Chamane 13 : Le miel et les abeilles
La carriole suivait un chemin tout en tours et en détours. Ils longeaient maintenant des parcelles cultivées ou plantées d'arbres. Mais aucune n'avait de forme régulière. Pas de jardins carrés ou rectangulaires. Chaque pré, chaque champ, chaque verger avait sa forme propre, et ils s'imbriquaient parfaitement les uns dans les autres, séparés seulement par des clôtures, des haies ou des rigoles d'irrigation. Le paysage était une mosaïque colorée où dominaient toutes les nuances du vert. Des gens se relevaient en les entendant passer et leur faisaient des signes de la main. Iméo avait repris son bavardage.
-C'est beau ici ! Dans mon pays, c'est beaucoup plus sec ! Oh ! Regardez ces fleurs mauves ! Je vois une ruche au milieu. Ama Zié ne doit pas être loin. Là ! Je la vois, près de ces petits arbres couverts de fruits jaunes. Qu'est-ce que c'est ?
-Des Mirabilis, répondit le conducteur. C'est pour eux qu'on attend les sorciers de Namibie. Eux seuls savent s'y prendre avec ces foutus arbres. Ils sont petits, ils ont l'air inoffensifs mais ils sont féroces. Ils ont des épines et des feuilles coupantes. Ils attaquent à coups de branches ceux qui s'approchent trop près d'eux. Mais leurs fruits sont indispensables pour de nombreux remèdes. Et pour la boisson de fin des repas, ajouta-t-il en baissant la voix et en riant. Ils ne poussent qu'ici et dans une oasis secrète du désert de sable en Namibie. C'est une sorcière Héréro qui a planté le premier arbre dans cette parcelle. Elle voulait remercier la cité qui l'avait accueillie quand elle et son fils fuyaient la guerre qui ravageait son pays. C'était il y a plus de cent ans. Depuis, des gens de sa tribu viennent chaque année pour la cueillette. On les attend avec impatience. Ah ! Ama Zié nous a vus, elle nous fait signe de l'attendre.
Ainsi, chaque pays avait son arbre dangereux, se disait Draco en repensant au saule cogneur de Poudlard. L'âne s'était arrêté près du champ de fleurs . Iméo avait sauté à terre. Il aida sa parente à monter dans la carriole, elle s'assit à côté de Draco, lui grimpa à l'arrière et s'accroupit dans un petit espace libre derrière eux. Elle s'adressa à son voisin en tswana' et le jeune garçon traduisit.
« Ama Zié vous salue. Les abeilles de cette ruche sont en plein travail. On va aller plus loin. Elle veut nous montrer comment on récolte le miel .
La Gardienne des abeilles parla ensuite avec le conducteur et la carriole s'ébranla de nouveau, roulant doucement sur les chemins tortueux en longeant des parcelles où poussaient des légumes, des épis de céréales ou des fleurs. Plusieurs champs étaient en friches, attendant de nouvelles semailles. De loin en loin s'élevaient des bouquets d'arbres plus ou moins grands et Draco s'étonnait de voir que certains étaient en bourgeons, d'autres en floraison et d'autres encore prêts à la récolte. Il y avait même un verger où tous les arbres étaient nus, comme si c'était leur période de repos hivernal. Il posa la question à Iméo pour qu'il se renseigne auprès de Ama Zié. Elle lui sourit avec malice et ne répondit que quelques mots que le jeune garçon traduisit par :
-C'est la magie de Ghanzi-Sa.
Les sorciers de la cité avaient-ils le pouvoir de décider à quel moment ils voulaient produire telle ou telle plante ? Il est vrai qu'ils avaient à leur disposition une eau inépuisable aux vertus sans doute particulières. En tout cas, ils étaient forts, très forts. Pas étonnant que … Non, il ne penserait pas à Lui. Ici c'était la vie dans toute sa splendeur et sa variété. Aucune place pour Lord Voldemort. Draco inspira l'air pur et parfumé et se dit que ce séjour imprévu à Ghanzi-Sa lui apportait une sorte de paix intérieure. Il eut une brève pensée pour Potter … pensée qui ne fut pas suivie de l'habituelle bouffée d'amertume.
