Chamane 15 : La case des pierres .
Draco s'éveilla en sursaut. Il sortait d'un rêve … un drôle de rêve. Pas un de ces rêves érotiques comme en font souvent les hommes aux dernières heures de la nuit. Mais il avait tout de même éprouvé une sensation étrange d'attirance. Il referma les yeux et tenta de se souvenir. Les rêves s'évaporent si vite. Alors … Il était dans une case, seul, et soudain dans son dos la porte s'ouvrait. Il croyait que c'était Madibo et il se retournait mais c'était Lord Voldemort. Il voyait nettement sa face de serpent aux narines presque inexistantes et aux yeux rouges, sous le capuchon noir de sa cape de sorcier.
Comme souvent dans ses rêves, Draco ne pouvait pas bouger. Mais il n'avait pas peur, au contraire. Car petit à petit, le Lord Noir se transformait, il rajeunissait et son visage devenait d'une grande beauté. Ses cheveux étaient assez longs, noirs et ondulés. Il avait un front haut, le nez droit et un menton bien dessiné. Sa peau était claire, juste un peu rosée aux pommettes, et ses yeux noirs brillaient d'intelligence. Il souriait … Il était terriblement séduisant et quand ses lèvres s'entrouvraient et qu'il prononçait silencieusement le mot « Viens !» Draco se sentait prêt à le suivre jusqu'au bout du monde …
Puis il se retrouvait dehors, quelque part, il ne savait pas où, mais il n'était plus seul. Il y avait une foule d'autres jeunes gens, beaucoup de garçons, quelques filles, et tous avaient les yeux fixés sur le beau jeune homme debout devant eux. Il parlait mais on n'entendait pas les mots. Aucune importance, il n'y avait rien à comprendre. Juste à approuver parce que ce qu'il disait était juste. D'ailleurs tout le monde applaudissait quand il terminait son discours. Draco se sentait pleinement heureux. Il était bien, il était là où il fallait qu'il soit. Dommage que … Bizarrement, il sentait qu'il lui manquait quelque chose … Ou quelqu'un … Mais il était trop fasciné par le beau jeune homme pour s'attarder sur cette pensée inopportune.
De nouveau, celui qu'il appelait maintenant My Lord en son cœur souriait … Et encore une fois, quelque chose venait troubler le bonheur de Draco. Son nouveau Maître souriait … mais seulement de ses lèvres rouges. Ce sourire ne plissait pas le coin de ses yeux. C'était ce détail qui détonnait, ce petit rien qui gênait Draco. Quelqu'un d'autre savait sourire mais pas comme ça. Lord Voldemort jeune était terriblement séduisant mais son sourire était froid, sans chaleur humaine. Quand l'autre souriait, tout son visage s'éclairait, il y avait de la lumière dans ses yeux … ses yeux verts qui s'étiraient légèrement … derrière des lunettes rondes …
Lui, il n'était pas séduisant, il était attirant, c'était autre chose, et c'était vers lui que Draco se tournait maintenant, oubliant tout le reste. La foule disparaissait et Lord Voldemort s'évanouissait en fumée. De nouveau, Draco était seul dans une case, la porte s'ouvrait derrière lui, il se retournait et c'était Potter qui entrait … le Potter de la soirée en musique, les cheveux artistiquement décoiffés, un collier sur sa poitrine nue, un pagne autour des reins … un Potter souriant, pas spécialement beau selon les canons de la perfection classique … mais attirant, fascinant même.
Etrangement, Draco ne pouvait toujours pas bouger. Des liens lui emprisonnaient les membres, il ne pouvait ni parler, ni sourire lui aussi. Il aurait bien voulu mais il ne pouvait pas … et il le regrettait de toutes ses forces … Il faisait un effort violent pour se libérer mais c'était ça qui le réveillait en sursaut … Le rêve s'en allait, il ne restait que cette impression d'inachevé. Il aurait dû faire ou dire quelque chose mais il n'avait rien fait …
Draco se redressa en soupirant. Un rêve … Un cauchemar plutôt ! Rêver de Potter et de son foutu sourire ! N'importe quoi ! Et ça faisait un moment qu'il pensait à son ex-ennemi avec plaisir ! L'atmosphère magique de Ghanzi-Sa sans aucun doute. Il fallait qu'il parte d'ici au plus vite ou il allait se pouffsouffliser encore plus. Voyons, depuis combien de temps était-il au Botswana ? Et combien lui restait-il de jours avant son retour à Londres et à son travail ? Draco s'apercevait tout à coup que ses souvenirs se brouillaient, qu'il oubliait et vivait au jour le jour … comme Potter !
