Chamane 19 Un au revoir
C'était le soir. Harry avait terminé son dîner solitaire, pour une fois bien meilleur que d'habitude. On lui avait préparé toute une coupe de mirabilis épluchés et il avait eu droit à un grand bol de lait de dromadadaire. Il avait rarement l'occasion d'en boire. Les femelles ne se laissaient pas traire tant que leur bébé n'avait pas fini de téter et les petits droma étaient insatiables. Ils avaient besoin de ce lait très nourrissant, assez épais et crémeux, pour que les muscles de leurs ailes se développent. Résultat, les mères maigrissaient et les petits grandissaient à vue d’œil. Ce lait, c'était avec le riz l'aliment qui avait permis à Harry de ne pas mourir de faim. Il y ajoutait du sucre de palme et comme aux bébés, ça lui donnait des forces. Et il en avait bien besoin. Il n'était guère épais.
C'était ce que pensait Draco venu chercher son sac oublié. Il avait fait une rapide visite d'adieux à Ama Saé et à Maître Félaro. La Gardienne de la cité avait été élogieuse. Selon elle, la venue de Draco avait été bénéfique pour Harry. Il était enfin sorti de sa torpeur et il y avait bon espoir pour sa guérison prochaine. Le jeune sorcier blond pouvait revenir quand il voulait, il serait toujours le bienvenu. Et pas seulement pour son camarade d'école, avait-elle ajouté avec un sourire malicieux.
Maître Félaro lui avait assuré que son ami Harry ne manquerait ni de miel de palme ni de mirabilis. Et n'oubliant pas qu'il était responsable de l'import-export de Ghanzi-Sa, il avait demandé à Draco de le mettre en rapport avec les commerçants anglais intéressés par leurs produits, épines d'oursins comprises. On ne laissait jamais passer l'occasion de faire des affaires. Draco s'était déjà engagé envers Maître Ndiapo pour les produits de l'apothicairerie mais le reste ouvrait de grandes possibilités. Même chez les Moldus. Il pensait en particulier aux diamants. Il y avait peut-être des trésors dans la case des Pierres.
Il avait trouvé Harry encore à table. Il s'était assis en face de lui et l'avait regardé déguster son lait d'un air amusé. Mais il avait décliné l'offre d'y goûter, il n'aimait pas ça. Le silence s'était installé entre eux. Potter semblait mal à l'aise. Il baissait les yeux et bougeait un peu trop. Allons bon ! Il n'allait pas s'apitoyer sur son sort et faire une crise de larmes tout de même ! C'était un Griffondor, pas un Pouffsouffle ! Autant le brusquer un peu.
« Nous n'avons rien oublié je crois ? Alors au revoir Potter … Harry. Je ne sais pas quand je pourrai revenir mais je reviendrai, sois-en sûr.
-Attends ! reprit vivement son vis-à-vis. Je voudrais … Je ne connais pas ton adresse à Londres. C'est pour te donner des nouvelles de mon traitement … S'il y a des progrès, tout ça … J'envoie la lettre au Chaudron Baveur ?
-J'habite dans le Londres moldu, Harry. Je ne fréquente pas le monde sorcier. Je vais t'écrire mon adresse sur une des enveloppes de ton sac. Je serai content d'avoir de tes nouvelles. Je te répondrai par Maître Ndiapo.
-Pas la peine, reprit Harry avec un grand sourire. Je me suis renseigné par mon rocher. Il y a une Poste à Ghanzi-Sa. C'est un peu compliqué mais on peut envoyer et recevoir du courrier, même des pays étrangers et même des Moldus. Toutes les semaines, le jeudi, les lettres et les paquets sont emmenés dans un sac vers la sortie du Sud par le Maître des Postes. De là, il transplane vers l'autre Ghanzi et il expédie le tout vers les destinations inscrites. A son retour, il présente la facture à chaque client et on le paie avec un bonus pour sa peine. Il rapporte aussi le courrier adressé aux habitants de la cité, et pour ça aussi il faut lui donner quelque chose. L'adresse est tout simplement une boîte postale avec le numéro 001. Les chauves-souris ne servent que pour le courrier rapproché entre sorciers. Uuuiiu aurait du mal à voler jusqu'en Angleterre. C'est fou ! Chaque jour je découvre ici quelque chose de nouveau.
Bon, Potter avait l'air en meilleure forme. Draco se leva et se dirigea vers son coffre tout en répondant :
-Parfait Harry. Nous pourrons donc correspondre.
Mais quand il se retourna, Harry s'était levé aussi et il faisait triste figure.
-Ça va être long ! Je m'ennuie déjà !