Ils arrivaient près de trois champs fleuris imbriqués les uns dans les autres, l'un tout bleu, l'autre tout jaune, le dernier d'un rouge sombre tirant sur le violet. Dans les deux premiers, les fleurs étaient en boutons, seul le troisième était en pleine floraison Au milieu, il y avait une ruche. La carriole s'arrêta. Iméo sauta à terre et tendit respectueusement la main à Ama Zié. Draco descendit à son tour et c'est alors qu'il remarqua à nouveau comme elle était petite. Elle ne lui arrivait même pas à l'épaule. Mais elle était pleine d'entrain et à sa suite, ils entrèrent dans la parcelle en fleurs. Le conducteur se tassa un peu sur son siège et entreprit de somnoler.
Quand ils furent à vingt mètres de la ruche, Ama Zié leur fit signe de s'arrêter. Elle s'avança seule et aussitôt des dizaines d'abeilles se mirent à bourdonner autour d'elle. Puis elles se posèrent sur ses épaules, sur ses bras, sur ses tresses serrées et même sur son visage. On aurait dit qu'elle portait sur elle une cape brune vibrante. Elle avançait toujours avec des mouvements fluides, sans à-coups, et quand elle arriva à la ruche, une seconde personne apparut, qu'ils n'avaient pas vue jusqu'alors car elle était aussi très petite, de la taille d'un enfant de six ans.
«C'est son second fils, Faron, celui dont je partage la chambre, murmura Iméo. Son troisième fils et sa fille sont aussi de petite taille. Le premier est grand comme son père. Lui n'a pas le don.
-Seuls ceux qui sont petits peuvent s'occuper des abeilles ? s'étonna Draco.
-Oui. Le don et la taille sont liés. Mobi l'aîné se ferait piquer s'il s'approchait d'une ruche. Attention ! Si Ama Zié nous dit d'avancer, ne faites pas de mouvements brusques et si vous avez peur, arrêtez-vous et ne bougez plus. Les abeilles sentent la peur et pourraient croire que vous leur voulez du mal. C'est une affaire de peau, d'odeur. Pensez à elles comme à des bêtes bienfaisantes, elles le sentiront et ne vous feront rien.
« Bien sûr, pensa Draco, les phéromones. Aucun problème. »
Ils avancèrent sur un signe d'appel de la petite dame souriante. Ils voyaient mieux maintenant la ruche posée au milieu du champ de fleurs. Elle ressemblait à une case miniature, ronde, avec son toit de paille pointu recouvrant un gros cylindre un peu aplati en feuilles tressées. Par plusieurs petites ouvertures tout en bas, les abeilles porteuses de pollen entraient offrir leur récolte. D'autres restaient à proximité de l'entrée et semblaient monter la garde. Elles étaient plus petites que celles d'Europe et aussi d'un brun plus foncé, presque noir. Celles qui sortaient fusaient vers les fleurs rouges grandes ouvertes qui offraient leur cœur aux butineuses. C'était une sorte de ballet d'une rapidité vertigineuse mais parfaitement organisé.
C'était la première fois que Draco voyait de si près le travail des abeilles. Certaines s'attardaient auprès d'eux mais elles ne se posaient pas et poursuivaient infatigablement leur travail. Faron par contre en avait sur lui comme sa mère. Ils s'arrêtèrent à quelques mètres de la ruche car les vibrations de l'air autour d'eux devenaient plus fortes. Les abeilles virevoltaient plus rapidement autour de leurs têtes. Ils avaient sans doute atteint le seuil de tolérance de l'essaim vis-à-vis de personnes étrangères. Ama Zié prononça une phrase et Iméo traduisit :
« Faron va soulever le toit pour pouvoir prendre les rayons de miel. Il ne faut pas bouger.
L'intérieur de la ruche apparut et il était garni de plaques de cire aux alvéoles pleines. Ama Zié fit un geste circulaire et aussitôt, toutes les abeilles, même celles qui étaient posées sur elle et sur son fils, se rassemblèrent en un gros nuage compact qui s'éleva dans les airs en bourdonnant si fort qu'on aurait cru le bruit lointain d'un orage. Elles ne devaient pas être très contentes mais la magie de Ama Zié était puissante et tout l'essaim ou presque lui obéissait. Elle expliqua encore quelque chose et Iméo dit avec une voix un peu chevrotante :
-Il ne reste dans la ruche que la reine et ses servantes, celles qui s'occupent des alvéoles où elle pond ses œufs. Et il ajouta : Mais même comme ça, je n'aimerais pas être à la place de Faron !