Alors, on était dimanche. Il était arrivé à Gaborone juste une semaine auparavant. Narcissa et Lizzie revenaient de leur croisière le prochain vendredi. Il devait donc absolument prendre l'avion la veille si possible ou au plus tard le même jour pour que leurs retours coïncident. Avant, il avait à parcourir à pied la route de l'Est jusqu'aux arbres, ramasser les œufs d'oursins en chemin, transplaner chez Maître Ndiapo, palabrer à propos des remèdes utiles à Potter … Il en avait pour une bonne journée ! Et il retournait chez Solman et Griffith le lundi sans faute … Pas question qu'il fasse faux bond à ses employeurs !
Il lui restait … trois jours, quatre en dernier recours ! C'était bon. Aujourd'hui visite à la case des pierres, ce serait intéressant. Demain, il avait à faire quelques emplettes et il comptait rendre visite aux cueilleurs de mirabilis. Le mardi, il ferait ses visites d'adieux et, si tout allait bien,, il se mettrait en route le mercredi matin de bonne heure. En espérant qu'une nouvelle obligation ne lui tomberait pas dessus entre temps ! Satisfait de ses réflexions, Draco se leva et trouva la petite chauve-souris accrochée devant sa fenêtre.
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Harry Potter sifflotait sous la douche. On avait installé pour lui un dispositif ingénieux dans son coin toilette. Une grosse outre était suspendue au plafond. Il actionnait une tirette en bois de palmier accrochée au bout d'un cordon pour faire couler l'eau qui ruisselait sur son corps et s'évacuait par les intervalles entre les lattes du caillebotis. Un apothicaire fabriquait spécialement pour lui un savon pâteux à base d'huile et de fine cendre de palme. Rien qui puisse irriter sa peau ou la brûler. Ça avait pris du temps pour mettre ce système au point mais au moins, il pouvait rester propre.
Maintenant qu'il avait récupéré sa baguette, il avait aussi désodorisé le savon, tiédi l'eau de l'outre et rendu l'éponge de fibres douce et moelleuse si bien que la douche était devenue un moment très agréable. D'autant qu'il n'avait pas à se préoccuper de la corvée de rasage ! Merlin merci, ça faisait plusieurs années qu'il avait posé sur son visage le sortilège Imberbe ! En voyage, c'était beaucoup plus pratique ! Sans cette utile précaution, en particulier ici où il ne pouvait rien toucher depuis son accident, il aurait vite ressemblé à un homme des cavernes ! Donc Harry Potter, détendu et d'excellente humeur, sifflotait sous la douche en pensant à … Malfoy …
Oui, à Malfoy ! Avant, il se souvenait de lui comme d'un Serpentard orgueilleux et méprisant, un être haïssable qui lui avait pourri la vie pendant six longues années. Il y avait eu quand même un mieux pendant la septième, quand il avait été capturé par les Rafleurs et que Malfoy avait hésité à le reconnaître. Et aussi quand il avait empêché Crabbe de le tuer dans la Salle sur Demande. Après la guerre, les séances de psychomagie l'avaient aidé à oublier cette période douloureuse de sa vie. Quand il était parti visiter les communautés sorcières du monde, il ne pensait plus du tout à son ennemi de jeunesse.