-Et c'est à moi que tu dis ça ! Alors que tu vas pouvoir te balader tous les jours au soleil ! Ne sois pas si égoïste et pense un peu à ceux qui vont travailler pour gagner leur vie sous la bonne petite pluie bien froide de Londres !
-Toi par exemple ?
-Naturellement ! Ha ! Heu non, je ne te disais pas de penser spécialement à moi. Tu connais des tas d'autres gens. Mais prends patience. Tu vas bientôt guérir. Avec tout ce qu'on a découvert, tu vas t'y retrouver en Angleterre ! Et vite ! Tu le regretteras le soleil de l'Afrique ! … Bien, ajouta-t-il en inscrivant rapidement son adresse sur une enveloppe. Je pense transporter les mirabilis dans le sac que j'ai acheté. J'y ajouterai les œufs d'oursins en route. J'espère trouver facilement le nid. Alors au revoir Harry. A bientôt !
-Attends ! Si tu vois Ron ou Hermione, donne-leur de mes nouvelles. Ils sont mariés et ils ont déjà un enfant. Il y en a peut-être un autre en route. Ils ont promis que je serai le parrain du deuxième. Tu peux leur parler, tu sais. La guerre est loin et …
-Je ne vois vraiment pas où je pourrais les rencontrer, répondit Draco d'une voix plus froide. Par contre, Lovegood a mon adresse, j'ignore qui a pu la lui donner. Si elle vient me voir, je lui parlerai de toi. Elle transmettra.
Il ramassa son sac, se dirigea vers la porte et l'ouvrit.
-Attends, jeta Harry pour la troisième fois.
Il avait pris sa cape d'invisibilité posée sur son lit et s'avançait vers Draco. Avant que celui-ci ne réalise ce que Potter voulait faire, le Griffondor avait disparu. Alors Draco sentit des bras se refermer sur lui, un corps se colla au sien et un souffle glissa près de son cou. Il aurait pu repousser cette étreinte surprise. Il n'en fit rien, il ferma les yeux et resta immobile, contre Harry qui le serrait comme si sa vie en dépendait. Parce que lui aussi en avait envie, parce que c'était bon et parce qu'ici, dans la cité aux eaux magiques, c'était normal et ça ne prêtait pas à conséquences. Lui et Potter avaient sympathisé, ils pouvaient briser le cercle de l'intimité et entrer en contact l'un avec l'autre.
Ça aurait pu rester juste amical, comme avec Madibo. Mais il était attiré par Harry. Il ne pouvait le nier. Il sentait la chaleur monter en lui, son sexe se durcir. Il ne savait pas si Potter était dans le même état que lui, mais il était prisonnier de ses bras et de nouveau, il entendait leurs cœurs battre à l'unisson. Le sang pulsait à ses oreilles et il entendit à peine la voix pressante du Griffondor :
« Ne m'oublie pas ! »
Les bras le lâchèrent, Potter resta invisible. Alors Draco ferma doucement la porte et s'en fut vers sa case, un peu étourdi par ce bref instant intense.
«Au revoir Harry » murmura-t-il. Ce n'était pas avec l'image de Madibo qu'il voyagerait le lendemain. Mais avec celle d'un mince jeune homme aux yeux verts et aux cheveux toujours en bataille.
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Draco regardait d'un œil méfiant les deux dromadadaires qu'une femme tenait par un licou. Il venait de passer la porte de l'Est. Il était tôt, le soleil se levait en face de lui au-dessus d'une barrière de nuages roses. Le garde de la cité avait encore l'air à moitié endormi. Il avait inscrit son nom sur son gros livre et avait recommandé au jeune homme de signaler son arrivée à la sortie magique en frappant sur le dernier rocher. Qu'il suive surtout tout droit le chemin balisé ! Il ne faisait pas bon se perdre dans le désert ! Connaissait-il bien le mot de passe pour franchir la barrière magique ? Il avait bâillé après ces recommandations et s'était rassis sous son arbre. A peine Draco avait-il fait quelques pas sur la route que la femme était arrivée avec ses deux animaux. Elle souriait d'un air malicieux et le jeune homme avait reconnu l'une des libres sorcières qui siégeait au conseil de Ama Saé.
« Bonjour Maître Draco ! dit-elle. Je suis Dame Elizéa, la chamelière. Voulez-vous profiter du voyage ? Je vais chercher quelqu'un qui doit arriver par cette route. C'est Maître Epofa, le distillateur des mirabilis. Il est presque aveugle mais il s'obstine à faire une partie du chemin à pied. Il marche pendant au moins une heure avant de m'appeler en tapant sur un rocher. Pourtant, il est chargé comme une mule. Il transporte sur son dos son matériel et toutes sortes de graines et de plantes dans un grand sac. Mais il prétend qu'il doit aussi ramasser en chemin une pierre spéciale et il refuse de dire où on en trouve. Il tient à garder le secret de fabrication de la « liqueur des fêtes ». C'est un vieil entêté mais il est le seul à connaître la formule. On ne peut pas se passer de lui. Un de ces jours il mourra et le secret sera perdu. Si vous voulez, Maître Draco, je vous offre une petite promenade à dos de droma. Ça vous tente ?