Celui-ci prenait délicatement les rayons remplis de miel et les déposait à ses pieds dans un panier plat. Il ne prit pas tout, il en laissa une partie car il ne s'agissait pas de piller la ruche. Il fallait laisser de la nourriture pour les abeilles. Faron reposa le toit à sa place et lentement s'en alla vers le bord du champ. Quand il fut assez loin, Ama Zié refit un signe et d'un coup, l'essaim se rua sur la ruche. Draco sentit le vent de leur course souffler à ses oreilles et quelques bêtes se posèrent sur lui, en particulier dans ses cheveux, à croire que leur couleur les attiraient. Il ne bougea pas d'un pouce, imité par Iméo qui avait fermé les yeux et respirait un peu vite. Mais tout se passa bien et quand l'essaim eut regagné son logis, Ama Zié leur sourit et dit quelques mots.
-Elle nous félicite, dit Iméo. Nous sommes dignes de goûter le miel.
Il se passa alors un événement imprévu. Une dernière abeille un peu égarée voleta maladroitement autour de Draco près de son bras droit. Il la vit se poser sur le fin tissu de sa chemise et ressentit aussitôt une violente douleur. Stoïque, il eut la force de ne pas crier et de ne pas bouger mais il pâlit et Ama Zié s'en aperçut aussitôt. Elle chassa l'abeille d'un signe et murmura quelques mots. La douleur cessa immédiatement.
-Elle nous dit de sortir doucement, ajouta Iméo qui ne se le fit pas dire deux fois.
Quand ils furent arrivés au bord du champ, loin des butineuses qui avaient déjà repris leur travail, Ama Zié releva la manche de Draco. Mais il n'y avait pas de piqûre sur son bras, pas d'aiguillon planté dans la peau, juste la plaque rouge qui apparaissait de temps en temps depuis qu'il avait été piqué par une guêpe. Elle sembla surprise et posa une question. Iméo traduisit l'explication de Draco. Elle répondit par une phrase où apparut bizarrement le nom de Harry Potter.
-Elle dit qu'elle ne peut rien pour vous. Elle n'est pas Gardienne des guêpes. Vous devez vous adresser à Harry … Elle parle de Maître Harry qui a été piqué par un oursin ? C'est vrai qu'il est chamane et qu'il peut guérir les gens ? Je ne l'ai pas encore vu. J'aimerais bien le rencontrer. Vous m'emmènerez quand vous irez le voir ?
Draco avait rabattu sa manche. Heureusement que cette foutue bestiole ne s'était pas posée sur son bras gauche, là où apparaissait toujours sa Marque des Ténèbres ! Puis il réalisa que Ama Zié ne connaissait sûrement pas la signification du crâne et du serpent, symboles de magie noire. L'aimable petite dame et ses abeilles étaient bien loin de ce sinistre domaine. Allons, c'était la journée où ses bras lui rappelleraient quelques mauvais souvenirs. D'abord feu Lord Voldemort, puis une mauvaise piqûre de guêpe … Quant à demander l'aide de Potter pour guérir de l'une ou l'autre de ces anciennes blessures, il n'en était pas question !
-Harry Potter n'est pas une bête curieuse, répondit-il sèchement.
Iméo se rembrunit et Draco se rendit compte qu'il était désagréable avec le jeune adolescent pour la première fois depuis qu'il avait fait sa connaissance. Un reste d'amertume sans doute, totalement inapproprié ici à Ghanzi-Sa Alors il se radoucit et ajouta plus doucement :
-Je ne vais pas déranger Maître Harry pour si peu de chose, Iméo. Mais tu auras sûrement l'occasion de le voir. Tu n'as qu'à lui proposer tes services. Sais-tu qu'autrefois on avait toujours l'impression qu'il avait un nid d'oiseau sur la tête ? Dis-lui que tu viens de ma part en souvenir du passé. Il rira sans doute. Dans notre jeunesse, nous passions notre temps à nous battre …
Il souriait. C'étaient pourtant de bien mauvais souvenirs mais pas ici, pas à Ghanzi … Ils remontèrent dans la carriole taxi. Faron s'était tassé à l'arrière à côté de Iméo, avec son panier posé sur sa tête. Quelques abeilles curieuses le suivaient à la trace mais elles retournèrent vite à leur ruche. Ils roulaient toujours sur le chemin sinueux. Ils virent d'autres champ de fleurs, d'autres ruches posées de ci de là mais ils ne s'arrêtèrent pas avant d'avoir atteint une ensemble de trois cases, une grande flanquée de deux plus petites, situées au fond d'une cour. Devant se trouvait l'habituel arbre ombreux et derrière s'élevait un bouquet de trois palmiers Hyphaènes, assez jeunes car ils n'avaient que cinq ou six mètres de haut.