Et tout à coup, le blond resurgissait dans sa vie et pour l'aider en plus ! Pas de très bonne grâce peut-être mais au moins, il n'était plus aussi désagréable. Il avait changé. En bien. Et tout en faisant mousser le savon sur sa poitrine, Harry repensait au soir où il lui était littéralement tombé dans les bras et qu'il s'y était senti bien. Rien de sexuel naturellement ! Ni lui ni le blond n'étaient homos, enfin aux dernières nouvelles ! Juste … Les bras de Malfoy étaient accueillants et les battements de leurs cœurs s'étaient harmonisés. Y avait-il maintenant entre eux une sorte d'amitié virile ? C'était possible. Tant qu'on n'évoquait pas le passé …
Tout en se séchant d'un simple sortilège - Encore merci Malfoy pour la baguette magique ! - Harry se rendit compte pour la première fois depuis longtemps qu'à part son pagne, il ne portait rien sur lui. Pas de sous-vêtement possible pour ses parties intimes, il ne supportait pas le coton ! Et soudain, ça le faisait rougir. C'était presque pire qu'être nu ! Et si jamais tout à coup il bandait en public ? Et surtout, s'il bandait en présence de Malfoy ? Oh Merlin, la honte ! En privé, ça lui était déjà arrivé mais c'était sain et normal. Personne ne pouvait s'en apercevoir. Une petite branlette et il était soulagé. Mais en imaginant cette situation particulière, Harry tout à coup ne savait plus où se mettre ! Rien que d'y avoir pensé, il était sûr que ça allait lui arriver !
L'évocation de Malfoy fit surgir dans son imagination les sous-vêtements de luxe que possédaient les gens riches. Le blond ne portait sûrement pas du vulgaire coton, encore moins du synthétique ! Sous ses vêtements simples mais élégants, il devait avoir quelque chose de doux à la peau, de raffiné sans être tape à l’œil … un boxer en soie par exemple ! De la soie ! Il n'en avait pas touché depuis … oh la la ! un bon bout de temps ! Peut-être que ça lui conviendrait ! Comme le riz et certains fruits ! Comme le miel que Draco lui avait apporté ! Y avait-il le moindre objet en soie dans ses affaires ?
Soudain, le coffre qui contenait son bagage s'ouvrit à la volée, le sac de voyage en sauta tout seul et déversa son contenu sur le tapis. Les vêtements et les objets reprirent leur taille première et là, au milieu d'un tas de tee-shirts, Harry reconnut quelque chose qu'il avait acheté pour l'offrir à Hermione, un carré en mousseline de soie aux tons pastels. Il le toucha du bout du doigt et … miracle ! ne ressentit aucune brûlure ! Braves petits vers à soie qui se nourrissaient de feuilles de mûrier ! Quel rapport avec le palmier Hyphaène et les oursins des sables ? Sans doute aucun mais le fait était là, Harry pouvait toucher la soie sans problème.
En moins de temps qu'il n'en faut pour dire Quidditch, Harry se trouva pourvu d'une sorte de mini slip ajusté sur ses hanches par deux petits nœuds serrés, un sous-vêtement improvisé, doux, confortable, rassurant surtout ! Bon, la couleur … pas terrible ! Un Colora Blanca peut-être? Bah ! Inutile ! Qui le verrait ? Il devait absolument dire à Malfoy de lui apporter des boxers en soie à sa prochaine visite. Et aussi des chemises, des pantalons, une veste … Un moment … Cet ensemble qu'il avait prêté à Malfoy pour la fête … N'était-il pas en soie ? … Il venait des Indes … Ici à Ghanzi, les gens ne portaient que des cotonnades, les guérisseurs n'avaient pas pensé à essayer d'autres tissus puisque, au début, le moindre contact sur sa peau le faisait horriblement souffrir …
L'esprit de Harry s'emballa. Il se vit soudain vêtu du pantalon noir et de la tunique verte, marchant dans les rues de Ghanzi vers la route de l'Est, puis passant la barrière magique, transplanant depuis les arbres jusque chez Maître Ndiapo, repartant pour l'Angleterre … Et aussi vite qu'elle était apparue, cette bulle d'imaginaire éclata. Il ne pouvait rien toucher, presque rien manger. Impossible de voyager, de rentrer chez lui. Le poison des oursins courait toujours dans ses veines et pour le moment, il n'y avait aucun remède. Il fallait juste ajouter la soie à la liste des matériaux qui lui convenaient.