-Je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée. Je n'ai rien d'un cavalier. Je n'ai jamais chevauché autre chose qu'un balai.
-C'est pareil ! Ne vous en faites pas ! Vous voyez la selle de cuir posée devant la bosse entre les ailes ? On y est comme dans un fauteuil. Les droma marcheront jusqu'à la limite des herbes sèches. Vous aurez tout le temps pour vous habituer. Ensuite, ils se mettront à galoper en dépliant leurs ailes. Vous verrez ! C'est une sensation extraordinaire. On file aussi vite que le vent. Vous n'aurez pas une occasion pareille avant longtemps. Profitez-en.
Elle lui souriait d'un air engageant. Mais Draco hésitait encore. La bête était haute sur pattes et elle retroussait ses babines sur de grandes dents jaunâtres en reniflant bruyamment. Son côté Serpentard lui conseillait de se méfier mais il ne voulait pas faire mauvaise impression et paraître lâche. Elle éclata de rire et ajouta :
-C'est la plus docile de mes femelles. C'est elle qui a donné son lait hier pour Maître Harry. Son petit est presque adulte mais il tète encore. Enfin j'ai quand même réussi à la traire. Ce n'est pas facile, il faut ruser ! Savez-vous si ce lait a fait plaisir à votre ami ?
Instinctivement Draco sourit et se détendit. Harry, avec une moustache de lait blanche au dessus de ses lèvres rouges …
-Oui, répondit-il. Harry a beaucoup apprécié. Quant à votre proposition …
-Acceptez, Maître Draco, vous vous éviterez une longue marche solitaire. La route de l'Est est la moins fréquentée des quatre. Maître Epofa est le seul visiteur annoncé pour la journée. Vous verrez, c'est un personnage ! J'ai apporté des galettes au miel pour le mettre de bonne humeur. Nous ferons une petite collation avant de repartir. Ce sera pour vous une pause bienvenue avant le reste de la route.
Elle était persuasive et elle souriait, certaine de son acceptation. Ainsi, elle avait tout prévu. Draco était sûr que même si le Maître distillateur n'était pas venu ce jour-là, elle aurait trouvé un autre prétexte pour lui proposer une balade à dos de droma. Ça faisait partie du jeu subtil de la séduction et de la compétition entre les femmes libres de la cité. Il ne pouvait se dérober sans être grossier. Il accepta. Elle donna un ordre bref en secouant les licous et les deux grandes bêtes descendirent docilement d'un étage. Ainsi posées sur le sol, elles étaient moins impressionnantes. Draco s'installa le plus dignement possible sur la selle et se tint solidement au pommeau devant lui. Heureusement car le tangage qui suivit aurait pu le faire tomber sans gloire. Mais il tint bon et son droma se mit en marche à côté de l'autre.
La chamelière avait raison, c'était confortable. Ça balançait un peu mais on s'y habituait vite. Ils traversaient la zone de vergers et de jardins qui encerclait la cité. Vu d'en haut, c'était encore différent de ce qu'il avait observé en allant visiter la Gardienne des abeilles. Dame Elizéa semblait éclater de fierté. C'était comme si elle avait réussi à capturer une proie convoitée par beaucoup d'autres. Elle aurait des choses à raconter quand elle retrouverait ses compagnes, même si elle savait que ce n'était qu'une escarmouche ! Le bel homme « aux cheveux d'argent brillant sous le soleil » n'était pas pour elle. Enfin pas encore ! Elle en profitait pour vanter son troupeau.