«C'est la Maison du Miel, dit Iméo, traduisant la phrase de Ama Zié, alors qu'ils s'avançaient tous les trois vers la case centrale.
Faron par contre se dirigea vers la case de gauche avec son panier. Des abeilles bourdonnaient autour d'eux et Draco s'aperçut qu'au dessus de la porte, il y avait aussi une ruche, mais différente de celles qu'ils avaient vues dans les champs de fleurs. Elle ressemblait à une très grosse poire en osier recouverte en partie d'argile. Les abeilles entraient par une petite ouverture en bas et ressortaient par une sorte de cheminée en haut. Elles n'étaient pas très nombreuses et ne semblaient pas occupées à butiner. Ama Zié donna une explication assez longue que Iméo traduisit de son mieux.
-Ce sont des solitaires, des guerrières. Elles défendent le rucher Personne ne peut entrer dans la case si Ama Zié n'est pas là. Dans cette ruche, il n'y a pas de reine. Chaque abeille travaille pour son compte et ne se reproduit qu'une fois. Elles ne sont pas nombreuses mais leur piqûre est très douloureuse. Cela suffit à éloigner les voleurs de miel, les bêtes comme les gens.
Il écouta encore et continua:
-Quand les ancêtres de Ama Zié sont arrivés à Ghanzi il y a beaucoup, beaucoup d'années, ils ont apporté avec eux deux ruches comme celle-là. C'était leur présent à la cité, pour leur installation. Ils venaient de très loin dans le Nord où des hommes grands les chassaient à cause de leur petite taille. Ici, ça n'a pas d'importance.
Et il ajouta en souriant :
-Mais elle dit que ça devient de plus en plus difficile de trouver un mari ou une femme pour les gens comme elle. Elle a été obligée d'épouser un homme grand, mais elle ne s'en plaint pas. Il est grand aussi par sa gentillesse … En fait, elle et son mari sont très amoureux, commenta-t-il en pouffant de rire.
Ama Zié avait fait un geste et toutes les abeilles étaient retournées dans leur ruche. Ils entrèrent dans la case, suivi du conducteur de la carriole qui semblait connaître les lieux. Il faisait sombre car il n'y avait pas de fenêtre. C'était la réserve de miel. Mais il n'était pas dans des verrines comme en Europe. Des dizaines de pots en terre plus ou moins gros étaient alignés sur des planches, tous fermés par un couvercle. Chacun portait une inscription écrite à la craie, des signes cabalistiques qui ressemblaient à … Draco ouvrit de grands yeux. Il lui semblait reconnaître le tracé de hiéroglyphes, dessinés dans un ovale. Quand Ama Zié disait que ses ancêtres venaient d'un pays du Nord, est-ce qu'elle parlait de l'Egypte où on avait domestiqué les abeilles depuis des millénaires ?
-C'est le moment de goûter, dit joyeusement Iméo quand il vit Ama Zié saisir un des pots et le poser sur une table rudimentaire, une planche sur deux tronçons de bois.
Ils passèrent tous une heure très agréable à goûter différentes miels en se servant de petits bâtonnets de bois au bout plat et arrondi. Chacun avait un aspect particulier certains liquides, d'autres épais, les saveurs variaient de sucré à âpre, les couleurs allaient du brun foncé à presque blanc … le fameux miel de calamandier « Comme vos cheveux » avait commenté Iméo. Puis ils étaient allés dans la case de gauche où ils avaient vu Faron extraire le miel des alvéoles en se servant d'un antique tourniquet à main. Il y avait des rayons de cire déjà prêts à être mis dans les ruches ainsi que des plaques de résine brute qui servaient à les protéger de l'intérieur.