D'ailleurs était-il prudent de clamer cette découverte sur tous les toits ? Le fait qu'il puisse se déplacer plus librement rendrait peut-être les Maîtres de Ghanzi méfiants. Ils y tenaient à leur chamane ! Harry savait qu'il ne pouvait résister seul aux nombreux sortilèges qu'on ne manquerait pas de prononcer contre lui. La prudence lui dictait de ne parler de sa découverte qu'à Malfoy et à lui seul. Dommage ! Ce costume lui aurait été à la perfection … assorti à tes yeux, avait dit la jeune Indienne qui l'accompagnait ce jour-là … Ce n'était que partie remise. Mais Malfoy aurait intérêt à revenir au Botswana le plus vite possible. Sa compagnie était plaisante … Il l'avait déjà beaucoup aidé … Il ne se moquait plus de lui …Il souriait bien … Et ses cheveux … Comment disaient les libres dames déjà ? « Couleur de l'argent brillant au soleil ». N'importe quoi ! Blond pâle tout simplement et sûrement doux comme de la soie …
Harry riait de lui-même en enroulant autour de ses hanches le pagne de palme, dissimulant ainsi le mini slip improvisé. Son repas frugal l'attendait sur sa table basse, des légumes qui ressemblaient à des haricots verts mais de couleur orangée, du riz avec deux rondelles de citron et - ça c'était pour lui un régal - quelques figues de barbarie. Dommage qu'il ne puisse pas tremper le bout de son doigt dans le miel de palmier ! …
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« Mauvaise nouvelle Potter ! Les gens du Ministère commencent à paniquer. Ils se sont débrouillés pour faire parvenir à Maître Ndiapo un courrier dans lequel ils parlent d'envoyer des Aurors chez lui pour enquêter sur ta disparition. Gammla dit que son père ne sait pas ce que c'est que des Aurors et qu'il est bien embêté. Je ne veux pas être mêlé à ça. Je suis ici de ma propre initiative et je n'ai rien à voir avec le Ministère. Qu'est-ce que tu proposes ?
Malfoy venait d'arriver. Il avait son visage des mauvais jours. Et Harry tombait des nues. Tout à sa joie d'avoir découvert les vertus de la soie, il regardait son visiteur avec des yeux de hibou, la bouche ouverte. Car le blond lui rapportait justement le costume qu'il lui avait prêté pour la fête. On voyait qu'il l'avait fait nettoyer et repasser. Il le déposa sur un des coffres et ajouta d'un ton rogue :
-Tu le rangeras toi-même. Ta baguette magique te servira au moins à quelque chose. Alors Potter … Une idée ? Ou ta cervelle n'a mis que six mois pour se décomposer ?
Six mois ! Harry reprit brusquement pied dans la réalité. Bien sûr, il ne s'était pas rendu compte du temps qui passait et il comprenait l'inquiétude des gens de Londres. Il devait donner rapidement de ses nouvelles sinon, un de ces jours, des Aurors débarqueraient au Botswana … Il y aurait peut-être un incident diplomatique … Maître Ndiapo aurait des ennuis … Draco aussi …
-Une lettre ! s'écria-t-il. Je vais leur écrire une lettre. Gammla ira la poster à Gaborone. Ou son frère Demblé. Ils ont été à l'école moldue, ils savent comment faire ! Tu l'enverras ce soir par ta chauve souris. Elle partira demain. En express par avion, elle arrivera dans deux jours ! J'ai tout ce qu'il faut dans la poche secrète de mon sac. Du parchemin à l'en-tête du Ministère ! Une enveloppe magique pour que le préposé des Postes moldu de Londres trouve le Chaudron Baveur ! C'est là que les sorciers se font envoyer leur courrier quand ils ne peuvent pas utiliser de hibou ! Vite Malfoy ! Bouge-toi ! Sors-moi ce qu'il faut ! Une plume et de l'encre aussi ! Ah ! Et ma cape d'invisibilité pour que je puisse en emprunter un petit bout ! … Quoi ? Tu en fais une tête ? Il y a un problème?
C'était au tour de Draco d'avoir l'air ébahi. Pourtant il était difficile de lui faire perdre son légendaire sang-froid ! Mais le torrent de paroles et l'air survolté de Potter lui avaient cloué le bec. Rapide le Griffondor quand il fallait agir dans l'urgence ! Excellents réflexes ! Il n'avait pas volé sa réputation de fonceur ! Il fallut un moment pour composer une missive rassurante, expliquant en partie le silence du voyageur par une blessure en voie de guérison et annonçant son retour prochain avec en prime la description d'une magnifique cité du désert. Sa signature officielle, son sceau imprimé par les bons soins de Malfoy et le tour serait joué !