-Ma famille élève des droma depuis des générations, expliquait-elle. Nous avons plus de trente bêtes. Personnellement, je possède deux mâles, sept femelles et trois petits. Ils m'appartiennent en propre. Par exemple, ils ne faisaient pas partie de ma dot lors de mon mariage. Ce sera l'héritage de ma fille qui est mon premier enfant. J'ai ensuite donné un garçon à mon mari puis nous nous sommes séparés tout en restant bons amis. Lui aussi élève des droma, du côté de la porte du Nord. Notre union avait été arrangée par nos parents pour des questions d'argent mais son cœur était ailleurs. Il s'est remarié avec celle qu'il aimait et je suis restée libre. Il faudra que vous veniez me voir quand vous reviendrez. J'ai une belle case où je vis avec ma fille et une jeune cousine, je possède un verger, un jardin, l'enclos pour mes bêtes …
Bercé par le pas chaloupé de sa monture et aussi par le babillage de Dame Elizéa, Draco se laissait aller à la rêverie. Voilà, c'était fait, il était sur le chemin du retour mais les jours passés à Ghanzi-Sa resteraient dans sa mémoire comme un beau souvenir. Et l'invite de la chamelière à revenir rejoignait ses propre désirs. C'était vraiment une cité magique, un endroit paisible où même un Serpentard comme lui, encore rempli de colère et d'orgueil à son arrivée, pouvait maintenant baisser sa garde et laisser parler son … cœur. Sans le montrer, sans le dire ouvertement ! Il n'était ni Griffondor ni surtout Pouffsouffle ! Mais oui, son séjour ici lui avait apporté une sorte de paix intérieure et c'était une expérience nouvelle et agréable. Et puis il y avait Potter …
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Pendant que Draco se faisait gentiment draguer par une chamelière hardie, Harry, lui, était dans un grand état de confusion. Plus il repensait aux adieux de la veille, plus il se demandait pourquoi il avait brusquement serré Malfoy si fort dans ses bras. Il en rougissait chaque fois que l'image lui revenait en tête. Et Merlin savait que ce genre de questionnement n'était pas la tasse de thé des Griffondors ! Il avait encore une fois agi sans réfléchir, comme d'habitude, mais par quels sentiments avait-il été poussé ?
La crainte que Malfoy ne revienne pas ? Qu'il l'abandonne à son sort parce qu'il n'en avait rien à faire de Potter ? Qu'il l'oublie dès qu'il serait rentré à Londres et qu'il aurait retrouvé cette Lizzie à qui il semblait beaucoup tenir ? C'était possible finalement. Ils s'étaient haïs pendant sept ans, ça ne s'effaçait pas en quelques jours. Voilà, c'était ça, il avait trouvé, il avait eu peur, peur d'être condamné à rester ici encore longtemps, entouré de gens prévenants et attentionnés, mais terriblement solitaire malgré tout. C'était pour ça qu'il avait murmuré à son oreille ce « Ne m'oublie pas !» d'une voix presque suppliante.
Sauf que ça ne collait pas. Malfoy reviendrait, il en était sûr. Il avait changé. Ils avaient changé tous les deux. Et le Serpentard avait vraiment essayé de l'aider, même si parfois son ancien caractère reprenait le dessus. Il s'était donné beaucoup de peine pour rechercher tout ce qui pourrait l'aider à guérir. Il avait été aimable et sincère pendant cet après-midi si agréable. Souriant, presque amical, autant que quelqu'un comme lui pouvait l'être quand il voulait. Alors pourquoi cette étreinte faisait-elle monter le feu à ses joues ? C'était un simple au revoir entre deux personnes qui se connaissaient. Il aurait pu faire pareil avec Ron …
Heu non … A la réflexion, avec Ron, ce n'était pas pareil. Il avait été à deux doigts de poser ses lèvres sur la joue de Malfoy. Il s'était retenu juste à temps ! Il voulait l'embrasser ! Et confusément cela fit naître une autre image dans son esprit, une image qu'il s'efforçait d'oublier. Madibo … et Draco … se faisant aussi leurs adieux … par un baiser … Oh bien sûr, il ne voulait pas embrasser Malfoy comme ça ! Mais ça le dérangeait qu'eux l'aient fait ! Et manifestement ça leur avait fait plaisir !
Est-ce que ça voulait dire qu'il était … jaloux de Madibo ? Impossible ! Il n'était pas « amoureux » de Malfoy ! Il avait juste découvert que maintenant qu'ils étaient adultes, ils pouvaient s'entendre et se rapprocher. Devenir d'excellents anciens copains d'école comme ça aurait été possible s'il n'y avait pas eu cette stupide rivalité entre Serpentards et Griffondors, s'il n'y avait pas eu cette guerre et cette prophétie qui lui avait bousillé sa jeunesse. Mais l'époque avait changé. On était dans un autre temps, un autre lieu, un endroit où il pouvait être « ami » avec Malfoy … avec Draco.
Sauf que c'était plus que ça. Il revoyait la scène de la veille, quand Draco était venu chercher son sac oublié. Par deux fois, il l'avait rappelé avant qu'il ne parte et à chaque fois, il avait instinctivement tendu la main pour l'arrêter. Et la troisième fois, sur un coup de tête, il avait attrapé sa cape, l'avait passé sans réfléchir par dessus sa tête et il avait pris Draco dans ses bras. Comme si c'était normal. Comme s'il s'était retenu de le faire depuis un moment et que l'urgence avait guidé soudain son geste. A la Griffondor. Et il s'en rendait compte tout à coup pendant que la chaleur lui montait jusqu'aux oreilles, le Serpentard ne l'avait pas repoussé !