Le conducteur avait pris le relais d'Iméo pour les explications. Il s'y connaissait beaucoup plus que l'adolescent. En fait, en plus de conduire sa carriole taxi, il était le responsable, l'intendant du rucher. Il tenait les comptes, s'occupait de la vente et des commandes, fixait les prix selon la quantité de miel récoltée. C'était sa participation bénévole à la vie de la cité. Il s'appelait Riad, c'était un lointain cousin de Ama Zié et ce serait donc avec lui qu'on ferait affaire après la visite car la Gardienne des abeilles ne se préoccupait pas de ces choses-là …
Quand ils sortirent, ils étaient tous euphoriques, comme si l'odeur et le goût du miel les avaient enivrés. Seule Ama Zié restait sereine. Ils s'assirent sous l'arbre et Faron apporta le thé. Ils le parfumèrent d'une goutte du nouveau miel. Draco n'avait pas retenu le nom de la fleur rouge qui avait servi à le fabriquer. Comme le lui avait dit Maître Ndiapo, il y avait à Ghanzi-Sa des fleurs qu'on ne voyait nulle part ailleurs. Par association d'idée, ses pensées dérivèrent vers … Potter bien entendu. Il posa une question : Maître Harry pouvait-il manger du miel ?
-Pas à ma connaissance, répondit Riad.
Puis le regard de Draco se porta vers le bouquet d'arbres derrière les cases. Poursuivant son idée, il ajouta :
-Ne lui a-t-on pas fait goûter du miel de palmier ? Les abeilles ne butinent pas cet arbre quand il est en floraison ?
Il y eut un silence. Tous regardaient Ama Zié à qui on avait posé la question. Elle avait un air d'étonnement sur son noir visage, lisse et satiné. Elle regarda Draco dans les yeux, il eut l'impression qu'elle lisait dans ses pensées. Il était bon Occlumens et pourtant il ne pouvait s'opposer à elle … Potter … Oui, il pensait souvent à lui ces derniers temps, il voulait lui venir en aide, il cherchait un moyen … quelque chose … Elle sourit et répondit :
-Ce ne sont pas les abeilles qui visitent les fleurs de palmiers. Mais je vais demander à mon troisième fils.
Iméo eut juste le temps de traduire. Elle appela : « Bilem ! »
Un petit garçon sortit de la case de droite. Draco retint un mouvement de surprise. L'enfant était de petite taille mais en plus il avait une malformation qui le tenait courbé en deux. Ses jambes étaient frêles et l'un de ses bras était un peu tordu. Il s'appuyait sur son autre bras, le poing posé à terre. Il regardait vers eux en levant la tête. Une masse de cheveux frisés entourait son fin visage, il souriait et il était beau, magnifiquement beau. On n'avait nulle envie de le plaindre. On se contentait de l'admirer. Ama Zié s'adressa à lui en tswana', il répondit dans un anglais hésitant en désignant les arbres derrière les cases :
-Là-haut, des abeilles sauvages. Elles font du miel avec les petites bêtes qui visitent les fleurs. Il faut les presser comme le lait pour les chèvres. Pas beaucoup. Difficile à prendre. Miel de palmier.
Draco eut la vision saugrenue d'une fermière-abeille en train de traire des vaches-pucerons pour faire ensuite du miel-fromage. Il savait que c'était possible, c'était ainsi qu'on obtenait le fameux miel de sapin. Il sentit venir un éclat de rire. Mais son sang-froid prit le dessus. Puis il se demanda comment Bilem avait su pour les abeilles sauvages et leur miel. Il eut sa réponse un peu plus tard. Tout le monde se leva et suivit le jeune garçon qui malgré son infirmité se déplaçait avec légèreté, presque avec grâce. Ils contournèrent les cases et Draco eut un instant de stupeur. S'aidant uniquement de ses mains et de ses pieds, Bilem entreprit de grimper à l'un des arbres. En quelques secondes, il fut en haut et disparut dans le bouquet de feuilles. Elles s'agitèrent et un petit essaim monta vers le ciel. Le jeune garçon devait avoir comme sa mère le pouvoir d'éloigner les abeilles. Puis il redescendit, toujours souriant. Il frotta juste ses deux mains l'une contre l'autre et annonça :
-Oui. Un petit peu de miel. Je cherche un pot. »
Draco sourit en levant la tête vers le ciel. Il ferma les yeux. Il se sentait bien. Peut-être que sa visite chez Ama Zié serait bénéfique à Potter finalement. Puis il se gourmanda. Il devenait romantique, ma parole ! Depuis quand avait-il de la parentelle chez les Pouffsouffles ? La Gardienne des Abeilles l'observait avec intérêt. Quel pouvait être le lien entre les deux étrangers, le blond aux cheveux couleur de miel et le brun que nul ne pouvait toucher ?