Harry croisait les doigts en écrivant le message, il s'avançait sans doute un peu mais quoi ! Avec tout ce que Draco communiquerait à Maître Ndiapo, c'était bien le diable si le guérisseur ne trouvait pas le remède ! Et Harry n'avait même pas eu le temps de parler de la soie ! D'ailleurs, il ne dirait rien. Il envisageait tout à coup de faire à Draco une petite surprise. Sur les entrefaites, une jeune sorcière vint les chercher. Ils étaient attendus à la case des pierres.
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Ils durent traverser la salle d'audience de Ama Saé pour accéder au lieu où étaient entreposées les pierres magiques. On passait ensuite par l'une des portes annexes. La jeune femme leur indiqua le chemin et leur annonça qu'elle allait apporter le thé. Ils suivirent un couloir circulaire et arrivèrent au centre même de la Grande Case, dans une pièce ronde d'environ sept mètres de diamètre, assez petite donc mais haute de plafond. Les murs étaient lisses, recouverts d'argile claire. Une dizaine de globes lumineux flottaient en l'air. Il n'y avait pas de fenêtre mais malgré cela, on ne ressentait pas une impression d'étouffement car en haut, juste sous le toit de paille, on voyait des petites ouvertures d'aération. D'ailleurs un souffle léger se faisait sentir, apportant avec lui un parfum d'herbe et de fleur. Autour de la pièce, sur toute la hauteur, des rayonnages étroits étaient garnis d'une multitude de pierres de toutes sortes, rangées plus par tailles que par sortes ou par couleurs, vulgaires cailloux ou pierres semi-précieuses mélangées.
Les plus grosses étaient en bas, certaines trop importantes pour être fixées sur un bâton magique. Les plus courantes, de la taille d'un œuf d'oiseau, étaient juste à la hauteur des yeux pour une personne de taille moyenne. Au dessus, les petites étaient conservées dans des sacs de toile ou des boites diverses. Il y en avait des centaines, voire des milliers. Quand on entrait, comme le firent Harry et Draco, on en avait le souffle coupé. Les yeux ne savaient où se poser. Mais très vite, les regards se fixaient sur les deux personnes déjà présentes dans la pièce, une femme et un homme.
Elle était imposante et on ne pouvait lui donner lui donner un âge exact. Mais dans son visage poupin, ses yeux brillaient comme des diamants noirs. Un turban rouge recouvrait en partie ses cheveux crêpés. Elle était vêtue d'un large robe couleur marron clair, ornée de motifs géométriques qui soulignaient encore son ampleur. Un lourd collier de pierres multicolores ornait son cou. Harry et Draco reconnurent en elle avec surprise la chanteuse soliste du groupe musical. Vu sa taille, elle devait avoir quelques difficultés pour s'asseoir et surtout pour se relever mais elle trônait comme une reine, assise par terre, face à la porte. A ses côtés, un homme mince beaucoup plus âgé, aux cheveux blancs comme la neige, tenait un livre épais sur ses genoux.
Dès qu'on entrait dans cette pièce, on ressentait une impression de puissance magique telle que les baguettes de Harry et de Draco, qu'ils tenaient en main, s'illuminèrent à la pointe et chauffèrent légèrement. Ils s'inclinèrent en murmurant « Ama Déolida » et « Ada Siwo » qui signifiaient « Gardienne des Pierres » et « Gardien des Bâtons ». Ce n'étaient bien sûr pas leurs noms véritables mais l'annonce de leurs fonctions. Elle leur sourit et les invita d'un geste à s'asseoir en face d'eux. Elle parlait anglais avec une voix harmonieuse et profonde qui semblait remplir tout l'espace, la même voix qui faisait résonner les chants loin autour d'elle.
Comme Harry restait debout, elle fit apparaître une natte de palme. Visiblement tout était prévu pour leur visite. Ce fut alors qu'ils remarquèrent le sol de la case. Il n'était pas en terre battue ou recouvert de tapis comme partout ailleurs, mais il était entièrement pavé de pierres plates sauf au centre où se trouvait un disque de bois d'environ un mètre de diamètre. Les pierres étaient disposées très régulièrement tout autour, en cercles concentriques, presque blanches près du disque et devenant de plus en plus sombres vers la circonférence. On avait l'impression que ce sol dallé rayonnait de magie à partir de son centre. Le tapis se posa d'un côté du rond de bois, Harry y prit place et Draco fut invité à s'asseoir de l'autre côté. Ils posèrent leurs baguettes magiques à côté d'eux et elles continuèrent à briller faiblement pendant un moment.