A travers le tissu magique, leurs deux corps s'étaient touchés, emboîtés, unis. Il avait senti l'abandon de Draco contre lui et autre chose aussi. Il l'avait senti se tendre vers lui comme il avait senti maintes fois une de ses conquêtes donner ainsi son acceptation. Pendant un bref instant, celui qui était dans ses bras avait répondu à l'appel des sens. Et lui aussi. La chaleur l'avait envahi subitement et si fort qu'il en avait été tétanisé ! Et quand leur étreinte s'était dénouée, il n'avait pas osé enlever la cape de peur de dévoiler son émotion ... sa confusion ...
Mais enfin, c'était surnaturel ! … Pas pour Malfoy puisqu'il était gay … ou bi … mais pour lui ? Il était hétéro ! Il l'avait toujours été ! Qu'est-ce que c'était que cette connerie ? Ah oui ! La solitude ! La solitude affective lui avait juste fait perdre la tête ! Ce n'était que ça, rien d'autre ! Rien d'important, rien qui vaille la peine de s'y attarder ! Allez Harry reprends-toi ! Ce n'est qu'un coup de chaud, un simple coup de folie ! N'y pense plus !
Plus facile à dire qu'à faire ! Et voilà un avenir peuplé de longues et sombres journées malgré le soleil ! Quoi que tu en dises Malfoy ! … Quoi que tu en penses Draco. Ne m'oublie pas !
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Pendant que Harry se débattait dans des états d'âme peu familiers aux Griffondors, Draco Malfoy s'amusait beaucoup. D'abord, il y avait eu cette course, presqu'une envolée, sur la droma qu'il chevauchait. Arrivée à l'orée du désert, sur un ordre de la chamelière, la bête magique avait déplié ses grandes ailes membraneuses et s'était élancée sur le côté droit de la piste. L'autre droma en avait fait autant du côté gauche. Les ailes ouvertes, les deux animaux n'auraient pas pu avancer de front sur le chemin. C'était agréable car on ne sentait plus le balancement chaloupé de la marche, seulement une impression grisante de liberté et de vitesse.
Les sabots des deux droma ne quittaient pas le sol pourtant on croyait voler. Le paysage assez morne avec ses rochers et ses rares buissons épineux défilait, l'horizon semblait se rapprocher plus vite et le vent de la course chantait aux oreilles du cavalier. Draco ne regrettait pas d'avoir cédé à l'invite de la femme qui chevauchait à ses côtés, le corps tendu vers l'avant, les cheveux dénoués flottant derrière elle, le visage illuminé par l'excitation de la course. C'étaient vraiment des moments magiques, de ceux qu'on n'oublie pas.
Puis sur un cri jeté dans le vent par la chamelière, les droma avaient ralenti, ils avaient replié leurs ailes avec un bruit léger qui ressemblait au froissement du papier de soie et ils s'étaient arrêtés près d'un rocher où était assis un grand sorcier maigre à l'air peu aimable.
«Hé bien, tu en as mis du temps ! avait-il lancé d'une voix forte.
La chamelière avait souri en coin vers Draco, elle avait ordonné aux bêtes de se poser, puis elle avait sauté légèrement au sol et répondu gaiement :
-Bonjour à vous Maître Epofa. Etes-vous à l'aise dans vos sandales ce matin ?
-Bien sûr que non ! Ce chemin est épouvantable ! J'ai au moins trois ampoules et aucun baume pour les soigner ! C'est mon dernier voyage ! L'année prochaine, vous vous passerez de moi !
-Oooooh ! Comme c'est triste Maître Epofa ! Je suis sûre que vous regretterez mes galettes au miel. Mais si c'est ce que vous avez décidé … Votre belle-fille vous a-t-elle bien préparé vos œufs et votre café ce matin ?
-NON ! Cette … péronnelle ne sait rien faire ! Ni le café, ni les œufs, ni la bouillie de maïs … Des galettes au miel tu as dit ? J'en mangerais bien une pour me remettre mais bien entendu tu n'en as pas apporté !
-Bien sûr que si Maître Epofa ! En signe de bienvenue ! Mais avant, permettez-moi de vous présenter la personne qui m'accompagne.
-Comment ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Tu as un nouveau compagnon ? Pourquoi ne m'a-t-on rien dit avant mon départ ? Tu sais que je n'aime pas les nouvelles têtes !
