étant occupée à un autre ouvrage. Cela faisait une sorte de musique sourde et rythmée qui couvrait les autres bruits de la ville. A travers le tissu magique de sa cape, Harry admirait en passant les femmes bien droites, portant parfois leur bébé dans leur dos. Merlin ! Ça lui manquait vraiment de ne pas pouvoir prendre quelqu'un dans ses bras ! Il n'était pas de bois tout de même ! Il arriva rapidement à la case hôpital et se glissa dans un coin d'ombre désert pour ôter la cape. Il la fourra rapidement dans sa besace.
Les guérisseurs furent contents de le voir arriver si vite. Ils l'emmenèrent aussitôt près de l'adolescent blessé. Son nom était Mosféra, c'était tout ce qu'ils savaient. Il était accompagné par l'un des cueilleurs, son parent sans doute, qui ne parlait ni tswana', ni anglais. Les griffures avaient vraiment mauvais aspect. La peau rouge et boursouflée était tendue par le gonflement des chairs. Une vilaine blessure, profonde et sanglante ! Quand ils attaquaient quelqu'un, les petits arbres ne faisaient pas de quartier. Harry se demanda même si la guérison d'une telle plaie était dans ses possibilités. Mais il fallait essayer, c'était son devoir de chamane, même s'il appréhendait la souffrance à venir. Il demanda à l'adolescent de se lever car il ne pouvait pas s'asseoir à côté de lui sur le banc de bois. Mais le jeune garçon ne le comprenait pas et il recommença à pleurer. Alors Harry se servit de la Légilimencie.
Le blessé parut surpris mais il s'exécuta aussitôt. Il se mit debout, le bras tendu. Le chamane ferma les yeux, serra les dents et posa sa main droite sur l'endroit enflammé. Il s'attendait à pire. Il ne ressentit qu'un fort picotement au niveau de la plaque rosâtre où l'oursin l'avait agrippé. D'habitude, il avait mal jusqu'à l'épaule. Il ne chercha pas à analyser la sensation nouvelle, ce n'était pas le moment, il y repenserait plus tard. Il ouvrit les yeux, la main toujours posée sur la blessure de l'adolescent. La bouche du jeune garçon béait de surprise. Son bras désenflait, l'une après l'autre les griffures s'effaçaient, la peau se refermait, ne laissant même pas apparaître une mince cicatrice. En quelques instants, il était guéri. Il poussa un cri de joie et eut un mouvement vers Harry qui recula aussitôt. Le gamin ne souffrait plus mais lui risquait toujours la sensation de douleur au contact d'une autre personne. Ne pouvant s'expliquer de vive voix, il fit apparaître l'image d'une brûlure dans la tête de l'ex blessé. Celui-ci le regarda d'un air étonné puis il s'inclina et prononça plusieurs fois le même mot. Harry supposa que c'était « merci ». Il sourit et fit un geste vague de la main.
« C'est normal, je suis chamane, répondit-il.
-Chamane ? Ah ! Shaman ! reprit l'adolescent en souriant à son tour. Le mot était à peine différent dans sa langue, c'était un terme presque universel pour désigner les guérisseurs sorciers.
Il se tourna vers son accompagnateur et, baissant la tête, il murmura ce qui semblait être une question. Harry qui lisait toujours en lui le vit s'approcher de nouveau des Mirabilis. Mais son parent fit non de la tête. Les petits arbres l'avaient rejeté avec force, il ne pourrait pas devenir cueilleur. Curieusement, l'adolescent ne parut ni désolé ni déçu. Il leva les yeux et posa une autre question. Il y avait sur son visage un air d'espoir. Il avait pris en main une pierre ovale attachée autour de son cou par une cordelette en poil de chèvre. Le parent le regarda d'abord avec sévérité puis il soupira et fit signe que oui. Le jeune garçon resplendit presque de joie. Et Harry qui lisait toujours en lui comprit le fin mot de l'histoire.
Le jeune blessé n'avait pas la vocation de cueilleur. Il voulait être … Harry le voyait, marchant lentement sur une terre desséchée, le bras gauche à demi plié levé devant lui, la paume tournée vers le sol. A son majeur pendait la cordelette et la pierre oscillait de gauche à droite en un mouvement régulier. Puis soudain, elle se mettait à tourner et un mince filet d'eau sourdait de la terre qui la buvait aussitôt. Sourcier ! L'adolescent avait le pouvoir de trouver les sources. Un don merveilleux dans le désert ! Pourquoi son accompagnateur avait-il l'air aussi déçu ? Et puis Harry voyait se profiler derrière l'enfant une longue lignée d'ancêtres, son père, sa mère, ses oncles, tantes, cousins, cousines, ses aïeux des deux côtés, tous cueilleurs de mirabilis, jusqu'à cette femme plantant le premier arbre dans le verger de Ghanzi-Sa. Il était le seul à avoir un don différent, il était la chèvre blanche au milieu des chèvres brunes !