La jeune sorcière entra avec un plateau abondamment garni. Elle l'installa juste au dessus du disque de bois mais sans le poser car il semblait flotter tout seul dans les airs. Le thé était manifestement prévu pour trois personnes et des petits gâteaux étaient posés sur une assiette. Un bol de bois rempli d'eau claire était posé à part, sur le côté, accompagné de fruits dans une corbeille. Pour Harry. Il avait l'habitude. La théière versa d'elle-même le liquide parfumé dans des tasses qui volèrent très doucement vers la main de trois des convives. Le bol fit de même pour le quatrième. Ama Déolida sourit de nouveau et dit de sa voix harmonieuse :
« Ne soyez pas surpris. Ici se trouve l'endroit le plus sacré de Ghanzi-Sa, le puits magique autour duquel la cité s'est construite. Il descend dans les profondeurs de la terre en dessous de ce cercle de bois, jusqu'à la nappe d'eau pure, inaltérable, sans cesse renouvelée, qui nous permet de vivre ici en plein désert. Ce puits existe depuis des temps immémoriaux. Autrefois, quand la cité magique n'existait pas, tous les sorciers nomades connaissaient son emplacement mais les non sorciers ne le voyaient pas. Il ne leur apparaissait qu'en cas de nécessité absolue, quand ils risquaient de mourir de soif. Puis il disparaissait et les hommes le cherchaient sans jamais le retrouver. C'est devenu pour eux une légende comme pour nous la rivière mystérieuse. C'est vrai pour ceux dont les yeux ont vus, c'est une fable pour les autres. Maintenant, de nombreux autres puits ont été creusés dans toute la cité, celui-ci ne sert que pour les cérémonies. Vous allez assister à l'une d'elles mais buvons et mangeons d'abord et bavardons. »
Elle était curieuse de leur vie antérieure et leur posa des questions sur cette école de leur jeunesse. Elle comprit très vite qu'à cette époque-là, ils n'étaient pas amis, loin de là ! Elle les félicita pour leur rapprochement actuel. D'ailleurs ici, à Ghanzi-Sa, on ne pouvait rester longtemps ennemis. La magie de l'eau était bénéfique, elle apportait la paix dans les cœurs. Draco s'en était déjà rendu compte. Ada Siwo s'intéressait à leurs baguettes magiques. Harry lui tendit la sienne mais le vieux sorcier ne la toucha pas. Il en sentait de loin la puissance. Il voulait surtout savoir pourquoi ces minces morceaux de bois étaient magiques sans avoir besoin d'une pierre. Harry lui parla des petits objets particuliers, insérés par magie dans le bois .
«Ma baguette a été taillée dans une branche de houx et à l'intérieur se trouve une plume de phénix, cet oiseau mythique que vous avez évoqué dans votre spectacle. Cette plume est l'équivalent de vos pierres, elle sert à canaliser l'énergie magique. Mais il y a une différence. Nous ne pouvons pas comme vous ranger notre baguette et la faire fonctionner rien qu'en y pensant. Nous devons l'avoir en main car sa magie vient de l'intérieur. En quoi est ta nouvelle baguette Draco ?
-En aubépine avec un crin de licorne comme l'autre. C'est souvent ce qui se passe quand un sorcier perd sa baguette d'origine. La deuxième en est une réplique. Mais la première m'a été infidèle si je me souviens bien. On dit que tu l'avais en main quand tu as affronté Lord Voldemort. J'ai donc participé un peu à votre duel. Disons, de loin.