-Ce n'est pas mon compagnon Maître Epofa ! Je tiens bien trop à ma liberté ! C'est un voyageur qui repart par la route de l'Est … Approchez-vous Draco, ajouta-t-elle à voix basse. Il ne voit de vous qu'une silhouette.
Le jeune sorcier blond était descendu de sa monture avec assez de facilité. Il avait écouté l'échange entre les deux sorciers d'un air amusé. Ces chamailleries étaient apparemment leur façon particulière de se saluer quand ils se retrouvaient. Ils étaient certainement heureux de se revoir … Enfin façon de parler. Maintenant qu'il était près du Maître distillateur, Draco remarquait ses yeux. Ils étaient presque blancs car la cornée était recouverte d'une mince pellicule de peau qui l'opacifiait. Il devait juste distinguer les ombres et la lumière, les couleurs vives et les silhouettes des gens, des animaux et des rochers. On pouvait se demander comment il réussissait à se diriger. Pourtant, il se dégageait de lui une impression de sûreté et de force intérieure.
Même assis, il paraissait grand car il se tenait très droit. Son visage semblait sculpté à angles vifs dans une pierre noire. Il avait une courte barbe blanche assez clairsemée et des cheveux de neige frisottant autour de sa tête comme une couronne. Il portait une longue tunique bleu foncé sur un pantalon plus clair et il tenait à la main son bâton sorcier. Contrairement à ceux que Draco avait vus dans la cité, le sien était grand, comme les longues cannes dont se servent les bergers des troupeaux. En haut, la pierre était assez grosse, de couleur orange vif, mais le jeune homme avait déjà remarqué qu'elle lançait des rayons verts quand elle bougeait au soleil. Il n'avait jamais vu de pierres de ce type, pourtant il en savait beaucoup sur les pierres fines ou précieuses. Ce bâton sorcier devait avoir une grande puissance et – Draco en eut l'intuition – c'était lui qui guidait le sorcier presqu'aveugle.
Posé à même le sol se trouvait un gros sac de toile tout bosselé par les objets hétéroclites qu'il contenait, le matériel de distillation et les ingrédients qui devaient servir à la fabrication de la « potion des fêtes ». Il devait même y avoir cette fameuse pierre qu'il était censé trouver en route. Draco se demandait pourquoi le sorcier ne se servait pas d'un Reducto mais il pensa soudain que ce n'était pas possible à cause de sa vue défaillante. Si Maître Epofa ne prenait pas rapidement un aide ou un apprenti, même en se servant du goût, de l'odorat et du toucher, il ne pourrait bientôt plus travailler. Le jeune homme blond s'avança et dit :
-Bonjour Maître Epofa. Je suis Draco Malfoy, un sorcier qui repart dans son pays après une visite à Ghanzi-Sa. Je suis heureux de faire votre connaissance.
Il se pencha légèrement en avant pour que le voyageur puisse le voir de plus près. Assis sur son rocher, l'homme tressaillit et tourna vivement la tête. Il ignora Draco et demanda d'un ton peu aimable :
-Qu'est-ce qui te prend, Elizéa ? Tu m'as envoyé un éclat de soleil dans l’œil ! Ce n'est pas le moment de jouer avec ton miroir ! Que disais-tu, jeune homme ?
Avant que Draco, surpris par la réaction de Maître Epofa, ait pu répondre, la chamelière protesta :
-Je ne joue pas avec mon miroir ! Je sors les galettes au miel de mon sac ! Le soleil est derrière vous, comment pouvez-vous le voir ?
-Je n'ai pas vu le soleil, j'ai aperçu la trace d'un de ses rayons. Y a-t-il près d'ici un objet brillant ?
-Non, à part la pierre de votre bâton.
Puis elle pouffa de rire et ajouta :
-Et aussi les magnifiques cheveux de notre visiteur ! Toutes les femmes libres de la cité en sont folles et les autres aussi !. On dirait de l'argent brillant au soleil !
Elle répéta l'expression en tswana's en pouffant encore. Draco, lui, fronça les sourcils. Décidément, cette réputation lui collait à la peau, enfin, aux cheveux. Mais Maître Epofa parut soudain très intéressé. Il tendit devant lui une longue main osseuse et fit signe à Draco de s'approcher plus près.
-J'ai entendu parler de toi, dit-il. On raconte ton arrivée ici dans toutes les familles sorcières du pays, surtout celles où il y a des jeunes femmes. Les détails vrais ou inventés se colportent de bouche à oreille à la vitesse du vent. Tu es en passe de devenir une légende, jeune homme ! Mais j'aimerais savoir qui tu es vraiment. Comment m'as-tu dit te nommer et d'où viens-tu ?