-Eau ? Chercheur d'eau ? dit Harry en faisant apparaître l'image d'une source abondante dans la tête du garçon.
-Eau ? répéta celui-ci et il prononça le mot dans sa langue. Il ajouta un autre mot et Harry le revit avec sa pierre au bout de son fil.
-Sourcier, reprit-il et l'adolescent approuva de la tête.
Il prit son pendentif et le tourna vers Harry. C'était un petit galet gris, gros comme le pouce, ovale, avec un trou percé en haut et plus rond à la base. Trois lignes ondulées y étaient gravées, le signe très répandu de l'eau courante. Le jeune garçon forma une image dans sa tête, il avait compris que le chamane pouvait lire en lui. Harry le vit, tout enfant, jouant près d'une source. Il s'amusait à gratter la terre boueuse et soudain, la pierre était apparue. D'où venait-elle ? Qui l'avait laissée là ? Mystère mais elle était de grand pouvoir et elle l'avait choisi, lui, entre tous les autres. Que pouvait-il faire sinon lui obéir ? Il l'avait gardée. Son père n'avait rien osé dire mais il n'était pas d'accord pour que son fils réponde à l'appel. Il serait cueilleur comme toute sa famille. Aujourd'hui, les petits arbres venaient de lui donner tort.
Après quelques minutes de palabre avec les Maîtres guérisseurs qui n'avaient pas bien saisi l'échange silencieux, Harry repartit en souhaitant à Mosféra un bon retour au pays. Il se disait que le jeune garçon avait son avenir tout tracé. Sans doute reviendrait-il plus tard à Ghanzi-Sa pour étudier, mais il n'aurait pas besoin de chercher sa pierre, il l'avait déjà.
Profitant d'une ruelle sombre et déserte, Harry remit sa cape d'invisibilité. Il pensait que ce serait facile d'apprendre l'anglais à Boréa. Ses facultés de Légilimencie s'étaient beaucoup développées depuis qu'il parcourait le monde. Il venait encore d'en avoir la preuve. Tout en se dirigeant vers la case hôtel, il revoyait son intervention presque miraculeuse et quelque chose lui revint. Il n'avait pas eu mal. Juste ce picotement là où l'oursin des sables l'avait piqué. D'habitude, il serrait les dents car si le patient guérissait, lui souffrait beaucoup. C'était comme si tout le mal de l'un passait brusquement dans le corps de l'autre. Pourquoi cela avait-il été différent aujourd'hui ? Puis, comme si le fait d'être sous sa cape lui ouvrait mieux l'esprit, il comprit. Les mirabilis ! Il en avait mangé et les blessures avaient été causées par les petits arbres ! C'était le remède ! Comme les œufs d'oursins ! Il fallait qu'il le dise tout de suite à Draco pour qu'il transmette à Maître Ndiapo. Il arrivait justement dans la cour de l'hôtel. Il s'approchait du puits et là, juste à ce moment …
C'était le cataclysme. Le temps s'arrêtait et le monde tournait à l'envers. Madibo sortait de la case de Draco, il se retournait, Draco le prenait dans ses bras et il l'embrassait ! Cloué au sol sous sa cape, la bouche ouverte de stupeur, les yeux exorbités derrière ses lunettes, Harry était le témoin involontaire d'une scène absurde, d'un cauchemar qui lui portait un coup violent en plein ventre et le laissait presque chancelant au milieu de cette cour ensoleillée. Draco Malfoy était gay !
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Il fallut plusieurs minutes à Harry pour se remettre du choc. Appuyé contre la margelle du puits, il attendait que l'onde brusque et étouffante qui l'avait saisi au ventre et à la gorge se dissipe. Un homme s'approchait avec une cruche. Il se décida à partir. Pendant la dizaine de minutes que dura son trajet, il ne fit guère attention à ce qui se passait autour de lui. Il trébucha sur une pierre et faillit tomber. A deux reprises, il manqua percuter une personne qui venait en sens inverse. Mais finalement, peut-être sous l'effet bénéfique de la cape, il parvint à se reprendre. Bon, Malfoy était homo, ou bisexuel peut-être ? Où était le mal ? Au cours de ses voyages, il avait rencontré des peuples sorciers ou moldus où cette situation était plus ou moins bien acceptée. Autres pays, autres coutumes.