Il y eut un silence. La voix qui venait de prononcer ces paroles était amère. Ama Déolida et Ada Siwo ressentaient tous les deux l'espèce de courant froid qui venait de passer entre leurs deux visiteurs, une tension soudaine résultant d'un souvenir lointain mais encore sensible. Harry eut soudain la vision de Draco désarmant Dumbledore en haut de la tour d'astronomie et devenant par là-même, sans le savoir, le maître de la Baguette de Sureau, la plus puissante baguette au monde. Cette puissance dont lui, Harry, avait hérité quand il avait arraché à Draco sa baguette d'aubépine. Cette puissance qui lui avait permis de vaincre Lord Voldemort dépouillé de tous ses Horcruxes en lui renvoyant son Avada Kedavra. Le lien entre eux était plus fort que le sorcier blond ne le croyait mais Harry ne pouvait pas le lui dire. Il se tourna vers Draco et répondit après quelques instants volés au temps :
-Je n'avais pas vu les choses de cette façon mais tu as raison. Sans le vouloir, tu as vraiment contribué à la défaite du Lord Noir. Le monde sorcier devrait t'en être reconnaissant. En tout cas, moi, je t'en remercie.
Et par dessus le rond de bois qui recouvrait le puits magique, il lui tendit la main. Draco la regarda une, deux secondes puis il tendit la sienne. Elles se rejoignirent et Harry s'attendait à ressentir la brûlure habituelle mais la magie de l'eau était si forte qu'il n'éprouva qu'un léger picotement. Ils se sourirent d'un air un peu contraint et leurs deux hôtes soupirèrent de soulagement. Encore une fois, la paix bénéfique à tous régnait sur la cité du désert.
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La jeune sorcière qui était venue les chercher entra et annonça :
- Les deux postulants sont là. Boréa la jeune fille et Ladochem le garçon. Qui doit entrer en premier, Ada Siwo ?
-Reprends le plateau et envoie-nous le plus jeune dans quelques instants, répondit-il … Draco, Harry, installez-vous à côté de Ama Déolida, le puits doit rester libre. Posez vos baguettes près de vous sur les pierres et n'y touchez plus. Ne dites rien et ne faites aucun geste. Cette cérémonie est importante pour ces jeunes apprentis sorciers. Ils sont prévenus de votre présence et ils en sont honorés mais ne les troublez pas. Entre, Ladochem, dit-il au garçon qui apparaissait à la porte.
C'était un tout jeune homme. Il n'avait pas plus de seize ans. Il portait une simple tunique bleue qui lui arrivait aux genoux. Ses pieds étaient nus. Il jeta un regard vers les deux invités et sourit fugitivement puis il prit un air sérieux et se redressa. Il avait dans sa main droite un bâton sans pierre. Il le leva devant lui et s'inclina en disant d'un ton cérémonieux :
-Ada Siwo, Ama Déolida, le garçon qui est devant vous a besoin de vos conseils. Acceptez-vous de l'aider à devenir un véritable sorcier ?
Il s'exprimait en anglais, sans doute par égard pour les deux invités présents. Il avait dû fréquenter une école moldue dans son enfance car il le parlait assez bien, il trébuchait juste sur quelques sons peu communs dans les langues africaines.
-C'est notre rôle, répondit Ada Siwo. Nous avons quelques questions à te poser. Réponds-y avec franchise. Avance jusqu'au puits et si tu es prêt, tiens-toi debout au milieu du cercle de bois.
-Je suis prêt, Ada Siwo, dit le jeune garçon d'une voix assurée.
Il avança de quelques pas et fit face de ses deux aînés, juste au-dessus du puits magique. A ce moment-là, les globes lumineux s'assombrirent, la pénombre s'installa, sauf au centre de la pièce qui fut baignée dans une lumière bleutée tout autour du jeune garçon. Ama Déolida prit la parole.
-Jeune homme, qui es-tu ?
Il répondit en anglais mais en employant les tournures de phrases propres à sa langue dans les moments de solennité. Il traduisait mot à mot ce qu'il aurait dit en tswana'.
-Ama, Ada, le garçon qui est devant vous s'appelle Chem, il est le premier fils de Ladofir et de Ilisidi. Il appartient au clan sorcier des Lado. Il réside dans la Maison de son père avec Moumée sa second épouse, ses frères et sœurs par le sang paternel et aussi les anciens de la famille d'avant son père. Sa mère Ilisidi a repris sa liberté après sa naissance et a épousé un sorcier du clan des Réda. Chem a vu passer seize fois le cycle du soleil. A chaque cycle, il réside pendant une lune chez sa mère avec ses frères et sœurs par le sang maternel. L'harmonie règne en lui et autour de lui. La paix est en son cœur.