o – o – o – o
C'était la fin de l'après-midi. Draco écrivait un nouveau message pour Maître Ndiapo. Il était content. Il avait de bonnes nouvelles à communiquer. Après les œufs d'oursins, le miel de palmier ! Quand Bilem était descendu de l'arbre pour la deuxième fois, il portait dans un sac un pot contenant un « gâteau » de miel. Ce n'était pas un rayon standard comme celui des autres ruches. Les abeilles sauvages avaient fabriqué elles-mêmes les alvéoles de cire. Pour en sortir quelques morceaux du creux de l'arbre où elles s'étaient installées, Bilem avait dû les casser si bien que le produit était pâteux et irrégulier. C'est pourquoi le jeune garçon avait utilisé le mot « gâteau ».
Tout le monde était retourné sous l'arbre ombreux, on s'était rassis en tailleur - et Draco était devenu très habile à se poser et à se relever avec grâce - Faron avait apporté un nouveau plateau avec le thé et Bilem avait commencé à extraire le miel du « gâteau ». Il était allé dans la case de droite et avait rapporté un pot en faïence blanche avec un couvercle, de minces tiges creuses, peut-être des épis de céréales et un petit tapis rond qu'il avait posé sur un de ses genoux. Très doucement, il avait commencé à cueillir des gouttes de miel dans le magma cireux. Il les déposait ensuite délicatement dans la faïence, comme si ce miel avait une très grande valeur. Quand la goutte était trop grosse ou trop lourde, il l'aspirait un peu dans la tige avant de la souffler dans le petit récipient. Il ne faisait plus attention aux autres personnes tant il était absorbé par son travail.
Le troc avait alors pu commencer. D'abord, Draco avait offert à Ama Zié un cadeau pour la remercier de son invitation. Il l'avait acheté la veille en même temps que les bonbons pour la Grande Maîtresse et de nouveau, le confiseur avait été de bon conseil. Il avait proposé de la pâte de sucre roux en pot. Cela venait de très loin, de l'autre côté de la grande mer, car on ne cultivait pas la canne à sucre dans le pays. A ce propos, Draco avait appris avec surprise que c'était Maître Félaro qui s'occupait de l'import export pour la cité magique. Il négociait les achats de produits étrangers, qu'ils soient magiques ou non et proposait les produits de Ghanzi-Sa à la vente. Draco avait repensé au jour où il l'avait rencontré devant chez Maître Ndiapo. Il devait être en tournée de prospection. Il s'était sans doute procuré la pâte de sucre dans une ville moldue, peut-être même la capitale. C'était mou, onctueux et très parfumé. Cela ressemblait à la mélasse qui faisait les délices de Potter autrefois. Ama Zié et ses abeilles en raffolaient et c'était très utile surtout en fin de saison.
Après la récolte du miel, ce qui restait de l'essaim était mis en sommeil pour quelque temps. Ne restaient actives que la reine, ses nourrices et quelques ouvrières. Les nouvelles reines avaient ainsi le temps de se développer dans leurs niches royales. La première qui naissait tuait toutes les autres car il ne pouvait y avoir qu'une reine par ruche. Les ouvrières et les mâles ou faux bourdons sortaient également de leurs alvéoles et tout pouvait recommencer. Pendant l'envolée nuptiale de la nouvelle reine, l'ancienne quittait le ruche avec une partie des abeilles. Il fallait être vigilant et attraper l'essaim pour le reloger sinon, il devenait sauvage comme celui du palmier. C'était à ce moment-là que Ama Zié distribuait la pâte de sucre, pour que les abeilles aient plus de force, surtout s'il ne restait pas assez de nourriture pour tout le monde.
La Gardienne des abeilles avait offert à Draco un petit pot de miel de calamandier - … de la couleur de vos cheveux … - et les affaires sérieuses avaient pu commencer entre Riad et lui. On avait palabré sur l'excellence et l'abondance de la récolte de l'année. Le sorcier blond en avait profité pour parler des signes écrits à la craie sur les pots. Ces dessins étaient très anciens et se transmettaient depuis des générations. Ils indiquaient la provenance de chaque miel, avait expliqué Riad. Cela devenait un peu long pour Iméo qui s'était éloigné avec Faron pour discuter à son aise. Draco avait acheté deux autres miels qu'il avait beaucoup appréciés. Il pensait que cela ferait plaisir à sa mère et à Lizzie. N'ayant rien à troquer, il avait payé avec de la monnaie locale et trouvait le prix raisonnable.