Chez certaines peuplades sorcières, la présence d'un homo était même souvent désirée car ils étaient considérés d'office comme des chamanes. Pas des guérisseurs, mais des personnes pouvant entrer en communication avec l'Au-delà ou lire l'avenir. On disait aussi qu'ils portaient bonheur parce qu'ils étaient en relation avec des entités bienveillantes, à la fois masculines et féminines. Ou alors, c'était l'inverse et les esprits étaient mauvais. C'était parfois vrai mais pas toujours. Harry avait rencontré quelques imposteurs qui profitaient de la crédulité des gens simples, de bons acteurs qui avaient l'art d'embobiner les gens.
Donc Malfoy aimait les garçons. C'était son droit le plus strict, il était libre de ses choix et lui, Harry, n'en avait rien à faire. Alors pourquoi sentait-il un pincement du côté du cœur quand il se remémorait l'instant du baiser ? Passée la première surprise, ça aurait dû lui être indifférent. Or ça ne l'était pas. Et peu à peu, il comprit que cette douleur sourde qui persistait, c'était un sentiment de … jalousie. Enfin pas à propos du baiser ! A Merlin ne plaise ! L'idée de Malfoy posant ses lèvres sur les siennes le faisait flipper ! Non, il était jaloux de l'intérêt que Malfoy portait à Madibo. Il aurait voulu que le Serpentard se préoccupe exclusivement de lui. Un peu comme à Poudlard où chacun d'eux était l'ennemi attitré de l'autre. Harry se rendait compte qu'il voulait Malfoy – Draco – pour lui tout seul !
Enfin, c'était ridicule ! Ils s'étaient revus depuis … quoi une dizaine de jours et en si peu de temps, lui, Harry, s'était beaucoup trop attaché au Serpentard. Peut-être parce qu'il était le seul à appartenir à son autre vie, celle d'avant les voyages ? Peut-être aussi parce que le blond avait changé, qu'il était devenu … amical, oui on pouvait dire ça. Lui avait si peu de possibilités ici pour communiquer avec les autres. Surtout qu'il était resté presque six mois dans une sorte de rêve confus où le temps s'écoulait sans qu'il s'en rende compte ! Et maintenant qu'il était « réveillé », qu'est-ce qu'il allait faire quand Draco serait parti ? Il lui manquait déjà !
Il était arrivé dans la cour de la Grande Case. Il dut patienter un peu avant de rentrer dans sa chambre. Plusieurs sorcières palabraient sous le palmier Hyphaène. On s'était aperçu de sa « disparition » et cela faisait jaser. Il ne pouvait ouvrir sa porte juste sous leur nez. Mais leur conversation futile lui changea les idées. Il put rentrer chez lui avec l'esprit plus tranquille. Ce soir, il pourrait accueillir Draco venant chercher son sac sans broncher.
Une fois dans sa chambre il regarda autour de lui et s'aperçut tout à coup de son dénuement. Rien. Il ne pouvait rien faire parce qu'il ne pouvait rien toucher. Lire lui serait difficile, il n'avait d'ailleurs pas de livres dans son sac et il ne savait pas ce que contenait la bibliothèque de la cité. Et puis il n'aimait guère la lecture et préférait l'action. Ecrire comme il l'avait fait pour la lettre au Ministère ? Mais quoi et à qui ? A Ron et Hermione qui avaient dû être très inquiets de son sort ? Par Uuuiiu ce ne serait pas facile. Il ne s'était jamais demandé s'il y avait une Poste dans la cité du désert.
Il pourrait aussi assister aux cours des Maîtres guérisseurs puisqu'il était chamane. Mais il ne pourrait pas prendre de notes. Ou alors il lui faudrait une plume à papotes comme celle de Rita Skeeter ! Il imagina tout à coup la journaliste fouineuse débarquant à Ghanzi-Sa en quête de détails croustillants sur le vainqueur de Celui-Dont-On-Ne-Pouvait-Prononcer-Le-Nom, et découvrant que le Mage Noir était venu ici dans sa jeunesse ! Quel scoop pour elle ! Et Harry se mit à espérer très fort que les gens du Ministère n'ébruiteraient pas le fait qu'il ait donné de ses nouvelles. La Gazette du Sorcier était bien capable d'envoyer Rita ou une autre du même acabit sur ses traces ! Enfin, mieux valait ne pas y penser !
Quoi faire d'autre? Aller se promener dans les rues, ça il pouvait, avec beaucoup de précautions tout de même. En fait, il ne découvrait réellement la ville que depuis que Draco était là et qu'il était sorti de son envoûtement. Le mieux serait alors qu'il révèle sa tolérance à la soie. Mais ça ne remplissait pas la vie. Faire des choses seul était beaucoup moins intéressant que de les faire à deux. Il n'allait tout de même pas se mettre au travail manuel et apprendre à tisser les fibres de palme ! Merlin ! Draco n'était pas encore parti qu'il s'ennuyait déjà !
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