-Quelle est ta spécialité, Chem, fils de Ladofir et de Ilisidi, reprit Ada Siwo.
-Les Lado sont tanneurs depuis les temps anciens, aussi loin qu'on peut remonter pendant les cérémonies de mémoire. Chem est tanneur comme son père, le père de son père et tous les autres avant lui. Il est venu à Ghanzi-Sa il y a dix lunes car il voulait en savoir plus sur son métier, apprendre par exemple l'harmonisation des peaux de différentes sortes, les broderies et les incrustations, l'utilisation des perles, des crins et des fils de couleurs, tout ce que l'art de la maroquinerie peut apporter au travail usuel des tanneurs. Chem voit le travail des peaux avec des yeux différents de ceux des autres membres de son clan. Il voit le beau en plus de l'utile. Il a demandé à Maître Dvali, expert maroquinier, de lui transmettre son savoir et Maître Dvali a dit oui. Chem a beaucoup travaillé et beaucoup appris. Il sent qu'il est prêt à trouver la pierre de son bâton sorcier. Si Ada Siwo et Ama Déolida le jugent digne de cet honneur.
-Que peux-tu nous montrer pour prouver tes paroles, dit Ama Déolida.
Ladochem fit un signe, la jeune sorcière reparut. Elle posa devant Ama Déolida un sac ouvragé et devant Ada Siwo une ceinture tressée et perlée, deux objets de toute beauté. Ils les prirent en main et les examinèrent attentivement. Un des globes lumineux s'était rallumé pour leur permettre d'apprécier le superbe travail du jeune sorcier. Ils sourirent tous les deux et hochèrent la tête. Puis le globe s'éteignit et Ada Siwo reprit la parole.
-Tu pourras remercier Maître Dvali, il a été un bon enseignant et toi un bon élève, dit-il. N'oublie pas d'apprendre quelque chose de nouveau à chaque cycle du soleil. Celui qui n'avance pas piétine puis recule. Maintenant, lève ton bâton et vois si une pierre répond à ton appel.
Le jeune homme obéit avec empressement. Un silence particulier régnait dans la salle ronde, un silence fait d'attente et de désir. Lentement, Ladochem tourna sur lui-même, le bâton levé au-dessus de sa tête, regardant de tous côtés, guettant la moindre lueur. La lumière bleutée montant du puits semblait l'accompagner en tourbillonnant autour de lui. Au troisième tour, une pierre commença à briller sur la troisième rangée, une pierre opaque d'un vert un peu jaunâtre, un peu plus grosse qu'une noix. Elle avait la forme d'un prisme triangulaire avec en son milieu une inclusion plus sombre en forme de Y. « Une olivine, reconnut Draco. Superbe ! ».
On entendit un grand soupir de satisfaction, le jeune homme n'osait plus bouger mais il avait sur le visage un sourire ravi. La pierre se souleva doucement et se déplaça pour venir se poser en haut du bâton. Soudain, la lumière bleue du puits resplendit et monta en un tourbillon rapide des pieds nus de Ladochem jusqu'à la pointe du bâton. L'extrémité s'ouvrit comme une serre d'oiseau, et se referma autour de la pierre qui lança un rayon vert presque aveuglant puis s'éteignit progressivement. La magie avait opéré. Le jeune homme avait obtenu en quelque sorte son diplôme, il était sorcier à part entière.
Il fit deux pas pour sortir du cercle, se retourna et s'inclina bien bas devant le puits, puis d'un bond, il se précipita aux pieds de Ama Déolida et de Ada Siwo, oubliant la langue anglaise, répétant des remerciements en tswana' tout en serrant entre ses mains le bâton sorcier qui l'accompagnerait dans toute sa vie d'homme. Il n'y avait pas de plus heureux que lui sur terre. Harry et Draco n'avaient pas bougé pendant toute la cérémonie. Maintenant, ils riaient tous les deux et félicitaient le jeune sorcier en même temps que leurs hôtes. Cette première recherche de pierre était une totale réussite. Ladochem se retira, laissant bien sûr aux pieds de Ama Déolida et de Ada Siwo les offrandes qu'il avait apportées. C'était naturel, un échange de bons procédés tout à fait normal au pays du troc roi.
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