Puis on était passé au fameux miel de palme. Bilem avait extrait du « gâteau » la valeur de deux grosses cuillers à soupe d'un miel assez épais de couleur noisette. Le magma cireux et pâteux restant au fond du pot n'en fournirait pas plus. Mais Draco pensait que même ce reste pourrait intéresser Maître Ndiapo s'il fabriquait un emplâtre pour Potter. Le premier prix avancé par Riad lui sembla excessif comme dans toutes les transactions avec marchandage. Il proposa donc son prix et s'apprêtait à discuter pièce après pièce. A ce moment, la Gardienne des abeilles intervint. Elle ne semblait pas d'accord.
«Ama Zié ne veut pas qu'on vende ce miel, dit Riad de mauvaise grâce. Il a été fabriqué librement par les abeilles sauvages et n'entre pas dans les comptes du rucher. Elle vous le donne. Si vous voulez le revendre, il vaut le prix que je vous ai demandé car il est unique. N'importe quel négociant en miel le paierait une fortune.
-Mais je n'ai pas l'intention de le revendre ! s'exclama Draco, furieux. Et je ne peux accepter ce cadeau s'il a une telle valeur. Ce n'est pas un bon troc. Je me sentirais redevable envers la cité. La récolte de ce miel est un exploit que je raconterai à Maître Harry à qui il est destiné. Il vous sera sûrement reconnaissant s'il peut en manger. Il est cruellement privé de tous les plaisirs. En attendant, dites un prix, au moins pour ce que Bilem a fait. Le miel est une chose, sa récolte en est une autre.
Il commença à aligner devant lui les pièces d'argent comme il l'avait fait pour les deux autres miels. Riad le regarda d'un air surpris puis il se mit à rire.
-C'est la première fois qu'un client veut payer alors qu'on ne lui demande rien. Mais attendez avant de protester ! Ama Zié ne veut pas d'argent pour le miel de palmier mais ça ne veut pas dire que vous ne lui devez rien. Elle veut quelque chose que vous lui apporterez à votre prochaine visite.
-Il n'est pas sûr que je revienne un jour à Ghanzi-Sa, répondit Draco qui trouvait que la palabre prenait un tour étrange.
-Ama Zié dit que si. Elle l'a vu dans vos yeux.
Draco reporta son regard vers la petite dame souriante, assise à quelques pas de lui. De nouveau, il sentit son exploration silencieuse. Elle devait pratiquer une Légilimencie puissante car il ne pouvait lui résister … Il savait qu'il reviendrait … Il reviendrait pour Potter … Pour Potter qu'il fallait guérir … Et sauver … Il ne l'abandonnerait pas … Parce que … Parce que … Il détourna les yeux au prix d'un gros effort. Le regard pénétrant de Ama Zié était aussi fascinant que celui d'un serpent. Et lui, un Serpentard, il s'y laissait prendre !
Elle parla à Riad qui hocha la tête.
-Voilà ce qu'elle veut. Ses abeilles ont besoin de nouvelles fleurs. Elle demande que vous lui rapportiez des graines, en particulier celles d'une très grande fleur qui ressemble à un soleil. Jaune avec un cœur marron. Elle ne connaît pas son nom, elle l'a vue sur une image et il y avait une abeille posée dessus. Savez-vous ce que c'est ?
-Ama Zié veut des graines de tournesol ? Je ne sais pas si ces plantes peuvent pousser dans ce pays .
-Tout peut pousser à Ghanzi-Sa. Nous avons notre magie et nous avons notre eau. Pouvez-vous lui en apporter ? Et aussi des graines d'autres fleurs à miel de chez vous ?
-Mais je ne suis pas obligé de revenir pour ça. Je peux les envoyer à Maître Ndiapo qui vous les fera parvenir.
-C'est possible en effet.
Il discuta encore un moment avec la Gardienne des abeilles.
-Ama Zié sait que vous reviendrez, reprit-il. Elle dit que vos cheveux de lune sont attirés par des cheveux de nuit. Elle dit aussi que vous avez besoin d'une pierre et que vous la trouverez ici. Je ne sais pas ce qu'elle veut dire par là mais elle dit que vous, vous saurez.