-Je m'appelle Draco Malfoy, reprit le sorcier blond d'une voix patiente en réprimant un soupir. Je viens d'un lointain pays qui s'appelle l'Angleterre. J'ai rendu visite à un ami, Harry Potter, qui a été piqué par un oursin des sables, et je rentre chez moi.
-Ah ! Tu connais Maître Harry ? Le pauvre garçon ! Il n'est pas sorti d'affaire. Mais revenons à toi. Tu es sorcier. As-tu fait des études dans ton pays ? Y a-t-il là-bas des Maîtres ou des Maîtresses qui enseignent leur savoir aux jeunes gens intéressés ?
-Ça ne se passe pas comme à Ghanzi-Sa, Maître Epofa, répondit Draco. Je suis allée dans une école de sorcellerie pendant sept ans, enfin six à cause de la guerre …
-Installez-vous plus confortablement, les interrompit Dame Elizéa. Si vous devez palabrer un moment, je vais servir la collation.
Et Draco s'aperçut qu'elle avait posé un grand tapis sur le sable à côté de la route et qu'elle y avait posé un plat rempli de galettes, une grosse gourde enveloppée d'une fourrure et des gobelets de verre, tout un pique-nique sorti d'un sac accroché au dos de son dromadadaire. Elle avait tout prévu la maligne ! Elle aida le sorcier quasi aveugle à s'installer puis elle servit du café que la fourrure avait gardé bien au chaud. Elle offrit à chacun une galette au miel et elle s’apprêta à écouter de toutes ses oreilles la conversation entre les deux hommes. Elle en aurait des choses à raconter à ses amies libres sorcières ! Elle s'en rengorgeait à l'avance !
-Mon école s'appelle Poudlard, reprit Draco après avoir bu une gorgée de café. Des Maîtres renommés y enseignent la magie. Les enchantements, la métamorphose, l'art des potions, la botanique, la défense contre les forces du Mal par exemple. A la fin de la septième année, nous passons un examen et nous pouvons exercer divers métiers. Malheureusement je n'ai pas pu finir mes études, je suis sorcier mais je vis dans le monde des Moldus, des non sorciers, je ne sais pas comment vous appelez les gens qui n'ont pas de pouvoirs magiques.
-Nous disons les N'Saé, les non Saé. En fait nous vivons tous parmi les N'Saé mais ils ne savent pas que nous sommes sorciers. Il y a des sortilèges de protection. Donc tu as étudié. Tu as parlé de botanique et de potions. Dis-m'en un peu plus.
Draco était très surpris. Le Maître distillateur était peut-être presque aveugle mais il avait un esprit aiguisé et rien ne lui échappait. Cela faisait tout drôle au jeune homme de se replonger dans ses années de jeunesse. Et où son interrogateur voulait-il en venir ? Mais finalement Draco en apprenait aussi beaucoup sur le monde africain des sorciers. Il eut la vision rapide de la maison de Maître Ndiapo protégée par son sortilège de dissimulation. Il reprit après un instant de silence consacré à croquer dans la délicieuse galette au miel.
-En botanique nous apprenions la flore magique, les plantes, les fleurs, les champignons et leurs usages en particulier dans la pharmacopée. Je connais bien la flore d'Europe, un peu celle des pays étrangers, sauf les grands classiques comme la Griffe du Diable ou la Tentacula Venenosis. Mais ce qui m'attirait le plus, c'était la fabrication des potions. Mon Professeur se nommait Severus Snape et c'était l'un des plus grands Maîtres du monde. C'est lui qui a inventé la Potion Tue-Loup contre la malédiction des jours de pleine lune pour les Loups-Garous. Je l'admirais beaucoup. Il est mort malheureusement.
Draco se tut. Ces souvenirs lui étaient douloureux. Qu'est-ce qu'il faisait, assis là dans le désert, à palabrer avec un homme qui n'avait aucune idée de cette guerre qui avait bouleversé sa vie ? Mais il n'était pas au bout de ses surprises. Maître Epofa se taisait lui aussi et Dame Elizéa ne pipait mot. Ils buvaient tous les trois leur café et grignotaient les derniers morceaux de galette. On n'entendait que la respiration bruyante des deux droma qui secouaient leur tête en ruminant paisiblement.
Le Maître distillateur, ses yeux blancs levés vers le ciel, semblait parti dans ses pensées. On aurait dit qu'il avait oublié où il était. En fait c'était assez vrai. Le Maître distillateur pensait au rêve qu'il avait fait quelques nuits avant son départ, à ce jeune homme - ou peut-être était-ce une fille ? - qui croiserait son chemin, la tête auréolée de lumière. L'éclat de soleil qu'il avait surpris sur les cheveux du voyageur correspondait-il à sa vision nocturne ? Ce serait étrange tout de même ! C'était un Blanc, venu de très loin et de toute façon, il repartait dans son pays. Mais il fallait vérifier. Il parut revenir sur terre. Il appela d'un geste son sac resté près du rocher, il l'ouvrit, farfouilla un peu et en sortit trois sachets fermés par des ficelle nouées de différentes façons. Il ouvrit le premier, le tendit à Draco et posa une question d'une voix sévère :
-Qu'est-ce que c'est ?
-De la peau de Serpent d'arbre, répondit Draco sèchement. Il avait l'impression de passer un examen. - C'en était un.-
-Exact. Et ça ?
-Un éclat d'une racine de mandragore. C'est dangereux si c'est mal dosé, fit Draco du tac au tac.
-Juste. Et ça ?
-Trois pétales de tulipe noire. J'en ai troqué à Maître Ndiapo il y a quelque temps.
-Le vieux grigou n'a pas voulu me dire d'où elles venaient. Il faudra m'en procurer d'autres. C'est parfait. Et maintenant, dis-moi le nom de cette graine.
Il avait sorti un autre sachet de sa besace. Quelque chose bougeait à l'intérieur, un objet rond qui sautait et … mordait la toile. Il entrouvrit à peine le bord et referma aussitôt. Draco avait juste eu le temps de voir quelque chose de vert avec un trou garni de crochets en son mileu. Il recula et dit vivement :
-Je ne connais pas cette chose, Maître Epofa. Vous êtes sûr que c'est une graine ? On dirait un animal ! A mon avis, c'est dangereux.
-Je suis content de ta réaction. Cela prouve que tu connais tes limites et que tu agis prudemment. En effet, tu ne peux pas connaître cette chose. C'est une graine de Micolocolis. Rarissime. Dangereuse oui, très dangereuse. Obligatoire pour fabriquer une bonne « boisson des fêtes ». On n'en trouve que dans un lieu secret, connu de deux ou trois sorciers au monde. Il va falloir que tu apprennes à la trouver et à t'en servir.
-Pour quoi faire Maître Epofa ? Je n'en aurai jamais besoin et j'en suis bien content !
-Tu en auras besoin. J'ai décidé que je te donnerais le secret de la « boisson des fêtes ». Tu en es digne. Tu vas revenir avec moi à Ghanzi-Sa et je t'apprendrai tout.
-C'est impossible Maître Epofa. Même si vous me faites un grand honneur en me proposant d'être votre apprenti, je dois partir.
Il se passa alors quelque chose d'étrange. Le Maître distillateur ferma ses yeux blanchâtres et usa de Légilimencie. Il entra directement dans la tête de Draco. Pourquoi, semblait-il dire avec insistance. Le jeune homme ne pouvait résister à ce puissant sortilège. Il fit apparaître l'image de Narcissa puis une main tenant des diamants et des pierres précieuses.
-C'est ma mère et c'est mon travail chez les N'Saé, murmura-t-il et il s'aperçut que seul l'homme en face de lui pouvait l'entendre. Dame Elizéa semblait endormie. .
-Pour ta mère, je comprends, répondit Maître Epofa en bougeant à peine les lèvres. Mais que fais-tu avec les pierres de sang ?
-Pourquoi ce nom ? Ce ne sont que des diamants et il y en a beaucoup dans ce pays.
-Et beaucoup de gens perdent la vie pour ces pierres. Mais tu n'est pas responsable de la folie des hommes. Qu'en fais-tu ?
Draco fit alors apparaître la superbe parure aux émeraudes, réparée grâce aux pierres qu'il avait patiemment recherchées en Colombie.
-Ah ! Ce n'est pas seulement la folie des hommes, reprit l'autre homme avec gravité. C'est aussi la folie des femmes. Celles d'ici n'ont pas besoin de ça pour être belles. Mais je comprends Draco. Tu n'es pas encore prêt. Tu es encore trop attaché au monde des N'Saé. Ce sera pour l'année prochaine. J'attendrai. Tu reviendras.
Puis le temps qui s'était arrêté pour quelques instants magiques se remit en marche. Dame Elizéa se réveilla. Elle proposa à Draco de le conduire rapidement jusqu'à la barrière de l'Est. Maître Epofa l'attendrait en finissant son café. Il refusa. Il avait besoin de marcher, dit-il, après cet en-cas copieux. Il avait surtout besoin de quelques œufs d'oursins à grappiller en cours de route. Ils se remirent en chemin, deux sur les droma vers la cité, lui seul dans l'autre sens. Il pensait que cela faisait deux fois qu'on l'invitait à revenir l'année prochaine. Trois fois si on comptait Potter.
Non, pas Potter. Harry.
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