Elle souriait. Malicieuse petite bonne femme ! Elle savait s'y prendre pour arriver à ses fins ! Pas étonnant qu'on lui montre autant de respect ! … Cheveux de lune pour cheveux de nuit ... Elle pensait peut-être qu'il se laisserait séduire par une des libres sorcières … Quant à la pierre, elle ignorait sans doute que sa baguette n'en avait pas besoin … Elle jouait à la devineresse ! C'était de bonne guerre ! Les gens adoraient qu'on leur parle par énigme. Mais pas lui. Il ne se laisserait pas prendre à ce petit jeu. Quoique … Bon d'accord, il avait très envie de revenir. Et dire qu'il n'était même pas encore parti ! Mais ça ne se ferait pas sans discussion ! On allait palabrer.
-Je ne sais pas si j'aurai l'occasion de revenir au Botswana mais Ama Zié aura ses graines de tournesol … J'essaierai aussi de trouver des graines de lavande, des fleurs bleues très parfumées qui poussent dans un pays voisin du mien ... En plus du miel, je voudrais le reste du « gâteau » venant du palmier. Maître Harry en aura peut-être l'usage … Et si le miel de palme lui convient, j'aimerais que Bilem aille de temps en temps faire un tour dans la ruche sauvage pour lui en fournir … En échange je vous révélerai la recette d'un savon de beauté au lait d'ânesse et au miel, un secret qui appartient à la famille de ma mère. Un parfumeur de mon pays m'en a offert cent gallions d'or …
Incroyable, le plaisir qu'on pouvait prendre à bien « troquer » ! Ils avaient allègrement sauté le déjeuner, remplacé par une nouvelle tournée de thé et quelques galettes au miel. C'était courant dans le pays où le véritable repas était pris le soir. Puis Draco et Riad, satisfaits tous les deux d'avoir bien mené leurs affaires, étaient repartis dans la carriole taxi. Iméo était resté sur place car son apprentissage ne commençait que le lendemain. Il jouait avec Faron au morpion sorcier – seize cases, quatre croix ou quatre ronds à aligner mais comme ils étaient magiques, ils pouvaient sauter de case en case quand on claquait dans ses mains. Les plus malins gagnaient … -
En chemin, Draco avait appris que Ama Zié et sa famille habitaient en ville. Son « grand » mari et son fils aîné ne pouvaient pas vivre près des ruches. Ils n'avaient pas le don. Mais la réserve de miel était bien défendue. La nuit, les abeilles guerrières se réveillaient au moindre bruit. Comme elles étaient furieuses d'avoir été dérangées dans leur sommeil, elles attaquaient férocement tous les intrus et leurs piqûres étaient encore plus douloureuses que le jour. Les tentatives de vol étaient donc très rares. Mais au moins une fois dans l'année, un sorcier trop sûr de sa magie tentait sa chance. Il se retrouvait dans la case des malades, boursouflé de partout, en proie aux moqueries des autres patients et même des guérisseurs qui l'enduisaient d'un baume apaisant mais malodorant. Bien fait pour lui !
Ils étaient aussi repassé près des Mirabilis. Riad avait cligné de l’œil vers Draco en gloussant. Les cueilleurs de Namibie étaient arrivés et parlaient déjà avec les sauvages petits arbres. Il y avait trois femmes, deux hommes et un adolescent qui, lui, restait à l'écart. Ce devait être un apprenti. Ce qui faisait ricaner Riad, c'était leur costume. Ils portaient tous, enroulée autour des hanches une sorte de longue étoffe aux dessins bariolés qui les couvraient de la taille aux chevilles. Mais leurs poitrines étaient nues et les trois femmes avaient des seins magnifiques, ornés seulement par quelques colliers.
Elles tendaient les mains vers les branches couvertes de fruits et celles-ci semblaient onduler comme sous une caresse. Elles se tenaient très droites, elles avaient un port de déesse et il n'était pas étonnant qu'elles fassent fantasmer les jeunes hommes. Riad confia à Draco que c'était une sorte de compétition entre les célibataires de Ghanzi-Sa. Pendant les dix jours que durait leur séjour, tous essayaient de séduire l'une des cueilleuses. Mais elles étaient farouches et jusqu'ici, aucun homme ne pouvait se vanter d'avoir eu une aventure avec une belle Namibienne !
Draco s'était ensuite fait conduire à la Grande Case. Il voulait voir tout de suite si Potter supporterait – et aimerait - le miel de palmier.
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